LES INTERVENANTS

François Bujon de L’Estang

Ambassadeur de France, ancien ambassadeur aux Etats-Unis.

 

Les brèves proposées par François Bujon de L’Estang:

L'Enchantement musical

"La musique adoucissant les mœurs je fais souvent des brèves musicales, cette fois ci c’est une lecture que je recommande. Albin Michel a eu l’excellente idées de publier des inédits de Vladimir Jankélévitch sur la musique, et pour tous ceux qui ont aimé l’enseignement de Vladimir Jankélévitch, tous ceux qui savent ce que la musique lui a apporté et a apporté à sa réflexion philosophiques, tous ceux qui ont aimé La musique et les heures ou La Musique et l’Ineffable qui sont à peu près ce qu’on a écrit de meilleur et de plus intelligent sur la musique, je recommande vivement ces textes rassemblés sous le titre L’Enchantement musical qui nous ramène la pensée, la présence de Vladimir Jankélévitch."


La Révolution Russe vue par une Française

"Nous sommes dans l’année qui commémore la Révolution Russe, nous ne sommes pas encore en octobre mais nous sommes après février, dont on a moins parlé puisque la révolution de février a été éclipsée par le putsch bolchévique du mois d’octobre. Et la Revue Des Deux Mondes pendant ce temps là continue d’exploiter les trésors de ces archives depuis 1829, date de sa création, en publiant dans la collection Agora, chez Pocket, un certain nombre d’écrits publiés jadis par la revue. Et l’un d’entre eux vient d’être rassemblé en un volume : la Révolution Russe vue par une Française. Ce sont les chroniques écrites après la révolution de février et jusqu’à l’été de 1917 par une journaliste française qui s’appelait Marylie Markovitch qui était l’envoyée spéciale du Petit Journal et de la Revue Des Deux Mondes à Petrograd, et qui a chroniqué les événements au jour le jour. C’est tout à fait fascinant, c’est une très bonne lecture qui donne une image extrêmement vivante de ce qui s’est passé pendant cette période troublée qui aurait pu se terminer différemment. "


Faute d'Amour

"Je suggère d’aller voir le film d’Andrey Zvyagintsev qui vient de sortir et qui s’appelle Faute d’Amour. Zvyagintsev est ce metteur en scène russe qui a déjà un grand nombre de succès cinématographiques avec des films comme Le Retour, comme Elena, comme Léviathan qui est un film extraordinaire sur la corruption dans la société russe d’aujourd’hui. Faute d’Amour est un film différent, c’est un film extrêmement dur, je préfère d’ailleurs le titre en Russe, Ne Liubov ce qui veut dire Pas d’Amour ce qui est un constat extrêmement brutal. C’est moins un film sur la société post-soviétique d’aujourd’hui qu’un film sur l’évolution de la nature humaine, sur l’égoïsme, sur la dureté, sur tous les traits bien caractéristiques de notre société moderne. C’est un fil remarquable qui a eu le prix du jury au dernier festival de Cannes et que je recommande vivement à nos auditeurs."


Sibelius : Œuvres pour piano, par Leif Ove Andsnes

"Moi je vous emmène sur les rivages de la musique classique pour oublier nos soucis. On fait des découvertes à tout âge de musiques oubliées ou inconnues. Beaucoup de nos auditeurs et vous même Philippe qui êtes amateur de musique classique, sont familiers avec le pianiste norvégien Leif Ove Andsnes, merveilleux pianiste interprète de la musique romantique. Il vient de publier chez Sony, un récital de musiques pour piano de Sibelius. Sibelius considéré toujours comme un très grand symphoniste et que nul ne soupçonnait qu’il avait écrit des œuvres pour piano extrêmement délicates extrêmement claires, et c’est un plaisir de découvrir ce disque et de découvrir cette musique. "


Un prix Nobel de la paix bien "niaiseux"

"Moi je voudrais décerner ma noix d’honneur personnelle à l’Académie Nobel et sinon verser une larme du moins pousser un soupir sur l’attribution du prix Nobel de la Paix à une fédération d’ONG qui s’appelle l’International Campaign for Abolition of Nuclear Arms, qui a sponsorisé si j’ose dire un traité voté à l’assemblée générale des Nations Unies par 122 états interdisant la fabrication, l’usage des armes nucléaires, au mépris bien sûr que cela n’a aucun rapport avec la réalité et que tous les états disposant d’armes nucléaires ont décidé de boycotter ce traité. Donc l’angélisme béat c’est quelque chose de probablement très estimable mais on est tellement loin de la réalité que comme disent nos amis québécois, je trouve cela bien niaiseux."


Les Vaincus, Violences et guerres civiles sur les décombres des empires, 1917-1923

"Je vous ramène à de plus dures réalités historiques hélas en vous recommandant la lecture d’un livre qui s’appelle Les Vaincus, qui vient d’être publié en français aux éditions du Seuil et qui est écrit par un professeur à l’University College de Dublin qui s’appelle Robert Gewarth. C’est un livre passionnant dans lequel je suis pour l’instant englouti, sur les années 1918 à 1923 en Europe, c’est-à-dire les suites de la Première Guerre mondiale et les conséquences de l’effondrement des empires, de l’Empire austro-hongrois, de l’Empire allemand. On oublie presque que ces années, entre la guerre d’indépendance polonaise, la guerre gréco-turque, la guerre d’Orient qui se prolongeait aux confins de la Bulgarie, ou les spartakistes à Berlin et Bela Kun en Hongrie, a été une période aussi – et je n’oublie pas l’Irlande – sanglante presque, que la période des quatre années de la Première Guerre mondiale. Le livre est tout à fait passionnant et se lit comme un roman policier."


Concours Long-Thibaud-Crespin

"Une petite excursion dans le domaine de la musique, je voudrais saluer ce que j’espère être la renaissance du concours Marguerite-Long-Jacques-Thibaud qui a connu des années difficiles et qui n’a pas pu être organisé plusieurs années de suite mais qui a organisé cette semaine un gala auquel ont joué plusieurs lauréats, et dans lequel ont été annoncé que le concours de violon Jacques Thibaud sera organisé de nouveau en 2018 avec un jury très prestigieux que présidera Renaud Capuçon et j’espère de tout cœur que c’est la renaissance d’un des grands concours musicaux français, qui tient une place éminente sur la scène internationale."


GAUGUIN L'ALCHIMISTE

"Je voudrais encourager ceux de nos auditeurs qui sont tentés, de se précipiter au Grand Palais pour voir l’exposition Gauguin tant qu’il est encore temps puisqu’elle va se terminer je crois à la mi-janvier. Je sais que certains critiques ont exposé des réserves mais il y a toujours des esprits chagrins. C’est une magnifique exposition, c’est un éblouissement de couleurs, et elle a le mérite de montrer des œuvres de Gauguin qu’on ne voit pas souvent, notamment des sculptures ou des céramiques par exemple. Mais beaucoup de ses grands tableaux sont exposés, y compris ceux qu’on trouve dans les musées russes notamment au musée Pouchkine, et qui étaient déjà venus à Paris avec la collection Chtchoukine l’année dernière, on les retrouve dans une exposition qui est très complète, qui est très belle et qui je dois dire est une joie à visiter."


Revue America

"Moi je voulais saluer la sortie du quatrième numéro en décembre de la revue America. Cette singulière revue éditée par François Busnel et le 1 qui est sous-titrée « l’Amérique comme vous ne l’avez jamais lue» et qui, comme vous le savez, a quatre numéros par an et se propose de paraître pendant les quatre ans de la présidence Trump. En réalité, cette revue continue d’être extrêmement intéressante et favorise d’ailleurs un regard qui est davantage littéraire et sociologique que proprement politique sur l’Amérique d’aujourd’hui. Le numéro 4 donc celui qui vient de sortir est particulièrement intéressant on y trouve une remarquable interview de Paul Auster qui est longue et fournie et qui donne tout à fait envie, ce que je vais faire incessamment, de lire son dernier roman qui s’appelle 4, 3, 2, 1 mais il y a aussi un article de Stephen King sur la violence en Amérique, sur le problème des armes à feu etc. Il y a aussi un très intéressant article et une interview de Tom Wolf. Nous trouvons là véritablement une revue de qualité sur l’Amérique d’aujourd’hui peut-être pas « comme vous l’avez jamais lue » mais comme il est agréable de la lire"


D'Annunzio le magnifique

"Et bien puisque nous remontons le courant de l’Histoire en direction de la guerre de 14 et à travers la bataille d’Essling. Moi je m’arrête un peu à la fin du 19ème siècle et au début du 20ème pour vous recommander une biographie de Gabriele d’Annunzio, intitulée Gabriele d’Annunzio, le magnifique, publiée aux éditions Grasset par notre ami Maurizio Serra qui fut l’ambassadeur de l’Italie à l’UNESCO et à qui nous devons déjà un certain nombre de livres et notamment deux autres grandes biographies sur des hommes de plume italiens qui ont marqué le 20ème siècle. Son livre sur D’Annunzio clôture une trilogie qu’il avait commencée avec une biographie sur Malaparte, continuée avec une très intéressante biographie sur Italo Svevo et qui se conclue maintenant par cette grosse mais très lisible biographie sur Gabriele D’Annunzio. Personnage baroque, outré et invraisemblable, le dernier Don Juan qui enjambe le 19ème et le 20ème siècle, on oublie qu’il avait déjà 50 ans au moment de l’Affaire de Fiume, par exemple. Cet aviateur poète séducteur s’est ensuite effacé pendant le fascisme mais sa germanophobie l’a rendu un peu fréquentable aux yeux de Mussolini, il est mort en 1938 mais sa vie est un roman et Maurizio Serra la décrit avec beaucoup de verve et de façon très intéressante."


Le temps de s'en apercevoir

"Emmanuel de Waresquiel qui est un de nos meilleurs historiens a consigné dans un petit livre sympathique, Le temps de s’en apercevoir, un certain nombre de réflexions que lui ont inspiré son étude de l’histoire et la contemplation du temps présent. Il a souvent du mal, comme souvent ceux qui aiment l’histoire, à rattacher le temps présent à l’histoire. Il en tire un grand nombre de remarques absolument pertinentes, souvent humoristiques et toujours très bien venues. Je vous en recommande vivement la lecture pour remédier à la morosité actuelle. "


Le Grand Jeu

"On parle beaucoup d’Asie Centrale et nous venons à propos de Davos de parler de la Route de la soie, par exemple, où l’Afghanistan est au centre des préoccupations internationales. Moi je voudrais vous recommander de lire un livre qui est tout à fait passionnant qui s’appelle Le Grand Jeu qui est écrit par un britannique qui s’appelle Peter Hopkirk, un ancien journaliste du Time qui a du travailler aussi pour d’autres employeurs, j’imagine et qui s’est énormément promené en Asie Centrale. Son livre The Great Game en anglais a finalement été traduit en français, ça a mis très longtemps. Ca a été publié par un petit éditeur belge qui s’appelle Nevicata. C’est un gros livre que vous dévorez vraiment en vous couchant très très tard le soir parce qu’on ne peut pas le terminer, il est passionnant, il raconte la rivalité des russes et des anglais pour contrôler, justement, l’Afghanistan et les abords de l’Empire des Indes tout au long du XIXe siècle. Il s’arrête en 1905 avec la guerre russo-japonaise et ses conséquences géopolitiques. Mais le livre est formidable et vous pouvez parfaitement rapporter tout ce que vous y apprenez et que vous lisez comme du Kipling à l’actualité aujourd’hui en Afghanistan, au Pakistan et en Inde et aux pourtours de ce qui étaient jadis l’Empire des Indes sur lequel le soleil ne se couchait jamais comme chacun sait."


Le jeu de l'amour et du hasard

"Je vous trouve tous terriblement profonds et sérieux, moi je voudrais continuer de joindre le futile à l’agréable en recommandant à tous les amateurs de théâtre et à tout ceux qui aiment les beautés de la langue française et qui apprécient à la fois l’élégance et l’esprit, de se précipiter au théâtre de la porte Saint-Martin pour voir le magnifique Jeu de l’amour et du hasard dans la magnifique mise en scène de Catherine Hiegel. C’est un moment de pur Bonheur et le simple fait d’écouter pendant une heure et demi si bien dite et si bien mise en scène la merveilleuse prose de Marivaux vous consolera de bien des avanies."


Un mois à la campagne - Ivan Tourgueniev

"Pour ceux de nos auditeurs qui s’intéressent au théâtre et qui aiment la Russie, je leur conseille de se précipiter au théâtre Dejazet pour la mise en scène de Un mois à la campagne de Ivan Tourgueniev mise en scène d’Alain Françon avec beaucoup de goût, beaucoup de tact, beaucoup de finesse et d’intelligence. Cette mise en scène est très réussie et surtout je pense qu’elle rend assez bien justice à Tourgueniev, les français sont toujours convaincus que le théâtre russe commence avec Tchekhov et Stanislavski mais Ivan Tourgueniev c’est 1850, c’est antérieur. Ca n’est pas le même œil que Tchekov, c’est un œil beaucoup plus méchant et très aigu sur la nature humaine, il n’y pas le côté doux-amer qu’on retrouve chez Tchekhov. Il y a quand même une « russité » très très forte qui s’exprime très très bien à travers une très belle langue, c’est une pièce très bien construite et très bien équilibrée qu’on ne donne pas très souvent, c’est une bonne production. Si vous voulez passer une soirée de très bon théâtre vous avez jusqu’au 28 avril pour vous rendre au théâtre Dejazet."


La falaise des fous de Patrick Grainville

"Je reste en France, Patrick Grainville vient d’être élu à l’Académie Française et cette élection coïncide avec la sortie de son livre qui s’appelle La falaise des fous au Seuil qui est peut-être son ouvrage le plus riche et le plus ambitieux. C’est un roman très substantiel qui se passe à Etretat, d’où la falaise. C’est la falaise de la folie et cette folie c’est celle de la création et que les véritables héros de ce livre, qui a bien entendu une intrigue dont le héros principal est natif d’Etretat, ce sont Courbet et Manet. Et le vrai sujet de ce livre est la peinture. Il y a peu de romans qui s’efforcent ainsi d’entrer aussi profondément dans la technique et dans l’âme de la peinture avec énormément de couleurs comme dans les tableaux et un certain lyrisme. Le livre est d’autant plus riche qu’il couvre la fin du 19ème siècle et le début du 20ème siècle et qu’il traverse autant les funérailles de Victor Hugo, la mort de Guy De Maupassant, l’affaire Dreyfus, la première Guerre Mondiale et la vie dans les tranchées, le tout à la lumière de la peinture de Monet et de la force de celle de Courbet. "


Dans les archives secrètes du Quai d’Orsay

"Je voudrais me féliciter du fait que le quai d’Orsay, le ministère des Affaires Etrangères, continue à exploiter de façon intelligente les archives diplomatiques, et à les ouvrir davantage au public. Il vient de publier si j’ose dire aux éditions de l’Iconoclaste, un nouveau volume qui s’appelle Dans les archives secrètes du Quai d’Orsay. Le mot secrètes est un peu racoleur on aurait pu s’en passer. Il porte cette fois ci sur la période 1945-2001, donc sur un histoire très contemporaine avec donc des archives déclassifiées de manières prématurées par la commission de déclassification. Dans les archives du Quai d’Orsay l’engagement de la France dans le monde sous la direction scientifique de Maurice Vaïsse et d’Hervé Magro qui est le directeur des archives, découpe l’histoire de ces années en une vingtaine de chapitres : Diên Biên Phu, la crise de Suez, la chute du Shah, la crise des missiles à Cuba, etc. en publiant à chaque fois des télégrammes, des textes de commentaires par un historien, ou un commentateur et des photographies très frappantes. Je crois que c’est un travail très utile que M. Le Drian souhaite encourager."


La Corée du Nord en 100 questions

"Philippe vous savez avec quel enthousiasme et quel zèle je suis les traces de M. Trump où qu’il aille. Il est ces temps-ci en Asie, en tournée, et nous en parlerons la semaine prochaine puisque son voyage n’est pas terminé. Je voulais donc vous recommander un petit livre sans grandes prétentions, publié chez Tallandier par Juliette Morillot et Dorian Malovic, qui s’appelle La Corée du Nord en 100 questions. Il examine de façon très méticuleuse les différentes composantes de l’énigme nord-coréenne en analysant à la fois son histoire, son économie, sa société. Et je trouve très intéressantes les informations qu’il contient mais le fait qu’au fond les deux auteurs calent un peu lorsqu’il s’agit d’expliquer l’ardeur avec laquelle la Corée du Nord poursuit son programme nucléaire militaire. Ils donnent deux ou trois explications mais ils hésitent devant cette conclusion qui me paraît pourtant évidente qui est que la Corée du Nord va de l’avant dans ce domaine simplement pour assurer sa propre survie et la survie de sa dynastie."


Souvenirs dormants

"Toute petite incursion dans la littérature pour faire écho à une recommandation qui a été faite il y a quelques semaines par l’un d’entre nous ou l’une d’entre nous, mais je sais que c’est autorisé par la direction. Je veux dire le bonheur de la lecture du dernier livre de Patrick Modiano, Souvenirs dormants, publié chez Gallimard dans la collection Blanche. C’est un tout petit livre, particulièrement mince même pour Modiano, mais c’est un bonheur de lecture parce que cette atmosphère qui est toujours la même, ces brumes qui errent dans les rues de Paris autour de visages estompés, cette évocation de personnages oubliés dont on ne sait rien ni n’apprendra rien, mais cette légèreté d’écriture et l’originalité profonde de cette voie qui est celle de Patrick Modiano méritent particulièrement d’être soulignées car c’est un phénomène très unique dans notre littérature."


Hommage à Philip Roth

"Personnellement je voulais saluer la mémoire de Philip Roth qui nous a quittés cette semaine à l’âge de 85 ans et il faut vraiment être un scandinave semi-assoupi du jury du prix Nobel pour ne pas constater que Roth est un des plus grands écrivains du XXe siècle. Il est vrai qu’ils ont déjà raté Joyce, Proust et Nabokov qu’ils n’ont pas davantage couronné. Tout ça pour dire que c’est l’un des plus grands auteurs américains de la deuxième moitié du XXe siècle. C’est un homme qui au-delà des explorations psychanalytiques s’est beaucoup interrogé sur la nature humaine et ses dernières œuvres sur la maladie, le vieillissement, la mort sont absolument bouleversantes dans l’ensemble et que ses grands romans comme American Pastoral décrivent les névroses ou les maladies de la société américaine du siècle dernier avec une acuité et avec un talent qui en font un vrai géant de la littérature "


La ruée vers l'Europe - Stephen Smith

"La Revue des 2 mondes vient de remettre son prix annuel. Un prix qu’elle décerne toujours à un essai en langue française paru dans l’année. Ce prix est allé au livre de Stephen Smith La ruée vers l’Europe. Stephen Smith, comme son nom ne l’indique pas, est un journaliste français bien qu’il soit franco-germano-américain. Il est professeur à l’université de Duke en Caroline du Nord où il enseigne les affaires africaines, il a été auparavant le chef de la Rubrique Afrique dans les journaux français à Libération d’abord puis au Monde et en se fondant sur la démographie et sur des chiffres extrêmement percutants il a écrit ce livre La Ruée vers l’Europe : la jeune Afrique en route pour le Vieux Continent publié chez Grasset. Ca se lit remarquablement bien et cela montre la bombe démographique que nous avons sur le pas de notre porte puisque le 1,5 milliard d’africains qu’il existe aujourd’hui deviendra 2,5 milliards en 2050 alors même que la population de l’Europe diminue et qu’il démontre de façon très intéressante dans un chapitre médian de son livre, le fait que c’est le développement économique dans un certain nombre d’Afrique qui est le ressort principal de l’émigration et non l’extrême misère car les gens qui sont dans l’extrême misère sont malheureusement incapables de se donner les moyens de songer à l’émigration. C’est au contraire l’élévation du niveau de vie, l’éducation etc qui poussent un certain nombre d’africains à vouloir tenter l’aventure européenne. Et ce défi gigantesque est fort bien argumenté et fort bien posé par le livre de Stephen Smith."


France-Israël, histoires secrètes d'une amitié déçue Vincent Nouzille

"La semaine politique française ayant été marquée par la visite de Benjamin Netanyahu dont la présence au Grand Palais a permis de fermer la moitié de la ligne 1 dont je suis utilisateur régulier. J’en profite pour signaler un livre fort intéressant d’un journaliste d’investigation et producteur de film documentaire à la télévision. Il s’appelle Vincent Nouzille, il a déjà publié un nombre important de livres chez Fayard et chez l’éditeur Les liens qui libèrent. Il a consacré son dernier livre aux relations franco-israéliennes. Le livre s’appelle Histoire secrète : France Israël 1948-2018, le titre est bien sûr un peu racoleur mais il est extrêmement intéressant de retracer comme il le fait, en ayant eu accès à des documents français, américains, israéliens… qui ne sont pas toujours connus, l’histoire de relations bilatérales, relation je t’aime moi non plus très très difficile entre la France et Israël au fil des années. La façon dont il retrace les 20 premières années de 1948 à la guerre des six jours, qui étaient des années d’alliance étant trop étroite entre la France et Israël, la fracture complète de la guerre des six jours de 1967 et ensuite les tentatives maladroites, laborieuses e fonction des présidents français et des gouvernements israéliens pour essayer de renouer un dialogue constructif dans un Proche Orient qui est tout à fait ingouvernable, cette histoire est extrêmement passionnelle, extrêmement difficile et fort bien racontée par Vincent Nouzille."


Quatuors de Charles Gounod

"La fin de la semaine qui vient de s’écouler était celle de la fête de la musique donc je vais faire un brève musicale en recommandant une curiosité discographique qui vient de sortir. L’année 2018 est l’année Gounod et voilà que vient de sortir aux éditions Aparté Musique, l’intégrale des quatuors à corde de Charles Gounod qu’on avait jamais enregistré. Gounod ne les aimait pas, il les avait rangé dans un tiroir et quand son copain Saint-Saëns est venu le voir un jour, il lui a dit « qu’as tu fait de beau ces temps-ci », Gounod lui répondit : « je viens d’écrire des quatuors mais ils sont mauvais, je ne te les montrerai pas ». On vient de les enregistrer donc, c’est un enregistrement intéressant qui regroupe les 5 pièces jouées par le quatuors Cambini Paris. Cela mérite d’être écouté car c’est une nouveauté néo-classique."


Constantinople par Théophile Gautier

"- De plus en plus épuisé par l’actualité, j’aime les choses qui ne vieillissent pas et donc je me replonge dans les auteurs classiques. Dans la série « Il faut relire… » et pour la concilier avec l’actualité des élections turques et de Monsieur Erdogan, je vous recommande vivement le livre paru chez Bartillat il y a déjà quelques années d’ailleurs, qui rassemble les chroniques qu’a écrites Théophile Gautier sur Constantinople pour la presse d’Emile de Girardin. Si vous voulez mesurer à quel point en un siècle de temps la Constantinople ancienne n’a plus rien à voir avec l’Istanbul moderne, il suffit pas de relire Pierre Loti avec Monsieur le Président de la République, il faut relire Théophile Gautier et ce magnifique ensemble d’articles sur Constantinople, retraçant un voyage qu’il a fait en 1852, qui est un véritable enchantement ne fut-ce que pour la magie absolue qu’est cette langue étincelante de Gautier "


Both directions at once. The lost album

"Il y a eu un événement majeur cet été : on a ressorti un enregistrement inédit de John Coltrane. John Coltrane est mort en 1967 à l’âge de 40 ans et c’est un des plus grands créateurs de l’histoire du jazz. On vient de retrouver miraculeusement dans les affaires de sa première femme, Naïma, pour laquelle il avait écrit une magnifique ballade, des bandes magnétiques enregistrées par John Coltrane et son quartet en mars 1963 qui avaient été complètement oubliée par lui. On vient de les publier sous la marque Inpulse dans un disque magnifique qui s’appel Both directions at once. C’est un enregistrement magnifique où l’on entend non seulement John Coltrane au sommet de son pouvoir de création mais aussi son quartet particulièrement soudé et en forme. "


Cabinet de curiosités sociales

"Je vous recommande une lecture plus légère de Gérald Bronner qui est professeur de sociologie à l’Université Paris Diderot et qui est déjà l’auteur d’un certain nombre d’excellents ouvrages et notamment La démocratie des crédules (2013). Il rassemble des textes et des articles dans un petit livre extrêmement stimulant qui s’appel Cabinet de curiosités sociales qui est publié aux PUF. Il continue avec son alacrité et sa sagacité à explorer le monde médiatisé, numérisé dans lequel nous sommes appelés à vivre. Il pose plusieurs questions, Pourquoi les réseaux sociaux rendent-ils malheureux ? par exemple. Il explore les différentes manifestations de la langue de bois. C’est un livre insolent, intelligent, intéressant et je crois très divertissant. "


Picasso. Bleu et rose

"Je voulais vous exhorter à aller au musée d’Orsay pour aller voir l’exposition Bleue et Rose parce qu’elle est très intéressante et très riche. Elle montre les premières années de Picasso et montre à quel point le jeune Picasso est un pur produit du XIXème siècle. Elle montre une production picturale extraordinairement riche et abondante. Il avait 27 ans au moment où se termine l’exposition ce qui est prodigieux. Il y a beaucoup de dessins, d’œuvres sur papier qui sont réellement d’un virtuose et qui illustrent parfaitement ce que Picasso disait de lui-même : « Je voulais être peintre et je suis devenu Picasso ». "


Cold War

"En ma double qualité d’amateur de géopolitique et d’amateur de romanesque je voudrais recommander chaleureusement à ceux de nos auditeurs qui ne l’ont pas encore vu de se précipiter dans leur cinéma pour y voir le film qui s’appel Cold War. C’est un film du réalisateur Pawel Pawlikowski qui était l’auteur du magnifique film Ida. Ce film a eu le prix spécial du jury à Cannes et le mérite amplement. C’est un film magnifique, bref à une époque où beaucoup de réalisateurs tendent à ne pas savoir s’en tenir à l’heure et demie. Il raconte de façon extraordinairement efficace et par bonds successifs une histoire compliquée, de façon très cursive, très taciturne, très peu bavarde, avec des images magnifique et deux acteurs sublimes : Joanna Kulig et Tomasz Kot. C’est un film qui dépeint l’atmosphère de la guerre froide et l’implication de la guerre froide dans des vies individuelles par des touches légères et efficaces. "


Eoliennes : chronique d’un naufrage annoncé

"Je voulais recommander un brillant plaidoyer contre les éoliennes. Pierre Dumont, un industriel, et Denis de Kergorlay, homme qui s’est adonné à l’action associative, publient aux éditions François Bourin un livre qui s’appelle Eoliennes : chroniques d’un naufrage annoncé. C’est un plaidoyer plein de bon sens contre les éoliennes sous tous leurs aspects : le ravage du paysage et des sols agraires, inefficace sur le plan énergétique puisqu’il s’agit d’une énergie chère pour le consommateur. Je les vois pousser comme coquelicots au printemps avec horreur. Ces vilains moulins à vent sont en train de ruiner le paysage français sans que Don Quichotte ne puisse plus rien y faire. "


Le soleil ne se lève plus à l’Est

"Je voudrais un mot d’un livre publié par l’un de mes collègues, Bernard Bajolet. Le genre de mémoire d’un ambassadeur est un genre qui était tombé en désuétude ces dernière années et d’ailleurs je m’en réjouissais plutôt qu’autre chose pour ma part mais il est en train de revenir un petit peu à l’initiative de quelque uns. Bernard Bajolet est un diplomate particulièrement intéressant qui fait mentir postumément Monsieur Pompidou qui considérait la diplomatie comme « une affaire de petits gâteaux et de tasses de thés »; une des plus grandes erreurs de jugement d’un ancien président de la République que j’ai jamais pu constater. Bernard Bajolet est un diplomate qui aime les postes à risques : il a été ambassadeur en Jordanie, à Sarajevo, à Bagdad, à Alger et a terminé ambassadeur à Kaboul. On peut difficilement faire mieux. Il a publié sous le titre « Le soleil ne se lève plus à l’Est » chez Plon les mémoires d’Orient d’un diplomate extrêmement intéressant et certains chapitres nous font véritablement replonger dans des enfers qui ne sont pas si loin de nous. Je pense par exemple au chapitre sur le chaos irakien quand il est arrivé à Bagdad au début de l’année 2003 et qu’il y est resté pendant les quatre années suivantes successives avec l’arrivée de Daech sur le territoire irakien et le chaos dans lequel les américains ont laissé ce pays. Ce sont des épisodes qui sont remarquablement bien écrit dans ce livre. Je rappelle que Bernard Bajolet a terminé sa carrière comme directeur de la DGSE après avoir été coordinateur du renseignement à l’Elysée précédemment. Il ne parle cependant guère du renseignement dans cet ouvrage mais plutôt de la diplomatie et du triste état du Moyen-Orient. "


Chefs d’état en guerre

"Plus prosaïquement je voudrais vous recommander le livre du Général Bentegeat qui s’intitule « Chefs d’état en guerre » paru aux éditions Perrin. René Brouillet avait fait remarquer à de Gaulle que dire "un normalien sachant écrire" était un pléonasme, on peut cependant se dire qu’une général sachant écrire n’en est pas un. Or le général Bentegeat a une plume forte élégante et le livre est très intéressant car il juge l’action d’un certain nombre de chefs d’état, anciens et modernes, du point de vue de chef des armées, de stratège et de commandant en chef devant les milices. Il y a deux chapitres très intéressants à la fin sur Mitterrand et sur Chirac qui ont l’épaisseur du vécu puisqu’il a travaillé avec l’un et avec l’autre - Chirac durant la guerre de Bosnie et du Kosovo par exemple . Mais il remonte beaucoup plus loins dans l’Histoire en évoquant Clémenceau ou encore Napoléon III et Lincoln pendant la guerre de sécession. Il juge également Hitler et Staline en chef de guerre et pas seulement en homme d’état. Cette vision d’un militaire intelligent et cultivé sur des vrais commandants en chef est extrêmement intéressante. "


Berlioz, Les Troyens ( Erato – Warner Classics France) avec J. DiDonato, M. Spyres, Choeur et Orchestre philharmonique de Strasbourg. Direction : John Nelson

"Un mot de musique si vous permettez puisqu’elle adoucit, parait-il, les moeurs. Vous permettrez au vieux fan inconditionnel d’Hector Berlioz que je suis de se réjouir très vivement du fait que les victoires de la musique de 2019 ont couronné un enregistrement magnifique d’une version de concert des troyens qui a été donné par l’orchestre national de Strasbourg et les choeurs de l’opéra du Rhin, sous la direction de John Nelson avec de splendides interprètes comme Joyce DiDonato et Michael Sypres. C’est une première raison pour laquelle je me réjouis puisque ça couronne une magnifique oeuvre. La seconde, c’est que ça nous venge de la désolante version des troyens que nous offre l’opéra Bastille pour l’instant et qui est absolument consternante; d’abord sur le plan musical car il y a des coupes sombres, ensuite parce que la mise en scène d’un prétendu metteur en scène transgressiste aboutit à des situations qu’on dirait niaiseuses au Québec (notamment le fait que l’un des plus beaux duos d’opéra français : le fameux « Nuit d’ivresse et d’extase » est donné par Didon et Enée dans un tropique de bazar. Ceci appelait vengeance et les victoires de la musique s’en sont chargées. "


L’affolement du monde

"Je salue la sortie du livre de François Gomart, le directeur de l’IFRI, qui a publié chez Tallandier un livre qui s’appelle L’affolement du monde. C’est un tableau contemporain de toutes les coutures qui craquent dans le monde contemporain par rapport à ce que nous en avons hérité. C’est un très bon livre qui passe en revue tous les défis du monde nouveau. Je trouve que l’analyse de Thomas Gomart sur les principaux protagonistes, sur la Chine, la Russie et les Etats-Unis est très pertinente et la façon dont il voit se dessiner ce triangle un peu infernal russo-sino-états-unien et dont il voit diminuer le rôle et les moyens de l’Europe. C’est un bon livre, clair, bien documenté et intéressant. "


Le Musée Pouchkine. Cinq cents ans de dessins de maîtres

"Je vous invite à vous rendre à la fondation Custodia qui fut jadis l’institut néerlandais rue de Lille pour y voir l’admirable exposition de dessins : « Le Musée Pouchkine. Cinq cents ans de dessins de maîtres ». Le musée Pouchkine possède une exceptionnelle collection de dessins (27 000 je crois). Ils ont envoyé pour cette exposition 200 feuilles de très grands maitres qui d’habitude voyagent peu. C’est une exposition qui va de la Renaissance allemande et italienne et jusqu’aux avant-garde russes des années 20 et française. C’est une exposition de toute beauté, ne la manquez pas elle est là jusqu’au 12 mai."


L’Ukraine, une histoire entre deux destins

"Je recommande un bon livre sur l’Ukraine et il n’y en a pas 36 donc il faut les signaler quand il y en a un. Il s’agit du livre de Pierre Lorrain, écrivain et journaliste connu pour tous ces travaux sur le monde russe en général : « L’Ukraine, une histoire entre deux destins » publié chez Bartillat. C’est une très bonne somme sur l’histoire de l’Ukraine sur la grande principauté de Kiev jusqu’aux origines de la sitch cosaque. Vous verrez beaucoup plus près comment est né le nationalisme ukrainien, comment il se ramifie et quels sont les problèmes aujourd’hui de ce grand pays à la fois proche et lointain de nous et de l’Europe. "


leoh Ming Pei

"Je voudrais rendre hommage à leoh Ming Pei qui nous a quitté le 16 mai mort à l’âge de 102 ans. C’est l’architecte de la pyramide du Louvre, de la Bank of China à Hong Kong, du musée de Suzhou… C’est un chinois né à Canton qui est devenu américain et a exercé ses talents depuis les Etats-Unis principalement et dans le monde entier. J’étais ravi de constater qu’un certain nombre d’articles nécrologiques avaient rappelé que cet artiste avait déclaré que sa création favorite était le rock’n’roll Hall of fame à Cleveland. Il avait par ailleurs déclaré suite à des interrogations sur le fait qu’il n’ai pas construit d’églises : « je fréquente des banques, j’ai été malade mais je ne crois pas et donc je ne suis pas compétent pour construire des églises. »"


De Gaulle 1969

"Je voulais signaler le livre d’Arnaud Teyssier sorti aux éditions Perrin qui s’intitule « De Gaulle 1969 ». C’est un livre qui me touche beaucoup parce que j’ai vécu pour ma part l’année 1969 à l’Elysée auprès du général de Gaulle. Le livre est très intéressant parce qu’il essaye de rationaliser quelque chose qui a déconcerté tous les français à l’époque c’est à dire la décision du général de Gaulle après 1968 alors qu’il s’efforçait de remettre le pouvoir sur les rails, de se tourner vers un référendum dont le thème était la régionalisation et la surpression du Sénat. Arnaud Teyssier élabore la thèse selon laquelle le général sentant que la fin de son règne était proche, s’est efforcé de consolider les institutions de la Vème République. Il voulait par conséquent léguer aux français quelque chose qui marche. C’est une thèse intéressant mais un peu trop belle qui a tendance à évacuer la thèse du suicide politique. "


Ballades

"Je voudrais renouer avec l’un de mes péchés mignons en vous recommandant l’écoute d’un disque de jazz de très grande qualité, du pianiste Ahmad Jamal, qui n’a jamais que 89 ans, et qui livre ici, très inhabituellement un album en solo, alors que c’est l’un des rois du trio. Ce disque s’appelle Ballades, il est extrêmement bien présenté, très réfléchi, très mûr, et assez émouvant puisqu’il va jusqu’à rendre hommage - sans le dire - à Bill Evans en jouant deux morceaux qui étaient des thèmes sur lesquels Bill Evans revenait toujours pendant les dernières années de sa vie : Your story, et Emily. Ahmad Jamal les interprète ici à sa façon, en utilisant le clavier avec une maestria et une profondeur tout à fait remarquables."


Dictionnaire amoureux de la diplomatie

"Enfin un dictionnaire amoureux de la diplomatie ! L’auteur est mon collègue, et néanmoins ami Daniel Jouanneau, qui a eu une carrière d’ambassadeur très distinguée, et fut aussi inspecteur général des postes diplomatiques et chef du protocole. C’est un livre très amusant, pour tous ceux qui ont des idées toutes faites, ou pas d’idée du tout, sur un métier très mal connu. Ce dictionnaire amoureux est très pédagogique sans jamais être ennuyeux. Il est plein de culture historique, il comprend des anecdotes que seul un chef du protocole peut connaître. Pour tous ceux qui pensent, comme le disait Pompidou, que la diplomatie c’est « le petit gâteau et la tasse de thé » ce livre sera très profitable : il montre avec talent un métier compliqué dans toutes ses dimensions."


River of time : mémoires de la guerre du Vietnam et du Cambodge

"Je vous emmène jusqu’au Vietnam et au Cambodge, pour vous recommander la lecture d’un livre publié cet été seulement , aux éditions de l’Equateur. Il est de Jon Swain, journaliste britannique qui fut le correspondant du Sunday Times, et il est intitulé « River of time : mémoires de la guerre du Vietnam et du Cambodge ». C’est un livre tout à fait remarquable, qui fait vivre aux premières loges, non seulement la guerre du Vietnam, mais la prise de Phnom Penh, l’arrivée des Khmers Rouges, l’installation de ce régime dont personne n’avait soupçonné la cruauté. Le livre est extraordinairement vivant, il avait d’ailleurs déjà été publié en Grande-Bretagne en 1995. "


Civilizations

"Je me suis distrait de la dureté des temps en lisant ce livre de Laurent Binet, couronné du Grand Prix du roman de l’Académie Française. Il s’agit d’une uchronie, c’est à dire une réécriture de l’Histoire (« que se serait-il passé si ...? »). Ici, il est question des Indiens d’Amérique. S’ils avaient disposé de la métallurgie et du cheval quand les Européens sont arrivés, la face du monde en eut été changée. Dans ce livre, des Vikings découvrent l’Amérique en arrivant dans leur drakkar, ils ont emporté quelques chevaux qui s’acclimatent, et enseignent les rudiments de la métallurgie aux autochtones bienveillants. Ce qui fait que quand Christophe Colomb débarque, il est accueilli par des cavaliers belliqueux qui lui tirent des flèches aux pointes métalliques. Colomb est en déroute, et ce sont au contraire les Indiens qui découvrent l’Europe. Atahualpa, le chef des Incas arrive au Portugal , pousse jusqu’en Espagne où il détruit l’Inquisition, emprisonne Charles Quint, etc. C’est une lecture très distrayante."


Les dents de la maire

"Quant à moi c’est sur Paris que je m’attarderai. Je confesse avoir pris plaisir à la lecture du petit livre de Benoit Duteurtre, Les dents de la maire, dont le sous-titre est « souffrances d’un piéton de Paris ». Appartenant moi-même à cette catégorie du piéton innocent, subissant la dictature du vélocipède, de l’agressivité de la trottinette, de l’omniprésence des barrières grises, j’ai beaucoup sympathisé avec ce livre, avec lequel je me suis senti tout à fait en phase. C’est un recueil de chroniques, pas tout à fait tendre avec la maire sortante, qui apparaît dans un certain nombre de cauchemars qui viennent hanter les nuits de l’auteur. C’est écrit avec esprit, avec verve, le livre fait preuve de beaucoup de bon sens, et il exprime beaucoup des sentiments que je ressens en me promenant dans Paris par les temps qui courent. "


Le naufrage des civilisations

"Dans nos réflexions sur les changements du monde, la disparition de l’Occident et tout ce qui s’ensuit, je voudrais simplement dire le plaisir et l’intérêt que j’ai eus à lire le livre d’Amin Maalouf, publié chez Grasset. C’est une très intéressante analyse de la disparition de ce qu’on appelle « le vivre-ensemble », qui caractérisait les sociétés moyen-orientales et celles du Levant. L’émiettement de l’Occident commence par celui de la mosaïque de cultures et de religions du Levant. Ce livre est aussi intéressant qu’éclairant."


Une brève éternité

"Je voudrais partager avec nos auditeurs l’intérêt et le plaisir que j’ai eus à lire le dernier essai de Pascal Bruckner, "Une Brève Eternité », paru chez Grasset en décembre 2019, dont j’ai trouvé dans l’ensemble la lecture intéressante et agréable, mais surtout ragaillardissante. Le livre porte le sous-titre « Philosophie de la Longévité », sous-titre fort approprié, car c’est bien cette philosophie que Pascal Bruckner y esquisse avec élégance, profondeur, et sérénité. «  Une Brève Eternité » est en effet une réflexion sur la vieillesse et la mort, mais sur une vieillesse retardée et une mort, pour toujours inévitable qu’elle soit, désormais différée. La réflexion de Bruckner est centrée sur le sursis généreux que la démographie nous accorde. Notre espérance de vie, constate-t-il, a gagné 15 ou 20 ans par rapport à celle des générations antérieures, celles de nos pères et grand-pères. Une vingtaine d’années de plus nous est octroyée, qui se situe entre la maturité et la vraie vieillesse, et que l’auteur appelle, d’une jolie formule, « l’été indien de la vie ». Un cadeau ambigu, dont il faut savoir user avec un mélange bien dosé de gourmandise et de sagesse, sans pour autant verser dans les travers qu’il peut engendrer chez certains - tels le « jeunisme », le refus caricatural de vieillir ou simplement d’assumer son âge, qui caractérise souvent nos contemporains : un ridicule que l’auteur dénonce avec un esprit non dénué d’une certaine vacherie assez bien tournée, qui donne au livre quelques-unes de ses pages les mieux venues."


Notes from New York

"Je voulais vous dire un mot de jazz, qui peut être un réconfort dans ces périodes de souci. Je vous recommande un pianiste, véritable figure de la vie new-yorkaise depuis déjà une bonne vingtaine d’années. Il s’appelle Bill Charlap, est très peu connu en France. Son jeu est assez traditionnel, il joue beaucoup les standards sans chercher à innover de façon spectaculaire. Il cultive le bon répertoire, et joue beaucoup en trio, avec ses deux complices, le bassiste Peter Washington, et le batteur Kenny Washington (sans liens de parenté). Bill Charlap a sorti bon nombre d’excellents disques, celui que je vous recommande date d’il y a environ deux ans. Au moment où la grosse pomme est très durement touchée, voilà une façon d’être avec nos amis new-yorkais. "


Chanson bretonne

"Dans ces temps de soucis géopolitiques, il faut avoir recours à la littérature pour essayer de survivre, et je vous recommande vivement ce livre de J-M G Le Clézio que je viens de lire avec énormément de plaisir. Il s’agit de deux textes, le premier est une promenade nostalgique dans les vacances bretonnes de Le Clézio dans les années 1950, le second s’intitule « l’enfant et la guerre », je trouve qu’il s’agit d’un texte très fort, très ramassé, à la fois beau, simple et rude. Le Clézio, à travers les souvenirs personnels qu’il évoque de ces années de guerre qu’il a passées caché dans l’arrière-pays niçois, s’interroge sur le sort de tous les enfants qui subissent les guerres, et considèrent la guerre comme une donnée de leur environnement, sans la comprendre, sans pouvoir l’influencer, en se bornant à la subir et à s’y adapter."


J’ai tant vu le soleil

"Je voulais vous dire le plaisir que j’ai eu à lire le dernier petit livre d’Emmanuel de Waresquiel, consacré à Stendhal. C’est un petit livre, écrit au fil de la plume, mais quand celle-ci est aussi élégante et incisive, on ne boude pas son plaisir. Il retrace l’itinéraire personnel et littéraire de Stendhal, et si l’un de nos auditeurs le lit et résiste à la tentation d’une sixième relecture de la Chartreuse de Parme, c’est que son cas est vraiment désespéré. "


Lettres d’Amérique

"Je change de terrain et traverse l’Atlantique pour attirer votre attention sur la publication des Lettres d’Amérique de Georges Clémenceau. Le jeune Clémenceau âgé de 24 ans s’est rendu aux Etats-Unis en 1865. Il y est resté jusqu’en 1869, et il a observé la vie politique américaine, en correspondant pour le journal Le Temps. Les lettres publiées font état de la reconstruction au lendemain de la guerre civile, une période particulièrement difficile, et de la lutte entre Andrew Johnson, le président qui succéda à Lincoln et était pour une réintégration rapide des États sudistes dans l’Union, et les radicaux, favorables à des sanctions bien plus dures (qui accèderaient ensuite à la Maison Blanche avec Ulysses Grant). Les sympathies de Clémenceau allaient aux radicaux. Il a assisté à tout cela, à la tentative d’impeachment contre Johnson, qui échoua de justesse. A propos de l’élection présidentielle américaine, Clémenceau écrit : « ce carnaval américain, ce dévergondage général des esprits qu’est l’élection présidentielle, durant laquelle prévaut la liberté absolue de parler et d’écrire, de se moquer, d’insulter, de médire, d’inciter à la haine et au mépris de qui et de quoi que ce soit ». Et Trump n’était pas encore né."


Facing you

"Je voulais souligner une triste nouvelle : Le très populaire pianiste Keith Jarrett cesse son activité, pour des raisons médicales. Deux AVC l’ont laissé paralysé de la main gauche, il dit donc adieu à la scène, et sans doute au piano. En outre, le bassiste qui l’accompagnait, Gary Peacock, est mort au mois de septembre. Pour se remettre de cette triste nouvelle, je vous recommande le premier de ses disques, qui date de 1972, et qui contient déjà toutes les promesses que Jarrett tiendra par la suite dans ses disques en solo. "


L’égalité un fantasme français

"Je m’éloigne un peu des Etats-Unis pour vous recommander ce petit livre de Michel de Rosen que j’ai trouvé très stimulant. Selon l’auteur, la passion des Français pour l’égalité fait qu’ils surestiment le niveau des inégalités, préfèrent l’égalité apparente à l’égalité réelle et, en s’arc-boutant sur la réduction des inégalités de revenus, négligent le combat de la mobilité sociale, qui est en réalité la clef de l’égalité véritable. Le livre est très intéressant et se lit facilement."


Journal de l’année de la Peste

"Puisque nous sommes dans une atmosphère anxiogène, restons-y. Je sais que depuis le début de l’épidémie, tout le monde a relu La Peste ou Le Hussard sur le toit, mais je vous recommande une troisième lecture de ce genre. Il s’agit du journal de l’année de la peste, de Daniel Defoe (l’auteur de Robinson Crusoé). Il a composé un journal frictionnel à propos de la grande peste qui ravagea Londres en 1665-1666 et y fit 70 000 morts. La narration est très méticuleuse, et vous trouverez beaucoup d’échos à la pandémie actuelle, que ce soit dans toutes les mesures de confinement, dans les réactions de la population ou les menaces ressenties par les uns et pour les autres."


Hommage à Chick Corea

"En tant qu’ambassadeur de la planète jazz auprès du Nouvel esprit public, je me dois de saluer la mémoire d’un grand musicien, Chick Corea, qui vient de nous quitter à 79 ans. Compagnon de route de Miles Davis, avec qui il marqua l’avènement du jazz-rock, merveilleux pianiste, qui aura marqué la scène du jazz contemporain autant que Keith Jarrett ou Herbie Hancock. On se souviendra de son esprit d’innovation, de son recours au clavier électrique, à la fusion avec le rock. Mais également de son enthousiasme, sa gaieté et sa latinité puisqu’il était d’ascendance italienne. J’en profite pour recommander un disque qu’il venait d’enregistrer, qui est donc un peu son testament musical. Il est simplement intitulé « Chick Corea plays » et réunit des extraits de concerts donnés à Paris, Berlin ou Clearwater. "


Les ors de la République

"Je vous signale l’excellent petit livre du général Bentégeat, sous-titré « souvenirs de sept ans à l’Elysée » qui vient de paraître. Le général Batégeat n’est pas seulement doté d’une excellente plume, il a aussi été chef d’état-major particulier du président Mitterrand, puis du président Chirac. Il a donc une expérience particulière de ce poste. Il raconte donc non seulement la vie à l’Elysée sous deux présidents fort différents, mais on en apprend également beaucoup sur le système de notre défense nationale."


L’iris sauvage

"Je voudrais vous recommander de la poésie. Et notamment la découverte faite grâce aux jurés du prix Nobel, qui l’ont décerné à Louise Glück, une poétesse américaine. En France, elle n’avait encore jamais été traduite, et était quasiment inconnue. Fort heureusement cette injustice est réparée. Louise Glück est tout à fait reconnue aux Etats-Unis, elle a déjà été récompensée de nombreux prix littéraires (il y en a là-bas pour la poésie, au contraire de la France). Gallimard vient de publier deux recueils, l’Iris sauvage, et Nuits de foi et de vertu. L’édition est excellente, elle est bilingue et permet de découvrir une poétesse aussi originale que touchante. Son langage n’a rien d’hermétique, elle utilise les mots les plus quotidiens, mais le résultat est pourtant très énigmatique, doté d’une grande spiritualité, et très polyphonique. Elle utilise en effet beaucoup le « je », mais souvent, et comme il se doit en poésie, le « je » est un autre. Tantôt l’auteure, tantôt le créateur, tantôt un autre personnage. Simple, lyrique, spirituel. Tout à fait unique."


La rafle du Vel d’hiv : Paris, juillet 1942

"Je ne suis sans doute pas le premier à le faire, mais je tiens à saluer le livre de Laurent Joly. C’est évidemment une lecture extraordinairement émouvante, mais aussi très intéressante car l’ouvrage est un modèle de rigueur dans la documentation et de clarté dans les conclusions qu’il dégage. C’est l’un des évènements les plus douloureux et honteux de l’Histoire de France, il n’était pas facile de s’y plonger ainsi, en étudiant aussi exhaustivement des archives très disparates. Il est toujours bon de regarder le passé de son pays avec courage. Dans le rafle du Vel d’hiv, contrairement à ce qui s’est passé aux Pays-Bas ou en Belgique, les Allemands n’ont pas participé, et la responsabilité de ce terrible évènement incombe totalement aux autorités de l’Etat de Vichy et notamment à deux personnes : Pierre Laval et René Bousquet."


Pensieri isolati

"Je n’ai pas pu jouer ici mon rôle de vigie en matière de nouvelles sorties de jazz pendant six mois, mais les convalescences ont au moins l’avantage de permettre d’écouter beaucoup de musique. Je vous recommande donc ce disque du pianiste italien Giovanni Mirabassi. Il joue habituellement en trio, mais cette fois-ci il s’agit de son premier disque en solo. Comme Bill Evans ou Keith Jarrett avant lui, des inspirations évidentes. Si vous ne réagissez pas avec émotion au « reactionary tango » par exemple, ou à « what’s new », deux des thèmes merveilleusement développés dans ce disque, c’est que votre cas est encore plus grave que vous ne le pensez."


Impressions de voyage - En Russie

"Dans les périodes de grande crise, rien de tel que la relecture des classiques. Puisqu’on ne peut pas se rendre en Russie en ce moment, je vous recommande de lire les Impressions de voyage d’Alexandre Dumas. Elles datent de 1859, une bonne époque, puisqu’il y est passé juste après la guerre de Crimée, et juste avant la crise polonaise. Il décrit avec cette plume inimitable, d’une extrême alacrité, non seulment son voyage en Russie, mais aussi des digressions infinies sur l’histoire du pays, des portraits rapides … Le tout avec beaucoup d’allégresse, de façon très primesautière. Cela justifie la réponse qu’il fit un jour à un critique, qui lui reprochait de prendre bien des libertés avec l’Histoire. Il rétorqua : « Oui. Mais avouez que je lui ai fait de bien jolis enfants ». "


Le chaos de la démocratie américaine

"J’espère que vous éprouverez autant de plaisir que j’en ai ressenti moi-même à la lecture de ce petit essai de Ran Halévi. Il s’agit d’une analyse remarquablement claire et intelligente de la crise profonde de la démocratie américaine, et des menaces qui pèsent sur son existence même. Il commence par une autopsie très clairvoyante de la journée du 6 janvier 2021, qui vit une foule, encouragée par M. Trump, assaillir le Capitole. L’auteur analyse la façon dont le populisme à la Trump d’une part, et le progressisme woke de l’autre se conjuguent pour saper les bases du libéralisme, socle de la démocratie à l’américaine. Concis, brillamment écrit et très éclairant. "


Le Président est-il devenu fou ?

"Je vous ramène aux Etats-Unis avec ce très original ouvrage de Patrick Weil. L’auteur est historien, directeur de recherches au CNRS et visiting professor à Yale. Il y est question du président Woodrow Wilson, qui présida au naufrage du traité de Versailles devant le Sénat américain, par un comportement intransigeant et largement aberrant. Un grand diplomate américain, William Bullitt, le croyait fou. Il s’est donc séparé de Wilson dont il avait été le conseiller. Il s’est longtemps entretenu avec Sigmund Freud à propos du président américain, si bien qu’ils ont écrit à quatre mains une espèce de psychanalyse écrite de Wilson. Ce livre ne fut publié qu’en 1966, mais garde sa pertinence. Une pièce de choix à verser au dossier « ces malades qui nous gouvernent ». Celui de Patrick Weil prend comme fil rouge la brillante carrière diplomatique de Bullitt. Fascinant, mais aussi très éclairant."


L’ennemi américain

"J’ai ressorti de ma bibliothèque ce livre de Philippe Roger paru en 2002, mais qui garde toute sa pertinence. Il porte le sous-titre : généalogie de l’antiaméricanisme français. C’est une histoire de ce sentiment, qui commence en France au XVIIIème siècle avec Turgot et les physiocrates, et qui s’est beaucoup développé au XIXème pour culminer au XXème. L’antiaméricanisme n’est pas une idéologie, il n’appartient ni à la droite ni à la gauche. Quand les Etats-Unis abandonnent l’isolationnisme que nous critiquons, nous leur reprochons aussitôt leur impérialisme. Quoi qu’ils fassent, ils ont toujours tort. Le livre est très bon, on peut tout de même regretter qu’il n’ait pas son pendant, traitant du sentiment anti-français en Amérique. Gageons que cet ouvrage-là serait sans doute encore plus épais que ce volume, qui compte pourtant 600 pages."


Journal : 1890-1945

"C’est toujours dans la musique que je cherche refuge contre les tracas du monde. J’ai donc été très intéressé quand Gallimard a publié le journal de Reynaldo Hahn, un musicien sous-estimé. Espérons que l’ouvrage servira à la réhabiliter. Le personnage est très intéressant, d’abord sur le plan personnel : ce rejeton d’une famille juive allemande immigrée au Venezuela et qui retrouva l’Europe par la France du Second Empire. Extraordinairement doué, élève de Massenet au Conservatoire, pour lequel il a des mots très affectueux et admiratifs. Il a traversé la première moitié du XXème siècle, et cette publication est en réalité un florilège. Ce journal va du flirt du jeune Reynaldo avec Cléa de Mérode, de la complicité avec Marcel Proust, jusqu’à son refuge à Monaco pendant l’occupation. Ses propos sur Pétain et Vichy sont très intéressants. Ce pur produit du XIXème siècle, brillant compositeur qui nous laisse une œuvre très belle et très riche, finira par diriger l’Opéra de Paris en 1946. Sa plume fait penser à un oursin, il y a beaucoup de piquants et de méchanceté. Tout à fait savoureux. "


Z comme zombie

"Un peu de Russie et d’Ukraine, pour achever de renforcer notre optimisme général. J’attire votre attention sur ce petit essai de Iegor Gran. C’est un écrivain russe de langue française, familier de la revue Esprit à laquelle il a contribué à de nombreuses reprises. Il s’agit d’une analyse de l’état d’esprit des Russes moyens à propos de la guerre en Ukraine, ou « l’opération militaire spéciale ». Ce livre est écrit de façon très vive, sur un ton pamphlétaire, sa lecture est très rapide. L’auteur y dénonce la transformation de la Russie en un « zombie land toxique » ; il décrit en réalité un empire du mensonge. Les ravages d’un mensonge systémique qui a duré un siècle, car il est l’un des produits du système soviétique. L’auteur trace une continuité très vive d’Ivan le Terrible à Staline et à Poutine. Le mensonge devient un principe d’action, comme dans la « dénazification » de l’Ukraine. L’ouvrage montre bien que les Russes ont un rapport très problématique à la vérité. Au Kremlin, on appelle « juste réalité historique » une réalité reconstruite pour coïncider avec une idéologie. Le livre est très stimulant, mais aussi très déprimant. Il décrit une société soumise au pouvoir. On sent bien que ce n’est pas d’elle que viendra la prise de conscience."


Cahiers de l’Herne : Jankélévitch

"Je salue la publication par les Cahiers de L’Herne d’un numéro consacré au philosophe Vladimir Jankélévitch. Il est très bien fait, comme toujours dans les Cahiers on y trouve des documents inédits, des portraits, des interviews, des critiques … Jankélévitch est l’un de nos grands philosophes, il a traversé tout le XXème siècle (il est né en 1903), enseigna à La Sorbonne pendant plus de 20 ans. Je me souviens avec émotion que du temps où j’y étudiais moi-même, je quittai certains cours pour aller écouter ceux de Jankélévitch deux étages plus haut. Il s’est essentiellement consacré à la morale et à la métaphysique, il a publié plusieurs ouvrages célèbres, dont le fameux « le Je-ne-sais-quoi et le presque-rien » au titre si accrocheur. Il était à la poursuite de l’insaisissable, non seulement en philosophie mais aussi en musique, puisqu’il a consacré plusieurs ouvrages à cet art. Son livre sur Gabriel Fauré est par exemple tout à fait remarquable. Très grand penseur, formidable enseignant, moraliste qui n’était sûr de rien, Jankélévitch a beaucoup à nous offrir. "


Le monde, en passant

"J’ai toujours considéré qu’il était très recommandable de joindre le futile à l’agréable, c’est pourquoi je vous conseille ce recueil de Pierre Loti, qui vient d’être publié par Calmann-Levy, l’éditeur historique de Loti. Il s’agit de reportages effectués entre 1872 et 1917. Parfois très brefs, et parfois signés Julien Viaud (son vrai nom). Ces récits de voyage se lisent avec un plaisir qui ne se dément pas, cette écriture très fluide et souvent teintée d’ironie vous fera voyager de l’Ile de Pâques à l’Océan Indien, en passant par sa chère Turquie ou par Londres, par l’Espagne … J’en profite pour passer un appel à nos amis de Gallimard : à quand Pierre Loti dans la Pléïade ?"


Georges et Carmen

"L’Opéra Comique vient de donner une bonne nouvelle production de Carmen, qui avait le mérite de la simplicité, de la légèreté et de l’absence de prétention. L’œuvre était très bien dirigée par Louis Langrée et le rôle titre admirablement bien tenu par Gaëlle Arquez. Mais surtout c’était un retour historique sur cette scène, puisque c’est dans la salle Favart que l’opéra fut créé, avant de passer au « grand » Opéra. A cette occasion je signale un roman que j’ai trouvé très plaisant, signé du cinéaste Jean Rousselot. C’est l’histoire romancée de la création de Carmen par Georges Bizet, qui comme chacun sait est mort à 36 ans, alors qu’on donnait la 33ème représentation de son œuvre, qui tardait à avoir du succès. Il eut une idylle avec Célestine Galli-Marié, la cantatrice qui fut la première Carmen à l’Opéra de Paris. Le roman est tout à fait délicieux, il est à la fois une illustration des affres de la création artistique et d’autre part des effets de miroir qui peuvent exister entre cette création et la vraie vie. "


L’énigme algérienne : chroniques d’une ambassade à Alger

"Faisant partie de cette corporation, j’ai été particulièrement frappé par la pluie de livres de souvenirs d’anciens ambassadeurs, c’est une véritable épidémie. Il faut donc être méfiant, mais tout de même, certains de ces livres sont intéressants, quand ils sortent de la catégorie des mémoires. C’est le cas de celui de Xavier Driencourt, publié en 2022. C’est le bilan d’une expérience forte (Driencourt a été deux fois ambassadeur en Algérie), et le livre et très éclairant sur le pays, et non sur les mémoires de son auteur. Le diagnostic que pose l’auteur sur l’Algérie est implacable, il démontre que le ressentiment anti-français est un fonds de commerce permanent, utilisé par les dirigeants algériens pour vivre d’une « rente mémorielle » ; c’est mis en lumière dans tous les chapitres qu’il examine, à propos de l’immigration, par exemple. Le fait qu’un pays qui critique ouvertement et constamment la France, et s’efforce d’éradiquer l’enseignement du français dans l’enseignement privé, vit toujours sur l’accord de 1968 sur l’immigration, donne à réfléchir."


Les aveuglés : comment Berlin et Paris ont laissé la voie libre à la Russie

"Je vous recommande le livre de Sylvie Kauffmann, particulièrement éclairant dans le contexte actuel. L’auteure analyse comment la France et l’Allemagne ont pensé possible de s’entendre avec M. Poutine, comment elles ont entretenu des illusions à propos de ce chef à la fois révisionniste et impérialiste. Sylvie Kauffmann a vécu en Allemagne et a pu enquêter auprès de presque toute la classe politique, ce qui montre à quel point l’aveuglement a été généralisé. Les socialistes ont toujours prôné une Ostpolitik qui les a conduit à des relations économiques aussi intégrées que possible avec la Russie, mais les conservateurs ont en définitive mené exactement la même. Les décisions qui ont placé l’Allemagne en totale dépendance à l‘égard de la Russie (la suppression de l’énergie nucléaire par exemple) ont été prises par Mme Merkel. Et pendant ce temps, nos présidents français ont entretenu d’extraordinaires illusions à propos de Vladimir Poutine."


Letter(s) to Erik Satie

"Il faut se trouver des consolations quand les temps sont trop sombres, pour ma part, je me tourne vers la musique et je vous recommande ce disque paru à l’automne dernier chez Erato. C’est l’excellent pianiste français Bertrand Chamayou qui l’interprète. Il s’agit d’un tête-à-tête inattendu et Franco-américain, entre Erik Satie et John Cage. Il met en parallèle et joue en alternance des pièces énigmatiques de l’un et de l’autre, nous faisant entendre la filiation entre le compositeur de la Belle époque (mort en 1925) et le chef de l’école minimaliste américaine (mort en 1992). Inattendu."


La fascination russe

"Je vous recommande le livre d’Elsa Vidal, une journaliste que vous avez certainement eu l’occasion de voir à la télévision. Elle est responsable du monde russophone sur RFI, parle elle-même le russe et a vécu en Russie. Mais cet excellent livre a pour sujet la France. Elle analyse la politique française, et sa complaisance à l’égard de la Russie. Elle montre au fil de son récit comment nous avons accumulé les idées reçues, les erreurs de jugement, et mélangé une fascination (justifiée) pour la culture et la civilisation russe, et une admiration tout à fait inconsidérée pour les dirigeants russes. Beaucoup des nôtres ont commis l’erreur de faire preuve de complaisance à l’égard de la Russie. On pense par exemple au président Sarkozy et à François Fillon, qui étaient à eux seuls un lobby pro-russe à Paris, ou au président Giscard d’Estaing. Elsa Vidal nous montre que nous avons été victimes d’un mirage, c’est une leçon de lucidité très utile à un moment où il nous faut revoir toutes nos idées reçues sur la Russie. "