LES INTERVENANTS

Jean-Louis Bourlanges

Professeur associé à Sciences Po et ancien conseiller maître à la Cour des comptes, il a participé aux travaux du comité de réflexion et de proposition sur la modernisation et le rééquilibrage des institutions, dit comité Balladur, mis en place par le président Nicolas Sarkozy en 2007. Après avoir été député européen sous l’étiquette UDF de 1989 à 2007, il soutient aujourd’hui Emmanuel Macron et est député des Hauts-de-Seine.

 

Les brèves proposées par Jean-Louis Bourlanges:

Discours de M. Jean-Claude Juncker au Parlement Européen

"On dit toujours qu’il ne faut jamais revenir au lieu où on a pêché. C’est pourtant ce que j’ai fait cette semaine. Avec une délégation de collègues du Parlement nous sommes allés au Parlement Européen et j’ai retrouvé cette maison dans laquelle j’ai vécu pendant 20 ans, et j’ai écouté le discours de Jean-Claude Juncker. Je voudrais simplement communiquer l’émotion que j’ai eue. Je compare un peu les deux assemblées, je ne dirai pas de mal de l’Assemblée Nationale, mais j’ai quand même le sentiment en écoutant Juncker - qui est un homme affaibli physiquement, mais qui a tenu un discours équilibré, prenant largement en compte les position françaises, très prospectif et très résolu, et en voyant la ferveur qui animait encore cette Assemblée, j’ai trouvé que là, on sentait quand même que l’avenir de notre pays dépendait très largement de la capacité que nous aurons à fabriquer une véritable Union Européenne. Je crois que les Français sont très mécontents, et souvent à juste titre, de la façon dont l’Union Européenne est faite, je crois qu’il suffisait d’assister à cette séance pour comprendre que de toute manière, notre avenir supposait que l’Union Européenne soit construite et qu’il y avait là un grand horizon qui demeurait notre horizon principal. "


Bonaparte

"Je voudrais recommander un livre qui m’a beaucoup intéressé, beaucoup plu, le livre de Patrice Gueniffey qui est une sorte de portraits croisés (de vies parallèles dirait Plutarque), entre Napoléon et de Gaulle. Patrice Gueniffey est, après Jean Tulard, le grand spécialiste français de Napoléon. C’est intéressant parce que dans l’introduction, il part de l’idée qu’il pourrait y avoir une trilogie: de Gaulle, Napoléon, et Louis XIV. Je crois que cela serait pertinent parce que de Gaulle est un trait d’union entre Napoléon et Louis XIV car c’est un héros démocratique, c’est-à-dire un héros surgi individuellement de la société et non pas un héritier, mais en même temps il a le sens des limites, il a le sens de l’enracinement dans un pré carré, le sens d’une continuité qui manifestement, font défaut à ce grand joueur qu’est Napoléon. Mais je comprends très bien que Gueniffey car ce qui l’intéresse c’est justement d’analyser ces Héros de la grandeur. Qu’est-ce qui les caractérise ? Comment se situent-ils ? Et il dresse un ensemble de parallèle sur le rapport au départ, au retour, à l’écriture, à la grandeur, à la perfection qui montrent que vraiment de Gaulle soutient la comparaison avec Bonaparte et je dois dire personnellement que je me suis toujours méfié, non pas de l’œuvre intérieure de Napoléon mais du caractère dément de son projet extérieur, et j’ai pour de Gaulle une admiration qui se trouve confortée par ce livre."


Faire l'Europe dans un monde de brutes

"Moi je voulais citer et inviter à lire le livre d’Enrico Letta qui est l’ancien chef du gouvernement italien, qui est le président actuel de l’institut Jacques Delors et qui anime les recherches européennes à Science Po. Enrico Letta nous propose un ‘Faire l’Europe, dans un monde de brutes’ et je crois qu’il y a deux choses à relever, c’est que d’abord on ne fait plus l’Europe, mais on le fait dans un monde de brutes, c’est-à-dire que si on relance l’Europe c’est parce qu’on s’aperçoit qu’elle est à nouveau une citadelle menacée par un certain nombre de barbaries. Et deuxièmement et je crois que c‘est toujours admirable de la part d’un Italien, il fait l’éloge du couple franco-allemand, qu’il analyse très bien : le couple franco-allemand c’est ce qui permet à l’Europe d’avancer, à condition qu’il ne se pense pas comme exclusif des autres nations européennes. A bon entendeur, salut."


Les boîtes à idées de Marianne: état expertise et relations internationales en France

"Je voudrais recommander un livre tiré d’un important travail universitaire, un livre de Sabine Jansen qui enseigne au CNAM comme Nicole Gnesotto et qui a écrit Les boîtes à idées de Marianne, état expertise et relations internationales en France. Sabine Jansen nous avait donné une importante thèse sur Pierre Cotte et là elle analyse le think tank à la française qui est non seulement l’IFRI animée par le sympathique Thierry de Montbrial, mais antérieurement l’enracinement dans lequel l’IFRI a pris naissance c’est-à-dire notamment le CEPE et ça remonte à la crise des années 30. C’est une analyse extrêmement fouillée il y a 800 pages c’est extrêmement sérieux comme travail universitaire, et c’est une analyse qui permet de mesurer deux choses qui sont très intéressantes : d’une part le rapport spécifique en France de l’expertise à l’Etat puisque nous sommes dans un pays où l’expertise est très largement contrôlée par l’Etat et où les think tanks ont eu du mal à émerger et là on voit bien cette relation d’ailleurs ambigüe, intelligemment négociée par Thierry de Montbrial entre l’Etat et l’indépendance. Et deuxièmement c’est un reflet des rapports entre la réflexion indépendante sur la politique étrangères et l’histoire des régimes. On voit bien trois périodes très différentes : les années 30 où le CEPE naît en réalité de la crise des années 30 et de la réaction des milieux internationaux pacifiques face à la menace hitlérienne, ensuite l’acclimatation difficile sous la 4ème République et le passage de la 4ème à la 5ème République du CEPE, et ensuite le virage opéré avec l’arrivée de Valérie Giscard d’Estaing et le passage à une conception assez différente, plus européenne et plus anglo-saxonne, sous la houlette de Thierry de Montbrial, c’est un reflet de l’histoire diplomatique française."


Le Nouveau Mal français

"Je voulais citer le livre de Sophie Coignard, Le Nouveau Mal français. Sophie Coignard est une très bonne journaliste qui s’est lancée sur les traces d’Alain Peyrefitte, « parlez, écrivez, agissez » écrivait Alain Peyrefitte et elle le cite, et elle essaye de réactualiser le mal français d’Alain Peyrefitte. Je dois dire que j’ai lu avec beaucoup d’intérêt mais j’ai le même sentiment que j’avais quand j’ai lu le livre d’Alain Peyrefitte, c’est qu’au bout du compte il reste pour moi une énigme ce mal français. Car en réalité tous ces livres ont en commun de focaliser tout un ensemble de causes dont aucune ne me paraît en soi satisfaisante : l’incompétence des députés, la centralisation des hauts fonctionnaires, les corporatismes, un certain nombre de vices moraux du pays qui sont l’immobilisme, la défiance, l’égoïsme, des défauts idéologiques comme la manie réglementariste, je trouve que tout cela existe, tout cela est vrai mais tout cela ne nous permet pas, et ce n’est pas pour rien que l’on bégaye en France depuis tant de décennies sur les réformes à opérer, en dépit des livres extrêmement brillants, savants et énergiques de Nicolas, tout cela ne nous éclaire pas sur le levier, sur la façon dont il faut régler la chose. Nous sommes un vieux pays d’Etat, effectivement dominé par le sommet, et à mon avis ce n’est pas dans une révolution totale qu’on peut arriver à faire évoluer la chose, mais c’est dans un processus réformateur dont je continue à penser qu’il n’est pas étudié de façon raisonnable, précise, méthodique, réaliste, par l’ensemble de ceux qui nous dirigent, je ne parle pas seulement des hommes politiques, mais de l’ensemble des responsables sociaux, économiques, administratifs et politiques. Je trouve que d’abord nous ne sommes pas assez modestes et appliqués, à essayer de voir ce qui exactement ne marche pas, et cela nous donne donc une espèce d’accumulation de tous nos échecs, accumulation vertigineuse et désespérante."


Le nouveau pouvoir, Régis Debray

"Je voulais et je veux toujours vous présenter le livre de Régis Debray, Le nouveau pouvoir, qui est une espèce de réflexion sur ce que représente le macronisme. Alors il y a toute une théorie selon laquelle c’est du neoprotestantisme, c’est un livre intéressant qui montre bien à quel point les gens de ma génération sont complètement décalés par rapport au macronisme mais au bout du compte et c’est un peu désobligeant pour Régis Debray, je trouve que ce qui résume le mieux le livre c’est encore la citation de Paul Valéry qu’il fait au début et qui dit ceci : ”La vie moderne tend à nous épargner l’effort intellectuel comme elle fait de l’effort physique. Elle remplace, par exemple, l’imagination par les images, les raisonnements par les symboles et les écritures, ou par des mécaniques ; et souvent par rien. Elle nous offre toutes les facilités, et tous les moyens courts d’arriver au but sans avoir à faire le chemin. Et ceci est excellent : mais ceci est assez dangereux.”. Je trouve que Paul Valéry a tout dit, et Régis Debray le dit mieux encore."


L’Ordre du jour, prix Goncourt

"J’avais évoqué il y a quelques semaines le livre qui a eu le prix Renaudot consacré au docteur Mengele, et j’étais habité, je ne sais pas si je l’avais vraiment exprimé, par une espèce d’inquiétude : cette façon de faire de l’histoire romancée, de restituer des conversations qui sont évidemment imaginées par l’auteur me gêne en application du principe formulé par Paul Valéry selon lequel le mélange du vrai et du faux est plus faux que le faux. Je dois dire que cette fois-ci j’ai lu le prix Goncourt d’Eric Vuillard, L’Ordre du jour, qui se présente comme un récit autour de l’Anschluss, et je l’ai abordé avec la même appréhension, avec l’idée que faire un récit sur quelque chose d’historique c’était très délicat. En réalité je dois dire que je salue vraiment la performance. Il y a un bonheur d’écriture, je donne juste deux lignes : quand il parle des lois, il dit qu’elles sont méprisées, évidemment, tant pis pour les chartes les constitutions et les traités, « tant pis pour les lois, ces petites vermines normatives et abstraites, générales et impersonnelles, les concubines d’Hammourabi, elles qui sont dit-on les mêmes pour tous, des traînées. ». C’est quand même très bien. Mais ce que je trouve, c’est que le récit chez lui permet vraiment de saisir la quintessence d’une situation, je pense notamment au chapitre consacré à la visite de Halifax chez Goering, le portait d’Halifax, les nuances nous permet vraiment de saisir quelque chose de fondamental dans la complaisance de la haute société britannique à l’égard de Hitler."


Résistances : la démocratie à l’épreuve

"Je voudrais recommander un bref livre de Laurent Cohen-Tanugi, Résistances : la démocratie à l’épreuve. Je crois que ce livre est intéressant. Il ne dit pas des choses totalement nouvelles, il situe pleinement la crise que nous vivons comme une crise grave, une crise de la démocratie avec ses traits classiques : le populisme, le complotisme, l’identitarisme, l’hyper individualisme, tout cela est analysé et dénoncé. Les causes sont mises en perspective, notamment la révolution numérique, la révolution géopolitique qui fait que l’occident est à la fois subverti dans ses intérêts, ses valeurs, ses principes, et se divise lui-même comme on l’a vu à travers des épisodes comme l’élection de Trump et le Brexit, donc tout cela est dit. Ce qui me paraît frappant, et qui m’a inquiété en lisant ce livre, cet excellent pro-européen qu’est Cohen-Tahugi, c’est un certain désenchantement. Cet homme qui a voté pour Emmanuel Macron, qui adhère au projet qui est actuellement celui du gouvernement, est en même temps profondément inquiet sur le devenir de tout cela. Son livre s’appelle Résistances et on a le sentiment qu’il y a quelque chose d’un peu nostalgique, il y a la nécessité de sauvegarder un héritage qui est très souvent méconnu - on parle de l’héritage de la Troisième République – mais l’héritage qui est souvent méconnu, c’est celui de l’humanisme occidental européen de la Quatrième République de l’époque de l’après-guerre, c’est cet héritage là que nous sommes en train de liquider, et Laurent Cohen-Tanugi regarde cette disparition, ce naufrage, avec un effroi qui je crois est justifié."


Louise Lannes duchesse de Montebello et Comment naquit la guerre de 14

"Moi j’ai profité des moments dits de ‘trêve des confiseurs’ pour reprendre quelques livres d’Histoire. D’abord, j’ai lu une biographie qui était fondée sur un fond d’archives familiales, qui est la biographie de Louise Lannes, duchesse de Montebello, qui faisait partie de ces maréchales éternelles. Les maréchaux meurent et les vrais maréchaux ce sont les femmes des maréchaux, qui restent éternellement. Un livre qui est du à la plume de Régis de Crépy et l’épopée napoléonienne côté femme. Louise Lannes est intéressante puisqu’elle représente ce lien qui est très compliqué à analyser mais fondamental dans notre histoire politique, entre le bonapartisme, l’épopée impériale, et elle a été très profondément libérale, elle a contribué à la création du Globe comme le général Foy, c’est comme un ensemble de gens qui ont glissé du bonapartisme au libéralisme et pour moi, pour nous, en tout cas, il y a une incompatibilité profonde entre le jacobinisme militaire de Napoléon et le libéralisme à la Benjamin Constant, même si Benjamin Constant a écrit L’acte additionnel aux constitutions de l’empire mais on voit bien ces transitions et donc c’est une personne, de ce point de vue là, intéressante.
Le deuxième livre que j’ai lu c’est un livre d’Alfred Fabre-Luce Comment naquit la guerre de 14 ? qui est la reprise des grands ouvrages qu’avaient écrit Fabre-Luce dès les années 20, de remise en cause de l’interprétation officielle de la première guerre mondiale. C’est soutenu par une préface extrêmement documentée de Georges-Henry Soutou, c’est remarquablement écrit, remarquablement intelligent, c’était une prise de position extrêmement courageuse de la part d’Alfred Fabre-Luce. Je ne suis pas entièrement d’accord avec lui. Je crois qu’il a raison de souligner les responsabilités russes dans le déclenchement de la première guerre mondiale, je pense malgré toute et toujours, la littérature qui entoure aujourd’hui la Première Guerre mondiale qui remet un peu en cause la vision à la Renouvin, que la responsabilité de l’état major allemand et de la politique allemande est décisif quand ils envoient le télégramme, quand ils rédigent quasiment le télégramme d’ultimatum des autrichiens, je pense que les allemands sont déterminés à faire la guerre alors que les autres sont prêts à faire la guerre. J’ai une incertitude sur les russes. Mais enfin malgré tout c’est une remise en cause de tous les bobards officiels, de toutes les déformations et c’est magnifiquement écrit, je crois que c’est un livre qui mérite d’être lu."


Napoléon stratège

"Je voulais signaler une très belle exposition dans ce très bel endroit qu’est le musée des armées aux Invalides. Ils font une exposition Napoléon, stratège. C’est une exposition assez modeste mais intéressante avec des jeux interactifs où on peut jouer aux batailles. Enfin, il y a tout un ensemble de choses. Mais il y a deux caractéristiques qui m’intéressent, c’est d’abord de faire une exposition sur quelque chose d’aussi cérébral que la stratégie et deuxièmement on évoque clairement le stratège vaincu, il y a toute une partie de cette exposition qui s’appelle L’ombre de la défaite et qui explique l’ensemble des défaites de Napoléon. C’était un génie militaire, mais il faut bien voir qu’il a perdu quand même pas mal de guerre à commencer par la guerre d’Egypte. "


Les origines de la France contemporaine

"On m’a offert pour Noël et je me suis replongé avec délice dans : Les origines de la France contemporaine de Taine. Et je dois dire que Taine fait partie de ces auteurs sur la Révolution Française dont le grand historien Georges Lefebvre, grand historien de gauche de la Révolution et de l’Empire, disait avec cette hypocrisie fondamentale qui caractérise l’historiographie révolutionnaire. Il le disait d’Augustin Cochin, mais il aurait pu le dire de Taine : « Il faut le lire mais il ne faut pas le dire » et effectivement c’est formidable.
Raymond Aron a été en fait à l’origine de la résurrection dans l’opinion publique après la seconde guerre mondiale de Tocqueville, il a imposé Tocqueville. Furet aurait pu faire sur Taine, il s’est manifestement beaucoup inspiré de Taine mais Taine n’a pas encore acquis, retrouvé l’audience malgré le fait qu’il soit édité en bouquin. Moi j’ai eu une édition très ancienne et très sympathique mais c’est formidable, il faut rendre hommage à tous ces grands érudits du XIXe siècle qui ont fait un travail de rigueur d’intelligence absolument incroyable et dont nous devons utiliser beaucoup plus les fruits qu’on ne le fait, savourer les fruits."


La démocratie représentative est-elle en crise?

"Je voudrais recommander le livre que vient de publier le CEVIPOF, Sciences Po, sur ce qu’ils appellent le vote disruptif c’est à dire sur ces épisodes électoraux de l’année dernière, qui nous permet d’avoir un jugement extrêmement éclairé, nourri, documenté sur ces évènements colossaux qui ont abouti en moins de quelques semaines à une modification totale de notre système politique et à un renouvellement encore incertain mais tout à fait fondamental de notre vie démocratique et de l’exercice du pouvoir"


Daniel Vernet: Hommage à l'ancien Monde

"Je voudrais dire ma tristesse et rendre hommage après la disparition de Daniel Vernet. Daniel Vernet est mort brutalement c’était l’ancien directeur du Monde, c’était le spécialiste des questions allemandes, c’était un ami personnel. Je dois dire que c’est ce qu’il y avait de mieux, c’est l’ancien Monde, le Monde tel qu’il devait être, le Monde tel qu’il était avec l’intelligence, la modération, la retenue, le sens des nuances. C’était un homme d’une extrême humilité, d’une extrême compétence en même temps assez gouailleur. Il avait cette espèce de qualité française de ceux à qui on la fait pas, il se laissait pas avoir et en même temps il avait, notamment sur le plan des relations avec l’Allemagne, il avait creusé ce sillon et il avait une relation très forte avec l’Allemagne et il a porté je crois le meilleur de la réconciliation en profondeur des sociétés française et allemande et je crois que c’est une grande perte pour tout le monde que la disparition de Daniel Vernet"


De l'expérience en politique

"Je vais verser au débat sur le non-renouvellement des mandats, il y a un point de désaccord entre moi et la majorité présidentielle, est-ce qu’il faut arrêter à 3 le mandat ? Je voudrais simplement verser un point au dossier c’est que, en France, il y a eu de Robert Le Pieu et Philippe Le Bel, pendant 3 siècles, seulement 9 monarques donc en moyenne une durée de plus de trente ans. Ce n’est pas pour rien que la France s’est faite à ce moment-là comparez-le à l’instabilité allemande et à l’instabilité italienne et vous avez les clefs du succès politique. Coryez-moi l’expérience en politique doit être reconnue et valorisée."


Ivan Maiskï: La marche à la guerre 1932-1943

"Je reste sur la Russie d’une certaine façon, je voudrais vous recommander le journal d’Ivan Maïski. Journal 1932-1943. Ivan Maïski était ambassadeur de l’URSS à Londres pendant cette période décisive. Personnage très intéressant d’abord parce que c’était un menchévik, un des derniers, car Staline n’avait pas encore abattu sa main de fer sur ce dernier. C’est un homme assez libre et pour trouver un dirigeant de l’époque stalinienne qui écrive quelque chose, il faut se lever tôt. Ils savaient que tout écrit pouvait être utilisé contre eux, lui il a écrit un journal et c’est une formidable lecture de la marche à la guerre. Quand on voit les liens profonds entre Churchill et la Russie, on comprend parfaitement l’attitude de Halifax. Maïski c’est un personnage qui est au cœur de toute la diplomatie, diplomate à l’ancienne, extrêmement ouvert, comprenant parfaitement la société britannique. Essayant de trouver un accord avec le Royaume-Uni et en même temps on voit que le Royaume-Uni au milieu de tout ça, c’est la théorie de Halifax : On aime pas Hitler, on aime pas Staline donc s’ils pouvaient se taper dessus ça serait parfait."


Vers la catastrophe russe de Boris Kritchevski

"Je reste dans les affaires russes je voudrais recommander le livre aux éditions de Fallois, c’est donc une des dernières décisions qui a été prise par le regretté Bernard de Fallois, le livre de Boris Kritchevski intitulé qui nous conduit vers la catastrophe russe et qui est préfacé par notre ami Jean-Claude Casanova. C’est intitulé Lettres de Petrograd au journal l’Humanité octobre 1917- février 1918. Kritchevski était un socialiste russe parlant parfaitement français qui avait été envoyé par l’Humanité à ce moment complètement critique à la fois pour la défense nationale française et pour l’avenir de la Russie, qui étaient les révolutions de 1917 en Russie et il envoyait des lettres à l’Humanité qui ont été immédiatement arrêtées. Je crois que ça montre deux choses, ça montre que dès le début un certain nombre d’hommes lucides et bienveillants envers le socialisme avait compris la perversité intrinsèque du système léniniste qui portait en lui la dérive stalinienne comme la nuée porte l’orage et deuxièmement c’est que très tôt un certain nombre de sirènes. Dès le début des années 20, il y avait eu une chape de plomb. Romain Roland avait dit qu’une grande lumière s’était allumée à l’Ouest, en réalité, la ligue des Droits de l’Homme avait tout de suite décidé de ne pas rendre compte des atteintes aux Droits de l’Homme en Union Soviétique en raison de la grandeur de l’objectif révolutionnaire poursuivi. Il faut lire ce livre, il est prémonitoire, il dit tout, tout de suite."


La tentation radicale d'Olivier Galland et Anne Muxel

"Je voudrais saluer l’enquête qui vient de paraître d’Olivier Galland et Anne Muxel sur la tentation radicale, une enquête auprès des lycéens, ce sont d’excellents chercheurs qui ont fait un travail d’une extrême rigueur. Alors ça n’est pas un livre qui analyse le processus de radicalisation d’un certain nombre de gens, ça n’est pas un livre qui mesure quantitativement la radicalisation, au contraire il a créé un échantillon qui valorise des populations à risque pour avoir un échantillon suffisamment abondant pour faire des études. Mais c’est un livre qui analyse toutes les formes de radicalisation religieuses, cognitives ou politiques avec aussi les théories complotistes. Alors c’est un premier pas, ça ouvre vraiment la voie à une recherche. Et je trouve qu’il faudrait le compléter par un second livre par une seconde enquête sur quelque chose qui à mon avis est au cœur de nos difficultés qu’est la tentation fragmentaire, pourquoi les sociétés politiques se dissolvent ? Pourquoi small devient de plus en plus beautiful ? "


Le foisonnement fiscal, une maladie française

"Je signale un article paru dans Étvdes en décembre 2017 mais extrêmement utile à la compréhension de ce qui se passe actuellement. L’article est du à madame Véronique Bied-Charreton et s’appel « Le foisonnement fiscal, une maladie française ». Elle analyse parfaitement la pathologie fiscale dont nous souffrons : elle montre de façon très claire que la tentation fiscale est la tentation la plus simple et la plus constante qui assaille nos gouvernants. "


Rapport Robert Schuman sur l'état de l'UE

"Je voudrais recommander comme je le fais régulièrement le rapport publié par la fondation Robert Schuman sur l’état de l’Union Européenne en 2018. Chaque année, Jean-Dominique Giuliani, Michel Foucher, Thierry Chopin etc. proposent ce rapport, je crois que pour tout ceux qui s’intéressent à l’Europe c’est quelque chose de tout à fait précieux que d’avoir la collection et de suivre pas à pas ces analyses extrêmement bien renseignées, extrêmement bien documentées et je dois dire que pour les gens qui participent au Nouvel Esprit Public, ils auront là l’occasion de lire un très bon article de Nicole Gnesotto, publicité gratuite !"


Le rapport d'Oxfam sur le partage des richesses

"Je voulais saluer le fait que Madame Duflot ait décidé d’arrêter la politique et de rejoindre Oxfam juste au moment où Oxfam sort une analyse qui me paraît conforter l’engagement de Duflot puisque c’est une ânerie absolue sur le plan économique, Oxfam produit une étude disant que l’augmentation de la part des dividendes distribués par rapport aux dividendes réinvestis était un signe de la détérioration du niveau de vie des salariés. Je crois que c’est une erreur économique élémentaire, le partage de la valeur ajoutée c’est ça qui compte et il se fait d’un côté par les salaires et de l’autre côté par les bénéfices qui sont soit distribués soit réinvestis. Et ce choix entre réinvestissement ou redistribution c’est simplement un choix entre remettre de l’argent dans l’entreprise ou donner la possibilité aux actionnaires de le mettre dans d’autres entreprises ce qui est conforme puisqu’un actionnaire c’est celui qui engage son capital et cela correspond évidemment à une logique économique. Il y a des entreprises qui ont besoin d’investir d’autres qui n’ont pas besoin et quand on distribue ses dividendes il faut réfléchir à ça. Donc il faudrait arrêter, en France, de se poser des questions techniquement et économiquement absurdes si on veut faire une vraie politique sociale."


François Régis Hutin, hommage

"Puisqu’on est dans les cérémonies religieuses et les obsèques, je voudrais dire que je suis très ému : je suis allé à Rennes jeudi pour les obsèques de mon ami, François Régis Hutin, qui était le patron, le directeur de Ouest-France. J’ai été profondément impressionné par la cérémonie, parce que c’était vraiment là toute la Bretagne républicaine et démocratique qui était rassemblée. L’Eglise qui rendait hommage avec beaucoup de sobriété et de style à un homme qui était à la fois son défenseur, son protecteur et son serviteur. C’était un homme de conviction et de presse assez exceptionnel. Alors c’est une France qui disparaît peut-être, la France démocrate chrétienne, les Desgrées du Loû etc. tout ce qui s’est fait à la fin du XIXème et qui a dominé la Bretagne tout au long du XXème siècle, je ne crois pas qu’ils disparaissent mais c’est quelque chose d’essentiel. Et cet homme a représenté à la tête de son journal, la volonté d’un engagement éthique qui ne serait pas partisan : engagement chrétien très tourné pour l’abolition de a peine de mort, vers l’accueil des réfugiés, vers l’ouverture sur l’Europe, donc le contraire d’une vision un peu étriquée, un peu étroite qui je crois est celle de Sens Commun aujourd’hui. Et je crois qu’à la tête de son journal il incarnait cela, je terminerai par cela, je me rappelle au moment de Maastricht il avait réunit sa direction pour poser la question à sa rédaction, et non pas imposer la ligne du patron, de savoir s’il fallait s’engager pour ce traité européen. Peut-être avait-il tort, je pense qu’il avait raison, et la rédaction dans son ensemble avait accueilli cette idée et avait porté dans le plus grand journal français – quand on voit l’exiguïté de la victoire du oui sur le non cela a sans doute été assez décisif – mais ce qui est intéressant c’est que ce n’est pas par les voies de l’autorité hiérarchique mais par la voie de la mobilisation d’un corps social, qui était le cœur des rédacteurs de Ouest-France, que cette affaire a été faite, et je crois qu’il fallait rendre hommage à ce très grand patron de presse et à ce très grand humaniste. Son dernier article était « Paix pour Jérusalem », sa femme m’a dit qu’il est mort juste après."


Pitié pour le général Lee

"Je voudrais faire une brève sur les dangers de l’anachronisme en Histoire. Je ne parlerais pas de Colbert, mais du général Lee. On a eu une polémique aux Etats-Unis autour de la statue du général Lee. Tous les gens bien étaient du côté du déboulonnage du général Lee, et les gens qui soutenaient le général Lee étaient horribles, suprématistes, qui ne méritaient vraiment pas le soutien idéologique. Mais la grande victime dans cette affaire c’est Lee lui-même. Lee a été un commandant exemplaire des armées sudistes, le général le plus humain, bien meilleur et bien plus humain que les brutes comme Sherman qui dirigeaient les armées du Nord. Lee était, Bernard Tavernier nous le rappelait dans l’émission sur Lincoln qu’on avait faite avec lui, abolitionniste sur le plan de l’esclavage. Son seul problème a été, c’était le problème de la Convention de Philadelphie quelques décennies plus tard, si sa loyauté était à l’Etat de Virginie dont il était originaire comme d’ailleurs la plupart des premiers dirigeants des Etats-Unis d’Amérique, ou aux Etats-Unis. Il a fait le choix de la Virginie, historiquement c’est un choix mauvais mais vraiment, pitié pour le général Lee."


Fille de révolutionnaires

"Je voudrais recommander un livre que je n’ai pas terminé mais je me suis lancé dedans avec un immense plaisir. Le livre de Laurence Debray, la fille de Régis Debray, Fille de révolutionnaires. Je trouve ce livre absolument fantastique, parce que moi j’ai pour Régis Debray une opinion complètement ambivalente. D’un côté je trouve que son engagement politique, qui a été courageux, est quand même un engagement d’adolescent. Il est depuis toujours, c’est une espèce d’éternel adolescent dans son culte de la révolution. Et d’autre part c’est un homme qui a énormément de talent, un bonheur d’écriture extraordinaire, et qui est dans la conversation, sympathique, plein d’humour, plein de distance. C’est un vieux sage quand on parle, et c’est un jeune adolescent éperdu de révolution quand il rêve. Et là Laurence Debray est vraiment à la charnière des deux. On montre ce que c’est qu’une petite fille et une jeune fille mêlées à cette histoire révolutionnaire extravagante, avec elle beaucoup d’humour, beaucoup de bon sens, beaucoup de tendresse. On trouve toute cette ambivalence, c’est vraiment très rafraîchissant, et ça donne le sentiment que Debray est quand même bien meilleur quand il écrit de jolies choses, que quand il s’engage dans des combats absolument impossibles pour la révolution, et que sa fille a pris le meilleur de lui-même."


La disparition de Joseph Mengele, d'Olivier Guez

"Je voudrais vous signaler le livre que j’ai lu cette semaine d’Olivier Guez, La disparition de Joseph Mengele. Olivier Guez est l’homme qui avait fait notamment le scénario du film sur Fritz Bauer, l’homme qui avait retrouvé Eichmann et qui avait conduit à la condamnation d’Eichmann. Et là c’est un livre, un roman, je me méfie toujours du roman parce que comme dirait Paul Valéry, le mélange du vrai et du faux est plus faux que le faux, mais là le livre montre la vie de Mengele après le Reich, en Argentine, au Paraguay, au Brésil, jusqu’à sa mort. Il y a quelque chose qui reste insuffisant, c’est qu’on ne comprend pas comment ce médecin fou d’Auschwitz a été un médecin fou car il apparaît à la fois comme très antipathique et assez raisonnable. Mais ce qu’on voit très bien c’est ce qui s’est passé pour les Nazis après. Et on voit deux moments très différents : une première période où peu à peu il se réintègre dans la société officielle, il reprend son nom, et puis à partir de l’affaire Eichmann et des grandes publications, l’Holocauste et la Shoah, il y a un retour en enfer et cet homme finit comme il n’aurait jamais dû vivre avant c’est-à-dire en enfer, dans une solitude absolue et dans une existence justement misérable moralement."


Le peuple contre la démocratie

"Je voudrais recommander le livre de Yascha Mounk : Le peuple contre la démocratie (Éditions de l’observatoire) qui illustre parfaitement la thèse de Nicole à savoir que la dissociation du libéralisme et de la démocratie – dissociation mortelle – n’est pas spécifique à notre pays. Elle caractérise l’ensemble des puissances occidentales. Ce qui est dramatique dans ce livre c’est qu’il est excellent dans l’analyse des causes et de la situation mais dans les remèdes c’est un peu boyscout et cela ne me rassure pas sur notre capacité à surmonter cette dissociation. "


La mort de Staline

"Si vous détestez le Stalinisme vous avez bien sûr la vieille option qui consiste à lire L’opium des intellectuels de Raymond Aron mais je dois dire qu’il faut aller voir la Mort de Staline. C’est un produit absolument exceptionnel parce que c’est une vision assez claire des intrigues abominables qui ont entouré la mort de Staline notamment le complot de Beria qui se termine par sa revolvérisassion par ses petits camarades donc c’est assez sérieux. Mais en même temps c’est quelque chose d’autre. C’est un film d’un réalisateur britannique qui porte un nom italien Armando Iannucci sur la base d’une bande dessinée de Thierry Robin et Fabien Nury qui est assez remarquable et pourtant ça n’est pas réel, ces gens parlent anglais, ces gens ne prétendent pas du tout ressembler au modèle malgré le fait qu’on les voit tous : Khrouchtchev, Beria et les autres. Mais c’est surréaliste, c’est à dire que c’est plus réel que le réalisme. C’est une espèce de description hilarante à la Monty Python etc. mais hilarante de toutes les pathologies d’un régime absolument abominable et où on voit que la dénonciation de l’horreur par la dérision c’est souvent beaucoup plus efficace que par l’indignation."


Les sautes d'humour du général de Gaulle de Sabine Jansen

"Je voudrais recommander un livre paru chez Payot Les sautes d’humour du Général de Gaulle, c’est la collection des mots, des traits d’esprit du Général recueillis par Sabine Jansen. Je donnerai rapidement 3 des exemples de ce qu’est la personnalité du général De Gaulle : La dérision d’abord. On lui parle de ses obsèques, il dit : « j’entends qu’elles soient réduites au strict minimum ». L’interlocuteur lui pose alors la question : « qu’entendez vous par strict minimum ? ». Réponse du général : « Moi ».
La vacherie aussi. Après un discours de Michel Debré à la télévision, De Gaulle dit : « Il faudrait mettre le carré blanc il risque de faire peur aux enfants ».
Et la distance lucide : « Je n’aime que ceux qui me résistent, malheureusement, je ne les supporte pas."


La Fontaine chez les collégiens

"Moi je voulais saluer l’initiative de notre ministre de l’éducation nationale, Jean-Michel Blanquer, qui a décidé de donner à tous les élèves qui accèdent au collège un recueil des fables de La Fontaine par Joan Sfar. Je crois que c’est très intéressant parce que ça révèle deux choses chez Jean-Michel Blanquer. Première chose, la volonté de rétablir un rapport positif et massif des collégiens de France avec la littérature classique, avec ce qu’il y a de plus beau, La Fontaine est un des plus magnifiques poètes de notre littérature et de notre histoire littéraire. Et deuxièmement, c’est quand même, et je suis sensible à ça, un démenti à Jean-Jacques Rousseau. Puisque Jean-Jacques Rousseau dans l’Emile, condamnait l’utilisation des fables de La Fontaine comme instrument pédagogique au nom d’un idéalisme qui m’a toujours paru assez suspect et là je crois qu’il y a un signe de macronisme discret dans le fait qu’on donne à tous les collégiens de France, le manuel du réalisme et d’un réalisme civilisé de ce que sont ces fables. C’est le triomphe de Philinte sur Alceste et c’est une contribution importante à ce qu’on appelle aujourd’hui à gauche « le vivre ensemble »."


John Lukacs, Churchill, Londres, Mai 1940

"Vous avez sans doute, pour beaucoup d’entre vous, vu et aimé le film sur la décision majeure de Winston Churchill de refuser la médiation italienne et de continuer la guerre contre Hitler après les premiers désastres de 1940. (Le film s’appelait Les heures sombres). Cet été en vacances chez mon ami Jérôme Jaffré j’ai trouvé dans sa bibliothèque un livre paru en 2002 de John Lukacs, un historien américain, qui s’appel Churchill, Londres, mai 1940. Ce livre-là est certainement à la base du film car il décrit les cinq jours décisifs de la vie du cabinet britannique qui ont conduit Churchill à prendre cette décision. On voit vraiment ce qui est à la base du livre c’est-à-dire l’extraordinaire intelligence des opposants et notamment d’Halifax qui est extrêmement solide. Il fallait vraiment avoir quelque chose de plus qu’une simple intelligence pour relever le défi de la poursuite de la lutte contre Hitler. Si vous avez aimez le film, procurez vous le livre."


Histoire de la IVème République

"Je voudrais signaler et saluer la publication dans la collection Bouquins en deux volumes de l’œuvre monumentale de cette personne admirable qu’est Georgette Elgey, qui a tout connu, se souvient de tout et fait partie de ces journalistes-historiens avec une grande capacité d’enquête et de sympathie pour le sujet. Elle étudie cette IVème République complètement méconnue à l’heure actuelle. Le général de Gaulle avait toujours dit que les hommes de la IVème République étaient des hommes de valeur et que le système tel qu’il fonctionnait les empêchait de donner leur mesure. Là on voit effectivement un personnel politique de grande qualité, issu de la résistance et qui s’est attaché à rebâtir une société libre et une économie prospère. Le général de Gaulle, lorsqu’il a établi la Vème République, avait des assises plus solides que ce qui existe aujourd’hui. C’est très précieux de lire ce livre de Georgette Elgey. Apprenons ce passé que nous ignorons de plus en plus qui est celui de la IVème République. "


La révision constitutionnelle de 2008. Un premier bilan

"Une des expériences qui m’a le plus intéressé et séduit dans ma vie, ça a été de participé il y a maintenant 10 ans à la commission présidée par Édouard Balladur sur la révision constitutionnelle qui a abouti à la révision de 2008. Je dois dire que la qualité de la présidence d’Édouard Balladur (son mélange de profond libéralisme et d’autorité lorsqu’il le fallait) a permis de faire travailler ensemble les différents membres hétéroclites de la commission dont l’extraordinaire Guy Carcassonne qui était l’âme de la commission. Ça a été un moment où nous avons travaillé intensément : pendant 3 mois, 7 heures par jour et 4 jours par semaine pour préparer cette réforme. Aujourd’hui, la fondation de l’innovation politique a confié à Hughes Ourdin, qui était le rapporteur général de nos travaux, l’élaboration d’un document préfacé par les deux personnalités dominantes de la commission qui étaient Édouard Balladur et Jacques Lang qui analyse le bilan de la révision constitutionnelle de 2008. Le document permet de voir ce que peut être une révision constitutionnelle lorsqu’elle a des objectifs clairs. Certains objectifs ont été atteints, d’autres non pas été atteints (dont la précision de la relation entre le Président de la République et le Premier ministre), d’autres ont été partiellement atteints comme le renforcement du Parlement. "


La construction européenne est-elle irréversible ?

"Philippe Huberdeau a fait reparaitre il y a quelques mois à la Documentation française un petit livre qui a pour titre La construction européenne est-elle irréversible ? et la question est aujourd’hui posée. C’est un livre qui a un léger décalage par rapport à la situation actuelle mais qui fait le point des grands enjeux critiques de l’Union européenne. Alors que les élections européennes vont être un moment de vérité pour l’histoire même de la construction européenne il est essentiel d’avoir des documents d’information et de réflexion de ce type avant d’aller voter. "


L'été en enfer. Napoléon III dans la débâcle

"Je voudrais proposer un livre de Nicolas Chaudun, L’été en enfer. Napoléon III dans la débâcle, qui est triplement décalé : premièrement parce qu’il date de 2011 et que je viens de le lire, deuxièmement parce qu’il parle de la guerre de 1870 alors que l’on parle de la guerre de 14, enfin troisièmement parce qu’en général on parle pendant la guerre de 70 de la défense républicaine, de ce qui s’est passé après le 4 septembre, de l’affrontement entre Gambetta et Thiers mais là Chaudun s’intéresse à l’extrême fin de règne de Napoléon III. Il montre quelque chose qui échappe aux historiens : que Napoléon III a été victime d’un quasi coup d’État familial pendant cette période et qu’il a été totalement marginalisé du pouvoir à partir du moment où cela a tourné mal pour les armées françaises. C’est un livre magnifiquement écrit, sur la grande oubliée de notre histoire : la guerre de 1870. "


Des animaux et des hommes

"Je recommande la lecture du livre collectif que notre ami Alain Finkielkraut vient de consacrer à Des animaux et des hommes. Cela fait très longtemps que je pense comme Finkielkraut notamment après la lecture de textes extrêmement magnifiques de Kundera. Je suis tout à fait sensible à la cause animale, à la souffrance animale, et en même temps à la contradiction profonde dans laquelle nous sommes vis-à-vis des animaux. Contradiction très bien résumée par Finkielkraut qui montre que nous sommes à la fois dans une relation de compassion de plus en plus forte (dont Mme de Fontenay avait montré qu’elle était un effet indirect de la déportation) et en même temps nous n’avons jamais appliqué avec une détermination aussi féroce le concept au combien contestable d’animaux machines de Descartes qui fait que au nom du fait que nous sommes « maitres et possesseurs de la nature » (ce qui se discute) on considère que les animaux sont des objets que l’on peut martyriser impunément, ce que l’on ne se prive pas de faire. Le grand avantage de l’analyse de Finkielkraut est qu’elle ouvre le débat sans nous enfermer dans un dogmatisme : dire que notre rapport aux animaux doit changer ne signifie pas que l’on doit se faire vegan car cela ne résout rien du tout d’idolâtrer simplement la vie animale sans organiser notre rapport, nous humains, avec la gent animale. "


Colloque Pierre Hassner au Centre Sèvres les 7 et 8 décembre 2018

"Je voudrais faire une petite annonce : les vendredi 7 et le samedi 8 décembre, Esprit et Commentaire organisent un colloque en hommage à notre grand ami qui nous a quitté il y a quelques mois Pierre Hassner au Centre Sèvres. Il faut s’inscrire sur le site d’Esprit, pour des gens comme moi qui ait rencontré ma femme au séminaire Hassner-Casanova à Sciences po c’est quelque chose qui m’a marqué. J’ai été ensuite camarade d’enseignement à Bologne avec Pierre Hassner. C’est après Raymond Aron la figure la plus éclairante je crois comme analyse de la situation internationale et comme philosophe politique. Il a toujours été d’une modestie excessive et c’est véritablement très important qu’on lui rende hommage. Courez au Centre Sèvres pour rendre hommage à Pierre Hassner. "


L'Europe. Encyclopédie historique

"Je voudrai recommander un dictionnaire sur l’Europe qui est paru chez Actes sud : L’Europe, encyclopédie historique. C’est un dictionnaire établi sous la direction de deux très grands historiens : Christophe Charles et Daniel Roche. Je crois que c’est intéressant car je ne suis pas à mon premier dictionnaire sur l’Europe et le plus souvent on y trouve « subsidiarité », « commission », « directive » etc. Là pas du tout : on a le passé charnel, l’Europe est une terre charnelle et Daniel Roche est un grand historien de la vie quotidienne, des vêtements etc. Si l’on veut retrouver ce qu’est l’Europe et notre bien commun je pense qu’il est très intéressant de se ressourcer dans cette encyclopédie historique plutôt que dans le 90ème sommet de la dernière chance. "



L’Enquête corse

"Cette année Glénat a re-publié en hommage à René Pétillon L’Enquête corse et le meilleur des histoires courtes du détective improbable qu’était Jack Palmer. Ceux qui lisaient le Canard Enchainé ont ressenti un immense vide et je trouve tout à fait sain et heureux que l’on ai republié ces histoires. J’ai ressenti le même enthousiasme, la même hilarité que lorsque je l’avais lu la première fois. C’est une vision de la Corse hilarante mais sans complaisance à son égard dont elle montre les travers. C’est également plein de tendresse envers les corses. Pour les continentaux, il n’y a aucune sorte d’acrimonie donc tout le monde en prend pour son grade mais tous ont de la sympathie pour cela. "


Etudes de l’Institut Sapiens

"Je voudrais recommander les études qui sont, en ce moment, publiées par l’institut Sapiens. Elles s’intéressent de très près à l’enseignement de l’économie dans le secondaire en France. C’est une matière assez controversée actuellement. Il y a deux études : comment élever le niveau des français en économie ? et une radiographie d’un manuel de seconde Hatier où l’auteur, Monsieur Robert, qui est un universitaire montre toutes les lacunes. On résume ces défaillances en trois termes : l’encyclopédisme qui fait qu’au lieu de se concentrer sur la matière économique on fait un peu de tout comme de la sociologie et donc la matière se dissout - le pessimisme : tout ce qui relève du fonctionnement normal de l’économie capitaliste qui régie 98% de la planète est considéré avec un biais extraordinairement négatif - des lacunes analytiques qui sont très importantes où l’on confond corrélation et causalité. D’une façon générale je crois que l’on ignore dans l’enseignement économique que l’enseignement ce n’est pas l’apprentissage des faits, la multiplication des visites d’usines etc mais d’abord l’apprentissage d’un langage. Comme le disait le regretté Louis Althusser : « Je mets au service de l’économie moderne qu’il faut porter au sein du désordre empirique la rigueur inaltérable du concept. » "


Emmanuel Macron, pourquoi cette haine ?

"Je voudrais signaler que sur le site Telos est paru un article de Dominique Schnapper : Emmanuel Macron, pourquoi cette haine ? C’est une analyse très intéressante sur les mécanismes de la haine dans ce que la sociologue appelle les « sociétés de démocratie extrême » c’est à dire d’égalitarisme forcené. J’aurais plutôt tendance - parce que le mot démocratie est un mot auquel je suis attaché tout comme Dominique Schnapper - à parler de sociétés de ressentiment. Ce qu’elle montre c’est qu’en réalité, le grand reproche qu’on pourrait faire à Emmanuel Macron n’est pas d’être un héritier. On pourrait dire de lui comme Magritte de sa pipe « ceci n’est pas une pipe » , « celui-ci n’est pas un héritier » et c’est précisément ce qui d’après Dominique Schnapper la raison pour laquelle il est si détesté : car il a réussi par un court-circuit absolument inattendu, jeune, tout seul, rien dans les mains au départ ni rien dans les poches. Il a réussi à s’imposer. De ce point de vue la, c’est une sorte de défi à ceux qui comme nous tous, sont dans la société méritocratie, et peine à passer de la misère à la pauvreté. Ce phénomène d’arrogance qui lui est reproché est un phénomène qui renvoie à la méritocratie et non pas à une société de privilèges transmis."


L’archipel français

"Je voudrais vous parler du livre de Jérôme Fourquet « L’archipel français ». J’avais l’impression que c’était une dissolution des corps politiques qui caractérisait l’Europe de nos jours mais Fourquet trouve le mot qu’il faut en parlant d’archipel. Il y a une archipélisation de la France. Il y a ajouté tous les graphiques, les cartes et les chiffres qui permettent d’éclairer ce mouvement. Il met en avant que la crise religieuse est fondamentale parmi ce mouvement d’individualisation que l’on retrouve aujourd’hui dans plusieurs autres domaines de la vie politique. Il faut, par ailleurs, ajouter le nom de Sylvain Manternach à qui Jérôme Fourquet rend hommage. "


Comment gouverner un peuple-roi ? Traité nouveau d’art politique.

"Je voudrais recommander le livre de ce philosophe qui s’appelle Pierre-Henri Tavoillot et a écrit un ouvrage au titre oxymorique : Comment gouverner un peuple-roi ? Traité nouveau d’art politique. Ce livre est très utile, bien documenté, bien écrit très élégant. D’autre part, après ces torrents d’irresponsabilité que nous avons évoqué tout à l’heure c’est un livre qui aborde la politique telle qu’elle est. Monsieur Tavoillot est le Racine et non pas le Corneille de la politique. Il nous présente la politique telle qu’elle est et non telle qu’elle devrait être. Ce qui nous montre, à travers une réflexion intéressante sur le peuple, c’est que la politique est un art de gérer l’imparfait. Imparfait évidemment car c’est la gestion des choses floues, c’est la gestion de l’écart entre nos désirs et la réalité, entre le temps présent et le temps lointain de l’espérance. Monsieur Tavoillot, rappelle que c’est un art et non pas un science : l’art de gouverner, l’art de se faire élire, l’art de prendre une bonne décision, l’art d’être controlé. Alors en ces temps de pataphysique générale sur le plan politique, saluons l’artiste. "


 Le labyrinthe catalan 

"Je voudrais recommander un livre sur l’Europe du Sud : « Le labyrinthe catalan » de Benoit Pellistrandi. Il y fait une analyse enracinée dans l’histoire et la politique de la crise catalane. On y comprend l’importance emblématique de cette région non seulement pour l’Espagne mais aussi pour les pays touchés par une crise nationale. Le petit document que la Fondapol fait passer : « Un an de populisme italien » d’Alberto Toscano est enrichissant. On y voit que le populisme italien est quelque chose de très mouvant dans ses thèmes et sa composition; ce qui montre une fragilité territoriale italienne. "


Mazarin l’italien 

"Je voudrais recommander un livre paru en janvier 2018, « Mazarin l’italien », d’Olivier Poncet. C’est un livre très intéressant qui insiste beaucoup sur tout ce que Mazarin doit profondément à l’Italie, à son rapport avec le Saint-Siège. On voit que depuis Jacques Coeur, qui a compris dès le milieu du XVème siècle que c’est vers là qu’il fallait s’orienter, ce feu d’artifice de génie absolu en Mazarin qui se termine avec lui puisque qu’après ça sera la Cour d’Espagne. "


Barbarossa. 1941 La guerre absolue.

"Je recommanderai moi aussi une lecture qui n’est pas optimiste, mais qui est une fantastique chose, je le brandis car il est énorme (956 pages écrites en tout petit). Les six mois d’invasion de la Russie soviétique par la Wehrmacht. C’est décrit comme le semestre le plus létal de l’histoire de l’humanité : 5 millions de morts. La minutie du livre est parfaite, elle montre l’horreur de la violence centrifuge nazie, et de la violence centripète stalinienne. Les deux régimes et leurs projets déments sont décrits de manière hallucinante."


Les Compromis

"Tout le monde s’interroge sur la façon de s’intéresser à l’Europe et notamment au Parlement européen à la veille d’élections qui auront lieu le 26 mai. Je voudrais pour cela vraiment recommander le livre de deux gaillards qui sont plein de talents : Maxime Calligaro et Eric Cardère, qui viennent de produire un roman policier qu’ils ont intitulé très justement « Les compromis » ce qui est vraiment la base du travail au Parlement européen et préfacé par Cohn Bendit. C’est un livre très élégamment écrit. On y voit cependant des crimes abominables avec des rapporteurs du Parlement européen qui sont précipités dans le vide. C’est une trame de présentation de la vie du Parlement européen. Pour avoir travaillé pendant des années à cet endroit, je peux vous dire que c’est une illustration certes, très caricaturale de ce qu’est la vie réelle en ces lieux, mais si vous voulez savoir ce que feront vos députés quand vous les aurez élus vous avez tout à fait intérêt à lire ce livre. "


La voiture et les "gilets jaunes"

"Je voudrais recommander l’article paru dans la revue Étude d’Hervé Le Bras : « La voiture et les "gilets jaunes ». Il montre que c’est véritablement le rôle de la voiture qui est au cœur de la colère des gilets jaunes. Il montre par exemple que le nombre de foyer qui ont deux voitures est complètement indépendant du niveau de richesse. Ce n’est pas un indice de richesse mais de nécessité. Il montre la place décisive du budget de la voiture sur le pouvoir d’achat. Il montre à quel point nous avons été aveugles face à cet élément décisif. Il fait deuxièmement une analyse sur le Front national à travers la voiture en montrant que le Front National se développe des villages regroupés et de champs ouverts par rapport aux pays bocagés. Dans les villages regroupés, la voiture est un instrument de fuite et de non-solidarité sociale et donc ça développe le front national alors que dans les hameaux la voiture rapproche. "


David Lloyd George

"Je voudrais recommander le livre de James McCearney - professeur à Sciences Po - sur David Lloyd George qui est, je crois, un grand inconnu des Français et de l’historiographie britannique. C’est pourtant le Premier ministre qui a conduit le Royaume-Uni à la victoire en 1918. C’est un personnage très intéressant d’abord parce que c’est un Gallois des classes moyennes. Haig qui dirigeait l’armée britannique et qui était apparenté à la famille royale ne comprenait pas que l’on puisse avoir quelqu’un de si basse extraction au 10. Downing Street. Mais il a mené le combat des Britanniques à la victoire et il a, en 1910, instauré le grand budget du peuple qui est le grand budget réformiste, social dans le gouvernement auquel Churchill était associé avec un rôle essentiel dans le développement de l’Etat-Providence. Il était d’une banalité pas très attachante, relativement corrompu; il avait plus ou moins les vices des classes inférieures comme dirait Oscar Wilde. Concernant Mccearney, je dirais que c’est quelqu’un qui a publié récemment trois bibliographies : celle Disraeli, celle de Gladstone et finalement celle de Lloyd George. Ce sont les trois bibliographies qui nous manquaient, si je puis dire, aux côtés de celles de Churchill. Il faut les lire pour comprendre un petit peu mieux ce qu’est le Royaume-Uni. "


La laïcité, histoire d’une singularité française.

"Je souhaite recommander le livre de notre ami Philippe Raynaud « La laïcité, histoire d’une singularité française ». La singularité ce qui signifie que ce n’est pas une exception mais une façon française de vivre ce rapport à la laïcité. Philippe Raynaud analyse de façon éclairante la nature profonde de la laïcité et éclaire deux débats. D’abord le débat sur l’origine en expliquant que la laïcité n’est pas liée à l’effondrement libéral de l’État mais peut-être aussi d’une toute puissance de l’Etat. En effet, en France ce sont les guerres de religion qui ont entrainé simultanément par Henri IV l’affirmation du pouvoir absolu et la tolérance religieuse. C’est d’ailleurs l’esprit qui habita Hobbes lors de la refondation du Léviathan. C’est intéressant de voir que, de ce point de vue là, le renforcement de l’Etat est gage d’une liberté. "


Le rapport de la fondation Schuman - l’Etat de l’Union 2019

"C’est toujours un document extrêmement intéressant à plus d’un titre : beaucoup ed chiffres, d’informations, de faits et d ‘opinions. Ce que je voudrais signaler c’est que c’est une fondation qui associe très profondément les français et les allemands notamment Monsieur Wolfgang Schauble qui était membre du conseil d’administration. On entend dans ce rapport une voix nouvelle avec notamment un article de Madame Françoise Grossetête qui a été longtemps membre active du PPE, vice présidente du groupe et active comme parlementaire. Elle écrit un article sur Madame Merkel et l’Europe et y décrit la façon dont Madame Merkel a toujours cultivé une image de bonne européenne tout en cachant un très grand immobilisme allemand. Le discours de Bruges de Madame Merkel en 2010 est un discours très hostile au communautarisme européen. C’est un exemple assez intéressant du malentendu qui se creuse entre les français et les allemands notamment à l’intérieur du PPE; malentendu qui s’il n’est pas résorbé conduira à de sérieuses déconvenues au sein de l’Union. "


Démocraties sous tensions

"Je voudrais recommander l’étude de la Fondapol : Démocraties sous tensions. C’est une étude de tous les problèmes démocratiques qui affectent les pays occidentaux. C’est un exercice conduit par Dominique Reynié avec sa fondation qui est remarquable. Ce qui est notamment très inquiétant ce sont les problèmes de rapport entre les générations. On voit bien que derrière la crise de démocratie il y a un problème de capacité des personnes de ma génération à transmettre les valeurs avec lesquelles ils ont vécu. Je n’aurais jamais cru cela possible mais Dominique Renié l’explique. "


"Je voudrais signaler mon profond désarroi sur les deux décisions qui viennent d’être prises par le Conseil constitutionnel sur la proposition de référendum sur la privatisation de l’aéroport de Paris et sur la loi PACTE. Je vous épargnerais le détail juridique mais il me parait absolument clair que ces deux décisions vont complètement à l’encontre de l’article 11 de la Constitution. La révision prévoyait très clairement qu’il ne fallait pas organiser la concurrence entre le pouvoir parlementaire et le pouvoir référendaire. la question de la privatisation devrait relever du Conseil constitutionnel et non du référendaire. "


Commando Kieffer

"Je voulais d’abord rendre hommage à Emmanuel Macron d’avoir rendu hommage comme il faut aux soldats du commando Kieffer durant le débarquement. Ils ont été les grands oubliés et les victimes de balles perdues entre De gaulle et les anglo-américains puisque De Gaulle a considéré que le D-day était un non-évènement car la France n’y était pas associée et lui-même pas non plus. Je trouve que c’est très bien que l’on ait ces héros trop longtemps rendus à la vie civile et au néant. J’ai une reconnaissance personnelle à Lord Lovat. C’est l’homme qui a dirigé le commando contre la batterie 813 qui a verrouillé l’accès du port de Dieppe lors du raid de Dieppe. C’est la seule opération réussie lors de l’opération Jubilé qui a été un fiasco complet et je lui en suis tout à fait reconnaissant car la commandantour qui commandait cette batterie c’est ma maison actuelle et s’il n’avait pas réussit je n’aurais pas eu de maison; vive Lord Lovat ! "




Commentaire n°167

"Je vais recommander quelques articles de la revue Commentaire. Le numéro d’automne 2019 est très intéressant, mais je voudrais insister sur deux articles. L’un de ma collègue au Parlement Olivia Grégoire, qui analyse l’articulation entre le mouvement des Gilets Jaunes et la gestion politique du premier semestre 2019. Et deuxièmement puisque, à travers le deuil de Jacques Chirac, nous sommes en pleine analyse de l’ancien monde, il faut lire l’excellent article de Jérôme Jaffré que Philippe avait déjà recommandé : « Rocard et Mitterrand : l’échec de l’ouverture ». C’est une analyse extrêmement documentée, précise, subtile d’un moment très rare dans l’histoire récente de la gauche française : celui d’une certaine complicité dialectique entre Rocard et Mitterrand, qui sont les deux personnalités les plus opposées qu’on puisse imaginer."


La maison de Balzac

"Un cri d’indignation tout d’abord, contre tout ce qui arrive à ma rue, la rue de Trévise, Bloquée pendant des mois à cause de travaux, puis interdite, il devient de plus en plus difficile de la quitter ou d’y entrer. Ma voiture a été séquestrée dans son parking pendant cinq jours, mon immeuble est animé de tremblements fréquents, le téléphone est interrompu, une alerte au gaz nouvelle a été déclenchée il y a quelques jours ... Je pense qu’en toute logique, l’immeuble devrait exploser le jour de la réélection de Mme Hidalgo. Je voudrais tout de même signaler une initiative heureuse de la maire de Paris : la réouverture de la maison Balzac, rue Renoir, où l’on a réaménagé le tout petit domicile de Balzac, qui n’occupait que le premier étage. C’est un endroit merveilleux, et très animé puisqu’il accueille actuellement une exposition sur l’illustrateur Grandville, une animation ce dimanche sur les chansons de Béranger ... "


Toutes fenêtres ouvertes

"Je voudrais évoquer la disparition d’une amie, fidèle de cette émission, Georgette Elgey. Je voudrais saluer en elle plusieurs choses. Une mémoire exceptionnelle tout d’abord, qu’elle mit au service de son travail de journaliste et d’historienne. Sa monumentale histoire de la IVème République est fantastique, et formidablement éclairante. Sa bienveillance et sa tendresse méritent également d’être saluées, ainsi qu’un exploit, qu’elle raconte dans ses mémoires : quand elle fut menacée de ne pas pouvoir franchir la ligne de démarcation, avec toute sa famille, elle réussit, d’une façon qu’il serait trop long de raconter ici, à ne pas être déportée, mais aussi à déporter tout le régiment qui aurait dû la déporter. "


Aristide Briand

"Briand est un libéral au sens plein du terme, c’est à dire venant de la gauche, qui n’a jamais opposé le libéralisme à la gauche, qui a conçu la loi de 1905 sur la laïcité. L’Europe, la paix, la civilisation ... tout cela finira tragiquement, puisque Briand meurt à peu près au moment où Hitler arrive au pouvoir, mais c’était une personnalité extrêmement attachante, politiquement très savoureuse. Il passait pour ne rien connaître et tout comprendre, et il disait de lui-même : « je suis d’une ignorance encyclopédique »."


Dictionnaire amoureux de la diplomatie

"Je voudrais reprendre et prolonger la présentation qu’avait faite François de l’excellent livre de Daniel Jouanneau : le dictionnaire amoureux de la diplomatie. Rentrer dans la diplomatie, c’est toujours assez difficile, et là, le mécanisme du dictionnaire fait qu’on picore agréablement, on apprendénorméement de choses, c’est bourré d’anecdotes, j’ai notamment appris que la citation que je croyais être de Clémenceau était en fait de Philippe Berthelot, à propos d’Aristide Briand : « Poincaré sait tout mais ne comprend rien, Briand ne sait rien mais comprend tout ». Je ne résiste pas au plaisir de citer la lettre par laquelle Louis XV a congédié le duc de Choiseul : « mon cousin, le mécontentement que me causent vos services me force à vous exiler à Chanteloup, où vous vous rendrez dans 24 heures. Je vous aurais envoyé beaucoup plus loin, si ce n’était l’estime particulière que j’ai pour Madame la duchesse de Choiseul, dont la santé m’est fort intéressante. Prenez garde que votre conduite ne me fasse prendre un autre parti. Sur ce, je prie Dieu, mon cousin, qu’il vous aie en sa sainte garde » "


Un souvenir

"Je voudrais évoquer un souvenir. Nous avons discuté dans l’émission la chute du mur et la libération de l’Europe centrale et orientale, c’est sans doute le grand évènements pour les gens de ma génération. Je l’ai moi-même vécu lors d’un voyage que nous avions fait avec ma femme Angéline et Simone Veil. Nous étions allés en Hongrie, au moment où celle-ci changeait complètement de visage. Nous avions été accueillis dans le château des Brunszvik, à Martonvásár, dans lequel Beethoven vécut un temps, (il y eut même une histoire amoureuse qui comme à son habitude, fut désastreuse). Nous avions donc été accueillis à la nuit tombée par un quatuor de Beethoven, dans une atmosphère absolument romantique. C’est l’image la plus forte que j’ai eue de la réintégration de « l’Europe kidnappée » dont parlait Kundera, pour moi qui n’étais pas à Berlin lors de la chute du mur. Il y avait, avec Simone Veil qui avait vécu l’horreur de la seconde guerre mondiale, une façon de boucler là toute l’histoire. C’est là le moment pivot de mon histoire personnelle concernant le sujet d’aujourd’hui. "


La laïcité : histoire d’une singularité française

"Philippe Raynaud vient de recevoir le prix jeanzé, qui récompense les ouvrages porteurs de valeurs républicaines. Les gens ne se précipitent pas pour lire des lives de ce genre, mais ils ont tort. Je ne suis pas entièrement d’accord avec tout ce que dit l’auteur, je trouve qu’il sous-estime la matrice chrétienne de la laïcité, mais il montre quelque chose de tout à fait essentiel : le lien entre l’établissement du pouvoir absolu à partir d’Henri IV et la laïcité, c’est à dire ce moment où le pouvoir politique s’affranchit de toute tutelle religieuse, pour devenir lui-même l’ordonnateur du jeu politique, à la place de l’Eglise. C’est une histoire très intéressante, qui aboutit aux grandes polémiques d’aujourd’hui. Vu l’importance centrale des problèmes liés à la laïcité dans notre pays, c’est un livre que tout le monde devrait lire."


Hommage à James Mc Cearney

"James Mc Cearney était un ami très cher, mort d’une crise cardiaque. C’était un professeur de langues à Sciences Po extrêmement apprécié de ses étudiants. Il a écrit plusieurs livres à propos du Royaume-Uni, notamment trois biographies, de Disraeli, de Gladstone et de Lloyd George, qui éclairent très largement le passé de ce grand peuple un peu en suspens aujourd’hui. Il était en train d’écrire une biographie de Walter Scott, qui aurait certainement été passionnante. C’était un garçon arrivé en France à 18 ans, issu d’une famille ouvrière de Glasgow, qui écrivait ses livres dans un français absolument impeccable et d’une rare élégance. Je voudrais saluer sa mémoire et vous inviter à lire ses livres."


Amis Américains

"Je voudrais signaler ce magnifique -et énorme- volume, qui vient d’être réédité pour la deuxième fois, de notre ami Bertrand Tavernier sur les amis américains. L’auteur est indiscutablement un de nos plus grands réalisateurs, c’est aussi l’homme de France qui connaît le mieux à la fois le cinéma américain et l’Amérique elle-même, son Histoire, ses guerres, etc. Il s’agit ici d’un énorme volume, admirablement iconographié, c’est une série d’entretiens avec tous les Américains du cinéma que nous aimons. Au moment où l’Amérique offre, au moins sur le plan politique, un visage assez déplaisant, il est excellent de se remonter le moral à travers ce livre, pour voir à la fois ce qu’apporte l’Amérique au cinéma, et ce qu’un regard aussi perçant, aigü et généreux que celui de Bertrand Tavernier peut en tirer. "


La liberté d’enseignement et les projets de loi de M. Jules Ferry

"Mon ami Stanislas de Laboulaye qui a exercé plusieurs postes diplomatiques importants, m’a signalé une oeuvre que j’aurais dû connaître depuis très longtemps, celle de son trisaïeul Edouard Laboulaye, un quasi contemporain de Tocqueville, qui a contribué à faire construire la statue de la liberté. Son livre montre que le monopole de la collation des grades par Jules Ferry, la nationalisation de l’université est une erreur profonde. Si l’université est si malade encore aujourd’hui, c’est à cause de ce mauvais choix (le seul je crois) de Jules Ferry. "


Giraudoux l’humanisme républicain à l’épreuve

"Je retombe en adolescence en recommandant deux livres, directement inspirés par des camarades de classe. Le premier est d’André Job, qui a consacré une grande partie de sa vie à l’étude de Giraudoux, il montre notamment quelque chose de tout à fait intéressant : l’auteur a été victime du fait d’être mort avant la libération, ce qui fait qu’on lui a accolé une image de désinvolture qui l’a écrasé, alors que toute son œuvre est en réalité empreinte d’une tension, d’une inquiétude et d’un tragique qui sont très forts. Ce livre réhabilite la place de Giraudoux dans l’Histoire, il n’a pas été le chantre précieux de la IIIème République qu’on a voulu faire de lui. "


Célébrations londoniennes du Brexit

"Je voudrais simplement exprimer mon désarroi devant les festivités londoniennes de vendredi à propos du Brexit. J’ai une ami dont le jeune fils (environ 10 ans) regardait les émissions sur le Brexit et a fondu en larmes pendant une heure, simplement parce qu’il a vu une tête de mort sur le drapeau européen, a senti une hostilité très profonde à l’encontre des Français Le journaliste de l’émission qu’il regardait, sur CNews (et à laquelle je participais) s’est fait taper dessus parce qu’il était Français, au moment de prendre l’antenne. C’est très impressionnant de voir cette charge d’hostilité. L’idée même de fêter un divorce ne viendrait à personne. Il y avait là une dimension humaine très profondément angoissante et tragique. Je crois qu’heureusement, ces comportements restent très minoritaires au Royaume-Uni ; je n’ai jamais vu plus intelligent qu’un Anglais pro-européen, et on a vu à cette occasion quel désastre était un Anglais anti-Européen. "


Note de l’Institut Montaigne par Éric Chaney

"Je voudrais recommander la note publiée par l’Institut Montaigne, que l’on doit à un très bon économiste Eric Chaney, sur comment l’Europe peut faire basculer le monde vers la décarbonation. C’est une défense et une illustration de la taxe carbone, d’un système d’ajustement comportant beaucoup de variables. C’est très éclairant dans le débat actuel. On a là un véritable choix politique. Parmi toutes les mesures proposées pour lutter contre le réchauffement, Chaney nous dit qu’il y a là une voie décisive, plus importante que les autres. C’est en outre un choix libéral. Au lieu « d’emmerder les Français » (comme aurait dit le président Pompidou), on crée une situation économique qui amène les acteurs économiques à modifier leur comportement. C’est aussi un choix géostratégique : nous ne sommes responsables « que » de 10% des émissions de carbone, mais entant que marché, l’Europe est décisive. Dès lors que l’Europe mettra en place un système qui oblige les importateurs de biens étrangers à se comporter vertueusement, elle aura le moyen de cesser d’être impuissante. "


L’alerte démocratique

"Je profite du fait que nous faisons une émission sans Nicolas Baverez pour recommander son dernier livre. C’est une analyse de la crise des valeurs que nous vivons. Il y analyse très bien les rapports avec les années 1930, les différences, la montée du populisme, et propose des solutions, qui sont classiques. Mais deux choses me paraissent importantes : d’abord il sonne le tocsin, et nous fait comprendre que le populisme n’est pas qu’une protestation lointaine mais une menace réelle et très présente. Ensuite, il insiste sur quelque chose qui me paraît très vrai, à savoir que le fond de l’affaire est le ressort moral. Il cite Périclès : « se reposer ou être libre, il faut choisir ». J’ai l’impression que le repos est une tentation forte. Nicolas Baverez place tout son livre sous le patronage de Ionesco et du monologue final de Rhinocéros, dans lequel Bérenger finit par déclarer : « je suis le dernier homme »."


Le cas Richard Jewell

"Je veux saluer l’œuvre d’un très grand représentant de l’ancien monde : Clint Eastwood, en recommandant son dernier film. Il est absolument parfait. Les acteurs, dont la formidable Kathy Bates, et surtout Paul Walter Hauser, obèse de 35 ans jouant un vigile un peu simplet très dévoué à l’intérêt général, et victime d’une espèce de complot du FBI. C’est un formidable film sur la machine à broyer l’héroïsme ordinaire, sous la double pression de la presse et du gouvernement. Sur le FBI, il faut saluer ce film, le premier qui n’a pas l’air écrit par quelqu’un qui y travaille. L’agence n’en sort pas grandie."


Deux remarques ...

"Je ne peux pas m’empêcher, en entendant évoquer Pierre Hassner, de repenser au cadeau de mariage qu’il m’avait fait : une gravure tirée de Monsieur Prudhomme où figurait la formule célèbre et tout à fait d’actualité : « le char de l’état navigue sur un volcan ». Enfin, à propos de Somerset Maugham, j’aimerais rappeler son admirable définition du roman. « Un bon roman doit comporter de la religion, du mystère, du sexe et de l’aristocratie. L’exemple même de la phrase romanesque est : Ciel ! dit la Comtesse. Je suis enceinte ! Mais de qui ? »"


La non-publication des mémoires de Woody Allen

"Je suis scandalisé par le sort réservé aux mémoires de Woody Allen par les éditions Hachette. Il s’agit purement et simplement d’une censure, au nom de l’indignation supposée d’un certain nombre de gens, et ce malgré les excuses absolument pas crédibles prétextant que les raisons de cette décision sont purement commerciales. Je crois que cela pose deux problèmes. D’abord : doit-il y avoir un rapport entre une œuvre publiée et la moralité de son auteur ? De François Villon au Caravage, il semble que non. Je rappelle qu’andré Gide disait qu’on ne faisait pas de littérature avec des bons sentiments. Ensuite : qui doit juger ? Woody Allen doit-il être jugé par des juges ou des justiciers ? Selon quelle procédure ? Est-il essentiel de commencer par lui interdire de parler ? On avait cela à un certain moment, cela s’appelait les décrets de Prairial, et ce n’était pas une bonne idée. "


Disparition de Nicolas Alfonsi

"Je voudrais rendre hommage à ce sénateur de la Corse, Nicolas Alfonsi, qui vient décéder, du coronavirus d’après ce que j’ai compris. C’était quelqu’un que j’ai bien connu, élu radical de gauche en 1981, puis chevènementiste, moins par hostilité à l’idée européenne que par hostilité au nationalisme corse. Nicolas Alfonsi a été un formidable patron du conservatoire du littoral en Corse. Il a, avec ténacité, clairvoyance, et un grand courage politique, constamment tenu tête à toutes les formes de mafias, et a grandement contribué à ce que le littoral corse soit encore aujourd’hui largement préservé, et nous hideusement défiguré comme peut l’être celui de la Côte d’Azur. Il a bien mérité, de la « petite patrie » comme de la grande. "


Disparition de Patrick Devedjian

"Je voudrais dire quelques mots sur la mort de mon ami Patrick Devedjian. Ce fut pour moi une douleur personnelle, puisque nos deux familles étaient profondément liées et qu’il il m’avait beaucoup accompagné lors de la disparition de mon épouse. Deux choses frappaient chez lui, d’abord une extraordinaire juvénilité d’apparence, avec ce regard pétillant de malice, qui rend plus difficile encore l’acceptation de sa mort. Mais au-delà de cela, je voudrais dire qu’il était l’un des rares hommes politiques à avoir authentiquement mis au coeur de ses priorités la culture, l’art, la musique. Ce qu’il a fait dans les Hauts-de-Seine pour la Seine Musicale, ou le concours qu’il n’a cessé d’apporter aux formations orchestrales de Laurence Equilbey, cela témoignait d’une vraie conviction personnelle. Il était de ce point de vue une espèce de prince de la Renaissance, un héritier de l’Orient également, quelqu’un qui considérait que la vie collective était faite pour aboutir à la beauté. En ces temps difficiles où l’on a une conception très dégradée de l’engagement politique, il me semble que cet idéal, qu’il a porté très haut, mérite d’être salué."


Le testament européen d’Helmut Schmidt

"Nous sommes assaillis de films et de rétrospectives sur le fin du IIIème Reich et l’Europe à la Libération. Je voudrais pour ma part vous recommander ce discours que je viens de relire, et que je trouve admirable. Tous les enfants de France et d’Allemagne devraient avoir connaissance de ce texte. Helmut Schmidt fut sans doute le chancelier allemand qui poussa le plus loin l’engagement européen, il fut non seulement très actif, mais aussi réfléchi et ce discours prononcé au congrès social-démocrate de Berlin en 2015. C’est un récit des responsabilités de l’Allemagne, de ce qu’elle peut faire, de ce qu’elle doit faire, de son rôle passé, présent et futur. C’est pour tous les Européens quelque chose d’enthousiasmant, au moment où l’on voit le Conseil Européen condamné à faire des politiques au jour le jour, cette vision à long terme, rigoureuse moralement et construite intellectuellement est un vrai plaisir. "


Hommage à Robert Poujade

"Le confinement a eu des effets graves sur mon approvisionnement en journaux, ce qui fait que je n’ai pas appris le décès, début avril, d’un homme qui a beaucoup compté pour moi : Robert Poujade. Il faut saluer sa mémoire, car c’était un homme politique comme on n’en verra plus, et qui à mon avis faisait honneur à la société politique. C’était un littéraire, normalien, il croyait à la puissance des mots. Gaulliste d’après-guerre (puisque trop jeune pour être résistant). Il était extrêmement brillant, c’est lui qui a créé le ministère de l’environnement, à une époque où cette problématique était extrêmement difficile à faire entendre. C’était un précurseur, dont la mémoire doit être saluée, ainsi que l’esprit. Pendant le mandat du président Giscard, alors que Chirac s’impatientait, il m’avait décrit ce dernier de façon remarquable : « Le problème de Jacques Chirac est qu’il est habitué à vivre dans une république où les présidents ne finissent pas leur mandat ». C’était le genre d’observation distante et ironique dont cet homme était capable. "



Chateaubriand Poésie et Terreur

"Je voulais moi aussi évoquer la disparition de Marc Fumaroli. Dans son Chateaubriand, il a écrit une comparaison entre Chateaubriand et Tocqueville, absolument admirable. Et encore plus pour moi, puisque mon mémoire de maîtrise portait sur le même sujet. Quand j’ai lu le texte de Fumaroli, je me suis dit « voilà tout ce que j’aurais dû faire si j’avais eu du talent ». On voit ce qu’un grand universitaire peut faire de magnifique quand il s’empare d’un tel sujet. Il y avait chez lui une rigueur, un luxe de détails et de nuances qui mérite vraiment d’être salué. "


Les émotions

"Je me suis remis à une activité que j’ai délaissée depuis longtemps : lire un roman. Je viens de commencer ce livre de Jean-Philippe Toussaint. C’est sur la communauté européenne, sur le Brexit, et cela s’appelle pourtant les émotions ! Si ce n’est pas oxymorique, d’avoir des émotions dans ce système européen si technique ...! Tout repose sur cette mise en parallèle de deux destins : celui d’un homme dont le couple se brise, et le Brexit. Il y a une trame d’aventure romanesque sur un fond de structure technocratique européenne."


Une réaction à l’actualité

"Je voudrais vous faire part de l’effroi que j’ai ressenti en écoutant Geoffroy de Lagasnerie au micro de France Inter. Tout à fait glaçant. Entendre un homme qui se réclame de la justice, du progrès et qui se dit du « bon côté » tenir des progrès pareils ... Une récusation de la complexité, et un éloge de la « pureté », autrement dit le refus du compromis, de l’altérité, du métissage ... Une récusation du débat, de l’intelligence. Il le dit clairement : le respect de la loi ne fait pas sens pour lui (au passage, c’est tout à fait contradictoire car il reproche au préfet de Paris ses nombreuses condamnations, or ces condamnations sont bien le fait de la loi ...). Enfin le côté auto-référencé de son discours. La journaliste lui demande ce qui l’autorise à imposer son point de vue, et il répond : « c’est moi ». Il puise en lui-même la légitimité d’imposer son point de vue à tous les autres. On est donc dans le complet refus de la cité. Un monde dans lequel on nie la complexité, la civilité et la cité sera proprement invivable. "


Trump ou Biden

"Je voudrais recommander l’étude de Michel Duclos publiée par l’Institut Montaigne en début de semaine. A quelques jours de l’élection américaine, cet état des lieux des possibilités de la relation transatlantique est très intéressant. L’étude est très fine et nuancée, elle montre qu’il ne faut pas se faire d’illusion sur un « coup de rein » de l’Europe si Trump est réélu. Si c’était le cas, plus aucune des mauvaises tendances de Trump ne serait contenue. Quant à Biden, il ne représenterait pas un changement si drastique (à part dans la forme, évidemment) ; globalement les intérêts du parti Démocrate ne conduiront pas à des relations très faciles. Michel Duclos propose quelques solutions pour donner au débat euro-Atlantique une dimension nouvelle et des enjeux différents. "


Le risque populiste

"Je voudrais prolonger notre discussion sur les Etats-Unis en vous proposant de prendre connaissance de la troisième vague de l’étude réalisée par Fondapol sur le risque populiste. Ce qui se passe aux Etats-Unis pourrait aussi concerner la France, où nous sommes également menacés d’une subversion populiste. A ce propos, j’aimerais réitérer un appel, qui n’a jamais été entendu jusqu’ici, mais qui me paraît important. J’aimerais que soit retiré de notre Constitution l’article 16, qui permet au président de la République la possibilité de s’adjuger les pleins pouvoirs de façon quasiment unilatérale en cas de troubles importants. Cet article permettrait, en cas de victoire d’un leader populiste, de subvertir la République. Il faut modifier notre Constitution pour en éliminer l’article 16 ! Je lance cette bouteille à la mer."


Jean-Jacques Rousseau

"J’ai passé ma semaine sur Le Contrat social de Rousseau. Je suis assez critique sur certains concepts comme la volonté générale, mais je tenais à dire à quel point j’ai été émerveillé de retrouver ce penseur. Rousseau est très mal connu. Ce n’est pas un utopiste, il est très lucide. Ses conclusions sont peut-être contestables, mais son honnêteté intellectuelle est indéniable. On ne sait pas très bien quelles conclusions il faut tirer de la lecture de Rousseau, mais on sait qu’elle a profondément modifié notre façon de voir. C’est un peu comme la lecture de Pascal, c’est un auteur dont la profondeur est immense. Il n’est pas suffisamment lu. Lisez Jean-Jacques Rousseau !"


Exception française

"Je vous recommande ce livre, dont le sous-titre donne le ton : « histoire d’une société bloquée de l’Ancien Régime à Emmanuel Macron ». Il est signé de Jean-Philippe Feldman. L’ouvrage est très documenté, il s’appuie sur une très grande culture, dans la grande tradition tocquevillienne de ceux qui aiment leur pays mais n’en aiment pas l’histoire, lui reprochant d’être jacobine, protectionniste et insuffisamment libérale. Je lui ferais néanmoins deux reproches : Emmanuel Macron est abordé trop brièvement. Il n’y consacre que quatre pages et c’est très insuffisant. Ensuite, il me semble que la seule façon de dépasser ce blocage français est de faire une synthèse entre une tradition étatique et une tradition libérale. "


Sept jours

"Je vous recommande ce livre d’Emmanuel de Waresquiel paru il y a déjà quelques mois. Il s’agit du récit de la semaine du 17 au 23 juin 1789. L’auteur pense, comme François Furet, que la Révolution a duré très peu de temps. Mais pour Waresquiel, tout a irrémédiablement changé en l’espace d’une semaine. Entre le moment où le Tiers-Etat se proclame Assemblée Nationale le 17 juin et la formule de Mirabeau sur la volonté du peuple et les baïonnettes le 23, tout est joué. Ce livre est aussi intéressant pour deux raisons. D’abord on voit la France faire le choix inverse de celui qu’elle semble faire aujourd’hui : des gens organisés par classe s’égaillent en devenant citoyens. Ensuite, le ton de la chronique est saisissant. C’est comme si vous y étiez. On a souvent mythifié cette évènement, ici on sort du mythe et on va y voir de près. Cette lecture peut redonner le gout de l’Histoire à des Français en train de le perdre."


Apocalypse cognitive

"Je voudrais vous parler d’un auteur que nous avons reçu ici, Gérald Bronner, qui vient de publier ce livre que vraiment, je crois très important. L’auteur nous dit que notre avenir dépend de notre capacité commune à préférer les bénéfices à long terme aux gratifications immédiates. Mais cela commence par le domaine cognitif, dans l’articulation de la production et de la transmission des connaissances. Selon Bronner, beaucoup de choses nous conduisent à privilégier ce qu’il appelle « les friandises cognitives », comme par exemple les jeux vidéo. C’est une sorte de cambriolage attentionnel dont nous sommes les victimes. Cette apocalypse cognitive tient à une situation décrite par les neuroscientifiques comme un déséquilibre entre le cortex préfrontal, siège des connaissances rationnelles et de leur quête à long terme, et le striatum, siège des gratifications immédiates. Le rôle de ce dérèglement cérébral est fondamental quand nous faisons des arbitrages erronés. La révolution numérique y contribue grandement."


Le nombre et la raison

"Je vous conseille la réédition d’un livre paru il y a une vingtaine d’années, de Patrice Gueniffey. L’ouvrage traite des procédures électorales pendant la Révolution française, un sujet très peu étudié. Le livre présente deux intérêts particuliers. D’abord il est précédé d’un avant-propos qui éclaire les relations entre Patrice Gueniffey, grand historien de droite, désinvolte, nonchalant et étranger aux mœurs universitaires, et François Furet, qui deviendra son disciple. Ensuite, il y a la thèse du livre, qui est très intéressante. Elle montre que la façon dont les élections étaient organisées pendant la Révolution niaient toute forme de démocratie directe, de débat programmatique, voire de candidature. C’était un bizarre creuset, ne pouvant en aucune façon servir d’alternative crédible au droit divin monarchique. Et on décèle dans ces imperfections électorales l’une des origines du malaise démocratique français tout au long du 19ème siècle et d’une partie du 20ème."


Savoir pour pouvoir

"Je voudrais signaler ce livre d’un de mes collègues parlementaires, député de la Haute-Marne, François Cornut-Gentille. L’auteur et moi vivons le même problème, qu’il qualifie très justement de « mystérieuse disparition de la force de gouverner ». Nous sommes les législateurs des limbes, nous avons le sentiment que face à des problèmes très durs et complexes, nous faisons des lois, certes bien intentionnées, mais qui globalement ne répondent pas aux besoins fondamentaux du pays. Je partage son diagnostic, mais au contraire de l’auteur, je ne me risquerai pas à proposer des solutions. Lui pense qu’il faudrait créer une assemblée dont la seule fonction serait d’établir des diagnostics. Je pense que le problème est bien plus profond que le simple diagnostic, mais le livre met malgré tout le doigt sur quelque chose d’essentiel. Le malaise des parlementaires est à l’égal de celui de l’opinion. "


Hommage à Bertrand Tavernier

"Je voulais moi aussi dire un mot de Bertrand Tavernier, avec qui j’étais en profonde familiarité intellectuelle. Si j’essaie de comprendre ce que j’aime en lui, indépendamment de son talent et de son œuvre, c’est que c’était profondément un homme de gauche, avec l’engagement, les passions, l’exigence et la générosité que cela implique. Et en même temps, il avait la compréhension d’un tas de choses que la gauche ignore ou néglige habituellement. Nul n’a aimé ou compris l’Amérique comme lui par exemple. De même son regard sur la guerre n’est pas celui d’un antimilitariste primaire. C’est un amoureux de la paix, mais qui comprend pourtant la psychologie militaire avec une finesse remarquable. Et puis l’Histoire. Voilà un homme qui savait que le présent sortait du passé. Qu’il parle de la Régence, de la guerre de 14-18 ou de l’histoire du cinéma. Ce sont là des grandes vertus d’un homme de droite, et elles ont été portées par un homme profondément à gauche. "


Guerres invisibles Nos prochains défis géopolitiques

"Je vous recommande le livre que vient de publier le directeur de l’IFRI Thomas Gomart. L’auteur analyse le renouvellement profond des conditions dans lesquelles se développe la politique étrangère. Pour un vieux Westphalien comme moi, c’est très éclairant. Il reste beaucoup de choses l’ancien monde, mais les enjeux sont profondément renouvelés. Les enjeux sociaux, avec l’avenir des inégalités, les enjeux naturels avec la question climatique, la révolution technologique et ses conséquences, la nouvelle course à l’espace. Tout cela est entièrement renouvelé, et les moyens de tout cela dépassent complètement ceux de la diplomatie et de la Défense, puisqu’ils s’agit des marchés financiers. L’Europe qui cherche à devenir quelque chose qui ressemble à une puissance, mais qui répugne à investir dans le domaine de la violence militaire, serait bien inspirée d’investir massivement dans cet entre-deux, qui n’est pas un « en même temps »."


Denis Mukwege

"Je voudrais vous faire part d’une expérience que j’ai vécue à la Commission des Affaires Étrangères de l’Assemblée Nationale. Nous avons reçu mercredi dernier le docteur Mukwege, prix Nobel de la paix 2018, le gynécologue connu comme le « réparateur des femmes » à Panzi, à l’Est du Congo, tout près de la frontière rwandaise. Il a organisé la prise en charge des femmes victimes de crimes sexuels, de viols notamment. Dans mon métier, on voit pas mal de crétins, de lâches, ou de gens un peu douteux. Il est rare de voir une personnalité aussi forte moralement, cohérente intellectuellement, et déterminée à faire le bien. J’ai été très impressionné. Son discours est assez simple : les viols ne sont absolument pas des « débordements », mais des actions organisées et systématiques, d’une efficacité redoutable dans la destruction des corps sociaux. Le docteur Mukwege a une approche systémique, reposant sur quatre piliers : le soin physique, le soin psychologique, les solutions économiques, et les solutions politiques et juridiques. Il insiste sur un point : si l’on ne punit pas ces crimes, on ne permet pas à ces peuples martyrisés de se reconstruire, et ils restent enfermés dans la honte. La punition est un élément essentiel de la reconquête de leur identité. C’est un message que l’Assemblée Nationale s’est engagée à relayer à l’ONU. "


D’une monarchie à l’autre

"Je vous recommande le livre d’Eric Bonhomme, qui est une histoire des institutions politiques françaises pendant les deux derniers siècles. Je remercie son auteur, qui me l’a envoyé accompagné d’un gentil mot, expliquant qu’il est l’un de nos auditeurs réguliers. Mais par ailleurs, le livre est très bon, il a la saveur des très bons professeurs qu’on a aimés avoir, qui vous expliquent des thèses très importantes. En l’occurrence, que l’immensité du logiciel monarchique pèse encore sur nos institutions républicaines, jusqu’à ce que le général de Gaulle les concilie en 1958. C’est très bien fait, cela donne une vision générale sur nos institutions, qui sera précieuse à tous."


Les Téméraires Quand la Bourgogne défiait l’Europe

"Je vous recommande l’ouvrage du Belge néerlandophone Bart van Loo. C’est un livre sur les Téméraires. J’ai toujours été attentif à la maison de Bourgogne et à ce regard un peu différent, inspiré de Malesherbes, qui décelait l’origine du malheur de la France quand la chambre des comptes imposa une loi de fer à la monarchie, et que l’école de Bourgogne avait représenté un parti de la liberté. Cela, c’est l’abomination pour Éric Zemmour, c’est l’anti-France. Mais tout cela est beaucoup plus compliqué. La querelle entre François Ier et Charles Quint n’était en somme rien d’autre que la poursuite du crime de la rue Barbette, où un bourguignon (Jean Sans Peur) avait fait assassiner le duc d’Orléans. On voit bien que les Téméraires sont un autre regard sur la Bourgogne, sur la Belgique et les Pays-Bas, absolument essentiel au cœur de l‘Europe, et qu’il ne nous est pas du tout familier. C’est décrit avec verve et un talent certain. Une autre façon de voir la branche des Valois. "


Anecdote sur Napoléon III

"Au lieu de la brève que j’avais prévue, je vais faire un petit commentaire sur le coup d’état du 2 décembre. Napoléon III avait été très soutenu par sa maîtresse britannique, Harriet Howard, qui l’avait tiré de la misère et avait financé le coup d’état ; elle fut également un formidable coup de bourse. Cela permit à Louis-Napoléon de lui écrire le lendemain : « je m’acquitte, nous sommes quittes, je te quitte ». L’autre mot est celui de Morny, ministre de l’Intérieur. Un préfet pas très averti lui envoie le télégramme suivant : « il paraît que l’Assemblée l’emporte sur toute la ligne ». Et Morny de répondre : « non c’est la ligne qui l’emporte sur l’Assemblée, vous êtes révoqué ». "


La République la force d’une idée

"J’attire votre attention sur ce livre récemment publié. Il est signé de Jean Picq, magistrat de la cour des comptes et professeur à Sciences Po, où son cours portait sur l’Etat. C’est une réflexion sur la République que je vous soumets aujourd’hui, car il me semble très important de savoir ce que nous avons en commun : la République, et non pas ce que Sieyès appelait par opposition la « Re totale ». C’est la réflexion d’un homme modéré, politiquement au centre, d’un catholique attaché à la laïcité, et qui nous donne de la République une idée ouverte de trois manières. D’une part elle n’est pas simplement nationale, et le livre montre tout ce qu’elle doit à la tradition américaine, à la tradition néerlandaise et à la tradition anglaise. D’autre part, il déconnecte la République de la Révolution française. C’est une idée qui m’est chère, que j’avais trouvée chez François Furet : la vraie République s’est construite sur la négation de la fureur révolutionnaire, dans les années 1870-1880. La troisième ouverture est sur l’Europe. Picq est de ceux qui ne posent pas comme antinomiques l’organisation de la cité nationale et de l’organisation de la cité européenne."


Le premier XXIème siècle

"Je voudrais recommander le livre de mon camarade de la Cour des Comptes, Jean-Marie Guéhenno. Je l’ai lu cet été, et trouve que la pensée est d’une complexité rare. Il y a peu de préconisations, et c’est tant mieux, mais la crise de l’Occident et de la démocratie est analysée avec une très grande finesse. Tout part d’un constat : l’Europe s’est trompée en croyant que le modèle démocratique avait triomphé, alors qu’il ne s’agissait que de l’effondrement du modèle soviétique. A partir de ce grand malentendu, il analyse toutes composantes de la crise démocratique et montre que cela va bien au delà des querelles qui nous agitent, qu’il s’agit d’une transformation de la conception même des rapports entre les citoyens, c’est à dire une société politique fragmentée, organisée dans des territoires de plus en plus virtuels, fondée sur l’identité et l’ajustement difficile entre des identités plus ou moins compatibles (d’où l’idéalisation du respect). Une démocratie profondément en panne, qui a substitué le culte des identités à l’organisation de l‘altérité et à l’organisation du bien commun. Enfin, une lecture aussi ambivalente qu’intéressante sur la Chine, dont il montre à la fois le caractère horrifique, mais aussi le modèle implicite que cela représente pour une société comme la nôtre, éperdue de discorde et de querelles."


(Re)constructions

"Je voudrais faire quelque chose de peu convenable, et vous recommander le livre de notre camarade Nicolas Baverez. On ne sera pas étonné qu’il y reprenne ses thèmes habituels, Nicolas est quelqu’un plus enclin à se répéter qu’à se contredire, mais il les met sous un chapeau tout à fait différent puisqu’il replace son pessimisme habituel dans un cadre pandémique, et relie ce choc à ceux qui l’ont précédé. Je trouve qu’il y a quelque chose d’original par rapport à ce qu’on peut lire chez les autres : Baverez montre le faux diagnostic de la démondialisation ; il explique très clairement que la pandémie n’a pas ruiné la mondialisation ; elle a affecté les chaînes de valeurs et changé certains comportements, mais en réalité la planète économique et sociale reste un tout globalisé. Le livre a l’immense mérite pour nous autres Baverezologues émérites : nous étions habitués à un numéro d’affliction à caractère national, l’auteur a désormais atteint un niveau cosmique car c’est l’ensemble de l’Occident qui est désormais touché. Son pessimisme quasiment ontologique a enfin trouvé un terrain de jeu à sa mesure."


Macron : les leçons d’un échec Comprendre le malheur français 2

"Je voulais évoquer ce livre qui n’est pourtant pas de mon bord politique. Il s’agit des entretiens entre Marcel Gauchet, Eric Conan et François Azouvi. Il y a toujours un petit soupçon de paresse derrière un livre d’entretiens, mais Gauchet est un formidable analyste, et il dissèque ici tous les problèmes du quinquennat. Ce qui me paraît particulièrement intéressant, c’est qu’à la fin du livre, il met en cause la personne de Macron, « Macron le présomptueux ». Mais ce faisant, il implique que le véritable enjeu de la prochaine élection présidentielle est la qualité de l’homme d’Etat. Je ne m’associe pas à ce que dit Gauchet, je crois Macron nettement supérieur à ses concurrents, mais à un moment où l’on déplore partout qu’il n’y a plus de querelle idéologique et qu’il faut rétablir le clivage droite / gauche, on va s’apercevoir que cette élection ne sera qu’une réédition de Balladur vs Chirac."


Éloge de M. Hubert Germain

"Ma brève est un peu tardive, mais j’en ressens profondément le besoin. La mort du dernier compagnon de la libération a été pour mes collègues de l’Assemblée nationale et moi-même un coup dur. Ce qu’il y a de formidable chez Germain, c’est une sens remarquable de ce qu’est l’action politique. Il est excessif de parler d’héroïsme à propos d’hommes politiques, ici cela ne l’est évidemment pas. La politique c’est le risque. Physique, moral, intellectuel, et juridique parfois. La politique, c’est l’acceptation de la lutte, et non le seul respect un peu gnan-gnan qui caractérise le débat actuel. J’ai eu la chance de connaître un peu Hubert Germain comme député, il y avait chez lui cette idée profonde que les hommes politiques d’aujourd’hui devraient retrouver pour rétablir un vrai contact avec le public : un homme politique n’est pas un fonctionnaire élu."


La France dans le bouleversement du monde

"Michel Duclos est un peu le spécialiste de politique étrangère de l’Institut Montaigne, c’est un ancien ambassadeur, très brillant, mais aussi un excellent observateur. Il fait une sorte de revue générale de la politique étrangère française au cours des cinquante dernières années. On sort de ce livre perplexe, non pas sur les conduites des uns ou des autres, mais sur la capacité de la France et de l’Europe à se saisir d’un rôle décisif dans l’avenir du monde. "


La force des femmes

"Je ne peux que redoubler les encouragements de Béatrice à lire le livre de M. Mukwege et à vous intéresser à son travail. Nous l’avons invité à la Commission des Affaires Étrangères de l’Assemblée Nationale, et c’est un personnage tout à fait remarquable. Nous soutenons son combat pour introduire à l’ONU la criminalisation et la poursuite de ces crimes. Ce qu’a démontré le Dr Mukwege, c’est que ces viols ne sont pas des exactions, mais une arme de destruction massive contre des sociétés. Ces violences s’attaquent à l’ordre économique, à la cohésion sociale, à la crédibilité morale. Tout cela ne peut être reconstruit qu’à la condition de poursuites pénales. Reconnaître que ces horreurs sont des crimes est ce qui peut permettre à ces femmes de cesser de culpabiliser. "


Le radicalisé Enquête sur Éric Zemmour

"Puisque M. Zemmour est toujours en circulation (même s’il commence sérieusement à battre de l’aile), je trouve que le livre d’Etienne Girard est un excellent travail journalistique. C’est fait avec nuances, sans complaisance ni trémolo moralisateur. Il s’agit d’une analyse précise de la démarche psychologique de Zemmour, de son entourage politique, philosophique et financier. Cela permet de comprendre pourquoi sa tentative est sans doute vouée à être avortée (car la dernière chose pour laquelle M. Zemmour est fait, c’est la présidence de la République) : Zemmour propose la réconciliation de deux des traditions de la droite : le légitimisme et le bonapartisme, contre l’orléanisme. Ce mélange entre la tradition contre-révolutionnaire et l’autoritarisme bonapartiste est assez redoutable. Il explique aussi sans doute le succès d’estime qu’obtient M. Ciotti. "


Roumanie Au carrefour des empires

"Je vous recommande ce livre paru dans la remarquable collection « l’âme des peuples », que dirige notre ami Richard Werly. Des livres courts, incisifs et très intelligemment faits. J’ai beaucoup apprécié celui sur la Roumanie, très justement sous-titré « au carrefour des empires ». Il est écrit par Henri Paul, un autre de mes amis, j’admets tout à fait la partialité de cette brève, mais Henri Paul a été notre ambassadeur en Roumanie. C’est un pays méconnu par la France et l’Union Européenne, alors qu’il est absolument essentiel, c’est la clef des Balkans. La Roumanie est une création de l‘empire romain, on sait que le roumain est une langue latine, mais le pays est au carrefour de la Russie, de la Turquie, de l’Europe … La France a joué un rôle très important dans la constitution de l’indépendance roumaine, à trois reprises : Napoléon III, Clémenceau, puis l’entrée dans l’UE. Edgar Quinet disait : « l’amitié de la Russie a été plus funeste aux Roumains que l’hostilité de tous les autres peuples réunis ». Cela explique beaucoup de choses, et notamment le profond Franco-tropisme des Roumains auquel nous ne sommes pas suffisamment sensibles. Au moment où la France préside l’Union Européenne, rappelons qu’il y a des choses importantes à faire avec nos amis roumains. "


Discours sur l’état de l’Union d’Ursula von der Leyen

"La présidente de la Commission Européenne a prononcé le 14 septembre son discours sur l’état de l’Union européenne. Ce n’est pas encore le discours sur l’état de l’Union du président des Etats-Unis, même s’il serait peut-être intéressant de s’interroger sur l’intérêt de ce mimétisme sémantique. Malgré tout, il est très intéressant d’entendre la présidente de l’exécutif européen prononcer au nom de l’Union Européenne un discours qui est pour la première fois pleinement et authentiquement politique. On peut trouver que c’est imparfait, mais il faut reconnaître qu’elle prend des positions très claires. Sur l’Ukraine, sur l’économie, sur la solidarité, sur l’écologie … Et en filigrane, elle appelle prudemment à un réajustement institutionnel, à la création d’une Convention. Ce discours rappelle celui du chancelier fédéral Olaf Schölz à Prague, ou ceux d’Emmanuel Macron. Je ne sais pas si cela fonctionnera, mais je crois que c’est tout de même significatif. Pour la première fois, je sens les grands Etats européens et l’institution qui leur est commune essayer de prendre en charge la dimension politique de leur entreprise. "


No demos ? Souveraineté et démocratie à l'épreuve de l'Europe

"Je vous recommande deux lectures à propos de l’Europe. D’abord ce livre de Céline Spector. Il est passionnant, car il pose le problème européen là où tout le personnel politique refuse de le poser : en termes théoriques, qu’est-ce qu’une démocratie européenne ? Qu’est-ce qu’une souveraineté européenne ? Pas seulement en termes de slogan. Céline Spector, grande spécialiste de Rousseau et de la pensée politique du XVIIIème siècle, nous donne une analyse de fond remarquable."


L’Europe changer ou périr

"Ma deuxième recommandation est un évident conflit d’intérêt, puisqu’il s’agit du livre que vient de publier notre amie Nicole Gnesotto. C’est exactement le pendant du livre de Spector, qui analyse les fondements institutionnels et idéologiques d’un projet d’union. Nicole Gnesotto nus en donne le programme, centré sur le basculement géopolitique. L’Union doit effectuer une révolution copernicienne, les peuples doivent cesser de se regarder les uns les autres pour regarder vers la planète, cesser de s’affranchir des logiques de puissance, tout en restant fidèles à leurs valeurs et au droit. L’Europe doit penser son destin comme un va-et-vient entre des valeurs et des réalités qui leur sont de plus en plus hostiles. "


Russia Today (RT)

"Je m’apprêtais à recommander le même livre que Béatrice, mais comme elle en a très bien parlé, je vous en conseille donc un autre, que je n’ai pour le moment que parcouru, mais qui m’intéresse déjà beaucoup. Il est signé de Maxime Audinet. Ce livre montre comment ce média s’est organisé, dans son personnel et dans ses choix éditoriaux, pour être un véritable instrument parfaitement docile de l’Etat russe, et parfaitement adapté à la logique poutinienne. Je cite la phrase du cinéaste Emir Kusturica, qui disait en 2015 : « la troisième guerre mondiale pourrait advenir si le Pentagone bombarde la chaîne Russia Today. Je ne doute pas que dans ce cas les Russes réagiraient en détruisant CNN. »"


Macron, le disrupteur

"J’aimerais recommander le livre d’Isabelle Lasserre, excellente journaliste au Figaro. C’est un livre intéressant, sans complaisance pour Macron, qui en dit toutes les qualités mais aussi les limites, notamment l’erreur d’analyse sur Vladimir Poutine. Le président français a cru à la possibilité d’obtenir un accord avec M. Poutine, et a fait ce qu’il fallait en ce sens. On ne peut pas lui reprocher d’avoir ignoré ou snobé le président russe. A travers ce livre, on voit une personnalité très forte, qui se construit sur le plan de la politique étrangère. Peut-être arrivons-nous au moment où il en a acquis la pleine maîtrise. S’il y a un second quinquennat, il devrait nous permettre d’avoir les avantages sans les apprentissages. "


Les voies de la puissance Penser la géopolitique au XXIème siècle

"Comme Béatrice Giblin, je suis membre du jury remettant le prix du livre géopolitique. J’avais déjà recommandé le livre des Jean-Marie Guéhenno (Le premier XXIème siècle). Finalement, c’est ce livre de Frédéric Encel qui l’a emporté. Je voulais dire à nos auditeurs que les deux livres sont excellents, et que si l’on veut avoir une bonne initiation aux données internationales, celui de Guéhenno est très original, montre en quoi ce siècle est différent des précédents, notamment par une analyse très fine du rapport à la Chine. Le livre d’Encel est quant à lui totalement d’actualité : nous sommes aujourd’hui confrontés aux exigences de la puissance. Les clefs d’analyse que nous fournit l’auteur seront précieuses pour chacun. "


Blagues du moment

"Habituellement, nous ne faisons pas de brève quand il y a une émission thématique, je n’en ai donc pas préparé. Mais rassurez-vous, je ne passe pas mon tour pour autant ! J’ai pour nos auditeurs deux blagues entendues récemment. D’abord, c’est Poutine qui, saisi d’angoisse, demande au patriarche : « mais … tu es vraiment sûr que Dieu existe ? » Réponse : « j’espère bien que non ! ». Ensuite, c’est encore Poutine, qui meurt d’une crise cardiaque. Il se retrouve évidemment en enfer. Mais l’enfer a bien changé, il y a de temps en temps des permissions. Si bien qu’après vingt ans, il a droit de retourner à Moscou pour une journée. Évidemment, en enfer, aucune communication avec le monde des vivants n’était possible, il ne sait donc pas du tout ce qui s’est passé pendant toutes ces années. Il se précipite dans un bistrot et demande : « alors ? Le Donbass ? On l’a ? » On lui répond que oui. « Ah tant mieux ! Et la Crimée ? - Oui, la Crimée aussi. - Très bien ! Odessa ? - Mais oui. - Formidable ! Et … Kiev ? - Oui, Kiev aussi. - Je suis si heureux ! Allez, une coupe de champagne ! - Bien, monsieur. Ça fera dix euros. »"


Les fractures de l’Espagne de 1808 à nos jours

"Notre ami Benoît Pellistrandi, qui a déjà participé à cette émission, a réédité une version largement enrichie de son livre sur l’Espagne contemporaine. Pellistrandi est certainement le meilleur spécialiste français de la civilisation et de la société espagnole. Les Français ont une vraie incapacité à considérer l’Histoire de l‘Espagne, hormis quelques épisodes importants, comme la guerre napoléonienne, la guerre civile et plus récemment les mésaventures de la monarchie. Tout cela est fait sur un fond d’ignorance générale, et d’un refus de prendre en compte ce qu’est l’Espagne, et sa contribution à l’Europe moderne. Nous savons qu’historiquement nous avons un rapport difficile avec ce voisin, à cause de Napoléon. Nous sommes par exemple tout à fait tournés vers l’Italie, mais l’Espagne reste essentielle. Pellistrandi nous montre les efforts qu’accomplissent les Espagnols pour intégrer l’anomalie de leur Histoire dans un contexte européen et mondial de solidarité. Ne vous contentez pas d’aller en vacances en Espagne, lisez aussi ce livre !"


Commentaires sur les brèves

"Je n’ai pas préparé de brève, je rebondirai donc sur les vôtres. Quand on regarde l’histoire des relations franco-algériennes, on s’aperçoit à quel point le vote de la loi sur les aspects positifs de la colonisation en Algérie a été à l’origine d’une rupture morale très profonde entre la population d’Algérie et l’Etat français. Le fait d’introduire un critère de valeur dans la loi, qui n’était en réalité qu’un éloge de la France, absolument pas argumenté de surcroît, a été ressenti comme une gifle par la population algérienne. A propos de la loi PLM, il y a eu des corrélations intéressantes sur les réseaux sociaux. Par exemple entre le nombre d’électeurs parisiens qui ont voté Hidalgo à la présidentielle et le nombre de cyclistes fréquentant la Rue de Rivoli. On voyait que dans les deux cas, les chiffres étaient particulièrement modestes. Pourquoi la majorité n’a-t-elle pas changé cette loi inique ? Parce que les maires de Marseille et de Lyon étaient attachés à ce système, qui bien que profondément choquant, leur avait été favorable. On voit par là que toute réforme du mode de scrutin se heurte toujours à une espèce de terreur sacrée de la part de celui qui a été élu par ce mode que l’on veut changer. Il se dit qu’il ne faut pas changer le système qui a permis son élection. Mais il se trompe : ce qui lui permet d’être élu, c’est un climat favorable, pas un mode de scrutin. Cela me rappelle ce que disait Olivier Philip, grand préfet républicain : « si vous voulez gagner une élection, faites faire la loi électorale par votre adversaire : il veut tout gagner, il perd tout »."


La République et les sauveurs

"Je vous recommande ce livre de Gérard Grunberg. L’auteur s’était déjà signalé par une allergie assez sévère à Napoléon Ier. Dans ce livre, il s’interroge sur la tendance de ce peuple (qui a guillotiné son monarque absolu) à recourir épisodiquement à des sauveurs. Il en distingue cinq : les deux Napoléon, Boulanger, Pétain et de Gaulle. Il bâtit une typologie des raisons qui mobilisent l’appel des Français au sauveur : un état de crise, le goût pour l’Etat, une attente très forte d’autorité, une proximité entre le héros national et l’armée … Il regarde tout cela avec beaucoup de méfiance. On peut cependant critiquer sa démarche peut-être trop unifiante, je suis par exemple très sceptique sur le rapprochement entre Pétain et de Gaulle, ou même entre Pétain et Napoléon. Et puis il y a toute gamme de « demi-sauveurs », comme Gaston Doumergue ou Clémenceau. Grunberg finit par s’interroger sur le cas de Macron : est-il un sauveur ? Est-il un républicain ? La Vème République a greffé l’esprit du sauveur sur la République traditionnelle avec une gamme de solutions intermédiaires, qu’on appelle le présidentialisme à la française, dont il faut reconnaître qu’il est en difficulté. Personnellement, mon héroïne est la Reine d’Angleterre : presque 80 ans d’un dévouement absolu à une inexistence politique tout aussi absolue."


Anniversaire du journal l’Opinion

"Jeudi dernier, le journal l’Opinion a célébré son anniversaire. J’aimerais le saluer, car l’affaire engagée par Nicolas Beytout n’était pas évidente. Je craignais que cela ne dure que quelques mois, or c’est un organe de presse qui a atteint une certaine vitesse de croisière. C’est un journal très intéressant, car d’un type assez particulier. Le journal de mon enfance, c’était France-Soir. On y apprenait les nouvelles. Peu à peu, on s’est informé autrement : par la télévision, les radios, internet, etc. Au point que nous sommes désormais saturés d’informations. Que devient la presse dans ce cas là ? C’est là que l’Opinion a fait un pari intéressant, puisqu’il il s’agit en quelque sorte d’une revue quotidienne. Cela donne le type d’information disponible dans une revue : un sujet creusé en profondeur. Des articles de fond, mais au quotidien. C’est un format limité, mais cela nous permet d’avoir un complément très utile au martèlement médiatique que nous vivons tous les jours. Longue vie à l’Opinion !"


En finir avec le règne de l’illusion financière : pour une croissance réelle

"Je vous recommande ce livre de Jacques de Larosière. Ce n’est pas le premier cri d’alarme que lance l’auteur, mais celui-ci est particulièrement bien argumenté, pertinent, et écrit de façon claire. Il s’agit d’une critique générale des banques centrales. Avoir accepté de leur part une politique durable de taux d’intérêt négatifs est une catastrophe à long terme, à la fois sur le plan économique et sur le plan social. Cela a favorisé un déclin de l’investissement productif, une fuite en avant dans la recherche d’actifs financiers à risque, un encouragement aux bulles, et un encouragement massif au déficit budgétaire. Il souligne les conséquences sociales de tout cela : un accroissement systématique des inégalités en Occident, au profit des 10% les plus riches qui peuvent se permettre de jouer à ce jeu. Il y a derrière tout cela un affaissement économique de l’Occident, une rupture des liens sociaux, et des risques économiques à court terme. "


Mémoires de Jean Monnet

"Je vous recommande les mémoires de Jean Monnet, qui ont été rééditées en avril dernier, augmentées de deux préfaces, l’une d’Emmanuel Macron et l’autre d’Ursula von der Leyen, ainsi que d’une postface d’Éric Roussel. Ces mémoires furent largement rédigées par François Fontaine, qui est une excellente plume. Il faut s’intéresser à Jean Monnet si l’on veut éclairer les questions européennes actuelles. Monnet combine deux qualités rares : d’une part un très grand pragmatisme, de l‘autre une confiance en des institutions, des droits et des procédures. Au moment où l’on aborde des questions comme les relations avec la Pologne ou la Hongrie, ou l’élargissement à l’Ukraine ou à la Moldavie, il est bon de rappeler qu’on n’adhère pas à l’Europe comme on entre dans un restaurant. C’est un ensemble de valeurs, de principes et de procédures, et cela se mérite. Il ne s’agit pas d’être riche, il s’agit de comprendre qu’on est dans un club de démocraties respectueuses des procédures . Ce n’est qu’à ce prix qu’on pourra organiser un rapprochement avec d’autres pays qui ne sera pas le délitement dans lequel nous nous sommes engagés dans les dernières décennies. "


Départ de Boris Johnson

"L’actualité ne m’a pas laissé le temps de lire quelque chose qui vaille d’être recommandé à nos auditeurs, mais je voulais dire un mot de la chute de Boris Johnson. Elle est très intéressante à observer, puisque nous avons là un homme qui a fondé sa carrière et son succès sur un impressionnant mélange de mensonges, de mythomanie, de caprices, de provocation, d’immoralité … Toutes les qualités nécessaires pour gérer ce choix fondamentalement absurde que fut le Brexit. Oscar Wilde disait du mariage que c’était « faire face ensemble à des problèmes qu’on n’aurait pas eus tout seul ». Le Brexit, c’est l’inverse. Boris Johnson n’a pas réussi à faire face tout seul à des problèmes qui ne se seraient pas posés si nous étions restés ensemble. "


L’ensauvagement

"Je voudrais évoquer des textes de Thérèse Delpechqui m’ont été recommandés par un haut gradé de l’armée française. C’était une personnalité extraordinaire, qui lorsqu’elle se trompait ne faisait pas les choses à moitié, pas plus que quand elle avait raison. Elle a publié ce livre, dont je vous lis deux extraits. « Vingt ans, c'est la période dont la Chine a besoin pour moderniser son armée. A cette date (2025), ses ambitions régionales pourront voir le jour et il sera trop tard pour les arrêter. La Chine ne se contentera pas d'un rôle regional, contrairement à l'Europe d'aujourd'hui. Elle se prépare à remplacer l'URSS dans son rôle de superpuissance face aux Etats-Unis et elle met beaucoup d'intelligence et de détermination dans cette entreprise. Si en 2025 le monde fait face à une Chine autoritaire, économiquement prospère et qui a le bénéfice de 30 ans de croissance de son budget militaire à un rythme annuel de 10% en moyenne - les réformes économiques permettant de financer la modernisation de l'armée - on ne pourra plus exercer la moindre influence sur elle. » Et sur la Russie : « La Russie est entrée dans une phase d'auto-destruction qui tient à la médiocre qualité des élites au pouvoir et à la dépression profonde qui a suivi l'échec des années 1990, mais peut-être aussi aux effroyables tragédies du siècle passé. Celles-ci ont des témoins dans chaque famille et le retour de l'imagerie stalinienne ne peut guère être interprété comme un simple désir de retour. L'esprit de revanche est le symptôme d'un pays traumatisé, en pleine phase de régression, prêt non à récupérer sa zone d'influence mais à perdre ce qui lui reste, avec des poussées d'agressivité impuissante. Il ne suffit plus d'inspirer la peur pour reconstruire un Etat fort. Les méthodes Andropov ont été celles d'une fin de règne et leur retour fournit une image supplémentaire du caractère réactionnaire du régime en place à Moscou. Elles peuvent broyer les contre-pouvoirs, mais ne produisent que de la destruction. La Russie est dirigée par la partie la plus imprévisible et la plus corrompue des services spéciaux. Ce qui constituait leur élite, plus éclairée et plus ouverte au monde, est écarté du président qu'elle méprise. Les services russes qui détiennent le pouvoir ont, eux aussi, connu une forme de décadence. L'urgence politique est de reconnaître la fin de l'empire et celle d'« un chemin particulier » de la Russie […] Mais l'idée même de démocratie étant associée dans la population russe aux privatisations sauvages et à la corruption de l'ère de Boris Eltsine, les rêves d'empire ne se sont pas effondrés, la désagrégation se poursuit et la catastrophe russe n'est pas encore achevée. »"


L’Académie Goncourt et le Liban

"J’aimerais faire partager aux auditeurs ma surprise et mon émotion face au comportement de l’Académie Goncourt. Je ne discute absolument pas le choix de la gagnante, mais l’Académie a accepté le diktat d’un ministre libanais Hezbollah. L’Académie souhaitait se rendre au Liban, pour témoigner de l’intérêt qu’elle porte à ce pays. Et voilà que ce ministre déclare que les éléments « jugés sionistes » (alors que simplement Juifs) ne sont pas les bienvenus. Et la moitié des membres de l’Académie est allée à Beyrouth tandis que l’autre moitié a refusé. Comme dirait la Vénus de Milo : « les bras m’en tombent »."


Aron et De Gaulle

"Notre ami Jean-Claude Casanova a décidé de faire quelque chose de très utile : regrouper les écrits épars de Raymond Aron, en les classant par thème. C’est ainsi qu’il avait publié il y a quelques années un « Marx » de Raymond Aron, qu’Aron n’avait pourtant jamais conçu comme un livre. Il vient de faire la même chose à propos du général de Gaulle. Ces deux figures ont dominé ma jeunesse, il y a une gémellité entre ces deux destins tout à fait passionnante. Aron va à Londres au même moment que de Gaulle, il est totalement solidaire du combat des alliés, mais en décalage de la France Libre. Il se retrouve directeur de cabinet de Malraux, à la Libération. Il estime comme de Gaulle et au même moment qu’il faut en finir tôt ou tard avec l’Algérie, il a cette rupture très importante sur la guerre des six jours, mais en même temps on voit bien que sa démarche est très profondément différente de celle du général. Aron est un « classique », qui veut construire un ordre international, de Gaulle est un « baroque », qui chérit le mouvement, l’instabilité, le jeu, etc. Ce sont des esprits différents, mais deux personages qui ont vraiment dominé l’après-guerre en France. "


Après tant de silences

"Ce livre écrit par Constance Guichard-Poniatowski m’a beaucoup touché. Les deux noms de son patronyme (celui de son père Olivier Guichard et celui de son mari Ladislas Poniatowski) sont déjà une espèce de « Montaigu-Capulet » entre pompidoliens et giscardiens. Si ce livre m’a ému, c’est parce qu’il parle de gens et d’un monde que j’ai bien connus. Mais en le lisant, j’ai réalisé à quel point cette époque était révolue. C’est le témoignage de la fille d’un homme, au sens traditionnel du terme, celui d’une époque où les hommes ne s’occupaient pas beaucoup de leur famille, de leurs enfants, et particulièrement des filles. Et Olivier Guichard est un homme politique, très proche collaborateur de de Gaulle et lui étant entièrement dévoué. Ce livre est très bien écrit, par une femme qui a beaucoup souffert de cette situation, de ce père qu’elle admire pourtant. J’ai beaucoup apprécié d’y découvrir tout ce que je savais déjà au fond de moi-même."


Le vote clivé

"Je vous recommande ce livre, rédigé sous la direction de Pascal Perrineau, ancien directeur du Cevipof. Les principales signatures de la science politique française y ont participé, celles qui ont fait la réputation du Cevipof et de Sciences Po. L’ouvrage nous éclaire sur un élément central : le vote présidentiel et législatif, qui nous a fait passer d’une organisation bipolaire à une organisation tripolaire de la vie politique française. Un extrait des remerciements de l’ouvrage : « Merci à Pierre Bréchon, directeur de collection aux presses universitaires de Grenoble, d’avoir accueilli 14ème volume des chroniques électorales, auparavant publiées aux Presses de Sciences Po (…), que celles-ci n’ont pas jugé bon de prolonger en 2022. » Ces mots disent tout : le meilleur de la tradition de la politologie de Sciences Po est désormais récusé par Sciences Po. Je m’inquiète qu’on ne considère pas à Sciences Po qu’un évènement politique comme celui qui est analysé dans ce livre ne soit pas digne de publication. Il y a là quelque chose de grave."


Les ambitions inavouées Ce que préparent les grandes puissances

"Thomas Gomart est un auteur que j’ai l’occasion de recommander assez régulièrement, il est aussi le directeur de l’IFRI. Ce livre m’a fait penser à une phrase de Churchill : « dans une guerre, il arrive toujours un moment où il faut s’intéresser aux intentions de l’adversaire ». C’est ce que nous rappelle cet ouvrage : la France n’est pas seule ; elle est confrontée à d’autres puissances. L’auteur en retient neuf. Certaines sont terrestres : Allemagne, Russie, d’autres sont davantage maritimes (Royaume-Uni, Etats-Unis), d’autres sont spirituelles, avec de grands enjeux religieux. Il nous faut prendre en compte cette pluralité. L’autre chose très importante que nous dit ce livre, c’est qu’à côté de notre conception des relations internationales, toujours bien intentionnée et parfois un peu gnangnan, il existe encore une politique de confrontation des plus traditionnelles, à laquelle on ne peut pas se souscrire. Ce rappel au réalisme de la confrontation est bienvenu, nous devons prendre conscience de cette altérité hostile qui entoure une grande partie des peuples européens. "


Guerre en Ukraine et nouvel ordre du monde

"Même s'il est à la retraite, Michel Duclos anime la section de politique étrangère de l'Institut Montaigne et il a dirigé ce livre que je vous recommande. Il s’agit de 22 regards internationaux après l'agression russe. C'est ça qui fait la valeur de ce livre, car la crise ukrainienne appelle des regards polycentrés. C'est précédé par une longue et très stimulante préface de Michel Duclos lui-même, qui donne la double leçon que nous pouvons d'ores et déjà tirer, bien que rien ne soit terminé de cette guerre d'Ukraine. C’est certes une résistance assez bonne de l'Occident et même de l'Europe qui, contrairement aux prévisions de M. Poutine, a réagi de façon ordonnée et responsable face à l'agression russe. Mais en parallèle et un peu en contradiction, c'est un élément clef de la marche vers la désoccidentalisation du monde. Lyautey disait en 1914, quand on lui a appris que la guerre était déclarée entre la France et l'Allemagne : « mais ils sont fous ! C'est la guerre civile ». Duclos et ses amis ne citent pas cette phrase de Lyautey, mais on a quand même l'impression d’un Occident qui se déchire face à l'émergence de représentations du monde et de l'avenir qui nous sont radicalement étrangères. C'est quelque chose de très impressionnant et je pense , pour parler comme Warren Buffett, que quand la mer se retirera, on verra que les Occidentaux n'ont pas forcément un maillot de bain."


Voyage au bout de la gauche : des guerres fratricides à la Nupes, la folle histoire d’une renaissance

"Je vous conseille ce livre de Laurent Telo. Quiconque s’intéresse à la politique française le trouvera très précieux, car il montre de façon très vivante (et souvent très drôle) la façon dont la gauche s’est littéralement effondrée autour de la candidature de Mme Hidalgo (parallèlement à celle de Mme Pécresse à droite), et la façon dont M. Mélenchon a réussi a réussi par son talent personnel et son intelligence tactique, à reconstituer une gauche unie, essentiellement autour de lui-même, alors que ce que représente la Nupes est en rupture assez profonde avec les valeurs traditionnellement représentées par la gauche. L’éclairage mis sur tout cela est bienvenu dans une période où la gauche s’interroge sur la pertinence du modèle incarné par la Nupes. Pour réfléchir à l’avenir, s’interroger sur ce passé immédiat sera très utile. "


Rapport Schuman sur l’Europe 2023

"La fondation Schuman, présidée par Jean-Dominique Giuliani, édite un rapport par an, et il s’agit d’un outils de travail absolument nécessaire pour ceux qui suivent les affaires européennes. On y trouve tous les écrivains positifs à propos de l‘Europe et rien que cela en justifie la lecture, mais je suis frappé par un certain décalage, entre ce livre qui positive énormément le rapport à l’Europe, et les analyses publiques de Jean-Dominique Giuliani, qui sont beaucoup plus inquiètes, notamment sur la relation franco-allemande, sur l’incertitude de l’Allemagne sur son avenir européen, sur le rapport décalé du président français avec ses partenaires. Tout cela fait l’objet d’un analyse qui est à mon avis préoccupante à un an de la prochaine élection européenne. On dit que l’Ukraine a réveillé l’Europe, c’est sans doute vrai, mais l’Europe qui s’est réveillée est divisée, fragmentée, incertaine de ses objectifs, et surtout très ignorante des conditions et des responsabilités qu’implique la compétition internationale. "


Macron-Poutine : les liaisons dangereuses

"J’avais évoqué le livre d’Isabelle Lasserre à ce micro il y a quelques semaines, j’aimerais y revenir, car c’est la confrontation de deux personnalités radicalement différentes. Poutine est un homme absolument terrifiant, qui vit dans une réalité parallèle de plus en plus éloignée de la nôtre, et Macron, qui surplombe en quelque sorte la réalité, par un excès de rationalisme. Une irrationalité dévastatrice face à une rationalité abusive."



Hommage à Jacques Julliard

"Je voudrais saluer la mémoire de Jacques Julliard qui vient de nous quitter. Pour beaucoup d’entre nous, il fut quelqu’un d’essentiel. Idéologiquement, il a levé un voile sur un passé que le bolchévisme fondamental de la gauche française nous empêchait de voir : la vitalité de l’anarcho-syndicalisme. Cette conception très sociétale (très peu blanquiste) l’a conduit à adhérer à la deuxième gauche, et à un élan d’émancipation profonde. Il a contribué à l’émergence d’une vision de la société différente. Et puis il y avait le polémiste, à la formidable plume. Il manquera beaucoup. "


La visite du pape François

"J’aimerais manifester mon agacement face aux réactions qu’a suscité la visite du pape. Cet agacement est double. D’abord, envers ceux qui reprochent au président de la République d’avoir assisté à la messe. Les relations entre le Saint-Siège et la République française sont des relations de respect d’Etat à Etat, et la pratique religieuse est une pratique que le président de la République a le devoir d’honorer. La limite à ne pas franchir était celle qu’avait établie le général de Gaulle : quand un président de la République assiste à une messe, il ne communie pas, car l’eucharistie est un sacrement, qui a valeur d’adhésion religieuse, et pas seulement une marque de respect du pouvoir républicain. Je suis tout aussi agacé par la phrase du pape : « je ne viens pas en France, je viens à Marseille ». Je n’ai jamais vu que quand quelqu’un vient dans votre appartement, il dit qu’il n’est pas chez vous … Ce n’est certes pas une visite d’Etat, mais il vient tout de même sur le territoire de la République française."



Les aveuglés : comment Berlin et Paris ont laissé la voie libre à la Russie

"Je recommande le livre de notre amie Sylvie Kaufmann, qui sort mercredi 18. Lors des débuts de la guerre en Ukraine, on entendait beaucoup « on n’a pas fait ce qu’il fallait avec les Russes, nous aurions dû être plus gentils avec eux ». Sylvie Kaufmann montre de manière implacable à quel point l’Allemagne et la France se sont trouvés en porte-à-faux, ne comprenant profondément rien à ce qu’était Vladimir Poutine. Et cela explique jusqu’à nos rapports difficiles avec l’Allemagne aujourd’hui : elle est inquiète de son rapport à la Russie, de sa compétition industrielle avec la Chine, de sa sécurité avec les Etats-Unis, et de ses choix écologiques. Il y a là un immense trouble, qui complique toute la dynamique européenne."


Ma cinquième (Vol. 1)

"Si j’ai aimé ce livre, c’est parce qu’il est parfait pour le paresseux que je suis. Michèle Cotta a quasiment le même âge que moi, et sa vie est entièrement parallèle à la mienne. Nous avons fait les mêmes expériences, elle à partir du centre-gauche, moi gaulliste de gauche, mais je retrouve les mêmes personnes, les mêmes anecdotes que celles de ma vie. Quand je lis ce livre, j’ai l’impression que je suis dispensé d’écrire mes propres souvenirs, pour un flemmard comme moi, c’est délectable. A mesure que je trouve les pages, je retrouve de vieux amis. Michèle Cotta n’a jamais fait de mystère de ses sympathies politiques pour la gauche modérée, on sent par exemple qu’elle n’aime pas beaucoup le général de Gaulle, mais on ne peut l’accuser de sectarisme, elle est très ouverte aux arguments du camp d’en face. Michèle Cotta est ma « sœur », elle a écrit mes souvenirs à ma place et je l’en remercie."


Raymond Aron

"Il y a quarante ans disparaissait Raymond Aron. C’est certainement l’homme qui m’a le plus influencé, je lui dois très largement tout ce que j’ai fait de meilleur, et sa pensée a structuré toute ma vie politique. Et il me semble qu’elle nous est encore essentielle aujourd’hui. Aron nous a appris trois choses : que si la politique était la lutte pour le pouvoir, le conflit, la violence, l’égoïsme, elle n’excluait pas pour autant le désintéressement, la hauteur de vue ou le rapport à l’Histoire. Il nous a aussi appris que l’Histoire était certes la violence, la guerre et le rapport de forces, mais que toutes les formes de civilité, de démocratie, de coopération entre les nations étaient essentielles et méritaient d’être défendues. Enfin, que toutes les théories du progrès automatique et du sens de l’Histoire étaient assez largement illusoires, mais que le fait que l’Histoire soit tragique n’interdisait pas l’espérance, la volonté, ni les progrès. Qu’on pouvait rendre la vie de chacun d’entre nous plus vivable, plus respectable et plus libre. "



L’Arménie : un génocide sans fin et le monde qui s’éteint

"Et puis ce livre de Vincent Duclert, qui était déjà l’auteur d’un rapport remarquable sur le génocide au Rwanda. Il vient de publier cet excellent livre sur l’Arménie, cet « oublié au carré » de la crise du Moyen-Orient. Je suis très attentivement la situation en Arménie, et elle est réellement très inquiétante. Le déséquilibre des forces au profit de l’Azerbaïdjan est très grand, et à tout moment ce dernier peut essayer d’en finir. Nous devons être très vigilants, l’Europe commence à peine à se réveiller à ce sujet mais la torpeur était telle qu’il y a de quoi être très inquiet."


Le piège Nord Stream

"En marge des élections européennes, je vous recommande deux ouvrages très différents. Le premier est ce livre de Marion Van Renterghem, qui est une espèce de roman policier autour de ce qui est cette « aventure follement perverse » de Nord Stream, instrument de la domination de l’Europe occidentale par la Russie de Vladimir Poutine. Il détaille la façon dont quantité d’acteurs (dont du personnel politique éminent, comme François Fillon ou Angela Merkel) ont réagi dans cette affaire. Pour éclairer le soubassement géopolitique de la confrontation avec la Russie, c’est très éclairant. "


Le vote des Européens : vingt-trois ans d'élections nationales en Europe

"Le second livre est signé de Corinne Deloy, il s’agit d’une étude statistique des élections nationales qui se sont produites dans les principaux pays de l’UE. Cela permet de voir un phénomène fascinant, au cœur du débat actuel : la combinaison d’une montée du populisme et d’une européanisation profonde de la conscience des grands enjeux. Mélange très singulier de populisme et de transnationalisme, qui marque ces 20 ans de votes européens. Si vous ne saviez pas pour qui voter avant de lire ces deux livres, je doute que vous le sachiez davantage après, mais vous aurez appris beaucoup de choses."


Vote de l’Assemblée nationale du 11 décembre 2023

"Je vous fais part de mon désarroi personnel, celui d’un parlementaire qui a découvert que son Parlement était décidé à être le fer de lance de l’antiparlementarisme. Un Parlement est fait pour délibérer, pour amender et pour voter. Et voici que l’Assemblée nationale dit : « Ha ! Ha ! Nous ne délibérerons pas, nous n’amenderons pas et nous ne voterons pas ! » Pour faire bonne mesure, et bien qu’elle ait constitutionnellement le dernier mot sur le Sénat, l’Assemblée a décidé de s’effacer et de laisser le Sénat faire son travail à sa place. Les limites du masochisme ont été franchies lundi dernier. "


Hommage à Jérôme Garcin

"Je dirai simplement mon hommage à Jérôme Garcin, qui quitte Le Masque et la plume. C’est un homme d’un très grand courage et d’un très grand talent. Il tenait ce rendez-vous du dimanche soir absolument obligatoire pour moi, généralement quand je rentrais de Normandie. Il a succédé à Pierre Bouteiller à la tête de cette émission, qui lui aussi était un homme remarquable. Je lui formule mes meilleurs vœux de retraite active, à la suite de son excellent travail."


Hommage à Alfred Grosser

"J’aimerais rendre hommage à Alfred Grosser, qui vient de nous quitter. Il avait été un très grand professeur à Sciences Po, il avait écrit un manuel définitif sur la politique française, il était personnellement centriste et pro-européen. Il avait fait sa thèse sur la IVème République et la politique extérieure (et non la politique extérieure de la IVème République), absolument prodigieuse. Et évidemment, c’était un Juif allemand, faisant partie de ces gens qui ont engagé la réconciliation franco-allemande dès 1945 et la fabrication de l‘Europe. Comme Simone Veil, qui m’avait dit : « en revenant des camps, j’ai vu qu’il n’y avait qu’une alternative : soit on les tue tous (mauvaise option), soit on fait l’Europe ». C’est à des gens comme Alfred Grosser que nous devons de vivre en paix. "


L’obligation de diversité dans la presse

"Je voudrais prolonger la réflexion de Philippe à propos des problèmes posés par cet arrêt du Conseil d’Etat. Je ne comprends absolument pas cette obligation de diversité. Je comprends parfaitement qu’elle s’applique au service public audiovisuel. Ce sont des organes qui appartiennent à la nation, qui est composée d’un ensemble de familles spirituelles, politiques, culturelles, qui doivent trouver le moyen de s’exprimer équitablement. Mais pour ce qui concerne les publications privées, je ne vois pas pourquoi on n’applique pas à l’audiovisuel les mêmes règles qu’à la presse écrite. Pourquoi pose-t-on en principe ce devoir de diversité ? Philippe a raison de dire que l’obligation fondamentale, c’est la vérité , le refus des informations fausses, de la calomnie, etc. Mais il est normal qu’une presse catholique soit catholique, ou qu’une presse communiste soit communiste … Arrêtons ce brouet de bienséance dans tous les domaines … Chacun doit pouvoir s’exprimer, à la condition de ne pas dire de mensonges. Si nous voulons sauver la démocratie, distinguons la diversité à préserver de la vérité à exiger."


L’Arménie et les Arméniens en 100 questions : les clés d’une survie

"François Mitterrand avait dit « l’Algérie, c’est la France », et on le lui avait beaucoup reproché. Il avait cependant sans doute un peu raison, dans la mesure où la relation entre les deux pays est si singulière. J’en vois une autre, un peu comparable : l’Arménie. L’Arménie, c’est la France. Il y a entre Arméniens et Français une relation qui n’est pas d’extériorité mais d’intimité, extrêmement profonde, et d’autant plus tragique que nous sommes absolument incapables d’apporter à ce pays la sécurité dont il a besoin. C’est pourquoi je vous recommande ce livre de Michel Marian, un intellectuel de grande qualité. Il répond à des questions aussi élémentaires que fondamentales : l’Arménie a-t-elle été le premier Etat chrétien ? pourquoi le gouvernement turc continue-t-il à nier le génocide ? Les Arméniens sont-ils à jamais dans à main des Russes ? Nous avons le devoir de comprendre ces gens qui nous sont si proches."


M. François-Xavier Bellamy et le secret de l’isoloir

"Cela fait 60 ans que je fais de la politique, et je croyais un peu naïvement avoir tout vu. J’ai été détrompé il y a quelques jours en entendant une interview de François-Xavier Bellamy, au cours de laquelle il refuse de dire pour qui il a voté au deuxième tour de la dernière élection présidentielle, en invoquant « le secret de l’isoloir ». Les bras m’en tombent. Comment un leader politique peut-il se présenter devant le peuple, en reconduisant une liste déjà défendue il y a cinq ans, mais en refusant de dire ce qu’il a fait entre temps, ou de reconnaître pour (et contre) qui il vote. Le secret de l’isoloir n’a pour but que de protéger les gens de manipulations, de s’assurer qu’ils ne sont pas contraints par qui que ce soit de glisser tel ou tel nom dans l’urne. Il n’a pas été fait pour permettre à un leader politique de dissimuler à ses électeurs ses orientations fondamentales. J’ai désormais tout vu."


Les leçons de la crise syrienne

"Je vous recommande ce livre de Fabrice Balanche, préfacé de notre ami Gilles Kepel. L’ouvrage est extrêmement fouillé et intéressant, il a nécessité une somme de recherche impressionnante. C’est évidemment le genre de livre qui n’est pas promis à des tirages énormes, mais c’est pourtant un travail important : la description archétypale de l’une des crises fondamentales de cette société moyen-orientale, qui est au cœur de toutes nos inquiétudes et de tous les dangers. "


Soutien à Pascal Perrineau

"J’ai en effet l’honneur d’appartenir au comité éditorial de la revue Telos, et nous avons récemment publié un texte de soutien à Pascal Perrineau. Ce professeur de Sciences Po s’est vu refuser, contre tous les usages universitaires, le renouvellement de son éméritat. C’est absolument injustifié : rien dans son attitude, sa pratique universitaire ou la qualité de sa recherche ne justifie cette décision. Elle n’est que le résultat d’un désaccord idéologique, Pascal Perrineau ne partageant pas les dérives wokistes de Sciences Po. "


Journal, janvier-juin 2020

"D’autre part, j’ai lu le journal qu’a publié Agnès Buzyn. D’un point de vue littéraire (et surtout éditorial), on peut regretter qu’il ait été publié à la va-vite, et contienne beaucoup de répétitions. Il est cependant chargé d’une émotion extraordinaire. Mme Buzyn l’a rédigé pendant la crise de la Covid, et on ne peut que penser à la phrase de Turgot : « notre problème, c’est de prévoir le présent ». Je crois qu’elle a fait ce qu’elle pouvait face à cette crise énorme, dont l’ampleur se dévoilait peu à peu. Et là encore, on prend conscience de l’indignité du sort qui lui a été réservé. Quand une ministre aussi dénuée d’informations que tout un chacun doit réagir face à une crise aussi gigantesque et inédite, on ne peut apprécier son action que sur le mode « capable » ou « non capable ». Ici, on a plutôt privilégié « coupable » ou « non coupable ». On a fait d’elle un bouc émissaire, et ce n’est pas à l’honneur des juridictions ou de la société française. Mais on voulait absolument trouver des coupables puisqu’il y avait des victimes."


Conseil à nos auditeurs

"Je suis un peu embarrassé, car je n’ai pas préparé de brève. Je me contenterai donc d’un conseil : lisez les journaux, et soyez particulièrement attentifs aux programmes, aux absences de programmes, aux esquives. Abordez ce scrutin de dimanche avec le minimum de préjugés et d’idées vagues, et le maximum d’informations sur ce que veut et ce que craint chacun des partis en présence, et surtout, ce qu’ils dissimulent. Car en réalité, ils se caractérisent moins par ce qu’ils disent que par ce qu’ils cachent."


Coup de gueule

"J’ai été très frappé de l’absence absolument totale des réalités internationales dans les dernières semaines. Or c’est quelque chose de tout à fait déterminant pour nos politiques … Rien sur l’Europe, rien sur l’Ukraine (même chez LCI), rien sur Gaza … Or on voit à quel point l’Histoire est en train d’avancer de façon terrifiante : avec ce qui se passe en Afrique de l’Ouest, avec les bombardments d’hôpitaux à Gaza et à Kyiv, avec l’évolution assez tragique de la candidature démocrate aux Etats-Unis … Tout cela constitue quelque chose de beaucoup plus important que tout ce qui alimente la querelle intérieure française."



Katherine Mansfield : rester vivante à tout prix

"Henriette Levillain est universitaire, elle avait déjà écrit une thèse remarquable sur Saint-John Perse. Ici, elle signe une biographie de Katherine Mansfield. Cette romancière est essentiellement connue pour un seul livre, La Garden Party (bien qu’elle en ait écrit d’autres). Foudroyée à 35 ans par la tuberculose, ce portrait est aussi celui de l’Angleterre qui passe de la période edwardienne à la modernité. Virginia Wolf disait de Mansfield que c’était la seule personne dont elle était littérairement jalouse. Le livre est d’une infinie tristesse, il raconte une oscillation pathétique entre l’idéal et la sensualité, entre la souffrance et la mort, entre la Nouvelle-Zélande, l’Angleterre et la France. Aussi intense que désespéré, mais très beau."


À propos d’une déclaration du président Macron

"Dans cette émission, nous avons l’habitude de nous inquiéter des emportements excessifs du pays, et j’aimerais parler aujourd’hui d’un sujet délicat. J’ai été très frappé de l’atmosphère de dénonciation indignée suite à un propos du président de la République qui me paraissait absolument ordinaire. Sur le Moyen-Orient, les déclarations d’Emmanuel Macron de ces derniers mois ont souvent été inopportunes, mais là, il s’est contenté de rappeler que l’Etat d’Israël avait été créé par une résolution l‘ONU. Or ce n’est ni faux, ni attentatoire à la dignité de ce pays. C’est au contraire rappeler la culpabilité de la communauté internationale vis-à-vis du peuple juif, massacré par les nazis dans une indifférence assez générale des Alliés. L’indignation me paraît donc tout à fait inopportune. M. Netanyahou s’est indigné parce qu’il est lui-même emporté dans une critique très radicale, et très largement excessive à l’égard de l’ONU, mais je ne vois absolument pas pourquoi on devait lui emboîter le pas, alors que cette déclaration du président Macron est un rappel de bon sens."