LES INTERVENANTS

Béatrice Giblin

Directrice de la revue Hérodote, revue de Géographie et de Géopolitique

 

Les brèves proposées par Béatrice Giblin:

Géopolitique de l’Espagne

"Compte tenu de ce qui se passe en Catalogne, que je suis surprise d’un discours plutôt sympathique vis-à-vis des indépendantistes catalans, au nom de la démocratie et du respect du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes et qu’on trouve ces nationalismes locaux tout à fait fréquentables quand ce sont les mêmes qui dénoncent un nationalisme d’Etat comme étant quelque chose d’absolument dangereux et suscitant parfois des réactions conduisant à la guerre. Je pense que pour bien comprendre ce qui se passe en Catalogne, il y a un livre simple à lire mais très éclairant qui remet un peu de profondeur historique et qui rappelle que c’est un pays dans lequel la guerre civile n’est pas si lointaine et qui s’appelle Géopolitique de l’Espagne par Barbara Loyer."


Les Misérables

"Je voudrais revenir sur le film « les Misérables ». On a beaucoup dit sur ce film, mais ce sont les échos que j’entends ici ou là qui m’inquiètent. Ainsi, notamment en province, on s’imagine que c’est ça la banlieue, et que nous aurons demain des situations abominables. Il faut redire que c’est une fiction et non un documentaire. C’est très habilement fait, et il ne s’agit pas de nier des difficultés ou des discriminations, mais gardons à l’esprit que le réel est plus complexe, contradictoire et paradoxal que le film. "


Où atterrir : Comment s’orienter en politique ?

"Moi c’est un petit livre qui est sorti aux éditions La découverte qui est écrit par Bruno Latour. Bruno Latour est quelqu’un qui se préoccupe beaucoup de la question écologique, je dirai que c’est un philosophe avec une sensibilité très forte et très ancienne sur ces questions là. Ca s’appelle Où atterrir : Comment s’orienter en politique ? et son hypothèse est de dire qu’en fait il y a un lien entre la dérégulation qu’on connaît depuis les années 90 et qui va s’accélérant, entre l’augmentation des inégalités et l’importance de ces inégalités qui se creusent avec les risques que cela peut faire poser. Un troisième élément qui est la montée des populismes où au fond on essaye de se protéger en revenant à un petit chez soi face à une dérégulation du monde et que tout ceci est lié à ce qu’il appelle : le Nouveau Climat. Et pas seulement « climat » au sens géographique du terme. Un climat avec un sens beaucoup plus large, un environnement dans lequel évolue désormais les sociétés. Je ne suis pas d’accord avec tout ce qu’il y a à l’intérieur de la réflexion de Bruno Latour mais je pense quand même que c’est un ouvrage qui peut permettre de réfléchir et de débattre sur des questions essentielles"


Aventures d’un géographe de Yves Lacoste

"Je vais parler d’un livre d’une personnalité et ami qui m’est chère Yves Lacoste, qui sort ses mémoires dans Aventures d’un géographe. C’est un livre extrêmement touchant et qui montre bien la liberté de penser, la liberté d’individu que représente Lacoste. Il a beaucoup fait pour développer la géopolitique en France et la réflexion en créant Hérodote, dont il m’a confié la direction il y a 10 années de cela. Il retrace sa naissance au Maroc, ce qu’ont représenté ses premières années au Maroc et ensuite tout ce qui fait qu’il est profondément géographe. Il y a vraiment des récits qu’il faut relire."


A la droite de Dieu

"C’est un livre qui s’intitule A la droite de Dieu qu’a sorti Jérôme Fourquet, qui est le directeur des études politiques à l’Ipsos. J’ai trouvé ce livre intéressant parce qu’on est toujours dans le discours du retour du religieux, le réveil des catholiques et il analyse les grands moments : la Manif’ pour tous, le développement de Sens Commun etc. Et il y a un chapitre très intéressant qui est Les catholiques face à l’Islam et il dépasse les catholiques, pas seulement pratiquants, ni ceux qui se disent véritablement catholiques, et il intègre toute cette culture que nous avons d’être des catholiques non pratiquants mais quand même attachés à ce qui est notre culture judéo-chrétienne et comment on voit la dynamique de l’Islam aujourd’hui qui réclame des mosquées, qui construit et qui attire, qui a des convertis et cette menace qui dit, au fond, on va devenir des dhimmis chez nous, qui est une autre version du ‘Grand Remplacement’ bien évidemment. C’est intéressant de voir comment cette représentation, que je considère comme fausse, est quand même active dans certains milieux"



Eloge de l'oubli

"Vous avez fait cette thématique sur Mémoire et Oubli et je voudrais citer le livre de David Rieff Eloge de l’Oubli, la mémoire collective et ses pièges. Il est extrêmement éclairant en particulier sur nos sociétés actuelles qui sont des sociétés beaucoup plus diversifiées beaucoup plus multiculturelles avec une partie de nos concitoyens qui ont une autre histoire que la notre et qui vivent en tant que victime et qui demandent une reconnaissance de ce qu’a été leur douleur, leur souffrance. Qui ne l’ont pas forcément vécu, ce sont les petits-enfants parfois. Et on voit bien les problèmes que ça pose et je pense que cette réflexion là nous serait extrêmement utile."


Israël, l'obsession du territoire de Julieta Fuentes-Carrera

"C’est un livre qui va sortir et que j’ai lu grâce aux services de presse. Il s’appelle Israël : l’obsession du territoire, écrit par Julieta Fuentes-Carrera, une mexicaine qui a fait sa thèse à l’Institut français géopolitique et qui met en valeur la stratégie d’aménagement du territoire absolument continue depuis les premières implantations juives dans la plaine marécageuse qui est toujours la zone la plus densément peuplée même si elle n’est plus marécageuse. Avec cette stratégie d’implantation par tête de ponts qui continue aujourd’hui avec cette stratégie des colonies, on avance, on renforce et à partir de là on a un point fort et on continue à avancer. C’est stratégie implacable, extrêmement bien pensée et adaptée au fil du temps qu’il faut prendre en compte et qu’il faut regarder de très près."


Vietnam par Ken Burns en DVD

"Vous avez déjà évoqué cher Philippe la brève car j’ai vu effectivement les trois soirées d’Arte sur le Vietnam et j’en ai été fortement impressionnée. C’est du grand art, c’est d’une efficacité remarquable, c’est d’une émotion extrêmement forte. Burns a eu accès aux documents nord-vietnamiens ce qui est extrêmement rare. On ne voit à travers ces 9 heures que la moitié de ce qui avait été publié en DVD mais franchement il ne faut pas rater ces 9 heures de documentation sur le Vietnam."


L'invention tragique du Moyen-Orient

"Moi c’est un ouvrage qui est publié chez Autrement, qui s’appelle L’invention tragique du Moyen-Orient par Pierre Blanc et Jean-Paul Chagnollaud qui sont deux politologues (Pierre Blanc ayant cette caractéristique qu’avant d’être politologue, d’avoir été un ingénieur agronome qui a énormément travaillé sur les problèmes de la terre et sur les problèmes fonciers au Moyen-Orient). C’est dans une collection qui s’appelle Angles et Reliefs, c’est-à-dire que on fait des choix : c’est un angle. Le titre le dit déjà d’ailleurs. L’invention tragique du Moyen-Orient, c’est bien évidemment donner une grande place dans la responsabilité de la situation actuelle aux partages Sykes-Picot, aux années 20 et à la création des différents états sans l’accord des peuples à ce moment là. C’est un ouvrage très clair, très facile, avec des cartes un peu trop simples à mon goût, mais ce qui est très intéressant ce sont les schémas d’acteur, avec le rôle qu’ont pu jouer différents responsables à un moment de l’Histoire. Cela je pense que c’est très bien pour comprendre comment on a pu se retrouver totalement isolé, avec les oppositions y compris de ceux qu’on aurait pu penser être des alliés"


L'Odyssée de Daniel Mendelsohn

"Moi je suis en train de lire un livre qui m’enchante et qui s’appelle Une Odyssée de Mendelsohn. Cet auteur qui avait reçu le prix Médicis du roman étranger pour Les disparus, il y a 2 ans. Ca démarre sur la relation à son père, père avec lequel il a eu beaucoup de difficulté car c’est un littéraire le fils, spécialiste de grec et de latin et le père trouvait que c’était pas très sérieux tout ça et qu’au fond les mathématiques c’était nettement plus intéressant. Et puis il va y avoir cette découverte tardive et ils vont refaire le voyage d’Ulysse ensemble et c’est une relecture d’Ulysse par Mendelsohn. Il a fait son séminaire sur l’Odyssée et donc c’est extrêmement riche, fin et sensible sur cette relecture d’Ulysse associé à ce rapport père-fils que je trouve extrêmement séduisant et attachant. On passe un très bon moment."


Tania de Montaigne : L’assignation,

"Je voudrais parler de deux tout petits livres. L’un est de Tania de Montaigne : L’assignation, avec pour sous-titre « les Noirs n’existent pas ». C’est sa propre histoire de journaliste à Canal+ et d’écrivain. Elle raconte comment elle a découvert lorsqu’elle avait déjà 8 ou 9 ans comment elle était assignée à ce qu’elle n’avait jamais perçu : le fait d’être « Noire ». Compte tenu de la situation actuelle et de ce qui se passe partout en Europe et aussi chez nous sur la façon dont on voit difficilement un certain nombre de nos concitoyens de nationalité française depuis très longtemps et parfois depuis plusieurs générations qui sont toujours considérés comme ne l’étant pas. C’est un petit livre qu’il faut lire. J’y ajouterai un deuxième, de Toni Morrison qui sont des conférences qu’elle a donné à Harvard aux États-Unis : L’origine des autres. Cela donne beaucoup à réfléchir."


Retour à Lemberg - Philippe Sands

" Je voudrais recommander un ouvrage qui s’appelle Retour à Lemberg de Philippe Sands. Qui est un avocat britannique appelé à faire une conférence en Ukraine dans la ville de Lemberg dont est originaire son grand-père. Et il se dit « Tiens je vais aller voir la maison de mon grand-père » Grand-père qui s’est exilé dans les années 30 pour venir vivre en France, sa femme l’a rejoint avec la femme de Philippe Sands qui est alors une très petite fille. Il s’intéresse du coup à essayer de retrouver des traces de sa famille et il tombe sur quelque chose qui est tout à fait intéressant. Il se rend compte que deux grands juristes, considérés comme des juristes britanniques et américains, sont originaires eux aussi de cette ville de Lemberg et sont à l’origine de la création du concept de génocide et du concept de camps d’extermination. Et ces deux grands juristes vont se trouver au procès de Nuremberg devant jugés un personnage nazi qui est Hans Frank et qui en 1942 est à l’origine de la liquidation de leurs propres familles. Ca se lit véritablement comme un thriller parce qu’on le suit dans la découverte pas à pas de cette histoire plus toute la réflexion sur le pouvoir de la Mémoire. Il part sur le souvenir d’une maison et ça prend une ampleur magnifique, c’est un livre magnifique."


Joseph Kessel, Le temps de l'espérance

"Je suis tombée par hasard sur un ouvrage de Joseph Kessel qui sont ses reportages entre 1919 et 1929, Le temps de l’espérance. C’est très bien écrit, et puis ça commence par le démarrage du combat pour l’indépendance de l’Irlande et il montre très bien comment un peuple qui est absolument déterminé à retrouver sa liberté : rien ne peut l’arrêter. C’est tout à fait intéressant à lire. Il y en a un deuxième que je trouve intéressant : il va en Israël qui n’est pas encore un État et il est absolument fasciné par ce qu’il voit avec les militants sionistes qui sont en train de travailler et de transformer la géographie de ce territoire. Pour ceux qui aiment les bons reportages d’avant les réseaux sociaux : faites vous plaisir. "



Dix-sept ans

"Éric Fottorino a écrit un roman très émouvant qui s’appel 17 ans. C’est sur sa mère qui a eu deux fois des enfants : une fois fille-mère dans une situation où l’on mesure le chemin parcouru pour que l’opprobre et le malheur qui tombe sur ces jeunes femmes soit dépassés ; puis de nouveau n’a pas été enceinte dans les règles et à qui on a enlevé sa petite fille. Cela a été le grand silence de l’histoire familiale que lui-même va découvrir une fois marié avec des enfants. C’est extrêmement émouvant et véritablement : quel chemin parcouru. "


Ce que n'est pas l'identité

"Un petit livre de la grande sociologue Nathalie Heinich qui s’intitule Ce que n’est pas l’identité. Dans ces temps où le nationalisme identitaire se porte trop bien à mon goût, il est important d’avoir cette réflexion qui est brève mais qui est très bien menée en disant que l’identité n’a pas à choisir son camp à droite ou à gauche. Elle récuse le fait que les partisans de l’identité consubstantielle seraient de droite et ceux qui contesteraient l’identité seraient de gauche. Il n’y a pas une identité mais plusieurs. La lecture de ce petit livre peut donner des arguments lorsque l’on a autour de nous des gens qui nous fatiguent avec l’identité nationale en danger. Ce qui ne veut pas dire qu’il n’existe pas d’identité nationale. "


La Locandiera

"La Comédie français accueille un très beau spectacle avec la Locandiera de Goldoni. À cette période où les femmes ont encore à se battre, cette tenancière d’hôtel garni qui joue de sa séduction avec un comte nouveau riche et un aristocrate désargenté se trouve confronté à un chevalier qui la traite pour ce qu’elle est : un servante, ce qu’elle ne supporte pas. Elle décide de lui faire payer et cet homme qui refuse les femmes, elle va le séduire et se mettre elle en danger parce qu’elle est aussi séduite par ce cavalier qui veut la consommer le plus vite et ensuite s’en aller. Elle se trouve obligée de se sortir ce mauvais pas. C’est une situation du 18ème siècle que l’on peut regarder aujourd’hui avec beaucoup d’intérêt. "



L’affolement du monde

"Je voudrais recommander le nouveau livre de Thomas Gomart, le directeur de l’IFRI (Institut français des relations internationales) paru aux éditions Tallandier. C’est un livre que je trouve fort utile. D’abord parce qu’il aborde les questions par grands Etats : la Russie, la Chine, les Etats-Unis allant jusqu’à proposer des scénarios selon la distance temps : à court, moyen et long terme. Je trouve cela assez audacieux et permet au lecteur de se projeter; donc de réfléchir à comment les choses pourraient s’agencer. Il aborde aussi les questions que sont l’environnement, la démographie, le réchauffement climatique… Il y a dix chapitres écrit de façon extrêmement claire et qui peuvent aider à réfléchir à un moment où effectivement il y a un certain affolement du monde "


Qu'est-ce qu'une saine colère ?

"Je recommanderais cette semaine la lecture de Philosophie magazine : Qu’est-ce qu’une saine colère ? qui est je crois un bon complément à la discussion que nous avons eu. C’est tout un débat de savoir à quoi sert la colère bien sûr. Pour écrire ce numéro, ils ont fait appel à tout un nombre de philosophes concernant l’analyse des gilets jaunes. J’ai été extrêmement intéressée par l’article de Francis Wolff : « Un mouvement antipolitique ou la réinvention d’un nous ? » C’est un texte très court qui donne vraiment à penser. "


Girl

"Dans une fiction d’un réalisme absolument prenant, Edna O’Brien raconte l’histoire d’une des collégiennes kidnappées par Boko Haram. L’auteur a 80 ans, elle est allée faire une enquête sur place au Nigéria pour écrire ce roman, qui décrit le parcours d’une très jeune femme, qui sera violée et aura un bébé (ce qu’il fait qu’elle sera rejetée par toute sa famille quand elle s’en sera sortie). C’est un récit absolument remarquable, d’une très grande force."


L’enquête hongroise (puis polonaise, italienne et autrichienne)

"J’ai lu le récent livre de Bernard Guetta intitulé « L’enquête hongroise ». Ce journaliste a désormais quitté sa rubrique sur France inter pour retourner sur le terrain afin de mieux saisir les enjeux du monde actuel. Il a donc réalisé une enquête de plusieurs mois en Autriche, Hongrie, Pologne et Italie. On y retrouve sa plume vive agrémentée de toutes ses interrogations. C’est un livre utile où il montre ses inquiétudes."





Roubaix : une lumière

"Le film d’Arnaud Desplechin, tiré d’un documentaire diffusé sur France 3 Hauts-de-France en 2008. Le film est non seulement servi par les interprétations remarquables des acteurs, mais la fiction de Desplechin va plus loin que le documentaire pour traiter l’histoire dont il est question. Il peut y avoir une forme d’identification du spectateur avec les personnages, ce qui produit une empathie avec ces deux femmes qui sont à la fois victimes et bourreaux. Courez-y !"


Revue Hérodote

"Je n’ai pas pour habitude de parler de la revue que je dirige, mais cette fois-ci je ne peux pas résister. Nous avons sorti un numéro intitulé « l’Allemagne 30 ans après » dans lequel s’expriment un certain nombre d’auteurs allemands, dont le témoignage d’un des présidents du Bundestag issu de l’Allemagne de l’est ; on y trouve aussi quelques analyses électorales, ainsi que d’autres concernant un sujet que nous n’avons pas abordé aujourd’hui : celui du rapport à la puissance de l’Allemagne, pas seulement économique, mais aussi politique et militaire. "


Le prince républicain

"Un livre de Cédric Léwandowski qui a été directeur de cabinet de Jean-Yves Le Drian sous François Hollande, et qui a occupé pendant cinq ans au ministère de la défense le bureau de Lucien Bonaparte. Ayant désormais certainement plus de temps, il a écrit une très belle biographie de son lointain prédécesseur, intitulée « le Prince Républicain ». Les relations entre les deux frères (Lucien avait six ans de moins que son aîné) ont été plus que difficiles. Vous y lirez le rôle de Lucien au moment du coup d’état du 18 Brumaire, et le rôle très important qu’il a joué le lendemain, le 19. Napoléon n’a jamais voulu qu’on parle du 19, et c’est à son frère qu’il doit de s’en être bien sorti. "


1939 : l’alliance soviéto-nazie aux origines de la fracture européenne

"Je vous conseille la brochure de la fondation pour l’innovation politique, écrite par Stéphane Courtois : 1939 : l’alliance soviéto-nazie aux origines de la fracture européenne. C’est extrêmement intéressant pour montrer l’ampleur des liens qu’il y a eus entre 1939 et 1941 entre les deux régimes. C’est très éclairant, notamment sur le rôle de Staline dans cette affaire. C’est très important pour comprendre pourquoi les Polonais et plus largement les pays d’Europe de l’Est ont aujourd’hui cette méfiance viscérale vis-à-vis de la Russie."


Une guerre perdue La France au Sahel

"Pour ma part, c’est un livre publié par Marc-Antoine Pérouse de Montclos que je recommanderai. L’auteur y détaille pourquoi cette guerre ne peut pas être gagnée, parce que le territoire est immense d’abord, et que 4500 hommes n’y suffiront pas, et qu’ensuite les armées locales sont dans un tel état d’incompétence et de corruption (sans parler des Etats, qui sont souvent pires) qu’il est impossible de calmer réellement le jeu. L’auteur est persuadé que notre engagement militaire à cet endroit est inefficace, inadapté, il entretient même le conflit à cause des exactions causées par les armées locales, qui poussent parfois les populations à soutenir les djihadistes."


Rapport sur l’immigration

"Je voudrais attirer l’attention sur ce rapport sur l’immigration, qui a été remis au président de la République, dont le Monde a fait un compte-rendu, qui préconise davantage de régularisations pour les étrangers. Je pense qu’il est urgent que la France ait, vis à vis des étrangers qu’on ne peut pas expulser, parce que leurs enfants sont scolarisés en France, qu’ils sont salariés, et qui sont dans des situations invraisemblables, logés parfois deux ans d’affilée dans des hôtels (ce qui a un coût qui se chiffre en milliards d’euros), il est plus que temps qu’on regarde les choses sereinement. Il faut donner de la publicité à ce rapport, faire en sorte que le plus de Français possible examinent sereinement cette question. Voici plus de trente ans qu’on essaie de réduire une immigration dont on a besoin. Il ne s’agit pas d’être laxistes, mais d’avoir un minimum de dignité, que nous n’avons plus pour le moment."


Séjour dans les monts Fuchun

"Je vais rester sur le sujet de la Chine, car j’ai vu un film qui ne va sans doute plus durer très longtemps, c’est pourquoi je tenais à le signaler. C’est « séjour dans les monts Fuchun ». C’est un film magnifique, très long, il s’agit du destin d’une famille, dont la vie s’écoule au rythme des saisons, avec des images des paysages chinois assez remarquables, le long d’un fleuve. C’est à la fois la Chine contemporaine avec ses contradictions, mais aussi toute ces traditions familiales et culturelles. C’est le premier film du réalisateur Gu Xiaogang. C’est le premier volet de ce qui devrait être une trilogie. J’attends la suite avec impatience."


Retours d’Histoire l’Algérie après Bouteflika

"Je recommande le dernier ouvrage de Benjamin Stora. C’est un livre court, très facile à lire, et extrêmement utile pour bien comprendre dans cette histoire de l’Algérie post-indépendance, dans ce qui est maintenant considéré comme une indépendance confisquée, les mouvements qui se produisent tous les vendredis depuis un an. Benjamin Stora, très bon connaisseur du pays, rappelle et explique le pourquoi de ces mouvements, essentiellement menés par la jeunesse mais pas seulement, et qui ont pris comme emblème de grands résistants qui ont lutté dès le début contre la mainmise de l’armée sur le pouvoir algérien. Très utile, à recommander à notre président si préoccupé de questions mémorielles. "


Nous autres réfugiés

"Je vais vous parler d’un tout petit livre d’Hannah Arendt. C’est un très beau texte, dont je vous citerai cette phrase : « les « réfugiés » sont désormais ceux d’entre nous qui ont connu un malheur et ont dû émigrer, sans ressources, dans un autre pays et trouver de l’aide auprès de comités de réfugiés. Nous avons perdu notre foyer, c’est-à-dire la familiarité de notre vie quotidienne, nous avons perdu notre travail, c’est-à-dire l’assurance d’être de quelque utilité en ce monde, nous avons perdu notre langue, c’est-à-dire le naturel de nos réactions, la simplicité de nos gestes, l’expression spontanée de nos sentiments. Nous avons abandonné nos parents et nos meilleurs amis ont péri, ce qui signifie que notre vie privée a été brisée. » Qu’on s’en souvienne vis-à-vis des réfugiés qu’on a du mal à accueillir."


Le monde arabe existe-t-il (encore) ?

"Je vous signale la sortie dans le collection Araborama (sous l’égide de l’Institut du Monde Arabe) d’un premier ouvrage. Il y aura je crois un volume par an ; il s’agit d’une présentation pluridisciplinaire de la situation du monde arabe. Le titre est presque provocateur, mais l’intérêt est grand, puisqu’il s’agit d’une approche à la fois historique, sociologique, qui laisse beaucoup de place à la culture contemporaine. Qu’il s’agisse de dessinateurs humoristiques, de peintres, de musiciens, tous sont représentés. Les journées de l’Histoire de l’IMA commencent ce dimanche. Il y en aura d’autres : le 7 juin puis le 24 octobre, avec de nombreux évènements."


Paris - Berlin, la survie de l’Europe

"Je voudrais vous parler d’un ouvrage qui vient de sortir d’Edouard Husson, excellent germaniste. C’est publié chez Gallimard, dans la collection Esprits du monde. Cet ouvrage est extrêmement intéressant car pour une fois, il ne vient pas d’un germaniste béat devant l’Allemagne. Il montre très bien d’où vient en France ce complexe du modèle allemand, et analyse très finement la politique très récente de l’Allemagne, en particulier l’attitude d’Angela Merkel, l’évolution de la CDU. Je conseille vivement cette lecture à tous ceux qui s’intéressent au devenir de l’Europe. "


Rouge vif L’idéal communiste chinois

"Pour rester dans le champ abordé ce matin, je vous recommande l’ouvrage d’Alice Ekman, publié aux éditions de l’Observatoire. C’est un livre très clair, d’une excellente spécialiste qui montre que le communisme n’a absolument pas disparu de Chine et qu’au contraire la conviction est très forte qu’il s’agit de la meilleure des idéologies, et qu’elle est promise à un grand avenir. Ce livre nous aide à sortir de cette représentation selon laquelle nous étions arrivés à la fin du communisme. Rien n’est moins vrai. "


Appia

"Pour ma part je recommande un livre pour voyager en Italie en ce temps de confinement : Appia de Paolo Rumiz, aux éditions Arthaud. L'auteur est allé à pied accompagné de quelques amis  de Rome à Brindisi (plus de 600 km tout de même en 29 jours)  à la recherche des traces de cette première et illustre grande voie romaine. C'est un livre de colère contre le mépris que ce pays a pour tout ce qui est au sud de Rome, l'incurie de l'Etat qui laise le champ libre aux mafias. Mais c'est aussi un livre chaleureux pour les portraits des personnes rencontrées, c'est  un livre d'amour pour les paysages même défigurés qu'il nous donne à voir, et pour le prestigieux passé romain. Un regret : l'absence de carte pour que nous puissions suivre les 29 étapes de ce voyage."


Le vieux qui lisait des romans d’amour

"J’ai relu ce livre de Luis Sepulveda, publié en 1992 dans une très belle traduction de François Maspero. C’est un conte plein d’humour et de tendresse, qui nous incite à repenser notre rapport à la nature, et compte tenu de ce qui se passe actuellement au Brésil, et particulièrement en Amazonie où la déforestation s’accélère, j’invite nos auditeurs à relire ce petit ouvrage. D’autant qu’on y apprend que la lecture peut être un antidote contre le venin de la vieillesse."


L’Aigle, le Dragon et la crise planétaire

"C’est un ouvrage qui correspond très bien à nos discussions d’aujourd’hui, puisqu’il s’interroge sur la rivalité entre Chine et USA à l’aune des changements climatiques. Les deux puissances connaissent des phénomènes climatiques extrêmes, qui risquent de les pénaliser très fortement, or elles sont les plus grosses productrices de gaz à effet de serre, se livrent à une compétition féroce sur l’accès au ressources, font peser un poids très lourd sur la biodiversité, etc. D’une certaine façon, la course à la puissance de ces deux géants pourrait bien les mener à leur perte. "


Comment on a laissé l’islamisme pénétrer l’école

"Un livre qui me paraît très utile, j’espère qu’il le sera davantage que son rapport qui a été enterré. Jean-Pierre Obin est un inspecteur général (aujourd’hui en retraite) très préoccupé par cette question. En 1996, alors qu’il visite un collège à Lyon, un proviseur lui dit que les deux derniers élèves juifs de l’établissement viennent de partir, parce qu’il ne pouvait pas les protéger en dehors de l’établissement. Pour Jean-Pierre Obin, ce fut un coup de tonnerre, il obtient de Luc Ferry, ministre de l’éducation nationale en 2004, l’autorisation de faire un rapport. Ce rapport a été enterré. Il s’agit d’une question taboue dont personne ne veut parler, à cause des affaires en cours : otages français, création d’un Islam français ... Les « bonnes raisons » n’ont cessé de se succéder, mais la situation s’est considérablement dégradée. Aujourd’hui la haine a gagné du terrain dans les collèges et même les écoles primaires ; il est plus que temps de tirer la sonnette d’alarme. Espérons que ce livre sera lu."


Josep

"C’est un film d’animation que je vous recommande, signé du dessinateur Aurel. Il est consacré à un autre dessinateur, républicain de la guerre d’Espagne, Josep Bartoli, mort aux USA pendant les années 1990. Il a dessiné, avec le matériel de fortune qu’on imagine, ce qu’il voyait dans les camps d’internement de Rivesaltes, du Cap d’Agde où l’on a parqué plus de 400 000 réfugiés, républicains, communistes, anarchistes ... On voit comment la France et ses forces de l’ordre ont traité ces « espingouins » comme une menace très dangereuse, donc très violemment. Le film mêle les dessins d’Aurel à ceux de Bartoli, absolument remarquables. Il faut voir ce film très émouvant, d’autant qu’il traite d’une période mal connue en France. "


Papa, qu’as-tu fait en Algérie ?

"Je vous recommande ce livre de la jeune historienne Raphaëlle Branche. C’est une enquête sur ce qu’elle appelle « un silence familial ». On sait qu’il y a un silence de la part des 1,5 millions d’appelés qui ont fait leur service militaire en Algérie. Ici, l’auteure interroge les raisons pour lesquelles on n’arrivait pas à en parler compte tenu de la sociologie de la France des années 1950, et comment cette société française a évolué après leur retour. L’enquête décrit comment ce silence s’est métamorphosé jusqu’à nos jours."


Revue Esprit n°469 - novembre 2020

"Je voudrais vous recommander le dernier numéro de la revue Esprit, qui s’intitule Jeunesses antiracistes, que j’ai trouvé extrêmement intéressant. On considère toujours les banlieues comme des lieux d’explosion, avec des minorités racisées, noires et arabes. Ce numéro a donné la parole à beaucoup de jeunes, et on voit que c’est bien plus riche, intelligent et porteur d’espoir que ce que certains clichés bien ancrés voudraient n’ois faire croire. C’est tout à fait positif, et cela répond à la situation particulièrement difficile que vit cette jeunesse. Lisez ce numéro, il aide vraiment à penser plus intelligemment que les discours entendus partout."




Araborama n°2

"Je vous propose ce deuxième volume d’Araborama. Je rappelle que le premier volume était avait pour titre « le monde arabe existe-t-il ? » ce qui était audacieux pour une publication de l’Institut du monde arabe. Celui-ci s’intitule « il était une fois ... les révolutions du monde arabe ». On trouve dans ce volume, en plus des articles de différents intellectuels, énormément de dessins humoristiques et d’expressions artistiques très intéressants. Je trouve l’ouvrage très éclairant sur la vitalité, la diversité des situations, et la pluralité des points de vue de ce monde arabe. Cela corrige certaines de nos représentations hâtives."


Femmes du Nord quand la vie est un combat

"Lundi 8 mars étant la journée internationale des droits des femmes, je me dois de vous signaler ce documentaire récemment diffusé sur France 5, d’Oliver Delacroix et Katya Maksym. Il a pour sujet quatre femmes qui ont connu une très grande précarité, à la suite d’une séparation, d’un licenciement, d’une enfance malmenée, etc. Comment ces femmes décident de reprendre la lutte, grâce aux entraides, qu’elles soient familiales, associatives, ou étatiques. Ce qui revient constamment, c’est la dignité retrouvée par le travail."



Raison et dérision

"Dans la collection tracts de Gallimard, je vous recommande ce recueil des illustrations de Xavier Gorce, issues du site du journal Le Monde, ces pingouins qui sont en fait des manchots. Récemment, Le Monde a décidé de présenter ses excuses à la suite d’un dessin de Xavier Gorce au moment de la parution du livre de Camille Kouchner. Cette publication avait suscité des réactions au sein même de la rédaction du journal, qui estimait qu’on ne saurait offenser, à un moment si douloureux, tous les gens victimes d’inceste. Je pense que ces excuses du journal furent une grande erreur. Le dessin de presse est fait pour provoquer, pour faire rire mais aussi réfléchir. Nous devons apprendre à être choqués, et l’accepter. Par ailleurs, abandonner le dessin de presse comme l’a fait un journal américain est très grave, car accepter l’humour est un moyen d’alimenter son intelligence."


Congo, un fleuve à la puissance contrariée

"Moi aussi, je vous recommande un livre sur l’Afrique, de Laurent Pourtier. Il retrace toute l’Histoire et la géographie de ce fleuve, le deuxième du monde après l’Amazone. C’est un immense bassin hydrographique, plein de potentialités extraordinaires. On y trouve l’or vert, car c’est l’un des poumons de la planète. L’or bleu, car cela pourrait électrifier une grande partie de l‘Afrique, et de nombreuses possibilités minières (minerais rares). Grand paradoxe : les 9 pays qui entourent le Congo connaissent la plus grande des pauvretés. "


Là où nous dansions

"Je parlerai d’un livre d’une journaliste romancière, Judith Perrignon. Elle s’est beaucoup intéressée à Detroit, et est allée y faire plusieurs enquêtes. Elle a décidé de faire passer dans un roman cet attachement qu’elle a eu pour les habitants de cette ville, en particulier les Afro-américains. Detroit est une ville aujourd’hui en train de se reconstituer, mais qui a longtemps été en pleine déréliction. Cette capitale mondiale de l‘automobile est toujours très étonnante, avec les restes des sièges sociaux immenses de General Motors, et une architecture très impressionnante des années 1930, dans une ville qui semble dévastée. Elle situe le roman dans la première cité conçue pour les Afro-américains, si vétuste qu’on pense qu’il va falloir la détruire. C’est toute la vie de cet endroit et de ces gens qui nous est décrite. "


Ce grand dérangement l’immigration en face

"Dans le débat d’aujourd’hui sur la sécurité, toujours lié à l’immigration grâce au savoir-faire du Rassemblement National, j’aimerais aussi renvoyer nos auditeurs à l’excellent petit ouvrage de Didier Leschi. L’auteur a été préfet de la Seine-Saint-Denis, il est aujourd’hui à la tête de l’organisation française pour l’immigration et l’intégration. C’est extrêmement clair, précis, et très éclairant. A lire et à discuter avec son entourage."



La cellule Enquête sur les attentats du 13 novembre 2015

"Je vous recommande un roman graphique dont on commence à beaucoup parler. Il s’agit de l’enquête sur les attentats du 13 novembre 2015, écrite par un Soren Seelow (un journaliste du Monde) et Kévin Jackson. Les dessins de Nicolas Otero sont magnifiques, d’une sobriété remarquable, en noir et blanc avec ça et là quelques touches de couleur. Il ne s’agit pas d’une charge contre les terroristes, ni contre l’islam, ni contre les services judiciaires ou de police, c’est une enquête, avec une précision et une méticulosité remarquables. Cela permet au lecteur de suivre la complexité de la préparation, des commanditaires, comment les services de police étaient tout à fait convaincus qu’un attentat était imminent. On voit les failles (surtout du côté belge) principalement dues à des manques de moyens, mais aussi d’imagination, et des négligences invraisemblables. Cette lecture aide vraiment à s’y retrouver."


La France sous nos yeux Économie, paysages et nouveaux modes de vie

"Je vous recommande le dernier livre de Jérôme Fourquet, co-écrit avec Jean-Laurent Cassely. Fourquet est un bosseur : il a épluché une grande quantité de données pour ce livre, s’est rendu dans les tréfonds de statistiques qu’on n’a pas l’habitude de fouiller. Après l’Archipel français, l’ouvrage est très éclairant sur la rapidité et la brutalité d’un certain nombre de changements ces vingt dernières années, qui ont bouleversé le quotidien d’un grand nombre de Français, suscitant de nombreuses inquiétudes. Son chapitre sur la désindustrialisation à partir des années 2000, la façon dont des villes comme Tonnerre ou Lannion, où l’on avait misé sur les télécoms, ont été laminées avec des gens mis au chômage sans aucune perspective est très parlant. Six mois avant les présidentielles, l’ouvrage donne à réfléchir."


La force des femmes

"C’est le livre de Denis Mukwege que je vous recommande, le co-récipiendaire du prix Nobel de la paix en 2018. Ce chirurgien répare les femmes victimes de viol, et ce livre est autobiographique. C’est aussi un extraordinaire hommage au courage des femmes. Le Dr Mukwege écrit qu’un homme violé est détruit à jamais, tandis qu’une femme trouve la force de se reconstruire si elle est bien accompagnée. Le livre montre aussi que les conflits et ce type de violences ne sont pas réservés au Congo oriental, on va également les retrouver dans les Balkans ou même par le nombre de féminicides dans des sociétés comme la nôtre. Les témoignages sont terrifiants, et le travail réalisé avec son équipe pour améliorer la perception que ces femmes ont d’elles-mêmes force l’admiration. "


Picasso l’étranger

"Dans le même ordre d’idées, je vous recommande cette exposition qui démarre au Musée national de l’histoire de l’immigration. Picasso était anarchiste, réfugié politique et communiste, il fut donc surveillé de près par les services de renseignement français pendant des décennies. La nationalité française lui fut refusée quand il la demanda, et il la refusa quand on la lui reproposa, une fois au sommet de sa notoriété. L’exposition est très belle, les documents très émouvants et inédits : on trouve des oeuvres méconnues de Picasso, mais aussi des documents secrets de la police de Paris. Le Musée de l’immigration est un endroit remarquable, dont Benjamin Stora est toujours le conseiller scientifique. Saluons le courage de l’établissement d’exposer cet épisode peu glorieux de l’attitude française vis-à-vis des immigrés. Compte tenu du moment que nous vivons, ce rappel me semble important. "


L’animal et la mort

"Je vous recommande cette semaine un ouvrage qui m’a beaucoup plu, celui de l’anthropologue Charles Stépanoff, qui travaillait essentiellement sur les peuples autochtones du sud de la Sibérie. Avec la pandémie, il a dû faire du terrain ailleurs, à une centaine de kilomètres de Paris, en s’intéressant aux chasseurs paysans. C’est extrêmement intéressant, car son enquête montre qu’ils ne sont pas si éloignés que ses sujets dénudés précédents, qui eux aussi chassent, pour se nourrir. Certes les chasseurs paysans ne sont pas dans une culture chamanique, mais la connaissance du milieu, du gibier, et du rapport à l’animal son très comparables. Il parvient à établir deux grandes catégories : l’animal-enfant, avec lequel on joue, l’animal domestique qui ne sait plus rien faire par lui-même, et la production animalière (l’élevage pour la viande notamment). Tout ce qui est hostile à la chasse combine ces deux aspects, mais un autre rapport au vivant est possible : celui de ces chasseurs paysans. Passionnant."


Leila et ses frères

"Je vous recommande ce film iranien, réalisé par Saeed Roustaee, qui avait déjà réalisé l’impressionnant « La loi de Téhéran ». Ce réalisateur, dans des conditions extrêmement difficiles (son film est censuré en Iran seulement parce qu’il a été sélectionné au festival de Cannes), nous dépeint une famille iranienne : une sœur qui a la tête sur les épaules, quatre frères vélléitaires et plutôt ratés, et un père âgé qui appartenait à une très grande famille. Il espérait donc à la mort du parrain, devenir lui-même le parrain, titre honorifique accompagné d’une charge financière, dans un milieu extrêmement précaire. "


Un héros

"Je vous recommande ce film Franco-iranien dont je crains qu’il ne disparaisse très bientôt des écrans, réalisé par Asgard Farhadi, qui avait déjà signé le très réussi Une séparation. Celui-ci est remarquable par la complexité de tous les personnages d’abord, personne n’est bon ou méchant, le « héros » en question n’est pas aussi moralement bon qu’il est physiquement beau, l’usurier n’est pas que vénal, etc. Et puis on voit comment fonctionne une famille iranienne. C’est un film d’une très grande humanité, qui aide à comprendre la complexité de la société iranienne à laquelle je suis très attachée."


La France dans le bouleversement du monde

"Je vous recommande pour ma part le livre de Michel Duclos. L’ouvrage est passionnant, d’abord parce que Michel Duclos est un ex-diplomate très expérimenté, il fut ambassadeur en Syrie, et parce qu’il a une connaissance très profonde de la politique étrangère française. Il raconte comment Emmanuel Macron a essayé de changer les choses, non sans une certaine fougue. Le diagnostic de Macron était lucide sur la montée de la Chine, le retrait des USA, etc. Il a essayé, même si les résultats n’ont pas été à la hauteur des ambitions. Cela a contribué à la perception d’une France arrogante, qui a toujours de grandes difficultés à faire le deuil de l’époque où elle était une grande nation, et qui s’accroche à son siège du conseil de sécurité de l’ONU. Duclos nous dit que la France compte en réalité plus qu’on ne le croit, et bien moins que ne le souhaite Paris. J’ai peur que la campagne électorale laisse peu de place à la politique étrangère, ce livre donne une bonne perspective."


Homo numericus la civilisation qui vient

"Le livre que je vous recommande est un ouvrage non seulement très bien fait, mais aussi très utile. C’est une réflexion de Daniel Cohen, dont le grand talent est la simplicité de son style. Il sait rendre passionnante et accessible la complexité dans laquelle nous nous trouvons. Il voit la révolution numérique comme un tournant dans l’histoire de l’humanité, et non comme une simple étape. Il s’agit d’une révolution, d’un bouleversement qui va permettre l’industrialisation de nos sociétés post-industrielles. On peut augmenter considérablement la productivité de nos services, même s’il faut payer un prix très lourd : celui de la déshumanisation. On ne va plus chez le médecin, on n’ira plus forcément au bureau, on ne va plus faire ses courses … L’érudition est remarquable, même si je ne suis pas sûre de partager l’espoir qu’il énonce à la fin du livre. "


H6

"Je suis allée voir le film « H6 », réalisé par Ye Ye, réalisatrice qu’on dit franco-chinoise (mais j’ignore si elle a la double nationalité). Elle a été hospitalisée en France lors d’un séjour, puis retourna en Chine où elle réalisa ce documentaire dont le sujet est l’un des grands hôpitaux de Shanghaï, « H6 », qui fait plus de 70 000 mètres carrés, et reçoit 70 millions de patients par an. Le film est remarquable, car on y voit à la fois le gigantisme, les queues interminables pour obtenir les rendez-vous, les gens qui font 1 000 kilomètres pour pouvoir se faire soigner … On suit cinq patients et leurs familles, et petit à petit se révèlent toutes les difficultés, la douleur mais aussi toute la dignité. Dans ces temps où l’on parle beaucoup du totalitarisme chinois, l’humanité du film impressionne. On se dit également que si grandes que soient les difficultés des hôpitaux français, nous avons bien de la chance de les avoir. "


L’enfer numérique voyage au bout d’un like

"Je vous recommande la lecture de ce livre de Guillaume Pitron. Ce journaliste d’investigation, qui a déjà signé un excellent livre sur les métaux rares, s’intéresse cette fois-ci à ce qui se cache derrière ces technologies auxquelles nous sommes sans cesse connectés, qu’on nous présente comme « virtuelles », mais qui sont en réalité on ne peut plus matérielles. Et cette matérialité a un coût très grand, surtout d’un point de vue environnemental. Nous sommes très préoccupés par la question des émissions de CO2 du trafic aérien par exemple, tandis que nous sommes totalement aveugles aux dégâts que produisent notre addiction à nos smartphones, pourtant bien plus grands. Le cloud n’a rien de virtuel."


Ouvrir une voie

"Je vous recommande le livre d’Emmanuel Faber, qui était le directeur général de Danone, et qui quitta son poste un peu brutalement, parce que les actionnaires étaient mécontents des cours de l’action. C’est très intéressant car Faber, né dans les Alpes, lycéen à Gap, est un vrai montagnard, et un remarquable alpiniste. Le titre du livre est évidemment emprunté à l’escalade : passer là où personne ne s’est encore aventuré, avec tous les risques que cela comporte, mais aussi la préparation nécessaire. Faber a tenté d’ouvrir une voie dans le capitalisme d’aujourd’hui. On se dit qu’avec plusieurs grands patrons de ce genre, on serait volontiers plus optimistes."


50 cartes à voir avant d’aller voter

"Pour aller dans le même sens que la citation de Richard Werly, je vous recommande cet ouvrage d’Aurélien Delpiriou et Frédéric Gilli. Ce petit atlas, très bien fait, est bâti sur une excellente idée : une question, une carte, une réponse. De façon assez percutante, ce livre va à l’encontre d’un certain nombre de discours et de représentations prégnantes sur les fractures, sur l’archipellisation, les divisions … Ce n’est absolument pas un livre « bisounours », mais un travail précis et éclairant, qui permet de sortir du discours décliniste un peu complaisant qu’on entend si souvent. Pour s’approprier les faits, comprendre les enjeux et se faire sa propre idée, il sera très précieux. "


Les nouveaux masques de l’extrême-droite La radicalité à l’ère Netflix

"Je vous recommande le livre de Raphaël Llorca. Il s’agit d’un petit livre, très intéressant pour éclairer nos propos sur Marine Le Pen, et la façon dont elle a adouci son discours, même si à regarder attentivement son programme, on s’aperçoit que rien n’a vraiment changé. L’auteur décrypte les codes esthétiques (les couleurs de ses vêtements, le regard toujours vers le haut, les vidéos de chat, etc.) tout ce qui a dédiabolisé la candidate du RN. Eric Zemmour a de son côté repris le créneau du candidat offensif, y compris sur ses affiches où il regarde bien droit. Ces décryptages aident à ne pas se laisser berner par les subterfuges des communiquants. "


Misère(s) de l’islam de France

"Je vous recommande cet ouvrage de 2017, qui vient d’être republié. L’auteur Didier Leschi est un haut fonctionnaire, ancien Préfet et actuellement directeur de l’Office français de l’immigration et de l’insertion. Il a un regard à la fois bienveillant et critique sur ces misères de l’islam de France. Il se demande pourquoi l’islam moderniste ne progresse pas véritablement dans l’ensemble de la population musulmane française. Beaucoup d’intellectuels musulmans écrivent des ouvrages remarquables, mais ils sont à une distance lointaine de ce que vit le musulman pratiquant moyen. Il est important et utile de réfléchir à ce problème, ainsi qu’au rôle relativement faible que tiennent les imams (à part quelques-uns très médiatisés) dans l’accompagnement d’une modernisation."


La stupeur

"Je vous recommande le dernier ouvrage publié avant sa mort par Aharon Appelfeld. On parle beaucoup de l‘Ukraine, de l’héroïsme de son peuple pendant cette guerre. Cet ouvrage traite d’une autre période tragique de l’Ukraine, celle de l’invasion allemande et de la liquidation des Juifs, ainsi que de la participation des ukrainiens à cette liquidation. Pour une fois dans l’œuvre d’Appelfeld, ce n’est pas un petit garçon qui est central dans le récit, mais une femme, une jeune chrétienne qui vit un enfer avec un mari brutal qui la viole plusieurs fois par jour, et qui assiste sans bouger à l’humiliation puis la liquidation de ses voisins juifs, qu’elle n’aime pas, conformément à l’ambiance générale. Elle aura cependant le courage, après leur assassinat, de quitter sa maison et son village. C’est le début d’une errance pour cette femme qui trouvera de l’aide auprès d’autres femmes, qu’elles soient paysannes, prostituées, aubergistes … Absolument magnifique. "


Atlas géopolitique de la Russie

"En ce moment, les atlas sont légion. Celui que je vous recommande est le premier qu’a publié le journal Le Monde, sous la direction de Delphine Papin, la responsable du service géopolitique du quotidien. L’ouvrage est réalisé par l’importante équipe de cartographie du Monde, mais il comprend aussi les commentaires des journalistes. C’est extrêmement intéressant, d’abord parce que les cartes sont de grande qualité, avec des légendes intelligentes, qui font suivre un raisonnement. Cela éclaire considérablement la lecture de la carte. Il y a évidemment une partie historique, avec la constitution de l’empire, puis la façon dont Moscou a cherché à contrôler son étranger proche, avec la Biélorussie par exemple, ou les rapports Russie - OTAN. Il y a également beaucoup de graphiques. Et bien évidemment un chapitre consacré à l’Ukraine. "


Aucun ours

"A propos de l’Iran, je vous recommande ce film de Jafar Panahi. Le réalisateur est incarcéré depuis le mois de juillet, au secret, dans cette fameuse prison d’Evin, à Téhéran. Il a réussi à tourner dans des conditions absolument invraisemblables, dans un village tout près de la frontière turque qu’il se refuse à traverser. Il dirige son film depuis l’Iran, alors que le tournage a lieu de l’autre côté de la frontière, en Turquie. Avec une imbrication d’histoires, entre la fiction et la réalité des acteurs. Un couple essaie de fuir, mais c’est aussi le cas des acteurs qui jouent ces personnages. Le tout dans ce village très pauvre et très marqué par les traditions. C’est fait avec une finesse, une intelligence et une humanité telles que je ne peux que répéter à quel point les Iraniens sont un grand peuple."


Vlad le destructeur pourquoi l’Ukraine ne veut pas être russe

"Je vous recommande ce petit ouvrage, que je trouve très utile. L’Histoire de l’Ukraine est souvent mal connue, et elle est pleine de représentations pas toujours justes. Ce livre permet de resituer les choses, et ainsi comprendre que depuis des siècles, pour la Russie il n’y a pas de nation ukrainienne. Au fond, il y a l’idée que « les Ukrainiens n’ont qu’à être Russes ». Ce livre rappelle l’ancienneté des combats compliqués de cette nation qui est en train de se reforger aujourd’hui dans le combat, pour sans doute devenir une République civile, au-delà des différences linguistiques, ethniques ou religieuses."


Tombeaux Autobiographie de ma famille

"Je vous recommande cet ouvrage d’Annette Wieviorka, connue comme une des meilleures historiennes de la Shoah, et issue d’une famille d’historiens très réputés. Il s’agit d’une réflexion sur les traces laissées par toutes celles et ceux qui constituent sa famille. Famille juive polonaise, qui a émigré dans les années 1920. Le grand-père Wolf est journaliste et poète yiddish, n’ayant pas trop le sens des réalités quotidiennes. Heureusement sa femme assure la vie de sa famille. Le récit est très attachant, on suit ces vies qui ont fui l’antisémitisme pour chercher un peu de bonheur et de liberté, et vont être bousculées de façon tragique par la seconde guerre mondiale. C’est un livre que j’ai trouvé très émouvant. Annette Wieviorka cite cette phrase de Michel de Certeau : « l’historien fait œuvre de sépulture, pour que les morts retournent moins tristes dans leurs tombeaux ». "


Russie : un vertige de puissance 1986-2023

"Je viens de recevoir cet ouvrage de Jean Radvanyi. Il s’agit d’une analyse critique et cartographique. Jean Radvanyi est géographe, c’est aussi un excellent connaisseur de l’Union soviétique, du Caucase, et des espaces post-soviétiques. C’est un très bon ouvrage de géopolitique, dans lequel il reconstitue l’engrenage des évènements qui ont conduit à la guerre en Ukraine. Il part de la catastrophe d’aujourd’hui, et remonte en arrière. Les chapitres sont synthétiques, la cartographie est excellente, très claire et facile à suivre. Très éclairant."


Géopolitique de l’Indo-Pacifique

"Nous avions consacré une émission thématique à l’Indo-Pacifique (n°205, en août 2021, accessible gratuitement sur notre site) avec Isabelle Saint-Mézard. C’est elle qui signe cet ouvrage extrêmment intéressant. Rappelons que depuis une dizaine d’années, le concept « d’Indo-Pacifique » a remplacé celui « d’Asie Pacifique ». C’est la montée en puissance de la Chine et de l’Inde qui a provoqué ce changement de vocable. Désormais l’Indo-Pacifique est la nouvelle représentation de ces rapports de force mondiaux. Indiens, Chinois, Américains, Européens (et notamment Français), tous participent aux enjeux de cette région. Le livre en donne une présentation claire et remarquablement bien faite."


Vers Compostelle Regard contemporain sur les chemins de Saint-Jacques

"Je vous recommande la publication de ce colloque qui s’est tenu en 2018. Il s’agit bien évidemment d’une approche pluridisciplinaire, on y trouvera des spécialistes du patrimoine, de l’Histoire de l’art, des géographes, des historiens, des sociologues, des anthropologues à propos de cette réactivation des itinéraires de Compostelle. A ma grande surprise j’ai découvert qu’en 1970 l’office de la cathédrale de Saint-Jacques de Compostelle n’avait délivré que 68 certificats de pèlerins ayant fait au moins cent kilomètres. En 2021, on est à plus de 300000. Les Français en constituent évidemment une part importante, mais c’est le monde entier, et pas seulement catholique, qui vient faire ce chemin. On prend également conscience de la façon dont ces chemins mobilisent les populations locales, pour remettre en état et s’approprier le patrimoine, comme avec le village d’Estaing par exemple. En ces temps un peu tristes, cette lecture devrait faire beaucoup de bien."


La septième croix

"Le roman que je vous recommande a été écrit en 1938 et publié en 1942. Il est signé d’Anna Seghers, écrivaine communiste et juive, et je viens seulement de le découvrir. Il a récemment été réédité et la traduction de Françoise Toraille est remarquable. L’auteure s’est réfugiée en France en 1933, et a dû quitter la France un peu plus tard. Au milieu des années 1930, sept prisonniers communistes allemands s’évadent d’un camp. Le commandant fait construire sept croix, sur lesquelles ils seront suppliciés car il est convaincu qu’il va les retrouver tous les sept. Il en récupérera six, et la septième croix restera vide. Le roman raconte l’histoire de ce fugitif, qui essaie d’échapper à ceux qui le traquent. C’est absolument remarquable dans la description de la lâcheté, de la médiocrité d’une grande partie des gens, mais aussi dans l’héroïsme de quelques-uns. Extrêmement émouvant."


La colère et l’oubli : les démocraties face au djihadisme européen

"L’ouvrage que je vous recommande est moins léger que Carmen. Hugo Micheron est un chercheur dont j’apprécie beaucoup le travail. Il s’agit d’une enquête très approfondie, le travail de recherche est extrêmement sérieux, Micheron parle parfaitement l’arabe, ses sources sont donc très directes. C’est une interrogation sur l’origine du djihadisme en Europe, mais aussi sur son devenir. Comment on est passés de la colère à l’oubli. La question du djihadisme reste très présente, car les gens radicalisés emprisonnés commencent à être libérés, et rien n’indique que leurs convictions aient changé … Au-delà des attentats, il s’agit de réussir à comprendre ce qui a permis au djihadisme de devenir cet enjeu politique, sociétal et démocratique absolument majeur. Le livre montre comment des Etats aux histoires très différentes, qu’ils aient un passé colonialiste ou non, ont connu cette implantation du djihadisme. Comment des petits groupes ont eu une réelle stratégie d’entrisme dans certains quartiers, et les conséquences que cela a pu avoir. Vraiment remarquable. "


Les abeilles grises

"Ce roman d’Andreï Kourkov a obtenu le prix Médicis étranger en 2022. L’histoire se passe dans le Donbass, dans la zone grise qui n’est plus tout à fait controlée par les séparatistes pro-russes ni par les Ukrainiens. Dans un village, il ne reste plus que deux personnes, qui sont deux ennemis intimes. Comme il n’y a plus qu’eux, ils vont se rabibocher. L’un est alcoolique invétéré, l’autre est apiculteur. La première partie du roman a lieu dans cette zone désespérante, et puis l’apiculteur décide de partir, avec ses abeilles, pour la Crimée, chez un apiculteur tatare rencontré dans un colloque. C’est ce voyage qui est narré, fait de rencontres multiples. Le roman est merveilleux, profondément triste, mais avec énormément de charme et de douceur. Un goût de miel."


Un autre monde : l’ère des dictateurs

"C’est l’ouvrage d’Alain Frachon que je vous recommande. Alain Frachon est l’un des éditorialistes du Monde, dans les pages internationales. C’est un recueil de ses chroniques sur presque ans, de 2014 à fin 2022. Les gens qui apprécient la plume d’Alain Frachon sont nombreux, il a l’art de réussir à décortiquer et mettre en perspective des situations très complexes en peu de mots. C’est très intéressant de s’y plonger, et on peut très bien le faire par thème, avec toutes les chroniques sur la Chine, Vladimir Poutine ou Donald Trump par exemple. Un régal de journalisme."


Mappa naturae

"« Je n’affirme pas qu’il est impossible de tenir une conversation intelligente sans l’aide d’un atlas, mais je dis que dès que les hommes commencent à parler de quelque chose de vraiment important, il faut aller chercher l’atlas ». Rudyard Kipling. Je vous recommande ce livre, signé par un collectif qui a pris le nom de Stevenson. C’est le troisième volume de cet travail sur les cartes, et celui-ci est consacré à la géographie physique (les deux précédents à la géographie urbaine et aux îles) : océans, montagnes, déserts, pôles ... On navigue dans tout cela et aussi à travers le temps, car certaines cartes sont très anciennes, il y a par exemple la première carte météorologique de Halley (celui-là même qui donna son nom à la comète). L’ouvrage est très beau et donne beaucoup à rêver. Et en face, il y a toujours des textes, de Kipling à Léonard de Vinci. Enfin, ce travail n’est absolument pas réalisé par des géographes, mais par des philosophes, des historiens. Personnellement, cela me désespère un peu pour les géographes, car cela prouve qu’ils n’ont toujours rien compris."


Génies de la laïcité

"Pour ma part, je reste sur la situation française, en vous recommandant ce livre de Caroline Fourest. L’auteure est bien connue, elle travaille sur l’islamisme et son influence dans la sphère intellectuelle française. Depuis 2015 et les attentats de Charlie Hebdo, la laïcité fait l’objet de débats, avec une opposition entre une laïcité « souple » (à l’anglo-saxonne, pourrait-on dire) et une autre plus rigoriste. Cet essai est précis, pédagogique, et il défend une position équilibrée sur la laïcité : ni « ouverte », ni « fermée », ni raciste, ni islamophobe. Le rôle crucial de l‘école y est très bien analysé. "


Mon enfant, ma sœur

"J’aimerais quant à moi vous recommander le magnifique ouvrage d’Eric Fottorino, l’autre fondateur du journal Le 1, et grand ami de notre émission. C’est un très long poème, déroulé sur presque 300 pages,. Il s’agit de la quête (qui deviendra une enquête) de sa sœur, dont il apprend l’existence par sa mère : « j’ai eu une fille et on me l’a enlevée ». Cette phrase va le hanter. Alors qu’il est à Bordeaux pour un débat dans la grande librairie Mollat, il arrive en avance et cherche à passer le temps. Il se souvient que sa mère avait accouché non loin de là. Il s’y rend, et tombe sur une vieille femme, qui lui explique que l’endroit n’existe plus tel quel, c’était des bonnes soeurs, mais elles sont parties depuis 1977. C’était un lieu d’adoption illégale, comme cela a pu avoir lieu en Irlande, en Espagne … C’est extrêmement émouvant, parce qu’il pose des questions : « comment aurait été notre enfance si tu avais été là ? De quelle couleur sont tes yeux ? As-tu des grains de beauté, comme maman ? » Il comprend aussi, rétrospectivement, la tristesse de sa mère, qui tous les 10 janvier, jour de la naissance de sa fille, s’alitait pendant une journée … Absolument bouleversant."


Discours de la présidente du jury du prix de la laïcité 2023

"Je vous recommande d’écouter ce qui pour moi est un grand discours, prononcé le 8 novembre dernier par Abnousse Shalmani, à l’occasion de la remise du prix de la laïcité. Je vous en cite une phrase : « laïcité, ce mot qu’on doit dorénavant défendre alors qu’il nous défendait ». Tout y est. On peut cependant ajouter : « je ne donne pas de prix à un socialiste, je les laisse se flinguer dans leur moratoire à la con, à savoir si le Hamas est terroriste ou pas ». Tout est de la même veine. Abnousse Shalmani est d’origine iranienne, elle est révulsée de voir la gauche française défendre l’abaya ou le voile à l’heure où les Iraniennes risquent leur vie en s’y opposant. "



Femme, rêve, liberté : 12 histoires inédites

"Ce recueil a été publié à l’initiative de Sorour Kasmaï, qui a demandé à douze autrices iraniennes, soit de la diaspora, soit vivant dans le pays, d’écrire chacune sur la condition de la femme en Iran. Le livre est assez court, ces douze textes sont extrêmement émouvants. Ils donnent à voir ce que cela représente que de s’opposer à la théocratie iranienne, autrement dit la dictature. N’oublions pas le combat que mènent ces femmes, et les risques qu’elles prennent. "


Mappemondes : un voyage dans le temps pour raconter le monde contemporain

"Je vous recommande un nouvel atlas, celui de Xemartin Laborde, cartographe pour le journal Le Monde. C’est réalisé avec Delphine Papin et Francesca Fattori, et je dois vous avouer qu’ils sont tous trois mes anciens étudiants. Je suis très fière d’eux, car ils font un travail de grande qualité, une fois par semaine dans Le Monde, et ici avec ce livre. Xemartin Laborde a eu l’idée de reprendre la mappemonde, format très en vogue au XVIIIème siècle, avec une graphie un peu surranée, voire désuète, pour parler des problèmes les plus actuels. C’est fait très intelligemment, les informations données sont de grande qualité, et il y a même un certain humour. Vous allez passer un moment non seulement très intéressant, mais vraiment délicieux."


L’accélération de l’Histoire : les noeuds stratégiques d’un monde hors de contrôle

"Cet essai de Thomas Gomart vient de paraître. L’auteur est un très bon analyste des rapports de forces géostratégiques, et ici, cet historien s’intéresse à la géographie, c’est sans doute ce qui m’a attirée dans ce livre. L’objet de cet essai est d’aider les Européens à ouvrir les yeux sur ce qui risque de leur arriver s’ils ne commencent pas à se réarmer (au propre comme au figuré) à court terme. Il voit cela à travers trois détroits : Ormuz pour le pétrole, Bosphore pour les céréales, et Taïwan pour les microprocesseurs. Il nous enjoint à sortir de nos représentations un peu dépassées pour regarder en face le nouveau partage du pouvoir mondial. Il est grand temps de le prendre en compte. "


Réflexions sur la question antisémite

"J’ai été frappée par l’augmentation du nombre d’actes antisémites : on en est à 1676, soit plus de 1000%, depuis le 7 octobre dernier. Je suis donc allée relire le livre de Delphine Horvilleur, paru en 2019. Comme toujours avec cette autrice, c’est extrêmement intelligent, avec une pointe d’humour. Le livre nous montre comment le Juif voit l’antisémite, et comment la cause juive vit avec ce qui veut sa perte. Elle explique en quoi l’antisémitisme n’est pas un racisme comme les autres, avec un « en haut » qui méprise un « en bas ». C’est au contraire une pensée qui rejette celui qui est perçu comme ayant davantage. Une forme de jalousie envers le Juif, à qui on reproche toujours d’avoir trop (de richesses, de respect … et sans tenir compte de la situation réelle de celui qu’on méprise, évidemment)."




L’Europe face à l’Ukraine

"Je vous conseille ce livre de Sylvain Kahn, un universitaire passionné par l’Europe. Ce petit ouvrage insiste sur les métamorphoses de l’Europe, entraînées par les chocs qui se succèdent depuis 2005. Après l’échec du référendum sur la Constitution, on pouvait craindre que tout n’aille à vau l’eau, et pourtant elle a su se ressaisir face à des crises sévères. Le Brexit, la Covid, la guerre en Ukraine … L’auteur analyse les vulnérabilités et la robustesse de l’Europe, à travers plusieurs scénarios très pertinents."


Projet DÉMOS

"Je vais parler de cette initiative qui m’a réjouie. J’espère qu’en cette période inquiétante il en sera de même pour vous. DÉMOS signifie « Dispositif d’Education Musicale et Orchestrale à vocation Sociale ». Il s’agit de faire découvrir la musique à des enfants entre 7 et 12 ans, venant de milieux défavorisés, qui n’y auraient pas eu accès autrement. DÉMOS leur fait pratiquer un instrument, et le leur prête pendant trois ans. S’ils veulent poursuivre ensuite, ils le garderont. Il y a cinquante orchestres dans toute la France, et plus de 11.000 enfants ont découvert la musique ainsi. Hier, à la Philarmonie, j’en ai entendu plusieurs (dont ceux de Caen et de Marseille), qui donnaient le concert de l’année et c’était formidable. Joyeux, coloré, enthousiasmant, cela rappelait à quel point la musique a un rôle important à jouer pour nous faire vivre ensemble. On peut aider DÉMOS, et je vous encourage à le faire."



Houris

"Je vous recommande le dernier roman de Kamel Daoud. L’auteur est désormais exilé en France, puisqu’il est interdit d’aborder un certain nombre de sujets en Algérie, dont celui de la guerre civile et des années de plomb, dont parle ce livre. Le roman n’est pas parfait, certains trouvent son style très poétique, pour ma part je le trouve un peu alambiqué. Le livre me paraît pourtant nécessaire, c’est un combat contre l’oubli, car toute nation qui met ses tragédies sous le tapis sera rattrapé par elles un jour ou l’autre. "


Ils ont choisi la France : James Baldwin, Nina Simone, Miles Davis, Melvin Van Peebles et Joséphine Baker

"Un ouvrage pour nous rappeler les raisons pour lesquelles ces artistes ont choisi la France - pour être des hommes et des femmes avant que d'être noirs ; pour la citoyenneté, la laïcité, la liberté. Yasmina Jaafar nous met en garde sur l'importation de l'idéologie communautariste étasunienne qui nous fait oublier notre passé qui n'est pas celui des Etats-Unis. Le récit des vies de ces artistes nous aide à cesser de nous confondre avec l'histoire des Etats-Unis, la colonisation n'est pas l'esclavage, s'il y a des demandes de réparation, les héritages diffèrent. Le racisme sur lequel s'est forgé la République américaine via les lois ségrégationnistes a une autre histoire en France. Il est bon de le rappeler."