LES INTERVENANTS

Richard Werly

Actuellement correspondant pour la France du quotidien suisse Blick, Richard Werly a également travaillé à Tokyo, Bruxelles et Bangkok.

 

Les brèves proposées par Richard Werly:




Le Jour où Apple a acheté la Grèce...

"Je voudrais recommander le livre de Jean-Cédric Michel « Le Jour où Apple a acheté la Grèce… » qui va paraitre aux éditions Albin Michel. Lorsque j’en ai reçu les épreuves, je ne savais pas que Jean-Cédric Michel était un avocat spécialiste de la finance. C’est un roman qui présente une thèse très intéressante : le plus grand des GAFA décide d’acquérir la dette souveraine d’un état, ô combien symbolique qui est celui de la Grèce, pour le remettre sur pieds en instaurant sa propre manière de relever les impôts. Je suis totalement en désaccord avec ce qui est raconté dans le livre mais je trouve que l’intrigue est très intéressante et en dit beaucoup du futur de l’Europe. "


Léonard de Vinci

"Je me suis plongé dans la biographique traduite en français de Léonard de Vinci par Isaacson, un auteur américain publié aux éditions Quanto et c’est absolument fascinant bien que le style soit quelque peu décevant. La traduction n’est pas toujours aussi alerte qu’elle devrait l’être quand un roman fait 600 pages mais ce qu’on apprend sur ce génie est exceptionnel. Cela nous laisse totalement pantois. C’est assez amusant car cette semaine aura été la commémoration du Léonard de Vinci plutôt français alors que la biographie se concentre principalement sur sa nationalité italienne. "



L’étrange défaite

"Je profiterai d’un anniversaire pour donner quelques suggestions de lecture, et c’est celui de la déclaration de guerre de la France à l’Allemagne. J’ai relu à cette occasion « l’étrange défaite » de Marc Bloch, passionnante pour son analyse, à travers la défaite, de la société française de l’époque.
Le très beau documentaire, avec de magnifiques images d’archives : « 1939, la France entre en guerre » d’Antoine Vitkine, diffusé sur France 3 et en replay pendant encore un mois. "



Le monde des hommes

"Je voulais moi aussi parler de Thomas Piketty, m’étant plongé dans la lecture de ce très gros livre, mais c’est pour en sortir une perle, qui n’est ni statistique ni économique. Durant quelques pages, il parle d’un formidable livre de Pramoediya Ananta Toer, l’écrivain Indonésien, qui s’appelle « le monde des hommes ». Cet écrivain raconte comment une femme de très basse extraction en Indonésie, par son mariage, réussit sur le plan économique et devient une femme de pouvoir importante dans l’Indonésie alors dominée par les Pays-Bas. Je trouve formidable qu’un économiste qui fait 1000 pages sur les inégalités aille explorer cette référence littéraire. Rien que pour cela, ça vaut le coup de lire Piketty, et surtout Ananta Toer. "


Guerre secrète en Suisse 1939 - 1945

"Je suis resté sur la Suisse, en me demandant quels ouvrages pourraient éclairer les auditeurs sur ce pays exotique. J’en ai trouvé deux. Le premier s’intitule « Guerre secrète en Suisse », il raconte comment, pendant la seconde guerre mondiale, la Suisse était le berceau de tous les espionnages. Les Alliés ont énormément utilisé le pays pour alimenter les réseaux de résistance en France, mais les espions nazis ont aussi beaucoup opéré en Suisse. Le livre fourmille d’informations, il montre un visage peu connu de la Suisse pendant cette période. "



Nous n’avons pas vu passer les jours

"Ce livre que je recommande a à voir avec le destin d’Israël : nous n’avons pas vu passer les jours, de Simone Schwarz-Bart et Yann Plougastel, dans lequel Simone Schwarz-Bart raconte sa vie de couple avec André Schwarz-Bart, l’auteur du dernier des justes, qui a obtenu le prix Goncourt à la surprise générale, après la guerre. Je voudrais vous lire une petite phrase de cet extraordinaire livre de mémoires, où Simone Schwarz-Bart, guadeloupéenne, qui a vécu aux Antilles avec son mari dit : « lui, le Juif survivant, le jeune ouvrier, il voulait rendre hommage à une civilisation partie en fumée dans la cheminée des crématoires, es malentendus, les interprétations enthousiastes mais étrangères à ses intentions, les remarques assassines, les polémiques à rebondissements, l’effarèrent tout autant que sa notoriété soudaine »"







Le grand écart

"Ma première suggestion est pour le livre de Pascal Perrineau, qui est un peu le pendant politique de l’archipel français. C’est tout à fait intéressant, il y a derrière ce livre un plaidoyer pour davantage démocratie directe. Je citerais cette phrase de l’introduction : « la disruption politique intervenue en 2017 a beaucoup contribué à délégitimer la représentation politique ancienne, sans parvenir à la renouveler. Cet échec a ouvert la voie à l’expression radicale de la contestation. »"



Alexis Tsípras une histoire grecque

"Un livre pour comprendre les coulisses de l’Europe, et en l’occurrence les coulisses grecques. C’est celui que Fabien Perrier vient de consacrer à Alexia Tsípras. Comme vous le savez, Tsípras a perdu les dernières élections, le gouvernement grec est désormais conservateur, dirigé par Mitsotakis. Ce livre montre une chose qui fait réfléchir : comment Tsípras a cru aux promesses françaises. Rappelons que la France s’était faite l’avocate de la Grèce, en permettant à la Grèce d’obtenir des sursis et différents pains de financement. Tsípras a vraiment cru qu’il bénéficierait de l’appui de la France, notamment concernant la Macédoine du Nord, dont il a négocié avec l’ancienne République fédérale yougoslave cette nouvelle dénomination qui pose problème. In fine, Emmanuel Macron a refusé d’admettre la candidature de la Macédoine du nord. On voit bien comment un gouvernement d’un pays ébranlé comme la Grèce entend les appels du pied de la France et mesure ensuite à quel point cette dernière ne dispose plus des leviers du passé."




Narcos : Mexico

"Je pense que nous devons être nombreux à regarder des séries télévisées pendant ce confinement. Personnellement je me suis plongé dans la deuxième saison de « Narcos » sur Netflix, et je vous la recommande. Elle nous montre l’agonie d’un seigneur de la drogue mexicain dans les années 1980 face aux agences fédérales américaines. C’est passionnant, de facture on ne peut plus hollywoodienne, mais cela fait s’intéresser à d’autres formes de maladie et de difficultés, qui ont l’avantage d’être bien scénarisées. "




Retronews

"C'est une excursion historique que je voudrais vous proposer en brève à travers le site Retronews de la Bibliothèque Nationale de France. Il est en accès libre et permet de feuilleter tous les journaux français et francophones du début du 19ème siècle aux années 1950. C'est juste passionnant. Tapez par exemple Chine et vous tomberez d'emblée sur un article du Petit Parisien du 2 juin 1900. Avec cette phrase de conclusion: « On ne parait point disposé en Europe à laisser faire plus longtemps le gouvernement de Pékin dont on n’est plus à compter les duplicités qui menacent la sécurité des étrangers et mettent leur vie en péril». Une fois encore, lisons la presse pour comprendre le monde et cette histoire qui n'en finit pas de se répéter."




Les Français de l’an 40

"En temps normal, c'est à dire si le Covid n'avait pas bouleversé nos vies, la presse et les librairies focaliseraient sans doute sur le 80mème anniversaire de la débâcle française de 1940. Une suggestion de lecture parmi tant d'autres sur ces jours historiques : «1940, de l'abîme à l'espérance» de Max Gallo et surtout les deux tomes de Jean Louis Crémieux-Brilhac, désormais disponibles en poche sur «les francais de l'an 40». Avec ce slogan francais de la drôle de guerre qui démarre son chapitre premier : «Nous vaincrons parce que nous sommes les plus forts....» Sans commentaire ..."


Le monde sur le vif

"Le monde, on vient de le voir avec cette émission, est souvent chaotique. Rien de tel que le raconter sur le vif. c'est ce que fit pendant des décennies Martha Gelhorn, qui fut l'épouse d'Ernest hemingway. Ses reportages au long cours, de l'avant guerre jusqu'au procés Eichmann et à la mort de Franco en Espagne, sont regroupés dans un très beau livre Le monde sur le vif publié par les Editions du sonneur. Un hommage au journalisme de terrain, celui des vérités que nous devons avoir le courage de raconter. "


Virus ennemi

"Tirer les leçons de la crise sanitaire qui nous occupe toujours est aussi une oeuvre historique. Nous venons de parler de la disparition de Marc Fumaroli, et bien un autre historien français vient de nous proposer une belle mise en perspective dans son opus «Virus ennemi» dans la collection Tracts de Gallimard. Jeanneney montre combien les déclarations durant la crise furent presque les mêmes que d'autres déclarations, lors des guerres et crises que dut affronter la France. "


Mister K

"Le coronavirus a été vous le savez à la fois une bonne et une nouvelle pour la presse écrite. Bonne coté audience. mauvaise coté publicité et diffusion. Pourquoi, alors, investir dans les journaux ? je me suis plongé dans le livre que Jerome Leffiliatre a consacré voici quelques mois à Daniel Kretinsky, alias Mister K, l'homme qui voudrait bien conquérir Le Monde. C'est trés interessant car Kretinsky est, en plus, un milliardaire du charbon et de l'énergie pas tres propre. En tant qu'observateur des médias francais et des jeux qui se déroulent autour d'eux, j'ai beaucoup appris."


Le rocher de Süsten

"Ces mémoires de Jean-Noël Jeanneney nous replongent dans cette époque et cette France évoquées plus haut, où la bourgeoisie était bien élevée. Le titre m’a tout de suite attiré, puisque le col du Süsten est dans les Alpes suisses. C’est là que l’auteur faillit périr en 1960 lors d’un accident. C’est une belle et intéressante plongée dans la République, que j’ai lue au moment où Emmanuel Macron prononçait son hommage à la proclamation de la République par Gambetta. "





Une mémoire algérienne

"L’actualité porte sur l’Algérie, Benjamin Stora a rendu au président de la République son rapport sur la mémoire et l’Algérie. Je vous recommande donc son très beau livre. Stora y brosse très bien le portrait d’une relation impossible entre les deux pays. Je le cite : « l’Histoire dans la fébrilité, la mémoire jusqu’à l’obsession, la recherche des vérités dissimulées. Écrire sur l’Algérie, ses rapports avec la France, ensanglantés, passionnés, obsédants, durablement marqués par une conflictuelle proximité, reste un exercice périlleux. »"


Le crépuscule des héritiers

"Je reviens sur la crise sanitaire et sociale actuelle, car j’ai travaillé cette semaine sur l’accroissement des inégalités durant la pandémie, et je suis tombé sur ce livre récent de Denys Brunel qui nous apporte une contribution très intéressante sur l’état réel de la société française. L’auteur y plonge dans les grandes entreprises et nous raconte comment en réalité les dynasties s’y transmettent encore le pouvoir. Tocqueville disait que « la France est une nation assoiffée d’égalité ». A la lecture de ce livre, on comprend mieux pourquoi. "


La liste de Kersten

"Il arrive que des livres mettent la lumière sur des personnages décisifs, mais oubliés ou peu connus de la grande histoire. C'est le cas de La liste de Kersten, titre de l'ouvrage que vient de consacrer François Kersaudy au médecin-masseur de Himmler, le chef des SS, Felix Kersten. Avant lui, Joseph Kessel avait consacré un livre romancé à ce thérapeute qui parvint à sortir des griffes des SS des hommes politiques scandinaves et autrichiens et à sauver des dizaines de milliers de juifs. C'est passionnant. Les détails révélés sur la personnalité de Himmler, qui se veut le serviteur le plus zélé du Führer.  Un juste parmi les démons, sous-titre du livre, convient parfaitement. "


Vidéo de McFly, Carlito et Emmanuel Macron

"Je voulais aussi saluer cette sympathique vidéo qui a récolté près de 13 millions de vues. Elle a été très commentée. Ce n’est pas du tout mon humour, je n’aurais normalement pas eu envie de voir ce genre de chose, mais j’ai aimé le fait quelle ne soit pas brutale, qu’elle donne l’image d’une France apaisée. On peut discuter de la qualité des humoristes, mais ils font leur show, et Macron est plutôt habile. Ce n’est pas du grand spectacle, mais dans un pays aussi tiraillé et tendu que la France, un petit moment de détente ne fait pas de mal. "


Latche Mitterrand et la maison des secrets

"Je vais revenir en politique et vous recommander cette enquête que viennent de publier Yves Harté et Jean-Pierre Tuquoi. Je connaissais bien sûr le mythe de la maison de Latche, mais pas l’histoire, qui est ici détaillée jusqu’au cadastre. Comment Mitterrand a conçu ce domaine, en rachetant (parfois durement) des parcelles de terrain. La grande Histoire politique se superpose à la petite histoire d’un propriétaire nommé François Mitterrand. "


Bernard Tapie - Leçons de vie, de mort et d’amour

"Je me suis plongé cette semaine dans la biographie de Bernard Tapie que vient de publier Franz-Olivier Giesbert. L’auteur s’y raconte largement lui-même, en long, en large et en travers. Ce n’est franchement pas la partie la plus intéressante, en revanche c’est une biographie passionnée, commandée par Bernard Tapie. Ce que dit la vie de Tapie d’une certaine France, et la façon dont selon lui, le pays s’est refusé à sa manière d’être, est assez touchant. C’est quelqu’un qui est au couchant de sa vie, on est donc en quelque sorte obligé de l’écouter. En tous cas c’est flamboyant, et on oublie aujourd’hui à quel point dans les années 1980, pour des raisons politiques pas toujours avouables, Tapie fut au centre du jeu politique français. Le livre nous offre un résumé de ce qui ne va pas toujours bien en France, lorsque des personnalités particulièrement exubérantes sont au centre de l’attention publique et politique. "


Nomadland

"J’ai eu un coup de cœur cinématographique pour ce film beaucoup commenté et récompensé. La réalisatrice Chloé Zhao raconte cette population américaine qui vit dans des camping-cars, dans une errance ponctuée de boulots journaliers. On récolte des betteraves un jour, on travaille chez Amazon un autre … L’arrière-plan est très triste mais elle en fait un film lumineux, comme le livre dont il s’inspire. Dans la lignée du Sur la route de Kerouac, avec Frances McDormand, oscarisée pour ce rôle. Un beau moment de cinéma."


Ce qui est arrivé à Wounded Knee

"Je vais vous parler des Etats-Unis de décembre 1890, et du formidable récit que nous fait Laurent Olivier de « Ce qui est arrivé à Wounded Knee ». Ce massacre des Indiens un eu lieu la veille du nouvel an 1891, où l’armée américaine a massacré toute la tribu du chef Big Foot, l’un des derniers résistants à l’occupation de l’Ouest américain. Plusieurs livres d’anthologie ont déjà paru sur cette affaire, mais en anglais. Celui-ci est l’un des premiers en français, il est absolument passionnant, et nous montre une fois de plus que les fractures américaines sont toujours là, dans ce pays dont on sait l’importance qu’il a pour nous tous."


Mohican

"Ce roman d’Eric Fottorino, qui vient de paraître, nous raconte l’histoire del a fracture génération elle de paysans dans le Jura, à propos des éoliennes. Outre son talent de conteur, Eric Fottorino a bien compris à quel point il existe aujourd’hui un lobby industriel de l’éolienne, qui remplace en quelque sorte celui qui a équipé les paysans de tracteurs énormes, de moissonneuses-batteuses toujours plus grandes, etc. Une génération de paysans qui a hier surinvesti dans la mécanique et la chimie se tourne aujourd’hui vers l’éolienne, perçue aujourd’hui comme un nouveau moyen de valoriser industriellement les terres agricoles, tandis que la génération nouvelle, sensible aux thèses écologistes et à l’agriculture biologique, y est réticente. C’est subtil, car on sait que les éoliennes sont une grande revendication écologiste, mais Fottorino nous montre que ce n’est pas forcément le cas pour les entreprises qu’il y a derrière. "


Une femme française

"Ma brève sera méchante. Je m’étonne de la manie qu’ont les politiques français de faire des livres inutiles, le dernier en date étant celui d’Anne Hidalgo. J’ai acheté ce livre avec gourmandise, parce que je me disais qu’ « une femme française », arrivée en France à deux ans, devait être un récit intéressant, que j’allais apprendre quelque chose sur la France. Très franchement, cela ne mérite absolument pas d’être lu. C’est un programme politique pas très bien écrit, où ne figure rien d’original sur la personnalité d’Anne Hidalgo ni sur son itinéraire. Je lance donc un appel : mesdames et messieurs les candidats, si vous faites des livres en espérant que la presse en parle, je vous en supplie, rendez-les intéressants."


La fin du régime de Vichy

"On entend beaucoup parler en ce moment, notamment dans la bouche d’Eric Zemmour, du régime de Vichy. Un témoin de ce régime vient de signer ce livre que je vous recommande, il s’agit de l’ambassadeur de Suisse Walter Stucki. Il fut d’abord ambassadeur à Paris avant la guerre puis s’installa à Vichy où il devint le confident du maréchal Pétain qui le visitait régulièrement. L’auteur y dépeint un régime absolument fantoche, où toutes les personnalités politiques étaient soit d’affreux manipulateurs, soit de sinistres manipulés. L’ouvrage est très intéressant, et je rappelle que le maréchal Pétain fut rendu aux Français par les Suisses, puisqu’à son retour de Sigmaringen, Pétain passa par la confédération helvétique, et c’est le même Walter Stucki qui vient l’accueillir à la frontière (avec des chocolats, dit-on) avant de le remettre à la France libre deux jours plus tard. "


L’homme qui voulait être aimé

"Ce récit biographique de la vie de l’avocat Georges Kiejman vient juste de sortir, il est co-signé de Vanessa Schneider (journaliste du Monde). Ce qui m’a le plus touché dans le récit de la vie de Kiejman, c’est toute la partie où il raconte comment enfant, il s’est retrouvé dans le Berry, à Saint-Amand-Montrond. Il rend hommage à son directeur d’école, qui a intégré cet enfant juif dans sa classe. Kiejman, bon élève, prend la première place de la classe devant le fils de l’instituteur, qui ne lui en tiendra jamais rigueur et l’aidera même à trouver une place dans un internat de la ville. Je n’ai jamais rencontré Georges Kiejman mais ce récit de sa vie m’a passionné. "


Joséphine Baker l’universelle

"On sait que Joséphine Baker repose désormais au Panthéon, du moins son cénotaphe, et qu’Emmanuel Macron a prononcé à cette occasion un discours tout à fait touchant. J’avoue que je n’étais pas familier du parcours de Joséphine Baker, et c’est pourquoi je me suis plongé dans ce livre, signé par l’un de ses enfants. Je trouve qu’il s’agit d’un magnifique modèle, à offrir notamment aux élèves des classes, à la fois par son itinéraire, son courage, et par ce qu’elle a subi aux Etats-Unis, qu’on oublie. J’ai ainsi découvert qu’elle accompagnait Martin Luther King Jr lors de la marche des droits civiques, et qu’elle prononça un discours ce jour-là. Il me semble que le moment est propice pour rappeler qui était Joséphine Baker, et pour que son exemple nous inspire."



Picasso - El Greco

"Après avoir vu Devambez au Petit Palais, filez prendre le TGV pour vous rendre à Bâle. Vous pourrez y voir l’exposition Picasso - Le Greco au Kunstmuseum. Ne tardez pas cependant car elle se termine le 24 septembre. L’idée de mettre en miroirs deux peintres d’époques si différentes fonctionne très bien. Il est vrai que dans ce cas, c’est tout à fait justifié, car Picasso lui-même définissait Le Greco comme un de ses grands inspirateurs. L’exposition souligne ainsi l’extrême modernité du Greco. Je dois dire que de mon point de vue, l’exposition est plutôt à l’avantage de ce dernier. C’est un très beau moment artistique."


Tu seras mon père

"Je vous conseille ce roman, qui parle d’un pays bientôt dans l’actualité, à cause des élections législatives qui s’y tiendront le 25 septembre. Elles seront sans doute très importantes, puisque pour le moment c’est Mme Meloni, dirigeante du parti d’extrême-droite Fratelli d’Italia, que les sondages placent en tête. Ce roman éclaire beaucoup sur l’Italie et la psyché italienne. Il parle de la période encore très obscure des Brigades Rouges, avec ce qu’il y a eu d’idéal. Il parle aussi des pressions extérieures, des Etats-Unis, et de la CIA notamment. C’est cet imbroglio italien qui est ici traité, nous en verrons peut-être le résultat le 25 septembre prochain."


L’emprise

"Je propose de revenir à l’élection présidentielle française, qui va aussi jouer un rôle dans la formation de la politique européenne, vis-à-vis de la Russie mais aussi de l’Ukraine. J’aimerais recommander deux livres qui se complètent à mon avis très bien. Le premier est consacré à Emmanuel Macron, il est signé par Marc Endeweld, journaliste de Marianne. Il décrit très bien comment sont intervenus des changements tectoniques pendant le quinquennat d’Emmanuel Macron, peut-être pas ceux auxquels on s’attendait. Le poids des lobbies et de certaines officines privées, et leur contournement des régulations, y est notamment très bien décrit. C’est un ouvrage très complet."


Mon année en Zemmourie

"On peut cependant le compléter davantage avec ce livre-ci, consacré à l’un de ses adversaires, Eric Zemmour. Il s’agit de quatre petits opus, où l’auteur, Hubert Prolongeau, raconte cette année passée sur les traces du candidat. Il démontre notamment très bien qu’Eric Zemmour, dont on sait qu’il fait sans cesse référence à l’Histoire et à des grands auteurs, est en réalité véritablement un homme de son époque, c’est à dire un homme du buzz, capable de dire tout et son contraire, pourvu que cela fasse de la mousse."


Le Temps édition spéciale

"Une fois n’est pas coutume, je vous recommande mon propose journal, qui le 9 mars dernier a eu cette initiative, qui à mon avis devrait être suivie par d’autres médias écrits : la publication d’une édition spéciale pour expliquer la guerre en Ukraine aux adolescents. Nous avons pris toutes les questions qui se posaient ce jour-là, aussi bien les responsabilités de Vladimir Poutine que la situation du pays et son Histoire. Toute la rédaction a essayé d’expliquer tout cela dans un langage plus abordable, à destination des 12-16 ans. Cela a été très apprécié dans beaucoup d’établissements suisses. Je sais qu’il existe déjà des journaux destinés aux plus jeunes, mais que des journaux traditionnels fassent ce genre de chose dans des circonstances pareilles me semble important. "


Révolution

"Je me suis pour ma part replongé dans le livre qu’Emmanuel Macron avait publié fin 2016. L’ouvrage était supposé être en même temps son programme et l’autobiographie par laquelle il se présentait aux électeurs. A le relire, je me suis aperçu qu’il y a une chose qui explique sans doute beaucoup du divorce (ou du moins de l’incompatibilité) entre Emmanuel Macron et une partie de la France : il est obsédé par l’avenir. Il y pense sans cesse. Je ne dis pas qu’il le pense bien, mais il regarde devant lui, et est prêt à prendre des risques. Or il y a en France (et cette observation a été confirmée par tous les voyages que j’ai faits pour travailler sur mon livre à propos de la ligne de démarcation) une France immobile, qui vit avec hantise la modernité et de l’avenir. "



Cendrillon

"Je vous recommande ce spectacle de Joël Pommerat, au théâtre de la Porte Saint-Martin. Une pièce étonnante, qui remet en scène le conte bien connu, l’histoire d’une jeune fille qui perd sa mère, qui est aussi obstinée que douée, et qui se fait exploiter par la nouvelle famille de son père. C’est très tendre, très étonnant, j’avoue qu’il y a quelques petites choses que je n’ai pas comprises, notamment au début, avec un personnage qui semble manipuler des écrans, mais à part cela c’est d’une grande poésie, c’est très bien mis en scène et très bien joué. Jusqu’au 19 juillet. "


Les rangers du ciel

"Je vous emmène loin de des arcanes de la politique française, vers les Etats-Unis des années 1930. Gallimard vient de rééditer dans la Série noire ces nouvelles policières de Horace McCoy. C’est l’histoire d’une escadrille de policiers d’élite du Texas. Je ne savais pas qu’Horace McCoy (également l’auteur d’On achève bien les chevaux) avait lui-même été aviateur dans l’armée américaine pendant la première guerre mondiale. Toutes les intrigues se situent à peu près le long du Rio Grande, et pourtant l’auteur ramène à chaque fois dans le récit des villes comme Montargis, Romorantin, où il a été stationné. C’est assez poétique de voir comment le souvenir de la France fut rapporté jusqu’au Texas."


Discours de Josep Borrell

"Je vais vous parler du discours que Josep Borrell a prononcé ce lundi 10 octobre devant la conférence des ambassadeurs européens. Il fut extrêmement intéressant. Borrell est un homme politique, il est socialiste, Espagnol, il a été président du Parlement européen. Il a commencé par faire quelque chose qui ne se fait pas : dire aux ambassadeurs qu’ils doivent travailler. La puissance et l’influence de l’UE dans le monde ne pourront être défendues que grâce à un gros travail de terrain. Il faut d’abord apporter les bonnes informations, et cela ne en se limite pas à lire la presse. Ensuite, il faut être des relais d’influence de l’Europe dans les pays où ils sont nommés. J’ai trouvé que tout cela était vrai, courageux, et que cela démontrait que les diplomates ont besoin d’être secoués de temps à autre. "



Dans les montagnes rocheuses

"A propos des Etats-Unis, j’ai deux recommandations cette semaine. La première vous enverra chez les bouquinistes. Ce livre est signé d’un Français, le baron de Mandat-Grancey. Il détaille son expédition dans les Black Hills, ces terres aurifères des Etats du Dakota. Elle a eu lieu au XIXème siècle, mais comme ce voyageur a la plume juste, beaucoup des choses racontées dans ce livre sont toujours vraies aujourd’hui. Notamment le fait que beaucoup de choses aux Etats-Unis sont des questions d’argent et de profit. "


La petite menteuse

"Il n’y a pas beaucoup de raisons de rire dans le roman que je vous recommande. Il est signé de Pascale Robert-Diard, chronique judiciaire au journal Le Monde. C’est le roman d’un faits divers. C’est une fiction où un homme est conduit en prison par un mensonge. Il est accusé à tort de viol. C’est aussi le roman de la prise de conscience de l’adulte qui avait accusé à tort quand elle était adolescente, et qui veut réparer sa faute. Mais la justice est-elle capable de l’entendre ? Le livre est très beau, il tourne autour de la question du doute. J’en ai parlé dans un article, et je me suis pris une volée de bois vert pour avoir simplement décrit des passages du roman, décrivant la jeunesse de cette protagoniste qui a connu beaucoup de garçons et est physiquement plus attirante que la moyenne. Elle s’est trouvée otage d’une société hyper-sexualisée, ce qui l’a conduite à accuser un innocent. La volonté de l’auteure n’est pas du tout de remettre en cause la parole féminine, mais de réhabiliter la place du doute dans notre société."


Exposition « Catastrophe » au nouveau musée Benaki

"J’étais récemment à Athènes, où j’ai vu avec beaucoup d’intérêt une exposition très touchante au nouveau musée Benaki. Elle est consacrée au génocide des Grecs d’Asie mineure, après la Première guerre mondiale, quand la Turquie d’Atatürk les a expulsés. La ville d’Izmir a par exemple été totalement incendiée. L’exposition est magnifique, et raconte le destin de familles grecques d’Asie mineure. En 1922, la Grèce comptait historiquement sur deux puissances : le Royaume-Uni et la France qui ont tous deux abandonné les Grecs. Ce seront finalement les Etats-Unis qui fourniront l’effort humanitaire et feront pression sur la Turquie. A la lumière de la guerre en Ukraine, dans un monde où l’antiaméricanisme est souvent très fort, il est utile de se rappeler que quand les Etats-Unis bougent, il y a tout de même un effet."


Les guerres lointaines de la paix

"Nous parlions de guerre sans fin à propos de l’Ukraine. Le livre que je vous recommande démarre par cette phrase : « il y avait eu la guerre de Cent ans, la guerre de Trente ans et la guerre de Sept ans ». Cet ouvrage m’a passionné ; il brosse la façon dont les guerres ont fabriqué notre imaginaire, de la réalité juridique qui nous entoure à la réalité culturelle. C’est aussi absolument tragique, car à le lire, on finit par se demander si l’Homme n’a pas tout simplement besoin de la guerre. Le sous-titre : « civilisation et barbarie depuis le XIXème siècle ». "


Astérix & Obélix : l’empire du milieu

"Pour cette brève, je vais armer mon canon Caesar pour tirer sur un navet atomique : les dernières aventures cinématographiques d’Astérix et Obélix. Je n’aurais normalement pas dû parler de ce film qui ne le mérite pas. Sauf que quand un pays peut rater à ce point un film, je ne m’étonne pas qu’il puisse rater aussi la réforme des retraites. Nous sommes ici dans le stupide, et rien d’autre que le stupide. Je ne suis pas très familier du système de subventions français, mais j’ai vu que le film bénéficiait du soutien du CNC. J’imagine donc qu’il y a une quantité d’argent public assez conséquente. Si la France trouve de quoi financer un navet pareil, je ne suis pas surpris que deux millions de Français dans les rues puissent imaginer que l’argent public pousse sur les arbres."


Hiver 1812 : retraite de Russie

"Puisque nous célébrons cette semaine le triste anniversaire de l’invasion russe de l’Ukraine, je vous recommande ce livre, dans lequel Michel Bernard nous fait vivre les campagnes napoléoniennes « de l’intérieur », par des journaux de soldats par exemple. Le récit de ce face-à-face entre la vision « occidentale » de Napoléon et ce mur russe de l’empire tsariste. En septembre 1812, Napoléon va vers Moscou. « Mais où commençait l’Est, où commençait l’Ouest ? Et que faire de la Pologne ? Les Anglais n’avaient guère eu besoin de manœuvrer. Les Russes, battus deux fois, à Austerlitz puis à Friedland, momentanément résignés, avaient souscrit à la paix napoléonienne par nécessité, sans conviction. Les inquiétaient la renaissance éventuelle d’un Etat polonais ragaillardi, sous l’aile française et le coût du blocus continental pour leur fragile économie. Tout en s’étonnant, avec une fausse candeur, des protestations et mises en garde de ses partenaires, la Russie incorporait de nouveaux contingents de soldats, les équipait et concentrait ses divisions. La guerre couvait ». Aujourd’hui, si vous remplacez « Pologne » par « Ukraine », tout y est. "


Le maréchal Ney

"Ma brève revient sur le débat à propos de la neutralité suisse puisqu’elle plonge au coeur de ce qui l’a permise : les guerres napoléoniennes, et l’intervention des troupes de Napoléon sur la Constitution de la Suisse moderne. Je fais référence à l’acte de médiation de 1802, et à la biographie du maréchal Ney qui vient d’être publiée, signée de Franck Favier. Lorsque Napoléon décide de mettre de l’ordre en Suisse, qui à l’époque (entre 1798 et 1802) est particulièrement turbulente, il y envoie le plus brave de ses généraux. Ney prendra la tête de l‘occupation napoléonienne en Suisse, et cela aboutira à l’acte de médiation de 1802, qui permettra au canton de Vaud où nous enregistrons d’échapper à la férule de Berne. Ce très beau livre raconte tous les tourments de ce militaire héros des champs de bataille, mais nigaud et assez buté sur beaucoup d’autres points."


Le bâtard de Nazareth

"Metin Arditi est un écrivain turco-suisse. C’est un romancier prolifique, puisqu’il sort presque un livre par an. Avec son dernier livre, il s’est lancé un pari assez insensé : raconter la vie de Jésus. Je dois avouer que j’ai abordé la lecture avec suspicion. D’abord parce que le livre est court, je me demandais comment il allait s’en tirer en si peu de pages. Or j’ai trouvé formidable cette plongée dans la réalité du Juif Jésus. Il retrace la fresque de l’époque (en grande partie fictionnelle, mais basée sur des faits), et il y a dans le titre même du livre une énigme dont je ne dévoilerai pas la réponse ici. Heureuse surprise que cette plongée dans une époque qui a façonné nos sociétés d’aujourd’hui. "


Dictionnaire amoureux du rugby des temps modernes

"Je ne suis pas spécialement un fan de rugby (la Suisse n’a d’ailleurs pas d’équipe présente pendant cette coupe du monde), mais je me suis plongé par curiosité dans cet ouvrage de Daniel Herrero. J’y ai appris beaucoup de choses, mais cela m’a aussi permis de développer une thèse que je vous livre ici : à l’origine ce sport était très élitiste, il est devenu un sport très populaire. Et selon moi, si le rugby rassemble autant (par opposition au football qui divise), c’est à cause de l’argent. Pour le moment le rugby (même s’il s’est largement professionnalisé) n’est pas encore inondé par l’argent. Comme disait Winston Churchill : « il faut décidément être Anglais pour avoir inventé un ballon ovale »."


Prophète en son pays

"Je vous recommande deux livres, cette semaine, qui sont très différents mais ont en commun le règlement de comptes, en passe de devenir un genre éditorial en soi. Le premier est signé de Gilles Kepel. Il parle de la menace islamiste, l’auteur raconte comment il a été marginalisé par l’université française, et comment son expertise lui a valu l’opprobre de ceux qui ont préféré surfer sur des schémas idéologiques « occidento-tiermondistes » (pour reprendre le terme qu’il emploie). Il profite de ce livre pour régler ses comptes, ce qui a au moins le mérite d’accrocher le lecteur."


Journal janvier-juin 2020

"De l’autre, le journal d’Agnès Buzyn, qui vient de paraître. Elle y règle aussi des comptes, mais très prudemment : ni avec Edouard Philippe, ni avec Emmanuel Macron. Avec tous les autres en revanche, elle ne se prive pas. Personnellement, ces règlements de comptes littéraires me posent des questions. Encore une fois, le lecteur peut y trouver du plaisir, voire de l’intérêt, mais on a tout de même envie de demander à ces deux auteurs : « et après ? »"


Ce cher et vieux pays

"Si vous vous interrogez sur la France, son état politique, ses difficultés à faire face aux crises intérieures et mondiales, ce petit ouvrage d’une quarantaine de pages signé Pascal Ory vous apportera beaucoup de réponses. Le centre de son argument : la France et les Français sont coincés dans une ambivalence : ils aiment la démocratie autoritaire. C’est ce qui les rend incapables de trancher entre la volonté de liberté de la démocratie et l’amour de l’autorité, hérité du bonapartisme et de l’empire. C’est lumineux, et quelques pages m’ont fait plaisir, dans lesquelles l’auteur trace un contre-portrait de la France, qui s’appelle la Suisse. "


Du rimmel et des larmes

"Je me suis intéressé au destin de Rachida Dati, dont la récente nomination comme ministre de la Culture a surpris presque tout le monde. Je me suis replongé dans son itinéraire, et parmi les différents livres écrits sur elle, j’ai trouvé cette pépite, dont le titre est magique. Il a été publié au début des années 2010, et il raconte l’incroyable destin de la ministre, qui a réussi, grâce à une ténacité à toute épreuve et à des talents naturels dont elle a su user et abuser, à parvenir aux sommets du pouvoir. Ce qui m’a le plus surpris, ce n’est pas tant la volonté farouche de Mme Dati, c’est la manière dont la bonne société (masculine) parisienne la voit débouler, et ne sait pas quoi faire, tout en étant terriblement tentée par ce profil de jeune femme issue de l’immigration. Je ne sais pas ce qu’est devenue cette déstabilisation du début des années 2000, mais cet itinéraire météorique méritait un rappel. "


La note

"J’aimerais rendre hommage à une actrice que j’ai redécouverte au théâtre, où elle est pourtant rare : Sophie Marceau. Elle joue dans cette pièce qui est désormais en tournée, avec François Berléand. Elle y joue une pianiste dont le mari, psychanalyste, tente de se suicider. Elle arrive littéralement au moment où il a la corde au cou. Je ne vous en dis pas plus, mais j’ai trouvé Sophie Marceau très juste, très crédible en tant que femme talentueuse qui redécouvre son mari et sa vie, qui relie les épreuves qu’elle a subies et les oublis qu’elle a assumés. Je suis allé voir cette pièce au moment où Sophie Marceau faisait une déclaration à propos de Gérard Depardieu. Elle n’a joué qu’une fois avec lui, dans le film Police, de Maurice Pialat, et l’avait trouvé violent et vulgaire. A partir de ce moment, elle n’a plus voulu en entendre parler, sans pour autant signer la moindre tribune, pour ou contre lui. J’ai trouvé que cette prise de parole était digne, de la part d’une actrice emblématique d’une certaine France, qui ne s’est pas laissée impressionner par ces grands animaux du cinéma. Honnête et intègre."