Les brèves

Pas né de la dernière pluie

Marc-Olivier Padis, créée le 22-06-2025

"Hugo Mercier, l’auteur de ce livre, est chercheur en sciences cognitives et il s’intéresse à la question de la crédulité. Pourquoi les gens croient-ils ce qu’ils voient sur Internet ou sur les réseaux sociaux ? Il y a tout un débat sur la crédulité, qui est notamment alimenté par le sociologue Gérald Bronner dans La démocratie des crédules. Et la thèse défendue par Hugo Mercier est strictement inverse à celle de Gérald Bronner, c’est donc assez intéressant : il conteste l’idée que nous sommes spontanément crédules. Il pense qu’au contraire, nous sommes plutôt spontanément méfiants. Il a beaucoup d’arguments dans ce sens-là, et que notre système cognitif repose plutôt sur un système de vigilance ouverte, et donc qui nous conduit en fait à évaluer la crédibilité des thèses, des interlocuteurs, et à nous repérer comme ça. Une contribution particulièrement utile et informée à ce débat sur la crédibilité."


On ne jouait pas à la pétanque dans le ghetto de Varsovie

Béatrice Giblin, créée le 22-06-2025

"Je vous conseille ce spectacle que j’ai vu au Théâtre du Rond-Point à Paris. Je dois dire que c’est le titre qui m’a attirée. C’est un seul en scène interprété par Éric Feldman, mis en scène par Olivier Veillon, avec un coup de main de Joël Pommerat. C’est d’une sensibilité et d’un humour réjouissants. Le spectacle traite des effets de la Shoah sur les descendants de la Shoah. C’est-à-dire lui, enfant, comment il a reçu les conséquences émotionnelles, comment elles ont déterminé ses perceptions de la vie. C’est fait avec finesse et tendresse. C’est un excellent moment de théâtre, qui finit au Rond-Point le 29 juin, mais qui sera repris au théâtre du Petit Saint-Martin à la rentrée de septembre."


Le chagrin et la pitié

Philippe Meyer, créée le 15-06-2025

"Je vous recommande le documentaire de Marcel Ophüls et André Harris, que j’ai revu plus de 50 ans après sa sortie, désormais accessible sur la plateforme de France Télévisions. Premièrement, parce que c’est un chef-d’œuvre de documentaire : construction, probité dans les interrogations, précision dans les questions. Et deuxièmement parce que je n’avais déjà pas compris au moment de la sortie en salles (puisque la télévision française n’avait pas voulu, contrairement à la télévision allemande, diffuser ce film) pourquoi on disait que c’était un film qui montrait l’avilissement, et la lâcheté des Français en général. Il y a évidemment dans ce film des gens dont le courage ou l’honnêteté ne sont pas les premières vertus, mais il me semble qu’on ressort du visionnage du documentaire avec une formidable admiration pour des gens comme ces deux paysans, les frères Grave, qui ont été deux résistants admirables, y compris jusqu’après la déportation, et quand il découvre qui est la personne de son village qui l’a dénoncé, il ne cherche pas à se venger, et il dit : « Je ne vais pas me mettre à son niveau. » Je pense aussi au témoignage de Pierre Mendès-France, qui est d’une qualité absolument remarquable. Bref, contrairement à ce qu’on a dit à l’époque, il me semble qu’on sort de ces quatre heures de documentaire avec une idée de l’humanité qui vous élève plutôt qu’elle ne vous écrase."


54 nuances d'Afrique : investir en Afrique : essai enthousiaste pour déconstruire les préjugés

Lionel Zinsou, créée le 15-06-2025

"Pour les gens qui s’intéressent à l’Afrique, je vous recommande ce livre. Étienne Giros est un bon connaisseur de l’économie africaine. Il préside des entreprises qui investissent en Afrique. Il y a 54 pays qui ont un territoire en Afrique, il y a donc 54 nuances d’Afrique différentes. Et donc l’auteur prend 54 clichés sur l’Afrique et il les démonte l’un après l’autre de façon très efficace. Il y a vraiment très peu de connaissances réelles et fines sur l’Afrique. C’est une façon agréable de rentrer dans quelque chose d’érudit et de passionnant sur l’Afrique d’aujourd’hui."


Revue Hérodote n°196 - Géopolitique de la Mer rouge

Lucile Schmid, créée le 15-06-2025

"On connaît bien Hérodote ici, puisque Béatrice Giblin est directrice de rédaction de cette revue toujours très éclairante. Je vous recommande le numéro du premier trimestre 2025, qui porte sur la géopolitique de la mer Rouge. Cette zone ne peut pas vraiment être qualifiée de région — puisque d’un côté de la mer Rouge, vous avez des États parmi les plus pauvres du monde, et de l’autre côté, des États parmi les plus riches en termes d’investissement — l’ouvrage montre comment la fragmentation des États, la question de la conflictualité, la possibilité d’avoir des échanges, tout ça a été totalement impacté par l’attentat terroriste du Hamas le 7 octobre 2023. On y trouve une introduction de Marc Lavergne que je trouve remarquable, mais aussi des choses sur l’Érythrée passionnantes. Et Christophe Ayad a écrit sur la quasi disparition de l’Égypte de la scène internationale. Lisez ce numéro, on y dit des choses, au fond, assez rares dans le débat public."


Cas d’écoles

Antoine Foucher, créée le 15-06-2025

"Je voudrais profiter du fait que l’on est aujourd’hui à l’École Alsacienne pour recommander le livre de son directeur, à mon sens, l’un des livres les plus éclairants sur l’histoire de l’Éducation nationale dans notre pays ; plutôt du côté de la pédagogie que des institutions. Je donne deux exemples, parce que le livre n’est pas résumable en 30 secondes. Le premier, c’est : en tant que parent, on a souvent le sentiment d’être un peu mis à l’écart par l’institution scolaire en France, surtout quand on a eu la chance d’être parent dans d’autres pays ou d’avoir été élevé dans d’autres pays. Ça vient de très loin, et de très longtemps, plusieurs siècles. Et il y a une forme de continuité entre l’institution scolaire d’aujourd’hui (qui considère les parents un peu comme des ennuyeux qui prennent trop soin de leurs enfants), l’école de la Troisième République, qui suspectait toujours les parents d’avoir peut-être voté pour l’empereur et d’être antirépublicains, et l’école des jésuites de l’Ancien Régime, qui suspectait toujours les parents d’être tentés par la Réforme. Cette continuité est extraordinairement bien montrée dans le livre. Et puis un deuxième exemple : j’ai toujours eu du mal à comprendre pourquoi, dans toutes les études internationales sur le système scolaire français, il est établi depuis des décennies que les élèves français sont ceux qui ont le moins confiance en eux quand ils sortent du système scolaire. Lisez Cas d’écoles, et vous comprendrez pourquoi."


Y a-t-il un dealer dans l’avion ?

Richard Werly, créée le 15-06-2025

"Je vais terminer sur une note à la fois vertigineuse et drôle dans sa réalisation : cette série documentaire diffusée depuis mercredi dernier sur Netflix. Ce sont trois épisodes relatant l’affaire connue sous le nom Air Cocaïne. Ce jet qui était allé prendre en République dominicaine une dizaine de valises remplies de 700 kilos de cocaïne, qui a été intercepté par les forces de police dominicaines à l’aéroport. Et ensuite, il y a eu tout ce feuilleton avec les pilotes qui ont réussi à s’évader, etc. D’abord, l’affaire est rocambolesque, c’est un bon moment d’écran, c’est assez bien tourné, avec une manière de raconter les choses assez bien troussée. Mais surtout parce qu’il y a un bon choix : c’est celui d’avoir raconté cette histoire dans les yeux, et avec pour fil rouge, la justice. D’une certaine façon, la série rend hommage à Christine Saunier-Ruellan, juge que je ne connaissais pas, et qui est toujours en fonction. Parce qu’on voit une galaxie de pieds nickelés (même si certains sont très patibulaires) et elle, qui, en tant que juge d’instruction, chemine avec deux questions seulement : pourquoi et comment ? Cela montre le vertige d’une juge, dans une juridiction à Marseille qui, a priori, a des moyens pour lutter contre la grande criminalité, mais pas tant que ça, et qui se trouve face à des événements qui dépasseraient tout le monde, et qui tente de tout reconstituer méticuleusement. D’ailleurs, elle déploie en permanence devant elle une sorte de grand rouleau de papier, sur lequel elle passe au Stabilo les différents noms des protagonistes. Un bon moment de télévision, mais aussi un enseignement sur la façon dont chemine une instruction judiciaire. "



Paris noir

Lucile Schmid, créée le 01-06-2025

"J’ai adoré cette exposition du Centre Pompidou. Sous-titrée Circulations artistiques et lutte anticoloniale 1950-2000, elle affiche une ambition immense. C’est une exposition engagée, qui montre à quel point ces artistes noirs faisaient partie d’un mouvement global, aux côtés d’écrivains, de poètes, d’hommes politiques comme Frantz Fanon. Elle réserve de vraies découvertes. Pour ma part, j’ai été frappée par Beaufort Delaney, un artiste américain exilé à Paris, comme beaucoup d’autres, car être un artiste noir aux États-Unis dans les années 1950 était quasiment impossible. À Paris, ce n’était pas simple non plus, mais leur expression y trouvait plus de place. Delaney, avec ses portraits et ses œuvres abstraites, m’a éblouie. J’ai aussi beaucoup aimé Avel de Knight, dont les dessins de jeunes hommes sont saisissants. Souvent, leur homosexualité s’ajoutait à leur marginalité, ce qui rend leur trajectoire encore plus poignante. Ces artistes restaient à Paris, y vivaient, y travaillaient, mais sans pour autant devenir des figures parisiennes majeures. Il y a là un enjeu de reconnaissance artistique et politique. Mon seul bémol : l’accrochage thématique, qui oblige à refaire tout le parcours si l’on veut revoir certaines œuvres. Mais vraiment, c’est une exposition qui fera date."


L’inventaire des rêves

Marc-Olivier Padis, créée le 01-06-2025

"Je recommande le dernier roman de Chimamanda Ngozi Adichie, publié chez Gallimard. On attendait ce livre depuis douze ans, après le succès d’Americanah, L’Hibiscus pourpre et L’Autre moitié du soleil. Il n’y a pas de véritable intrigue, pas de dénouement ni de rebondissements. On suit trois femmes, entre le Nigeria et les États-Unis, avec des carrières brillantes et des vies sentimentales plus chaotiques. Elles sont à un âge où la maternité devient centrale : faut-il adopter ? Est-ce trop tard ? Trouveront-elles le bon compagnon ? Avec en toile de fond, la pression des familles africaines pour fonder une famille. Le roman est construit autour de dialogues, de portraits, de discussions intimes. Un quatrième personnage entre en scène, Kadiatou, employée de maison de l’une des héroïnes. Elle vit une histoire proche de celle de Nafissatou Diallo, que l’on associe à l’affaire Dominique Strauss-Kahn. Cela donne une dimension supplémentaire, avec quatre portraits de femmes et quatre récits croisés sur les relations entre l’Afrique et l’Occident, la mobilité des individus, les désirs, les tensions. Très réussi."


Zelensky

Philippe Meyer, créée le 01-06-2025

"Je voudrais signaler un documentaire disponible sur la plateforme d’Arte, consacré à Volodymyr Zelensky, réalisé par Yves Jeuland. On connaît les talents de Jeuland depuis Les Batailles de Paris, lors des municipales de 2001, ou encore son film sur Georges Frêche, peu avant sa mort. Il avait aussi marqué avec Il est minuit, Paris s’éveille, sur les cabarets de l’après-guerre. Ce documentaire est un portrait. Comme beaucoup, je ne m’étais intéressé à Zelensky que dans son rôle de chef de guerre, impressionné par l’énergie avec laquelle il défend son peuple, retournant parfois des situations, y compris cet obscène moment avec Trump, Vance et quelques courtisans dans le bureau ovale. Mais je ne connaissais pas le Zelensky d’avant. Arte avait diffusé la série où il incarne un président devenu chef d’État par hasard, mais je découvre ici que la troisième saison de cette série raconte sa vraie campagne électorale. Ce que ce documentaire nous montre bien, c’est qu’avant d’être ce héros, Zelensky était un personnage entre Patrick Sébastien et Patrick Sabatier. Pendant la campagne, il bouscule tous les codes. Poroshenko, sûr de gagner, le considère comme un amuseur. Zelensky refuse tout débat avant le premier tour, puis impose que le débat d’entre-deux tours se tienne dans un stade de 80.000 personnes. Et là, on se retrouve dans une ambiance d’émission de variétés. Je n’en tire pas de conclusion définitive, sinon l’espoir que ce ne soit pas un nouveau modèle politique appelé à se généraliser. Et j’espère que ni Sabatier ni Sébastien ne brigueront l’Élysée. C’est un excellent documentaire, on apprend beaucoup."


La guerre mondiale n’aura pas lieu : les raisons géopolitiques d’espérer

Béatrice Giblin, créée le 01-06-2025

"Je vous conseille le dernier ouvrage de Frédéric Encel. Dans un contexte saturé de discours apocalyptiques, portés par divers « experts » en géopolitique annonçant une guerre mondiale imminente, ce livre apporte un éclairage précieux. Il ne nie pas la persistance des conflits, mais il démontre, de manière claire et pédagogique, pourquoi nous ne sommes pas à la veille d’une troisième guerre mondiale. C’est un véritable travail d’analyse, rigoureux, sans emballement émotionnel. Il examine en détail plusieurs situations géopolitiques, et s’appuie sur un appareil cartographique (en noir et blanc, parfois un peu difficile à lire), utile pour comprendre les dynamiques en jeu. Dans cette période de grande incertitude, je trouve salutaire de pouvoir s’appuyer sur un raisonnement solide : cela redonne une boussole."