LES INTERVENANTS

Matthias Fekl

Ancien élève de l’Ecole normale (Lyon) et de l’ENA, ancien député, ancien ministre du tourisme puis de l’intérieur, conseiller régional d’Aquitaine, avocat.

 

Les brèves proposées par Matthias Fekl:


Icebergs

"Je vais vous recommander le livre d’un auteur que j’aime énormément, et dont j’attends à chaque fois le dernier ouvrage avec impatience avant de le dévorer dès sa parution. Contrairement à ses romans, qui sont toujours limpides et cristallins, il s’agit ici d’une promenade dans sa pensée, sur divers thèmes, avec notamment une visite à la tour de Montaigne qui est absolument magnifique. Il a écrit un autre livre avec Christian Garcin qui s’appelle Travelling, où il relate un tour du monde sans avion, véritable défi par les temps qui courent. Ce sont des livres très personnels, très puissants, très émouvants, et je vous conseille toute son œuvre. "


Ernst Kantorowicz, une vie d’historien

"Je vous recommande la biographie du grand historien Ernst Kantorowicz par Robert Lerner. Kantorowicz est comme vous le savez l’auteur des Deux corps du Roi. Cette biographie est parue en anglais en 2017 et a été traduite l’an dernier chez Gallimard. C’est un livre très fort, on y suit l’itinéraire d’un homme, ses propres ambiguïtés intellectuelles avant de faire des choix incontestables. On y vit la crise économique, l’effondrement, politique, moral et intellectuel de l’Europe, on y croise de grandes figures, comme Isaiah Berlin ou Marc Bloch. Passionnant."


L’homme qui aimait les chiens

"Pour rester en Amérique latine, en tous cas au sens large, je vous recommande l’œuvre de l’écrivain cubain Leonardo Padura, qui est un auteur extraordinaire, qui a écrit plusieurs types de livres. Son chef-d’œuvre à mon avis est « l’homme qui aimait les chiens », une traversée du XXème siècle absolument extraordinaire, avec la nostalgie des promesses de la révolution et une forme de désenchantement devant ce qui en est advenu. Mais aussi des romans policiers, où l’on pénètre dans le Cuba d’aujourd’hui. L’auteur vit à La Havane, et il y publie des livres assez critiques sur l’état du pays, avec un style et une humanité absolue. "


Souvenirs culinaires

"J’avais aussi prévu de parler de « Slow démocratie », mais cela ayant été fort bien fait, je recommanderai donc un livre plus léger qui m’a beaucoup plu, ce sont les souvenirs culinaires d’Auguste Escoffier. Il a commencé de manière très modeste dans l’auberge familiale, et finit par devenir chef du Ritz, l’un des premiers grands chefs internationaux au tournant du siècle. Il raconte de manière magnifique à la fois les produits du terroir et l’art de les accommoder, l’essor de la grande hôtellerie internationale, et puis de sa pensée sociale et de la manière dont il pense qu’il faut, dans l’hôtellerie et en cuisine, prendre soin des salariés. Tout cela donne un livre historique très fort, presque politique, qui vous donnera peut-être envie de lire aussi son guide culinaire, une lecture adaptée pour les fêtes. "


Cuban network

"Pour ma part je vous conseille le film d’Olivier Assayas, très beau lui aussi. On suit l’arrivée à Miami de deux Cubains de Cuba dans les milieux cubains de Floride. Je ne vais pas raconter davantage car il s’agit d’un thriller à suspense. Mais le film montre aussi les difficultés de la vie à Cuba, et les relations qui restent à fleur de peau entre les Cubains de l’île et ceux de la diaspora, et le rôle de ces derniers dans la vie politique américaine. Des plaies restent béantes plus de 60 ans après la révolution cubaine. Une situation dont on espérait qu’elle pourrait évoluer à la fin du mandat d’Obama, ce qui ne fut malheureusement pas le cas. "




Visite virtuelle : Chantilly

"Je recommande une visite virtuelle, proposée par le domaine de Chantilly. Du patrimoine bâti, mais aussi d’une collection de peinture absolument époustouflante, constituée par le dernier duc d’Aumale avant qu’il ne cède Chantilly à l’Etat, qui sont toujours dans l’accrochage d’époque, c’est à dire comme un cabinet d’amateur, ainsi qu’une collection de livres et de manuscrits, comptant plus de 60 000 ouvrages, dont des merveilles historiques et littéraires."


Le jardin des Finzi-Contini

"Je conseille un livre paru il y a bientôt 60 ans, de Giorgio Bassani. Il a donné lieu au film, non moins magnifique, de Vittorio De Sicca, dont une version restaurée aurait dû ressortir au mois d’avril. C’est une histoire de la jeunesse dans la bourgeoisie juive de la ville de Ferrare, sur fond de montée du fascisme et des lois anti-juives. Malgré ce contexte tragique, cette jeunesse sonde ses âmes et ses cœurs, a des conversations littéraires élevées et fines, mais tout cela finira tragiquement. C’est un livre bouleversant, poétique et beau, qui j’espère donnera envie d’aller voir le film dès qu’il pourra ressortir. "


Revue Le débat, n°210

"Dans cette période qui refuse le débat et lui préfère les outrances et les postures, j’aimerais rendre hommage à la revue « Le débat » et saluer le numéro de ses quarante ans, qui sera malheureusement le dernier. La disparition de cette revue est une triste nouvelle, qui reflète l’état de notre débat public, où les invectives et les lynchages l’emportent sur toute réflexion. J’aimerais donc saluer le travail de Pierre Nora, Marcel Gauchet, Krzysztof Pomian, tous ces auteurs qui ont fait vivre cette revue pendant quarante ans. N’oublions pas cependant que beaucoup de revues de qualité perdurent (Esprit, Commentaire) et même que d’autres naissent, notamment sur internet. Espérons que cet esprit du « Débat », qui nous a tous tirés vers le haut pendant 40 ans, perdure à travers ces successeurs ou ces confrères."




Revue Germinal

"J’avais regretté dans une précédente émission la disparition de la revue Le Débat, j’aimerais saluer aujourd’hui la naissance d’une nouvelle revue, intitulée Germinal, et animée par de grandes figures de notre vie intellectuelle, certaines très réputées et d’autres beaucoup plus jeunes. Elle a pour ambition d’apporter sa contribution à la refondation de la gauche. C’est un projet écologique, social, d’une réflexion très pointue sur la démocratie, les limites et les faiblesses de nos institutions, et sur le lien entre les exigences économiques, sociales, écologiques et démocratiques. C’est une excellente nouvelle pour le paysage intellectuel français."


Le palais d’Orsay

"Je vous conseille ce livre d’Hélène Lewandowski. C’est une histoire de ce qui est aujourd’hui le musée d’Orsay, à travers sa naissance, puisqu’il avait été conçu comme un ministère destiné aux Affaires étrangères. Le bâtiment deviendra ensuite le siège du Conseil d’Etat, de la Cour des comptes ; il sera en partie incendié pendant la Commune, avant de devenir la Gare d’Orsay. Le livre est magnifique, il est aussi une traversée du XIXème siècle."


Autoportrait dans l’atelier

"Je vous conseille de lire ce magnifique livre de Giorgio Agamben. Le philosophe fait son propre portrait dans les différents ateliers où il a travaillé. L’atelier n’est pas réservé au peintre, les penseurs aussi y pratiquent leur art. A travers les objets qui s’y trouvent, les livres, les photographies d’amis, il se décrit lui-même indirectement. On n’est pas très loin de la tour de Montaigne, c’est une magnifique méditation sur l’activité de philosophe, et aussi sur le « métier » de vivre."


L’esprit du macronisme

"Nous avons vu qu’il n’était pas évident de situer le macronisme sur l’échiquier politique. L’analyse proposée ici se fait par les concepts, la vision du monde, l’idéologie même qui est véhiculée. D’autres, comme par exemple Eric Fottorino s’y sont essayé avant. Ici, Miriam Revault d’Allonnes, grande spécialiste de Paul Ricœur mais également de la pensée politique et des liens entre politique, morale et démocratie, ou entre le droit et la guerre, s’intéresse aux mots du macronisme. Les premiers de cordée, la mobilité, la flexibilité, la start-up nation, le rapport à l’homme et à l’humain. C’est un essai très intéressant, très fin, mais également très critique. "



De la laïcité en France

"Je vous recommande deux livres. Le premier est signé de Patrick Weil. Les deux livres ont en réalité le même objet : l’éloge de la nuance, qui ne doit pas être confondue avec le « en même temps ». Dans la nuance, il y a à la fois la complexité et le refus des postures. Le courage de la nuance en fait son postulat général, tandis que De la laïcité en France le fait sur un thème majeur indispensable à notre avenir : la laïcité. Les deux ouvrages, avec beaucoup de finesse et de subtilité, démontrent brillamment que l’on peut être nuancé sans être dans la pensée molle, et que l’on peut aimer la complexité tout en étant intransigeant sur l’essentiel."


Poussière dans le vent

"Je conseille le dernier roman de l’écrivain cubain Leonardo Padura, qui a déjà signé L’homme qui aimait les chiens, ainsi qu’un cycle de romans policiers qui permettent de comprendre le Cuba d’aujourd’hui. C’est un auteur extraordinaire, c’est également un homme très désabusé sur la situation de son pays, où il vit toujours, dans les quartiers populaires de La Havane. Dans ce roman, on touche un aspect qu’il n’avait pas encore exploité dans son oeuvre : les rapports entre les Cubains de Cuba et les Cubains exilés, en particulier à Miami. Comme toujours, on trouve une galerie de personnages aussi humains que finement décrits, ainsi que beaucoup de désillusions, d’humanité et de générosité."


Le squelette de Big John

"Je vous conseille d’aller rue des Archives à Paris, où la Galerie du Marais expose dans une boutique pop-up le squelette de Big John. Ce sont les os d’un tricératops géant que vous pourrez y voir, vieux de 66 millions d’années. C’est tout à fait spectaculaire. Il sera bientôt vendu aux enchères, dépêchez-vous donc d’aller le voir, il y sera jusqu’au 15 octobre. Pour les jeunes archéologues en herbe, ou les moins jeunes qui ont rêvé devant Jurassic Park ou Indiana Jones, c’est très émouvant, très beau, courez-y."


Le nouveau modèle français

"Je conseille la lecture du livre de notre collègue et ami David Djaïz. L’ouvrage est passionnant et me semble être une excellente prolongation de notre conversation d’aujourd’hui. Le diagnostic n’est pas si différent, et on y trouve une série de propositions, pour reconstruire un autre récit et un autre modèle français, dans l’Europe et dons la mondialisation. Il n’y a pas de déni dans ce livre, ni de facilité. Avec beaucoup d’exigence, Djaïz nous montre ce que l’on peut attendre du privé, du public. A l’approche des grands débats de l’année prochaine, je vous recommande cette contribution d’un esprit jeune et brillant."


Francis Picabia, rastaquouère

"Restons dans le domaine de l’art, je vous conseille la biographie de Francis Picabia par Bernard Marcadé. Le titre est un clin d’œil à Serge Gainsbourg. Le livre est publié chez Flammarion, dans les grandes biographies, et il y a toute sa place. D’abord parce que la vie de Picabia est haute en couleurs, le récit qui en rend compte est passionnant et foisonnant. C’est un éloge de la liberté, dans la vie comme en art, notamment en ce qui concerne l’affranchissement par rapport à l’académisme et au dogme. Dans une époque aussi souvent dogmatique (voire sectaire) que la nôtre, la vie de Picabia est une bouffée salutaire. "



Paris et nulle part ailleurs

"Je vous conseille de vous rendre au Musée de l’histoire de l’immigration à la Porte Dorée, désormais dirigé par l’excellente Constance Rivière. Cette exposition montre comment des artistes du monde entier, après la deuxième guerre mondiale, ont choisi comme lieu de création Paris et non New York, pourtant souvent considérée comme la capitale mondiale de l’art moderne à cette époque. On y voit des œuvres extraordinaires, d’Eduardo Arroyo, de Roberto Matta, de Joan Mitchell, de Daniel Spoerri, De Victor Vasarely, de Zao Wou-Ki, de Wilfredo Lam … Superbe."



La menace 732

"Je vous conseille le livre d’un jeune Préfet, qui est aussi un jeune auteur, Frédéric Potier, que l’on connaissait jusqu’ici pour des ouvrages très sérieux, sur l’antisémitisme ou sur Pierre Mendès-France. Il s’est cette fois-ci lancé dans un thriller politique. Je ne raconte pas l’intrigue, car ce serait gâcher le plaisir du lecteur, mais la menace en question vient de l’extrême-droite, sur fond d’élection présidentielle. On est très vite pris par l’intrigue, mais on est aussi captivé grâce à la connaissance parfaite de l’auteur des rouages de l’Etat."


Cuba : une histoire de l’île par sa musique et sa littérature

"Il y a quelques années, Marcel Quillevéré, l’auteur du livre, avait fait sur France Musique une série absolument remarquable d’une soixantaine d’épisodes (« Cuba, la musique et le monde »). C’est ce travail qu’il poursuit dans ce livre à l’iconographie magnifique. Les amoureux de ce pays y découvriront ses influences culturelles ; caribéennes bien sûr mais aussi européennes, africaines, chinoises, ou américaines. "


La villa Liebermann

"Si vous passez par Berlin, je vous recommande de visiter la maison du peintre Max Liebermann. Il y a bien sûr sa maison au cœur de la ville, mais je parle ici de son havre de paix au bord du lac Wannsee. C’est l’occasion d’admirer les tableaux de ce maître de l’impressionnisme allemand, mais aussi de se souvenir que dans une autre villa à proximité eut lieu la sinistre conférence où fut décidée l’extermination de tous les Juifs d’Europe. Liebermann est mort avant la confiscation de sa maison, et sa veuve s’est suicidée pour échapper à la déportation. La villa est ensuite tombée dans l’oubli pendant des décennies, mais depuis une vingtaine d’années, des bénévoles passionnés ont recréé le magnifique jardin tel qu’il avait été pensé par Liebermann, à partir de photographies et de tableaux du maître, l’art inspirant à son tour le réel. A l’heure d’une folle recrudescence de l’antisémitisme à travers le monde, cette visite rappelle ce que nous savons depuis Zweig ou Semprún : il n’y a qu’un pas de la civilisation à la barbarie. "


Si Rome n’avait pas chuté

"Je vous conseille ce livre de Raphaël Doan. L’auteur est un jeune magistrat administratif, énarque -et néanmoins tout à fait sympathique !- et tout à fait brillant. C’est à ma connaissance le premier livre d’Histoire écrit avec l’intelligence artificielle. Comme le titre l’indique, l’auteur imagine ce que serait l’empire romain s’il était devenu une puissance industrielle et technologique. Il y a des textes absolument incroyables, créés à partir de recoupements saisissants, des images complètement démentes (c’est aussi un magnifique livre d’un point de vue graphique). Et puis les commentaires de l’historien pour accompagner tout cela. Ce livre ouvre aussi une réflexion plus large sur l’intelligence artificielle, pas seulement sous l’angle des dangers, mais tout simplement sous celui de ce qui va changer. Pendant longtemps, les progrès technologiques ont menacé d’abord les métiers manuels. La remise en question qui arrive va aussi porter sur les métiers intellectuels, avec une nouveauté supplémentaire : la vitesse à laquelle ces bouleversements vont s’effectuer. Très stimulant intellectuellement, très beau, un cadeau de Noël idéal. "


Monument national

"Je vous conseille ce roman de Julia Deck, l’une des écrivaines de la petite « bande » des éditions de minuit, qui ont chacun leur style bien à eux, mais ont un trait commun : on sent qu’on met les pieds dans une situation assez affreuse dès les premières pages. Ici, il est clair que quelque chose de fondamental ne va pas, mais on ne sait ni quoi ni pourquoi. Parce que l’écriture est limpide, mais on sent que derrière la façade tout est en train de craquer. Et puis on est attiré progressivement dans la tourmente. Le roman se lit formidablement bien, et réussit à être très drôle malgré des moments véritablement épouvantables. Extrêmement réussi."


Les anti-Lumières : une tradition du XVIIIe siècle à la guerre froide

"Je vous recommande ce livre de Zeev Sternhell, paru il y a plusieurs années. Il retrace les évolutions de la pensée réactionnaire, contre-révolutionnaire, opposée au primat de la raison et à celui de l’individu, et son corollaire : les droits de l’Homme. Dans la période que nous traversons, cette somme de 800 pages est éclairante. Le livre est passionnant, et on peut craindre qu’il ne devienne un guide très utile pour les années qui viennent. "