Les brèves

Exposition Olga de Amaral

Lionel Zinsou, créée le 20-10-2024

"Pour répondre à ce besoin de joie et avant de se rendre à l’Opéra, je vous recommande d’aller à la Fondation Cartier, voir l’exposition de la plus grande artiste colombienne, Olga de Amaral. C’est sublime, et magnifiquement mis en valeur par la scénographie de Lina Ghotmeh, jeune architecte franco-libanaise. En outre, c’est la dernière exposition de la Fondation Cartier dans son bâtiment de Jean Nouvel sur le boulevard Raspail. L’exposition durera jusqu’au mois de mars, après quoi la Fondation Cartier sera en face du Louvre (dans ce qui fut le Louvre des antiquaires). Il y a un merveilleux travail sur les tissus, sur les couleurs, cela rend compte des origines profondes de la Colombie, qui ont beaucoup à voir avec l’Afrique, à cause de la traite des Noirs. Une explosion de joie."


Vers la guerre ? La France face au réarmement du monde

Michaela Wiegel, créée le 20-10-2024

"Les livres des ministres sont rarement recommandables, mais je voudrais faire une exception pour celui qu’a écrit Sébastien Lecornu, ministre des Armées. Il s’agit d’une réflexion réellement passionnante, avec des détails qui m’avaient échappés. Par exemple, il raconte comment, lors du vote de la dernière loi de programmation militaire, il y eu une coalition ad hoc pour sortir l’Allemagne de la liste des partenaires de la Défense française. Ainsi, une bonne partie des députés du RN et de LFI avaient décidé que l’Allemagne ne devait plus y figurer. Cela n’a pas réussi, mais M. Lecornu décrit cela comme un signal alarmant. Un signe de la fragilité de la relation franco-allemande. "


À propos d’une déclaration du président Macron

Jean-Louis Bourlanges, créée le 20-10-2024

"Dans cette émission, nous avons l’habitude de nous inquiéter des emportements excessifs du pays, et j’aimerais parler aujourd’hui d’un sujet délicat. J’ai été très frappé de l’atmosphère de dénonciation indignée suite à un propos du président de la République qui me paraissait absolument ordinaire. Sur le Moyen-Orient, les déclarations d’Emmanuel Macron de ces derniers mois ont souvent été inopportunes, mais là, il s’est contenté de rappeler que l’Etat d’Israël avait été créé par une résolution l‘ONU. Or ce n’est ni faux, ni attentatoire à la dignité de ce pays. C’est au contraire rappeler la culpabilité de la communauté internationale vis-à-vis du peuple juif, massacré par les nazis dans une indifférence assez générale des Alliés. L’indignation me paraît donc tout à fait inopportune. M. Netanyahou s’est indigné parce qu’il est lui-même emporté dans une critique très radicale, et très largement excessive à l’égard de l’ONU, mais je ne vois absolument pas pourquoi on devait lui emboîter le pas, alors que cette déclaration du président Macron est un rappel de bon sens."


Cartographies du pouvoir : histoire du paysage de la vallée du Jourdain

Béatrice Giblin, créée le 20-10-2024

"J’ai trouvé ce livre très beau dans sa forme, dans son format, et la qualité de ses cartes. Il est signé de Ben Gitai, qui est historien, géographe, et s’intéresse à la chose politique. Ce très bel ouvrage s’intéresse à un endroit très particulier de la vallée du Jourdain, à la confluence avec le Yarmouk, sur trois périodes. La période ottomane au XIXème siècle, celle du mandat britannique, puis celle des Etats indépendants. L’auteur montre comment le paysage a bougé dans son rapport au pouvoir et aux stratégies des uns et des autres. C’est passionnant de suivre ce travail, au croisement de l’architecture, de la géographie, de la géopolitique, de l’Histoire … Comment la carte est non seulement un instrument de découverte, mais aussi d’exercice du pouvoir. Captivant et extrêmement original."


La fille du régiment

Philippe Meyer, créée le 20-10-2024

"Presque quatre-vingts opéras en cinquante-trois ans de vie. Quelques fois Donizetti en écrivait cinq en un an, raboutant des restes et reprenant des ritournelles sans vergogne. La plupart des livrets étaient désolants, tartinant de quoi faire pleurer Margot sur fond de drames historiques dans lesquels l’Histoire cascadait comme la vertu dans la mythologie revue par Offenbach. Mais, pour peu qu’une artiste relève les défis de la partition, le public était en transe. Les poncifs n’effrayaient pas le compositeur, ses librettistes les lui servaient à la chaîne. Avec Lucia di Lamermoor, Ils lancèrent la mode des brumes écossaises, parfait décor d’un romantisme convenu, et accessoirement concours d’ut de poitrine. Avec La Fille du régiment, qui se donne jusqu’à la fin novembre à l’opéra Bastille, Donizetti s’est lâché dans le genre bouffe pour ne pas dire bouffon. Laurent Pelly l’a mise en scène avec une bonne humeur qui ne boude pas son plaisir dans des décors et des costumes qui donnent à son travail des allures de bande dessinée de l’époque de la ligne claire. Sous la baguette d’Evelino Pidò, l’orchestre est à la fête. Julie Fuchs est une Marie aussi à l’aise dans les cabrioles que dans les roulades vocales, même les plus aiguës. Le soleil qui manquait cruellement en ville ces derniers jours resplendit sur la scène de ce bâtiment lourdaud devenu palais du bel canto."


Le paradis des fous

Nicole Gnesotto, créée le 13-10-2024

"Pour moi, un roman américain de Richard Ford. Cet auteur nous raconte depuis près de quarante ans les aventures de son personnage, Frank Bascombe, agent immobilier, représentant typique de la classe moyenne américaine, doté d’un humour noir et d’un sens de l’auto-dérision ravageurs. Dans ce livre-ci, il a 74 ans, retrouve son fils de 47 ans, qui vient d’apprendre qu’il est atteint d’une maladie incurable. Tous deux décident de faire un voyage ensemble, un road-trip à travers les Etats-Unis. Mais les Etats-Unis moches : les motels miteux, le kitsch, le banal, le vulgaire. Drôle, féroce, ce voyage nous dévoile petit à petit la déliquescence de la middle class américaine. Un régal."


Survivre : une histoire des guerres de Religion

David Djaïz, créée le 13-10-2024

"J’avais déjà recommandé le livre de Jérémie Foa consacré au massacre de la Saint-Barthélémy. Il vient d’en commettre un autre, que je vous conseille vivement aussi. Là encore, fidèle à la tradition de la sociologie de Chicago, tout est raconté à hauteur d’homme et de situations. L’auteur nous livre ici une description magistrale de la vie au quotidien des guerres de religion, et dans la guerre civile en général. La guerre civile, c’est un effondrement fiduciaire : on ne peut plus faire confiance à quiconque, ni aux lieux censés être des abris. La chambre à coucher, et même le lit, peuvent devenir le tombeau, on ne peut plus faire confiance aux mots, dont le sens peut varier du tout au tout d’une faction à l’autre. On comprend parfaitement pourquoi Montaigne écrit ses Essais dans un tel contexte : le monde est devenu « une branloire pérenne », un endroit où l’on ne peut plus se fier à rien. En creux, on comprend aussi pourquoi l’Etat français absolutiste du XVIIème siècle a joué ce rôle de stabilisateur, jusque dans la langue avec l’Académie française. Le livre est magnifique, il s’agit d’une nouvelle perspective sur les guerres de religion."


Une tombe pour deux

Marc-Olivier Padis, créée le 13-10-2024

"Je recommande moi aussi un roman américain, signé de Ron Rash. Jeune soldat envoyé en Corée en 1951 (« La Seconde Guerre mondiale était finie depuis 6 ans à peine »), Jacob Hampton doit quitter la Caroline du Nord et sa jeune épouse enceinte, Naomi. C’est un mariage d’amour, décidé sans l’accord de ses parents. Déshérité, Jacob doit faire vivre sa petite famille sans l’aide de ses parents et il ne peut échapper à la conscription. Rentrera-t-il vivant de la guerre de Corée ? S’il est blessé, pourra-t-il se réconcilier avec ses parents ? S’il meurt, que deviendront sa femme et sa fille ? Un plan tordu et terrible commence à s’échafauder dans la tête de ses parents pour regagner leur fils et couper les liens avec une belle-fille qu’ils n’ont pas choisie. Ce n’est pas à proprement parler une intrigue policière. Plutôt une sombre histoire d’amour possessif dans une Amérique étouffante et pourtant rachetée par la force des paysages et l’obstination taciturne des êtres qui font le bien sans jamais se mettre en avant."


Ma Comédie-Française : une histoire intime de la Maison de Molière

Philippe Meyer, créée le 13-10-2024

"Aliette Martin nous fait découvrir « sa » Comédie-Française qu'elle fréquente depuis ses 6 ans. Dans l'ombre pendant quarante ans, de Pierre Dux à Eric Ruf, elle était le métronome de cette maison, chargée d’abord d'assister la direction artistique puis la coordination de la salle Richelieu. Au rythme de ses souvenirs, elle nous emmène aux côtés des metteurs en scène, des comédiens et des administrateurs. « J'ai beaucoup appris à leur écoute. Les êtres humains sont faillibles, mais je peux témoigner de la sincérité, de la rigueur que chacun s'efforce d'avoir. » Et de la persévérance, comme celle dont fit preuve Francis Huster, héros tourmenté de Tchekhov dans la Mouette, qui essaya un nombre incalculable de fois d'accéder au poste d'administrateur du théâtre. Le ton est affectueux, volontiers humoristique, sauf quand Aliette Martin n'hésite pas à dire les choses qu'elle réprouve et ne cache pas les moments de tension. Les colères du metteur en scène Robert Wilson lors de la création des Fables de La Fontaine ou les affrontements entre l'administratrice Muriel Mayette-Holtz – première à faire rentrer au repertoire un auteur américain, Tennessee Williams – et le conseil d'administration où certains sociétaires sont présents. Cette écriture tendre, à la première personne, dévoile les rapports au sein de la troupe, décrit les spécificités de ce théâtre qui vont des acrobaties de l'alternance des représentations dans la salle Richelieu au fonctionnement de la Société des comédiens français et aux comités de fin d'année dont dépend le sort des uns puis des autres."


Katherine Mansfield : rester vivante à tout prix

Jean-Louis Bourlanges, créée le 13-10-2024

"Henriette Levillain est universitaire, elle avait déjà écrit une thèse remarquable sur Saint-John Perse. Ici, elle signe une biographie de Katherine Mansfield. Cette romancière est essentiellement connue pour un seul livre, La Garden Party (bien qu’elle en ait écrit d’autres). Foudroyée à 35 ans par la tuberculose, ce portrait est aussi celui de l’Angleterre qui passe de la période edwardienne à la modernité. Virginia Wolf disait de Mansfield que c’était la seule personne dont elle était littérairement jalouse. Le livre est d’une infinie tristesse, il raconte une oscillation pathétique entre l’idéal et la sensualité, entre la souffrance et la mort, entre la Nouvelle-Zélande, l’Angleterre et la France. Aussi intense que désespéré, mais très beau."


Le noeud démocratique : aux origines de la crise néolibérale

Nicolas Baverez, créée le 06-10-2024

"Deux recommandations pour moi cette semaine ; d’abord le livre de Marcel Gauchet, qui analyse la crise de la démocratie. Il en voit les origines dans la dilatation de l’économie, qui a tout envahi, et dans le modèle néolibéral, aujourd’hui largement caduque. Ce qui est intéressant, c’est que Marcel Gauchet ne cède pas pour autant au désespoir. Il montre en quoi les valeurs de la démocratie restent pertinentes, et comment on peut faire renaître une société démocratique au XXIème siècle."