LES INTERVENANTS

Nicolas Baverez

Essayiste, avocat et ancien collaborateur de Philippe Seguin

 

Les brèves proposées par Nicolas Baverez:

L’Etat ou La Grande Illusion

"Je voudrais recommander la lecture d’extraits de Frédéric Bastiat, cela s’appelle L’Etat ou La Grande Illusion, et c’est publié dans la collection Faute à Voltaire chez Arfuyen. Pourquoi est-ce que je recommande Bastiat ? Parce que c’est toujours un bonheur, je vous cite juste ce passage sur les impôts: « Ainsi, dans le public des espérances, dans le gouvernement deux promesses: beaucoup de bienfaits et pas d'impôts. Espérances et promesses qui, étant contradictoires, ne se réalisent jamais. Il suffit aux courtisans de popularité de crier aux oreilles du peuple: « Le pouvoir te trompe; si nous étions à sa place, nous te comblerions de bienfaits et t'affranchirions de taxes. » Et le peuple croit, et le peuple espère, et le peuple fait une révolution. » C’est d’abord un livre formidable, on y trouve aussi la pétition des fabricants de chandelles, bougies et lampes qui est extraordinaire puisqu’elle fustige l’intolérable concurrence d’un rival étranger qui est le soleil, et elle appelle à la fermeture de toutes les ouvertures qui laissent rentrer la lumière ce qui permettrait de relancer la consommation d’un côté et d’alimenter l’offre national de l’autre (et la démographie en plus, dit Jean-Louis). C’est extrêmement jubilatoire, et l’autre raison qui est une raison aussi importante est qu’on oublie toujours que la France est un des grands pays du libéralisme et aussi sur le plan économique donc on se souvient quand même un peu aujourd’hui davantage de Constant et de Tocqueville au plan politique, mais Jean-Baptiste Say, Bastiat et Léon Walras qui a été obligé de s’exporter en Belgique tellement il était mal compris en France : il y a une grande tradition économique du libéralisme français du XIXème siècle qui mérite toujours d’être rappelée et reconnue."


De la démocratie en France, République, nation, laïcité

"Je souhaite recommander le livre de Dominique Schnapper : De la démocratie en France, République, nation, laïcité. En ces temps de polémiques furieuses sur l’islam, l’islamophobie, ce livre est très intéressant parce qu’il explique et analyse les rapports entre la citoyenneté, la république, et les religions (pas seulement l’islam mais aussi le judaïsme et le catholicisme). Il s’interroge sur l’échec du modèle républicain et sur ce que pourraient être des politiques multiculturelles. Il y a deux choses qui me paraissent importantes : d’abord c’est un livre qui aborde tout cela du point de vue de la connaissance sociologique, et pas seulement du point de vue du choc d’opinions furieuses. Et ensuite c’est un livre qui rappelle l’importance des institutions, et c’est vrai que dans un moment où les démocraties sont très chahutées, les institutions sont imparfaites mais elles sont extrêmement importantes pour la survie de la liberté."





L'Islam, une religion française

"On a parlé de l’agenda 2018 très chargé alors il est d’autant plus chargé qu’il y a un autre dossier qui est celui de l’Islam qui devrait occuper les pouvoirs publics français. Et je voulais recommander un livre qui inspire largement ce qui devrait être fait et c’est le livre de Hakim El Karoui « L’Islam : une religion française » publié par Le Débat Gallimard. On y trouve trois choses donc d’abord une étude sur la communauté musulmane en France parce qu’on sait qu’il y a beaucoup de fantasmes qui sont véhiculés là-dessus donc sur le fait qu’elle compte à peu près 5 millions de membre et qu’elle est en fait extrêmement diverse. Egalement, une analyse sur les causes et les conséquences de la montée de l’islamisme et des propositions pour essayer de l’endiguer avec la création d’une fondation et la création d’un Islam de France et ce livre a l’intérêt aussi d’inspirer l’Elysée et plus particulièrement celui qui est à sa tête, Emmanuel Macron ‘Jupiter’"



L'Histoire de la France

"Je souhaitais signaler la publication par Jean-Christian Petitfils de L’histoire de la France. Alors on a eu récemment la vision communautariste avec Patrick Boucheron et Les indigènes de l’Histoire, on a de l’autre côté la « commémonation » avec les anges et les démons et finalement entre les deux peu d’historiens qui sachent à la fois construire un récit et avoir un peu d’émotions. Le livre de Jean-Christian Petitfils fait cela. Marc Bloch qui écrivait « y’a deux catégories de français qui ne comprendront jamais l’histoire de France : ceux qui refuse de vibrer au souvenir du Sacre de Reims et ceux qui lisent sans émotion le récit de la fête de la fédération ». Pour tout ceux qui vibrent au souvenir du sacre de Reims et tout ceux qui lisent avec émotion la fête de la Fédération et bien il faut lire Jean-Christian Petitfils."


Assassinat de Jan Kuciak

"Je voulais rendre hommage à un journaliste slovaque Jan Kuciak qui a été exécuté avec sa compagne Martina Kusnirova par des tueurs mafieux ça s’est passé en Slovaquie, il enquêtait sur Robert Fico qui dirige le pays et sur un certain nombre de ses proches. Parmi les fraudes qu’il dénonçait la plupart porte sur les fonds structurels européens et au-delà de ce drame je pense que ça pose vraiment la question des fonds structurels européens qui sont aujourd’hui déversés sur ces pays du groupe de Visegrad qui communient dans la démocratie libérale et qui servent à financer des autocrates et les oligarques qui leur sont proches, c’est une situation qui je pense, ne peut pas durer"


Revue Commentaire

"Dans le droit fil des anniversaires, remontons un peu le temps, allons en 1938. C’est l’année de la publication de la nausée par Jean-Paul Sartre et puis l’année de la thèse d’Aron sur l’introduction de la philosophie de l’Histoire. Quand on regarde la filiation de ces deux petits camarades à la quelle on a souvent résumé l’histoire intellectuelle française du 20ème siècle et bien regardons aujourd’hui en 2018, deux excellentes revues : Commentaire, la revue avec un numéro sur le sens de l’Histoire, ses directions et puis Est-Ouest au moment où on voit qu’une nouvelle Guerre Froide point. Et de l’autre côté Les Temps modernes avec une excellent numéro consacré au Venezuela qui est un pays extrêmement important et souvent très mal connu en France et c’est vraiment deux livraisons de revue remarquable. Deux revues qui sont naturellement complétée par Esprit."



Hommage au journalisme

"Je voulais rendre hommage aux journalistes et au quatrième pouvoir, expression inventée par Honoré de Balzac. Très souvent c’est vrai qu’il y a des travers et des ridicules de cette profession mais on a jamais eu autant de journalistes tués ou emprisonnés et y compris dans le monde développé et y compris en Europe. Il suffit de regarder ce qui s’est passé à Malte ou en Slovaquie. Or aujourd’hui il y a deux choses qui sont intéressantes. On a parlé de Trump, finalement la seule bonne nouvelle c’est que le système des contre-pouvoirs aux Etats-Unis résiste qu’il s’agisse de la justice ou des médias. On a aussi beaucoup parlé des Fake News, je ne crois pas que des lois soient utiles, si on doit faire des lois sur les Fake News ce seront des lois inutiles. La seule vraie garantie, c’est d’avoir des journalistes qui font leur travail et des citoyens éveillés."


Lenine, L'invention du totalitarisme

"Le grand enjeu historique de XXIème siècle ce sera sans doute la lutte entre la démocratie et la démocrature, mais cela n’empêche qu’il reste très intéressant de comprendre le totalitarisme, car il y a quand même un lien entre certaines de ces démocratures et les totalitarismes du XXème siècle. Et cent ans après la révolution soviétique, c’est vrai que la biographie de Stéphane Courtois, la biographie de Lénine, est extrêmement impressionnante. D’abord parce qu’elle empreinte à de nouvelles sources, mais surtout parce qu’elle dissout le mythe selon lequel le bon Lénine aurait été trahi par le méchant Staline. En réalité la religion de la violence, la religion de la dictature, c’est chez Lénine, et c’est lui qui a conçu ce système. Et ce qui est intéressant aussi c’est que cela différencie la Révolution soviétique de la Révolution française, comme l’a montré François Furet, la Terreur c’est un accident après 1789, il n’y a pas d’accident dans l’Union Soviétique, elle a été construite d’emblée pour être un système totalitaire."



Louis-Philippe et Versailles

"Louis-Philippe est celui qui a transformé Versailles en musée et on lui doit le fait que le bâtiment ait survécu et nous soit parvenu. L’exposition permet de visiter des salles très peu connues : la salle des croisades, les salles algériennes. On voit aussi l’iconographie de Louis-Philippe avec le problème qu’il avait, qui est un problème politique que l’on retrouve aujourd’hui : il a essayé à travers Versailles de se prémunir des légitimistes d’un côté et des républicains de l’autre en constituant une troisième voie pour la monarchie constitutionnelle qui s’est terminée par une révolution. "


Bleu de Prusse - Philipp Kerr

"L’été arrive bientôt et pour tout ceux qui aiment les romans policiers, je voulais recommander le livre de Philippe Kerr qui est un auteur britannique qui est malheureusement décédé récemment. Son dernier livre s’appelle Bleu de Prusse et il emmène son personnage préféré qui s’appelle Bernie Gunther à Berchtesgaden en 1939 dans le nid d’aigle d’Hitler et le livre est particulièrement réussi. Comme tout bon policier, ça nous permet de découvrir une intrigue bien menée mais aussi une plongée dans l’Histoire et cette plongée dans l’Histoire est particulièrement bien réussie."


Yasha Mounk, Le peuple contre la démocratie

"La liberté politique va de nouveau être l’enjeu central du XXIème siècle, il y a deux lignes de front. La première : la démocratie contre les démocratures. Et à l’intérieur des démocraties : les démocrates contre les populistes. Je recommande donc le livre de Yascha Mounk, Le peuple contre la démocratie (éditions de l’Observatoire), qui donne une vision à la fois américaine et européenne extrêmement pertinente de cette onde de choc populiste qui aujourd’hui déstabilise les nations libres. "


La démocratie et les juifs

"Je voulais recommandé le livre de Dominique Schnapper paru chez Gallimard : La démocratie et les juifs. C’est un peu la suite de sa réflexion sur la communauté des citoyens. C’est un parcours historique qui permet de montrer la fragilité de la démocratie aux différentes périodes de l’histoire en montrant que la situation des juifs est une sorte de baromètre de la santé de la démocratie. Cela nous ramène aux thèmes de cette émission : le renouveau de l’antisémitisme en France et dans un certain nombre de démocraties témoignent des difficultés du moment et du fait que la liberté politique est de nouveau menacée aujourd’hui. "


Destined for war

"Les guerres mondiales du 20ème siècle ont souvent été comparées aux guerres du Péloponnèse, par des gens comme Élie Halévy dès l’entre-deux-guerres. Et justement aux États-Unis Graham Allison a consacré un livre au piège de Thucydide entre les États-Unis et la Chine (Destined for war). Le piège de Thucydide c’est que la grande puissance montante et la grande puissance déclinante finissent par se faire la guerre. Le débat sur le piège de Thucydide me semble particulièrement intéressant au moment où l’on commémore la fin de la Grande Guerre. "


La revanche des passions : métamorphoses de la violence et crises du politique

"Je voulais rendre hommage à Pierre Hassner qui nous a quitté cette année et vous inciter à lire son dernier livre qui est La revanche des passions. J’ajouterai que la marque de Pierre Hassner est qu’il donnait un éclairage philosophique à la politique et au système international. Ce dont nous parlons aujourd’hui et ce qu’il analyse c’est la fin de ce que nous avons cru être le monde de Kant et de Locke à partir de la chute de l’Union soviétique et au début du 21ème siècle et le retour à un monde qui est le monde de Hobbes, celui des États, le monde de Nietzsche, celui des identités, le monde de Marx, celui de la lutte des classes et enfin le monde de Weber, celui de la guerre des dieux. C’est un monde qui est dominé par la peur et comme le disait Roosevelt dans son discours du New Deal : « la seule chose dont nous devrions avoir peur c’est la peur elle-même ». "



Misbehaving. The Making of behavioral economics

"Depuis 2008, on sait que les hypothèses d’efficience des marchés ou de rationalité des agents économique sont évidemment plus contestées. Il y a une école économique qui s’appelle : « l’économie comportementale ». Richard H. Taler est un des deux grands auteurs qui a réfléchi à cela. Le Seuil a publié en 2018, ce qui est un peu le traité de l’économie comportementale : Misbehaving et ça montre comment au-delà de la rationalité les passions jouent un rôle extrêmement important dans l’économie avec ce qui est le génie des anglo-saxons : des exemples concrets extrêmement drôles sur les jeux télévisés, sur le football américain. C’est de la bonne économie théorique et on ne s’ennuie pas. "



L’Inde de Modi

"Christophe Jaffrelot a publié l’Inde de Modi. Il est vrai que l’on s’intéresse trop peu à l’Asie en France. Il se trouve que le 11 avril c’est le début des élections qui dureront jusqu’au 19 mai. Il y aura 900 millions d’électeurs; ce qui n’a pas d’équivalent dans le monde. C’est une sorte de référendum envers Narendra Modi. C’est un national-populiste qui a utilisé la haine contre les musulmans pour modifier le système des castes. Jaffrelot montre cela très bien."


Les royaumes oubliés

"Je conseille de se rendre à l’exposition au musée du Louvre sur les royaumes oubliés. Cette exposition va des hittites jusqu’aux assyriens : de 2000 à 700 avant Jésus-Christ. On y voit des statues monumentales avec des animaux extraordinaires et surtout l’invention des systèmes d’écritures différents; la concurrence entre les systèmes de hyérogliphes et le début de l’écriture alphabétique et c’est extraordinaire de voir cette invention qui forgera notre civilisation. "


Le capitalisme sans capital

"Je recommande de lire Le capitalisme sans capital de Jonathan Haskel et Stian Westlake. C’est un livre sur le glissement de l’investissement notamment des actifs matériels et immatériels donc cela nous raccroche à l’innovation et donc au Japon. Cela nous renvoie à l’importance de l’innovation immatérielle, trop souvent sous-estimée, et comment elle appelle à une rénovation des politiques publiques vers le savoir, envers les technologies et la planification urbaine."


La longue nuit syrienne

"Au moment où l’on commémore le 75ème anniversaire du débarquement cela vaut la peine de réfléchir aux guerres du XXIème siècle notamment les guerres sans fin. Il est vrai que la Syrie fait partie de cette catégorie là et je voulais donc recommander l’ouvrage de Michel Duclos, ancien ambassadeur à Damas : La longue nuit syrienne. C’est une plongée clinique dans le fonctionnement du régime d’Assad et ça montre extrêmement bien comment cette guerre civile est devenue une guerre civile globalisée. Cela montre combien la violence est sortie de toutes ses chaines et comment elle est mise au service des régimes autoritaires. Enfin, cela montre malheureusement le danger de l’impuissance de l’Occident puisque c’est un certain nombre d’erreurs commises par les Etats-Unis et notamment Barack Obama qui explique la dérive du conflit syrien et l’espace qui a été laissé à ces régimes autoritaires. "



Noeud Gordien

"Je voulais recommander également la lecture du Noeud gordien, le livre inachevé de Georges Pompidou. Contrairement à l’image qui en est donnée Pompidou est vraiment un visionnaire puisqu’il annonce le crépuscule du marxisme, voit le retour de l’extreme droite et conclut en parlant de la crise de civilisation occidentale : « Quelqu’un tranchera le noeud gordien. La question est de savoir si ce sera en imposant une discipline démocratique garante des libertés ou si quelqu’homme fort et casqué tirera l’épée d’Alexandre. »"



Capital et idéologie

"Au risque de surprendre, je voudrais recommander la lecture de Thomas Piketty, de son livre sur le capital et l’idéologie. Marx disait que l’histoire de toute société jusqu’à nos jours n’était que l’histoire de la lutte des classes. Piketty pourrait de son côté dire qu’elle n’a été que la lutte des idéologies pour faire accepter les inégalités. On s’aperçoit que les données figurant dans le livre montrent que c’est faux, et qu’il y a une baisse spectaculaire de l’inégalité depuis les régimes féodaux. On s’aperçoit aussi que le socialisme participatif, censé dépasser le capitalisme et la propriété privée, reste assez largement dans les limbes. Mais l’exploitation des données fiscales, le travail de recherche est par ailleurs très utile. Finalement, il faut lire Piketty parce qu’on comprend encore mieux en le lisant pourquoi Tocqueville avait raison contre Marx, et pourquoi c’est la liberté politique qui prime sur les passions pour l’égalité. "


La fin de l’individu -Voyage d’un philosophe au pays de l’intelligence artificielle

"Plutôt que de discuter la disparition des emplois au profit des robots, il centre le problème de l’IA sur la vraie question : celle de la liberté politique. Comme principal antidote, il propose d’établir le droit de propriété des individus sur leurs données personnelles. Je pense que c’est une bonne solution, et pour répondre à Thomas Piketty, cela rappelle que la propriété privée n’est pas seulement une condition du développement économique, mais aussi de la liberté politique."


La science de la richesse

"Je voulais recommander la lecture du livre de Jacques Mistral, c’est une histoire de la construction de la pensée économique, qui montre à la fois la dite construction et les alternances, et pour la partie la plus récente, l’avènement des marchés, le krach de 1929, Keynes, le renouveau des marchés à partir des années 1970, le krach de 2008 et le retour de Keynes. C’est extrêmement bien expliqué, il s’agit d’une pensée lumineuse qui réconcilie l’économie et l’Histoire. "






La République injuriée

"Et puis une recommandation, puisqu’on parle aujourd’hui beaucoup d’insultes et de violences, y compris contre la personne du chef de l’état, le libre d’Olivier Beaud. C’est une revue absolument passionnante, de trois républiques et du régime de Vichy, au filtre de cette incrimination de l’offense contre le chef de l’Etat. Pendant la IIIème République, cette incrimination diminue en même temps que les pouvoirs du président s’effondrent. C’est évidemment remis en route par Vichy, sous de Gaulle on a le choc avec l’extrême-droite, et enfin c’est François Hollande qui décide de la supprimer. Peut-être Emmanuel Macron la regrette-t-il ?"


Machiavel une vie en guerres

"Je voulais recommander la lecture de cet ouvrage de Jean-Louis Fournel et Jean-Claude Zancarini. C’est une biographie à la fois personnelle et intellectuelle de Machiavel, qui montre le lien indissociable entre la politique et la guerre.C’est évidemment intéressant pour le monde du XVIème siècle, car Machiavel établit la vérité des choses, montre la responsabilité de l’Etat, cherche des solutions politiques et militaires pour un monde neuf. Mais c’est aussi précieux pour la période présente. Raymond Aron avait travaillé sur Machiavel et les tyrannies modernes dans les années 30. Cette décennie 2020 est un nouveau moment machiavélien avec les démocratures et les démocraties libérales. Il est très intéressant de retourner à la source en compagnie du Grand Secrétaire de la République de Florence."


Le hussard sur le toit

"Sans doute l’un des plus beaux livres de Jean Giono. Le roman se passe en 1832 pendant la crise du choléra. Le héros, Angelo Pardi, est d’une certaine manière le fils spirituel du Fabrice del Dongo de Stendhal, et il affronte l‘épidémie de choléra en Provence. Giono disait de son livre : « le choléra est un révélateur, un réacteur chimique qui met à nu les tempéraments les plus vils ou les plus nobles ». Je pense qu’il en va de même aujourd’hui avec le coronavirus. "


Le choc démographique

"Bruno Tertrais nous montre que ce sont les problèmes humains (vieillissement, naissances, urbanisation) qui sont au cœur des problèmes du monde d’aujourd’hui, mais aussi qu’il n’y a pas de choc démographique des civilisations, ce qui est tout à fait positif, puisqu’il est donc possible d’avoir une politique raisonnable en matière de démographie. C’est la chance d’aller vers un monde plus pacifique, et elle est bienvenue par les temps qui courent. "


Marchands d’art

"Au moment où les musées, les expositions et les galeries sont inaccessibles, l'art se réfugie dans les livres. Je recommande à tous les entretiens entre Daniel Wildenstein et Yves Stavridès publiés par Lexio sous le titre Marchands d'art. Ils retracent la saga de la plus puissante et de la plus influente famille de marchands d'art au XIXème et XXème siècle, qui croise l'histoire de la politique et de l'économie. Parmi bien d'autres récits étonnants, celui qui concerne Clémenceau, le Tigre et père de la Victoire de 1918. Clémenceau, contrairement à nombre de ses pairs, n'avait pas fait fortune en politique et sa seule possession de valeur était un tableau de Poussin. Ayant besoin d'argent, il décida de s'en séparer et en confia la vente à Nathan Wilderstein. Un riche Américain l'acheta à un prix élevé sans donner son nom. Puis à la question "Où faut-il vous le faire porter ?", il répondit "Renvoyez-le d'où il vient : chez Monsieur Georges Clémenceau"."


Pompéi chez vous

"Je voulais vous recommander d’aller sur le site du Grand Palais, pour y voir l’exposition virtuelle sur Pompéi. C’est piloté par le Pr. Ossana, qui est à la fois le commissaire de l’exposition et le directeur général du parc archéologique de Pompéi, et c’est absolument formidable. On peut visiter virtuellement des bâtiments reconstitués et voir les dernières découvertes, ainsi que les dessins des pensionnaires de la Villa Médicis au XIXème siècle. Ils sont présentés en contrepoint de cette réalité virtuelle."


Émerveillements / Réflexions sur la Grèce antique

"En guise d’antidote, je recommanderai aussi le livre paru sur les écrits de Jacqueline de Romilly, qui s’appelle à juste titre « Émerveillements ». C’est magnifique. On a l’histoire d’Hector et d’Alcibiade, les démagogues qui ont ruiné la démocratie athénienne. Mais on a surtout la manière dont les Grecs ont su à la fois penser et mettre en place la liberté politique, la liberté des hommes, et la dégager face à la loi des dieux et face à la loi de la cité. "


Émerveillements

"Dans ce moment où la quête éperdue de sécurité risque d’emporter la liberté, je voulais recommander dans la collection « Bouquins » le livre de Jacqueline de Romilly, qui porte bien son nom : « Emerveillements ». C’est un livre magnifique, où l’on trouve à la fois les études de Jacqueline de Romilly sur l’invention de la liberté politique en Grèce, et puis des articles sur des figures historiques, mythologiques ou littéraires, Alcibiades, Périclès ou Socrate, ainsi qu’un essai extraordinaire sur Hector. En ces moments où la liberté est chahutée, il n’y a pas de meilleur retour aux sources possible."


Et après ?

"Je voudrais recommander la lecture du dernier livre d’Hubert Védrine. Il est passionnant, qui échappe à la division -d’ores et déjà trop entendue- entre le monde d’avant et d’après, mais regarde ce qui va durer, ce qui s’accélère, et ce qui va changer. Il s’interroge notamment sur la compatibilité entre rance économique et écologie, sur ce que va devenir le système multilatéral face à des risques globaux tels que cette épidémie, sur l’avenir de l’Etat-Nation ... Avec Hubert Védrine, on sait que l’on a affaire à un homme qui a eu une expérience politique et diplomatique au plus haut niveau, mais aussi à quelqu’un qui se remet en question et observe les problèmes de cette période singulière avec un regard neuf. Passionnant. "


Retour de service

"Aucun été n’est réussi sans un bon roman policier, et cette année singulière voit la publication d’un livre formidable, le 25ème roman de John Le Carré. Le récit mêle des vétérans et des nostalgiques de la guerre froide, le Brexit et surtout le jeu de badminton, dont l’intrigue prend la forme. Ici, le volant est une métaphore de services secrets, avec ses chausse-trappes. On y trouve à la fois de l’humour, de la férocité sur Boris Johnson et le Brexit, et surtout un très grand auteur. "


Arthur Rimbaud

"Je vous recommande la réédition de la biographie d’Arthur Rimbaud par Jean-Jacques Lefrère. C’est un très beau livre, qui rend bien compte d’un des plus grands mystères de la littérature française : les multiples vies d’Arthur Rimbaud, et la césure entre l’éblouissante jeunesse consacrée à la poésie, et la vie d’aventures en Mer Rouge, dédiée au commerce, avec un passage par la Légion Étrangère. Frédéric Martel, qui signe la préface de l’ouvrage, milite pour le transfert de Rimbaud et Verlaine au Panthéon. "



Louis XIV Roi du monde

"Le Royaume-Uni est toujours surprenant. Alors qu’il s’apprête à nous quitter politiquement, il nous rejoint intellectuellement. On avait déjà la magnifique biographie de de Gaulle par Julian Jackson, voici que nous en arrive une autre, incroyable, celle que Philip Mansel consacre à Louis XIV. L’auteur nous montre comment Louis XIV fut un roi universel, dont un certain nombre de modèles ont essaimé partout dans le monde. Bravo pour cette démonstration britannique de l’universalisme à la française, en plein Brexit."


Ci-gît l’amer Guérir du ressentiment

"Je vous recommande ce qui pourrait être le livre de chevet de Joe Biden et Kamala Harris, signé de Cynthia Fleury. Cet ouvrage nous montre comment, au cœur de la crise de la démocratie, on trouve cette dynamique du ressentiment, de la victimisation, qui ouvre en réalité la voie à l’autoritarisme. L’auteure ouvre également des perspectives de solutions, en insistant notamment sur l’éducation, pour montrer qu’elle permet à la fois de former des citoyens maîtres de leur destin, meilleur moyen de lutter contre le populisme."


Disparition de Daniel Cordier

"Je voulais rendre hommage à Daniel Cordier, qui vient de s’éteindre à 100 ans. Il eut un destin extraordinaire, fait de quatre vies. La première fut placée sous le signe de l’extrême-droite, avec l’influence de son beau-père antisémite. Au moment de la débâcle, Cordier décide de rejoindre Londres, et de s’engager dans les services du BCRA. Il sera le secrétaire de Jean Moulin avec qui il organisera la résistance et créera le CNR. Il contribuera aussi après la guerre à réorganiser les services secrets mais démissionnera quand de Gaulle quitte le pouvoir en 1946. Sa troisième vie fut consacrée à l’art moderne puisqu’il fut un galeriste important. Sa quatrième vie, inattendue, est celle d’un historien. Cette occupation se décide sur un coup de sang, quand Henri Frenay accuse Moulin d’avoir été un agent communiste. Cordier, l’un des grands témoins de la période, va se muer en un historien dont la compétence et le sérieux forceront le respect des professionnels, en publiant sa série Jean Moulin : L’inconnu du Panthéon. Daniel Cordier était l’avant-dernier Compagnon de la Libération, il n’en reste plus qu’un : Hubert Germain, qu’il convient de saluer. "


Le dernier été en ville

"Ce livre paru en 1973 est culte en Italie. Il vient d’être magnifiquement traduit par Laura Brignon chez Gallimard. Il s’agit des déambulations d’un jeune milanais dans la Rome de la fin des années 1960. C’est un livre extraordinaire, qui parle du tragique de l’existence humaine, mais sur un ton très détaché, avec beaucoup d’humour, et avec Rome en arrière plan. Ses monuments, ses bars, ses métiers improbables, ses cercles intellectuels et médiatiques. Une réussite exceptionnelle. "


Les éditions Conférence

"Je vous recommande non seulement un livre, mais un éditeur. Il s’agit des Editions Conférence, qui sont animées par Christophe Carraud, récompensé par le prix Jules Janin pour sa production de deux livres de Salvatore Satta. C’est un auteur italien, qui a écrit entre autres Le Jour du Jugement (que George Steiner considérait comme un des plus grands romans du 20ème siècle). Carraud a traduit des textes de Satta, et des correspondances, et tout est formidable. Plus largement, le site des éditions Conférence propose un choix de livres passionnants, romans, poésie, il y a de quoi contenter tout le monde, et faire de beaux cadeaux. "


Futur notre avenir de A à Z

"Dans un moment de très grande incertitude, ce livre est très plaisant grâce à ses entrées multiples : le climat, la démographie, l’éducation, l’immortalité, les robots, la transition écologique, le travail ou les épidémies ... Et à chaque fois, on a à la fois un exposé du problème, une réflexion critique et quelques propositions et des références très bien choisies. On peut entrer dans l’ouvrage au gré de ses centres d’intérêt, c’est bien écrit et très éclairant. "





Une insolite curiosité

"Au milieu de cette hégémonie de la géographie, j’aimerais sauver un peu l’honneur des historiens et vous recommander le livre de Paul Veyne. Il est extraordinaire, car il mêle des éléments biographiques à son travail d’historien et à ses goûts d’esthète (pour la poésie notamment). On a du coup des allers-retours assez fulgurants entre l’emprise romain, sa spécialité, et le monde d’aujourd’hui. Un très grand livre pour un très grand historien."


Le monde en 2040 vu par la CIA

"Il est de tradition qu’à chaque nouveau président, la CIA fasse un rapport sur la situation du monde et surtout sur les scénarios d’avenir. Il se trouve que ce rapport a été traduit, il est extrêmement sombre mais très intéressant, sur le monde post-Covid et ses incertitudes, les grandes dynamiques, les grandes divisions des sociétés, les fragilisations des États, la conflictualité du système international … Cela se termine par cinq scénarios : l’un est favorable et voit une renaissance des démocraties, d’autres sont très sombres , et le dernier est celui d’une grande catastrophe écologique qui force les États à prendre des mesures extrêmement autoritaires et des atteintes très fortes aux libertés. Pas très réconfortant mais passionnant."



Notre vagabonde liberté

"Je recommande le récit du périple de Gaspard Koenig, sur les traces de Montaigne. L’auteur a eu l’idée de refaire le trajet du philosophe en Europe. Après s’être réfugié dans sa tour, Montaigne était parti à Paris, dans l’Est, en Allemagne pour arriver jusqu’à Rome. Avec son cheval Destinada, Koenig a suivi le même itinéraire. C’est passionnant, car il y a une espèce d’écho entre le XVIème et le XXIème siècle, au fil des rencontres. Il y a d’étonnants facteurs de stabilité, en Italie notamment, où il retrouve dans le même palais florentin l’héritière du Comte qui reçut Montaigne il y a 500 ans. C’est plein de notations, de fantaisie, il s’agit d’un hymne à la liberté et à l’Europe."


Apocalypses

"Je vous recommande la lecture du livre de Niall Ferguson, un historien écossais. L’auteur retrace l’histoire de tous les grands chocs subis par l’humanité. Éruptions, tremblements de terre, épidémies, et guerres. Il montre qu’à chaque fois, la surprise et l’impréparation sont totales, le politique est incompétent, et qu’il n’existe pas de cycle permettant de prévoir ces événements. Les bouleversements sont donc à chaque fois considérables, sur les mentalités et sur le système géopolitique. On s’aperçoit ainsi qu’aucune leçon n’est tirée de l’Histoire, et même qu’à l’inverse, l’illusion technologique va de pair avec une explosion de l‘irrationalité. Force est de constater que cette période de sortie de pandémie ressemble à cela : au lieu de s’efforcer d’être prêts pour les prochains grands chocs, c’est l’irrationalité qui progresse."


La France dans le bouleversement du monde

"L’ouvrage que je vous recommande complète bien notre conversation très géopolitique de cette semaine. Michel Duclos est à la fois un diplomate de haut rang et un intellectuel dans la lignée de Pierre Hassner. Il nous livre ici son analyse à propos de la solitude stratégique de la France, qui va au-delà des échecs d’Emmanuel Macron en politique étrangère. Il montre bien comment la boussole du pays s’est déréglée à partir de la mondialisation, de l’unification de l’Europe, de l’effondrement de l’Union Soviétique, et comment la France, après avoir essayé plusieurs rôles ou plusieurs concepts, s’efforce désormais de porter l’idée d’une Europe-puissance. Le livre est passionnant, car il ne s’agit pas d’une simple critique de la diplomatie française, il montre les problèmes que posent le nouvel équilibre du monde et l’effondrement des anciens cadres. Retrouver une place dans ce système éclaté et dangereux est un problème qui concerne autant la France que l’Europe."


Temps sauvages

"Je vous recommande la lecture de ce chef-d’œuvre signé Mario Vargas Llosa. C’est l’histoire du coup d’Etat orchestré par les Etats-Unis au Guatemala en 1954, sous l’influence de la United Fruit Company, contre le régime de Jacobo Árbenz Guzmán, parfaitement démocratique mais présenté comme un allié de l’Union Soviétique à cause de la réforme agraire. C’est d’abord un très grand roman, avec des personnages aussi médiocres que terrifiants, de l’ambassadeur des Etats-Unis qui arrive en ayant tout juste orchestré la guerre civile en Grèce, jusqu‘au patron de la CIA qui est par ailleurs un actionnaire de United Fruit. C’est aussi très intéressant d’un point de vue historique, car Che Guevara était au Guatemala en 1954, et Vargas Llosa peut en parler lui-même, parce que c’est l’attitude des Etats-Unis en 1954 qui a donné Cuba et fait passer une grande partie de la gauche libérale après la seconde guerre mondiale dans le camp soviétique. Le livre explique comment les Etats-Unis ont largement gâché le développement et la démocratie en Amérique latine. "


La France sous nos yeux

"Je vous recommande ce livre de Jérôme Fourquet et Jean-Laurent Cassely, qui est d’une certaine manière l’autre face de celui de Michel Duclos. Là aussi, on découvre à quel point la France a changé , et les auteurs nous le montrent « par le bas », avec des indications très concrètes, qui donnent la mesure de la désindustrialisation, qui montrent combien les lieux de sociabilité et les valeurs se sont modifiés, qui retracent la façon dont l’écart entre les classes s’agrandit. Et surtout, tout est appuyé par des indicateurs très variés, c’est une plongée absolument saisissante."


Illusions perdues

"Les classiques continuent à nous éclairer. On s’aperçoit que Tocqueville est encore très précieux pour comprendre la démocratie américaine. Quand il s’agit de la presse ou des médias d’aujourd’hui, on pense évidemment à Balzac et aux Illusions perdues. Le film qu’en a tiré Xavier Giannoli est excellent, il nous fait prendre conscience de la puissance d’anticipation de Balzac, qui au moment où naissait la presse avait bien compris qu’elle était naturellement l’otage de ses propriétaires, de la réclame, et des fausses nouvelles. Un commerce sans foi ni loi, en somme. Balzac fait dire à l’un de ses personnages « un journal n’est plus fait pour éclairer mais pour flatter les opinions ». Il observait que le journalisme était la religion des sociétés modernes, mais que son clergé était déjà corrompu. C’est toujours le cas."



Proust et la société

"En contrepoint de l‘exposition, le dernier livre de Jean-Yves Tadié, le grand spécialiste de l’auteur. Le sujet est similaire à celui de l‘exposition : la société dans laquelle Proust a vécu, une société aristocratique qui vit ses derniers feux face à la montée de la société démocratique d’une IIIème République à son apogée. Et de l’autre côté, la société proustienne de la Recherche, cette extraordinaire galaxie de personnage, nouvelle comédie humaine."


Disputes au sommet

"On a cru à tort que le totalitarisme avait disparu, et ce n’est malheureusement pas le cas. C’est pourquoi je vous recommande ce livre magistral d’Ismail Kadaré. Il est terrifiant. Kadaré était étudiant à Moscou dans les années 1950, il a connu la folle dictature albanaise d’Enver Hoxha. Le livre raconte un fait incroyable : Staline appelle Boris Parsternak pour lui parler de l’arrestation de Mandelstam, et de ces quelques minutes de coup de fil vont dépendre la vie de Mandelstam et celle de Pasternak. Kadare montre qu’il y a eu de multiples versions de cette conversation téléphonique. Il reprend les treize scénarios de ce coup de fil, et cela permet de prendre conscience ce qu’est un régime totalitaire, où l’on joue sa vie sur quelques minutes, sur quelques mots. C’est une manière de faire comprendre ce qu’est le totalitarisme par la base, qui vaut tous les cours de sciences politiques. Le tout avec un talent littéraire exceptionnel. "


Les voies de la puissance Penser la géopolitique au XXIème siècle

"Pour prolonger notre conversation, lisez ce livre de Frédéric Encel qui vient de paraître. L’auteur revient sur les critères de ce qu’est la puissance aujourd’hui, en dresse une sorte d’état des lieux. Il observe la façon dont elle est déclinée par les Etats-Unis, la Russie et la Chine, parle de l’Europe comme un « objet de puissance non identifié ». Si le discours sur la fin des Etats était évidemment erroné, il est é&dommage de ne pas tenir compte des nouveautés du monde : les acteurs non étatiques, les problèmes climatiques, la pandémie … Tout cela a montré que les Etats d’aujourd’hui n’ont plus le monopole de la puissance. "


La grande expérience

"Beaucoup de choses vont dépendre de la capacité des démocraties à tenir bon et à se réformer sur le plan intérieur. Je voulais recommander la lecture du livre de Yascha Mounk, traitant de la fragilité des sociétés pluriethniques, de leurs risques de fragmentation, mais aussi de leurs ressources et leurs capacités à se mobiliser, à tenter de réinventer le rôle de l‘Etat, tout en conservant le patriotisme et une capacité à avoir une nation soudée, bien que diverse. Le livre donne à réfléchir, mais aussi quelques raisons d’être optimiste, ce qui est aujourd’hui très bienvenu. "


Hommage à Paul Veyne

"Je voulais rendre hommage à la mémoire de Paul Veyne, qui vient de disparaître à 92 ans. C’était non seulement un immense historien mais aussi un esprit très curieux, quelqu’un qui a toujours été en décalage. Avec sa célèbre thèse sur le pain et le cirque, il a renouvelé notre vision de la société romaine, mais il a aussi interrogé les Grecs pour savoir s’ils croyaient vraiment à leur mythes. Plus récemment, il était revenu sur Palmyre à l’occasion de la destruction du site par les djihadistes de l’Etat islamique. Avec tout cela, il montrait à quel point l’Antiquité reste importante pour notre monde d’aujourd’hui, comment elle a façonné l’invention de la liberté politique. A l’heure où celle-ci est de plus en plus malmenée, et où la destruction de l’enseignement des lettres classiques semble systématique en France, la disparition de Paul Veyne n’en est que plus regrettable."


Guerre

"L’Histoire peut produire des raccourcis ou des téléscopages étonnants, et il est vrai qu’au moment où la guerre est de retour sur notre continent, on publie le roman Guerre de Louis-Ferdinand Céline, écrit en 1934, volé en 1945, et réapparu un peu par miracle. Il raconte la convalescence de Céline à l’hôpital d’Ypres, après sa blessure de 1914. Il s’agit incontestablement d’un texte très puissant, que je recommande car il contient tout ce qui constitue la grandeur tragique de Céline : une écriture tout à fait singulière, et une capacité à décrire la dureté, la violence et les séquelles que laissent la guerre."



Le prix de nos valeurs Quand nos idéaux se heurtent à nos désirs matériels

"Je vous recommande ce livre d’Augustin Landier et David Thesmar. C’est une réflexion passionnante, au moment où le combat pour la liberté redevient une priorité pour nos démocraties. Le livre essaie de réintégrer les valeurs dans le champ de l’analyse économique, et donc tente de montrer comment les acteurs de l’économie ne se prononcent pas seulement en termes d’intérêt intellectuel, mais aussi en termes de valeurs. Comment se font les point d’équilibre et les compromis entre les valeurs morales et celles de l’efficacité économique, à la fois au niveau des individus, des entreprises et des Etats. Cela s’applique à la liberté, l’identité, l’égalité, la justice, l’altruisme, avec le côté très pratique d’une enquête."


Les nuits de la peste

"Je vous recommande le dernier livre d’Ohran Pamuk, qui est superbe. Cela se passe au début du XXème siècle, dans une île imaginaire. Il y est question d’une épidémie, de l‘agonie d’un empire, et tout ceci débouche sur une révolution politique. Je rappelle que l’auteur est menacé, tout comme Salman Rushdie. Ce livre fait d’ailleurs l’objet d’une enquête du parquet d’Istanbul. Orhan Pamuk est l’un de ces écrivains qui incarnent la liberté d’expression dans une Turquie où elle est de plus en plus menacée. "


Hommage à Pierre Soulages

"J’aimerais rendre hommage à deux œuvres noires. Celle de Pierre Soulages d’abord, qui nous a quittés le 26 octobre. Je recommande évidemment à nos auditeurs la visite de l’extraordinaire musée Soulages à Rodez, qui donne de son œuvre une représentation très cohérente, y compris dans l’architecture du bâtiment. Il faut évidemment aussi aller à l’abbaye de Conques, dont Soulages réalisa les vitraux, et où il eut la révélation de sa vocation de peintre."


Londres

"L’autre œuvre est l’un des manuscrits récemment retrouvés de Céline, qui est la suite de « Guerre ». Souvent, les manuscrits retrouvés d’un auteur n’ont pas grand intérêt. Ce n’est pas le cas ici, les textes sont tout à fait impressionnants. Ferdinand, le héros de « Guerre », arrive à quitter la France pour Londres, où un certain nombre de gens tentent d’échapper à la mobilisation pour la Grande guerre. La description des bas-fonds de Londres est une vision tout à fait extraordinaire. Comme toujours avec Céline, c’est à la fois très cru et très vrai."


Souvenirs des montagnes au loin

"Je vous conseille ce livre absolument extraordinaire d’Orhan Pamuk. Jusqu’à l’âge de 22 ans, Pamuk voulait être peintre, après quoi il décida de se consacrer à la littérature. En 2008, il est entré dans une boutique, a racheté de quoi peindre, et a commencé à tenir des carnets quotidiens, comprenant à la fois des écrits et des dessins. Ce livre en regroupe un certain nombre, dans un ordre qui n’est pas chronologique. C’est vraiment prodigieux. On y retrouve pêle-mêle la Turquie bien sûr, Istanbul, sa relation à l’écriture et à la littérature. Mais aussi ce que c’est que d’être un romancier turc soutenu surtout en Occident (on sait que sa situation dans son pays est très compliquée), beaucoup de choses sur son amour de la mer, de la nage, et la généalogie de ses créations littéraires. Et puis les montagnes au loin."


La relation à l’autre : au cœur de la pensée sociologique

"Ce livre de Dominique Schnapper éclaire le débat entre l’universalisme et les identités, en reparcourant l’Histoire de la sociologie, et en l’éclairant des traditions nationales : Durkheim avec l’intégration nationale, Max Weber avec le débat entre communautés et sociétés, le Royaume-Uni avec la tradition impériale, et les Etats-Unis avec l’écrasante ombre portée de l’esclavage et de la ségrégation. C’est un livre passionnant, qui souligne le danger des dérives identitaires pour la démocratie, et pour sa vocation universaliste."


L’appel de la tribu

"Dans notre conversation d’aujourd’hui, Richard Werly s’est demandé où trouver une droite intelligente. Nous avons désormais bien compris qu’il est inutile de la chercher dans la vie politique française, on sera sans doute mieux inspiré de lire ce livre de Mario Vargas Llosa. Il s’agit d’une autobiographie intellectuelle, où l’on croise le panthéon personnel de l’auteur. On suit la façon dont il est passé du marxisme au libéralisme, accompagné de sept penseurs d’envergure. Adam Smith, José Ortega y Gasset, Friedrich von Hayek, Karl Popper, Isaiah Berlin, et deux Français : Raymond Aron et Jean-François Revel. "


Histoires diplomatiques Leçons d’hier pour le monde d’aujourd’hui

"Deux recommandations. D'abord, dans la ligne de ce qui a été dit sur l'histoire longue entre la Chine et la Russie, Gérard Araud vient de publier ces Histoire diplomatique. Il s’agit d’une espèce de parcours dans le jeu des grandes puissances, de la guerre de Succession d'Espagne jusqu'à l'Irak, en passant par le Congrès de Vienne ou le traité de Versailles. C'est très intéressant et au passage, ça nous montre qu'il est sans doute aussi raisonnable de prétendre faire de la diplomatie en supprimant le corps diplomatique que de vouloir faire de l'industrie sans usine. "


Faire le deuil de soi

"Ma seconde recommandation est pour un livre qui sort vraiment de l'ordinaire et de tous les cadres, qui a été écrit par Nicolas Menet, un jeune sociologue qui avait 43 ans et qui vient de mourir d'un cancer cérébral, qu'on appelle glioblastome de type quatre. Et durant les dernières semaines de sa vie, il a fait le pari d'écrire un livre qui est à la fois un témoignage et un plaidoyer où il explique le parcours et la manière dont il a réussi à renverser la perspective en faisant d'une mort annoncée un parcours de fin de vie. Et il plaide à la fois pour l'amélioration des soins palliatifs, mais aussi pour le changement de la loi Leonetti et pour que chacun puisse choisir à la fois un projet de fin de vie. C'est un livre dont la rédaction est aussi assez extraordinaire d’un point de vue technique parce que l'atteinte de la maladie était telle qu’il a été entièrement, et volontairement, dicté sur Cortana, qui est l'assistant personnel de Microsoft. Le livre restitue vraiment ce qu'il était au fil de ces dernières semaines."


Vassili Grossman

"Le polyptyque que je vous recommande est littéraire : il s’agit de la publication par Calmann-Lévy d’un formidable ensemble de textes de Vassili Grossman. Il y a d’abord les deux livres sur la bataille de Stalingrad : Pour une juste cause, et Vie et destin. Ce sont des livres extraordinaires, et à ma connaissance les seuls où l’on décrit la vie des camps à la fois côté nazi et côté stalinien. Il y a aussi les correspondances de guerre, et un autre grand roman, Tout passe, sur la libération d’un prisonnier des camps. L’ensemble est vraiment formidable, et relire cela à la lumière de ce qui se passe en Ukraine est très impressionnant."


Erri De Luca

"Le festival du livre de Paris met l’Italie à l’honneur, et je voudrais vous inviter à découvrir Erri de Luca si vous ne le connaissez pas encore. Il est pour moi un écrivain absolument majeur. On vient d’éditer quinze de ses textes en Quarto. Il y a des romans, des poèmes, du théâtre … Parmi ses livres récents, on peut citer Grandeur nature, qui contient neuf histoires de parents et d’enfants, allant de mai 68 jusqu’à Abraham et Isaac, car De Luca est un grand lecteur de la Bible et du Talmud. Il adore la montagne, et il y a un petit livre appelé Impossible, qui est un dialogue entre un prévenu et un magistrat ; deux hommes se promènent en montagne. L’un fait une chute mortelle, l’autre qui a donné l’alerte, était tout près, et les deux se connaissaient bien. Celui qui est tombé était un ancien militant d’extrême-gauche repenti, qui a dénoncé tout son groupe. Le donneur d’alerte était un ami d’enfance membre du même groupe."


Quand la musique fait l’Histoire

"Je vous recommande ce livre d’Hélène Daccord, qui est très réussi. Il rappelle que la musique est non seulement un art majeur, mais aussi un outil diplomatique et militaire. Elle est utilisée pour les rivalités entre les puissances, mais aussi pour la construction des nations, il n’y a qu’à se pencher sur le rôle qu’a joué Verdi dans l’unité italienne. L’ouvrage est constitué de quinze moments, on peut citer la querelle des Bouffons, Beethoven qui passe de l’admiration de Bonaparte à la détestation de Napoléon, Chostakovitch et la fameuse symphonie Léningrad, Rostropovitch devant les restes du mur de Berlin, l’orchestre philharmonique de New-York à Pyongyang … Au moment où la guerre fait rage en Ukraine, on verra des polémiques autour des musiciens russes, comme avec les sportifs. Ce livre rappelle utilement que la musique fait l’Histoire. "




Histoire totale de la seconde guerre mondiale

"Passons de la géographie à l’Histoire, puisque je vous recommande cet ouvrage d’Olivier Wieviorka. J’ai l’impression qu’avec ce travail, l’auteur a remporté son pari, pourtant très ambitieux. On a à la fois tous les fronts, mais aussi toutes les dimensions : militaire, stratégique, économique, sociale, politique, idéologique … C’est d’une certaine manière l’aboutissement de toute une vie de travail, ce livre est non seulement un grand livre d’Histoire, mais aussi un éclairage très précieux pour aujourd’hui. Quand on regarde la guerre d’Ukraine par exemple, il y a des souvenirs de la grande famine organisée par Staline. Du côté de Poutine, il y a la référence permanente à la guerre patriotique, et l’affirmation aberrante selon laquelle l’Ukraine serait dirigée par des nazis. "


De Gaulle, une vie. Vol. 1 : l’homme de personne

"Je voulais d’abord recommander la biographie de Jean-Luc Barré consacrée au général de Gaulle. Ce premier tome couvre les années 1890 à 1944. Il existe beaucoup de biographies sur de Gaulle, mais l’auteur a eu accès à beaucoup d’archives familiales, et le livre est vraiment extrêmement réussi. Il nous montre à quel point nous ne savons pas encore tout sur de Gaulle, tant la complexité et la profondeur du personnage laissent encore des espaces d’exploration."


Discours de Jean-Louis Bourlanges à l’Assemblée nationale du 23 octobre 2023

"Et puis, au risque de tomber dans l’auto-célébration de notre émission, je voulais tout de même recommander moi aussi d’aller voir le discours de Jean-Louis Bourlanges. Pas seulement parce qu’il est notre ami, mais parce qu’il contient cette phrase, qui à mon avis va rester : « la violence barbare du Hamas est sans excuse, mais pas sans cause ». Dans cette période où, pour parler franchement, l’Assemblée nationale fait plutôt honte à la démocratie française, c’est la première fois de cette législature où nous y avons un moment qui soit un peu à la hauteur de l‘Histoire. Et par ailleurs, ce discours met en lumière le caractère absurde de la notion de « domaine réservé » sur la politique étrangère et la Défense. La position de Jean-Louis est autrement plus éclairée que celle du président de la République. "



Le déclin du courage

"Je voulais rendre hommage à Alexandre Soljenitsyne, et vous inviter à relire l’Archipel du goulag, paru il y a cinquante ans. C’est non seulement un roman exceptionnel, qui mêle fiction et témoignages, qui a donné la vérité sur le système concentrationnaire russe, et qui réussit à donner de l’espoir, puisqu’on voit que certains individus sont arrivés à résister), mais c’est aussi un tournant historique, puisque tout un pan de l’intelligentsia, restée dans l’ambiguïté face au totalitarisme soviétique, a basculé grâce au choc qu’a constitué ce livre. Et puis, il fait aussi parler d’un autre ouvrage moins connu, le Discours de Harvard, qui date de 1978, sur le déclin du courage, et la dénonciation du matérialisme en Occident. Cet ouvrage là aussi avait beaucoup choqué, car on attendait de Soljenitsyne une critique du soviétisme. Ses critiques sur l’Occident sont cependant tout aussi justes, et on le voit avec le Harvard d’aujourd’hui. Cette université qui a pour devise « véritas » a connu une dérive intellectuelle et morale tout à fait navrante. Trop d’argent, trop de politique, et l’oubli de tous les principes … C’est un avertissement qui mérite d’être entendu, y compris par l’université française. "


Erri De Luca

"J’ai déjà recommandé à ce micro la lecture d’Erri De Luca, cet auteur napolitain qui fut engagé dans l’extrême-gauche, à la fois alpiniste, écologiste, participant à plusieurs convois humanitaires vers l’Ukraine … C’est donc un homme engagé mais aussi et surtout un grand écrivain. Gallimard, dans sa collection Quarto, a eu la bonne idée de réunir un certain nombre de ses romans, récits, poèmes et pièces de théâtre. De Luca explore les relations père-fils, depuis la vagabonds napolitains à Abraham et Isaac, en passant par la génération 68."


Histoire économique de la France : de la Gaule à nos jours

"Pour éclairer notre thème de la dette, ce livre de Charles Serfaty. Il s’agit d’une entreprise colossale et assez extraordinaire, qui apporte des éclairages tout à fait nouveaux (grâce à des données récentes) et intéressants. L’auteur nous apprend par exemple que les Gaulois avaient un nouveau de vie comparable à celui des Romains, que le Moyen-âge a été une grande période de croissance et d’innovation, que Louis XIV était un rois puissant mais que son économie était stagnante, et qu’il a fallu attendre le XIXème siècle pour avoir une vraie croissance dans notre pays. Et surtout, que la France a construit un modèle assez unique : elle a réussi à avoir des moments de puissance sans véritablement avoir d’économie performante. Par ailleurs le livre montre que régulièrement dans notre Histoire, le surendettement a eu des conséquences politiques très importantes."



Post-populisme

"Je vous recommande ce livre de Thibault Muzergues. Il pointe qu’il y a désormais deux extrême-droites : la première est populiste, c’est celle de Marine Le Pen en France ou de l’AfD en Allemagne, qui ne se porte pas très bien. Et comme souvent, l’Italie est un laboratoire politique. Giorgia Meloni a été sous-estimée : elle a réussi à créer un post-populisme. Très conservatrice sur les questions sociétales, très dure sur l’immigration, libérale sur l’économie, atlantiste et opposée aux empires autoritaires. C’est assez proche de ce que défend quelqu’un comme Jordan Bardella."


Philosophie magazine Hors-série : Kant

"Deuxième recommandation, plus positive : c’est le tricentenaire de la naissance d’Immanuel Kant. Pensons à cet homme de la liberté, de la raison pratique, de la paix perpétuelle. On comprend que son image soit absolument absente de sa ville natale, Königsberg (devenue Kaliningrad), ou que sa tombe ait été saccagée par les autorités russes. Mais le message demeure, et il mérite plus que jamais d’être entendu. Il y a un très bon numéro spécial de Philosophie magazine consacré au grand penseur."


Le couteau : réflexions suite à une tentative d’assassinat

"Dans ces temps violents, je vous recommande la lecture du livre de Salman Rushdie. Le destin de Rushdie est si tragique qu’on oublie qu’il est avant tout un très grand écrivain. Dans cet ouvrage, il raconte l’agression du 12 août 2022 (il avait reçu quinze coups de couteau) dont il a réchappé par miracle. Il revient sur les lieux, crée un dialogue fictif avec son agresseur, mais surtout il accomplit une forme de résurrection par l’écriture et l’amour de sa femme, et montre que l’art peut être le meilleur des antidotes aux préjugés, à la haine et à la violence. Un petit livre qui est aussi un grand livre."



Contre la barbarie : 1925-1948

"Et puis je vous conseille cet autre livre, qui vient de ressortir. Klaus Mann, deuxième fils de Thomas Mann, est né en 1906. Parti aux Etats-Unis en 1933, il revient en Europe en 1945, sous l’uniforme américain. Ce livre rassemble certaines de ses chroniques, il y analyse l’arrivée au pouvoir d’Hitler, et insiste beaucoup sur le manque de lucidité des forces politiques et économiques conservatrices, qui ont voulu pactiser avec Hitler, pensant en faire leur instrument, le simple agent d’une révolution conservatrice. Évidemment, il en est allé tout autrement. Un témoignage très intéressant, qui résonne lui aussi avec l’actualité."


Retour à Lemberg

"J’ai deux recommandations qui complèteront la lecture de Jean-Luc Mélenchon, et lui serviront peut-être d’antidote. D’abord, cette bande dessinée tirée du livre à succès de Philippe Robert Sands. Lemberg est aujourd’hui en Ukraine et s’appelle Lviv. Sands vient y donner une conférence, et à cette occasion, il fait l’histoire de deux juristes juifs qui ont inventé les notions de crime contre l’humanité et de crime de génocide, qui se trouvent être tous deux originaires de cette ville. L’histoire est extrêmement intéressante, et malheureusement encore très actuelle."


Les dieux ont soif

"Et puis l’excellente réédition de ce livre d’Anatole France. Grand figure de la gauche, Anatole France avait été excommunié par Aragon et les surréalistes, et était admiré par Joseph Conrad. Milan Kundera expliquait que c’était à travers la lecture de ce livre qu’il avait découvert le fonctionnent interne d’une dictature. Le livre est excellent, il se passe pendant la Terreur ; on suit un peintre raté, qui devient un juge fanatique au sein du tribunal révolutionnaire, avant de finir lui-même sur l’échafaud. "


Houris

"Nous ne nous étions pas concertés pour ces brèves, et j’avais moi aussi prévu de vous recommander le livre de Kamel Daoud. Sa lecture tombe d’autant plus à pic que les élections présidentielles ont lieu ce week-end an Algérie (même si leur résultat ne fait malheureusement pas l’ombre d’un doute). Aujourd’hui en Algérie, la guerre civile qui pèse sur le destin et dans les consciences de la population, c’est bien la guerre civile des années 1990, alors que le pouvoir algérien continue à fonder sa légitimité et à ne parler que de la guerre d’indépendance. « Meursault contre-enquête » était tout à fait magistral, il est vrai que ce roman-ci est plus touffu, mais il éclaire la guerre civile de façon absolument nécessaire. "


Germaine Tillion : une certaine idée de la résistance

"Comme l’époque manque un peu de sens et de grandes personnalités, je vous recommande cette biographie signée Lorraine de Meaux. Germaine Tillion est vraiment une figure incroyable, d’une force stupéfiante. D’abord ethnologue, elle fait partie du réseau du Musée de l’Homme. Arrêtée, envoyée à Ravensbrück, où elle galvanise les déportées pour supporter l’horreur. Par la suite, elle dénonce le goulag stalinien, et se tiendra aux côtés de de Gaulle et Camus dans la guerre d’Algérie. Une vie exceptionnelle et très inspirante."



Le noeud démocratique : aux origines de la crise néolibérale

"Deux recommandations pour moi cette semaine ; d’abord le livre de Marcel Gauchet, qui analyse la crise de la démocratie. Il en voit les origines dans la dilatation de l’économie, qui a tout envahi, et dans le modèle néolibéral, aujourd’hui largement caduque. Ce qui est intéressant, c’est que Marcel Gauchet ne cède pas pour autant au désespoir. Il montre en quoi les valeurs de la démocratie restent pertinentes, et comment on peut faire renaître une société démocratique au XXIème siècle."




Savonarole : l’arme de la parole

"Je vous signale aussi ce livre de Jean-Louis Fournel et Jean-Clause Zancarini, qui écrivent formidablement à quatre mains. Ils avaient déjà écrit un remarquable Machiavel, et ce livre en est une espèce de suite logique. Machiavel a participé au pouvoir après l’exécution de Savonarole en 1498. L’ouvrage est très intéressant, au cœur de la relation entre le politique et la religion, et de ce qui a amené à l’émergence de l‘État moderne en Europe."




Actuelles, vol. IV : face au tragique de l’Histoire

"Je vous recommande la lecture de ce livre d’Albert Camus qui vient de sortir, constitué, présenté et annoté par Catherine Camus et Vincent Duclert. Quand Camus est mort le 4 janvier 1960, on a retrouvé dans la voiture la sacoche noire contenant le manuscrit du Premier homme, qui était très avancé et fut publié en 1994. Sur sa table de travail, il y avait deux feuillets dans une chemise, avec les textes qu’il souhaitait intégrer à un projet d’écrits politiques. Ce projet a été mis en forme par Francine Camus et René Char, et pour des raisons de polémiques à l’époque, il n’est pas allé jusqu’au bout et fut stoppé en 1961. Il est aujourd’hui enfin publié, et il est très intéressant. On y retrouve toute la puissance et la sincérité de Camus, dans des textes portant sur l’Espagne et sur l’Europe de l’Est (Berlin, Pologne, Hongrie), sur la Résistance, mais aussi le discours de Suède du prix Nobel, les éditoriaux de l’Express, et le très émouvant compte-rendu du professeur Meyer du dernier entretien avec les étudiants de l’université d’Aix, le 14 décembre 1959. Une vraie réussite."


Faire parler les pierres : sculptures médiévales de Notre-Dame

"À la veille de la réouverture de Notre-Dame de Paris, qui sera un moment certainement magnifique, mais sans doute aussi l’occasion d’une instrumentalisation politique, je vous recommande cette exposition du musée de Cluny. On peut y voir le résultat des fouilles effectuées dans la cathédrale après l’incendie. Les fragments qu’on peut y observer ont une puissance émotionnelle remarquable, et par ailleurs on peut admirer des morceaux du jubé de 1230, qui avait été démonté par la suite. Le travail pédagogique qui accompagne l’exposition est vraiment remarquable. "


Bien-être

"Et puis ce livre de Nathan Hill, plus léger. C’est l’histoire d’un couple de Chicago, qui vit un amour fou dans les années 1990. Vingt ans après, on les retrouve vivant le double cauchemar de l’achat d’un appartement sur plan, et d’un fils tyrannique. À travers cette histoire de couple, c’est toute l’histoire de la ville de Chicago qui se déploie, et d’une certaine façon, la décomposition de la classe moyenne américaine au cours du dernier quart de siècle. Extrêmement bien écrit, et très drôle."