Les brèves

La villa Cavrois

Béatrice Giblin, créée le 25-05-2025

"Restons dans les promenades, puisque c’est la saison. Moi, je voudrais vous parler de la Villa Cavrois, située à Croix, dans la métropole lilloise. C’est une maison conçue par l’architecte Robert Mallet-Stevens pour la famille Cavrois, grands industriels du textile. Elle a été construite entre 1929 et 1932, et est un projet architectural tout à fait remarquable, parce qu’il est pensé dans sa totalité. Mallet-Stevens a conçu l’architecture pour une famille nombreuse, les Cavrois avaient sept enfants et de très gros moyens, et il a élaboré cette architecture si caractéristique de son style. On en retrouve quelques autres exemples à Paris et en Île-de-France, mais aussi à la Villa Noailles dans le Var. Ce qui rend cette maison particulièrement intéressante, c’est que Mallet-Stevens en a également dessiné tout le mobilier. C’est une conception vraiment globale, aussi bien architecturale que décorative. La villa a connu un destin assez tragique. Avant la mort de Mme Cavrois, un promoteur immobilier a voulu racheter les lieux. Rocard l’a fait inscrire au titre des Monuments historiques en 1990. Comme le promoteur n’a pas pu lotir le parc, il a laissé la villa à l’abandon. Elle a été squattée, les meubles ont été vendus aux quatre coi s du monde. Puis l’État a décidé de la restaurer. Elle est aujourd’hui ouverte au public, et c’est vraiment un chef-d’œuvre. Allez-y !"


Europes : une histoire personnelle

Jean-Louis Bourlanges, créée le 25-05-2025

"Je voudrais signaler ce livre d’un éminent universitaire anglais, Timothy Garton Ash. L’auteur est né en 1955, il appartient à la même génération que moi, porte en lui toute l’histoire des soixante-dix dernières années, et il vit une double souffrance. D’un côté, il est britannique et profondément pro-européen, ce que son père n’était pas. Conservateur, très réservé vis-à-vis de la construction européenne, le père estimait appartenir à un pays qui, bien qu’européen par l’histoire et par la géographie, ne se vivait pas comme tel. Le Brexit a donc été, pour Timothy Garton Ash, un drame personnel, une immense douleur. En même temps, en tant qu’Européen convaincu, il ressent une autre forme de souffrance, que nous partageons tous aujourd’hui : l’extrême difficulté qu’a l’Europe — et je ne parle pas seulement de l’Union européenne, mais bien des peuples européens dans leur ensemble — à survivre, à exister, à peser d’un poids réel dans un monde qui tend à ignorer, voire à marginaliser notre continent. C’est cette double douleur qui traverse son livre. Mais ce qui le distingue, par exemple, de quelqu’un comme moi, c’est que moi, quand je parle d’Europe, je parle des institutions, de la place de la Commission … des sujets qui, pour tout dire, n’intéressent pas grand monde. Tandis que lui adopte une approche profondément personnelle. Il livre des témoignages. Il a tout vu, il est allé partout : en Pologne, dans les Balkans, dans tous les pays concernés. Il rencontre des gens, raconte ce qu’il observe. C’est une Europe charnelle. Le livre témoigne de cette formidable expérience européenne, dont je crains, hélas, qu’elle ne soit aujourd’hui sérieusement menacée par la violence du monde."


France-Algérie, le double aveuglement

François Bujon de L’Estang, créée le 20-05-2025

"Je saluer la sortie du nouveau livre de Xavier Driencourt sur la relation franco-algérienne. Il fait écho à un autre livre qu’il avait publié en 2022, appuyé sur ses souvenirs. L’auteur a été deux fois ambassadeur à Alger, de 2008 à 2012, puis de 2017 à 2020, sous Sarkozy puis Macron. Et il porte sur l’ensemble de la relation un regard très critique, mais je crois très lucide. Il incrimine largement l’Algérie, dont le système est d’une totale opacité, verrouillé par l’armée, par les services de renseignement, avec des méthodes souvent mafieuses, et avec des gens formés très largement à Moscou (tous les cadres de l’armée, par exemple). Un régime qui n’a pas réussi à assurer le succès à l’Algérie, ni sur le plan économique, ni sur le plan humain (la société algérienne est profondément troublée), ni même sur le plan international, puisque l’Algérie est aujourd’hui très isolée, et qu’elle n’a même pas réussi à faire admettre sa candidature parmi les BRICS. En face, il y a une France qui continue d’être très inhibée et très paralysée dans sa relation, par une espèce de repentance qui ne s’avoue pas, et qu’il appelle « bienveillance spontanée ». C’est cette espèce d’attitude toute faite avec laquelle sont accueillies toutes les provocations, toutes les mauvaises manières dont l’Algérie nous abreuve. Cette analyse très sévère aboutit à une recommandation : résister à l’Algérie et lui tenir la dragée beaucoup plus haute. Le livre est petit, concis, très percutant, et mérite vraiment d’être lu. Il appelle notre attention sur la nécessité de revoir complètement notre relation avec une Algérie qui a fait son fond de commerce d’une rancune antifrançaise."


37 secondes

Antoine Foucher, créée le 20-05-2025

"Je voudrais recommander une série qui est en ce moment sur Arte et qui est l’histoire du chalutier Bugaled Breizh, qui a coulé dans la Manche en 2004. L’histoire est bouleversante, et deux dimensions font qu’on ne lâche pas la série. La première, c’est la dimension de polar. Quand on ne connaît pas — et c’était mon cas — l’histoire de ce chalutier et l’histoire de l’enquête judiciaire, on suit les épisodes en se demandant : « Mais alors, pourquoi le chalutier a coulé ? » Et c’est vraiment très bien fait. La deuxième raison, c’est que la série montre en même temps les histoires de vie, la densité, le courage de la vie des marins et de leurs épouses et de leurs conjoints, en Bretagne aujourd’hui. Cela m’a fait penser aux Travailleurs de la mer. 150 ans plus tard, ce sont les mêmes. Le personnage joué par Nina Meurisse, qui emmène les Bretons dans la recherche de la vérité, résonne, me semble-t-il, un peu comme le Gilliatt d’Hugo. C’est la même dignité, le même courage, et la même vie très simple, mais vraiment admirable."


Le silence de Bétharram : le récit choc du lanceur d'alerte et ancien élève

Michaela Wiegel, créée le 20-05-2025

"Je voudrais recommander ce livre qui m’a vraiment bouleversée. C’est écrit par Alain Esquerre, qui est un des élèves et victime des violences (pas des sévices sexuels), parce qu’il contraste vraiment avec le travail de l’actuelle commission d’enquête, par la recherche, d’abord, mais aussi par la monstration des mécanismes de ce silence et puis par les solutions proposées, qui ne sont pas des tentatives de tirer profit politiquement des défaillances ou des faillites. Le livre est très poignant, et je le recommande même à tous les membres de cette commission d’enquête, qui a interrogé le Premier ministre pendant cinq heures, afin de se concentrer sur l’essentiel et de ne pas essayer d’en faire un spectacle de calcul politique, comme c’était malheureusement trop le cas pendant cette audition."


À propos de la SNCF

Philippe Meyer, créée le 20-05-2025

"Pour ce qui est des brèves, je rebondirai sur le train Paris-Clermont-Ferrand. Des gens comme Laurent Bouvet ont mis au centre de leur réflexion l’identité culturelle, en disant qu’il n’y a pas que les problèmes économiques. Et dans l’identité culturelle française, parmi les piliers importants, il y a l’école, il y a l’hôpital, il y a la sécurité de tous les jours, et il y a la SNCF. C’est une particularité de ce pays : la SNCF fait partie de notre identité, de la fierté nationale. Et il se trouve que, de tous ces piliers, celui qui est le plus facile à améliorer, à réformer, à reprendre, qui ne demande que, si j’ose dire, de l’argent et une volonté, c’est la SNCF. Et je ne comprends pas que ce soit par exemple totalement absent de l’interview du président par laquelle nous avons commencé cette émission. Je soutiens que la réforme, l’amélioration, la remise au niveau de la SNCF est un pilier très important pour qu’on puisse commencer à croire que la politique a prise sur le réel."


L’imaginaire est une réalité

Nicolas Baverez, créée le 20-05-2025

"Il y a des historiens qui sortent de l’ordinaire parce qu’ils inventent des objets historiques. Anthony Rowley, par exemple, avait réintégré l’histoire de la cuisine, de la gastronomie, de la table dans le champ de l’histoire. Et je voulais recommander la lecture de l’entretien de Michel Pastoureau avec Laurent Lemire, qui est une forme de mémoire. Michel Pastoureau a réussi à faire de l’histoire sur deux champs que ses maîtres, a priori, jugeaient impossibles. Le bestiaire — puisque c’est un spécialiste du Moyen Âge, mais qui, à partir de l’héraldique, a travaillé sur l’image du cochon, du loup, du taureau, du corbeau ou de la baleine. Et je crois qu’il a en perspective l’âne et le renard. Et surtout, il a fait une histoire des couleurs, avec des livres successifs sur le noir, le vert, le rouge, le jaune, le blanc ou le rose. Et ce sont des livres extraordinaires, qui fonctionnent remarquablement. Cela vaut donc vraiment la peine de lire ces entretiens et de voir comment il a construit, contre le consensus de la discipline, des objets d’étude qui font mieux que tenir la route, et qui sont extrêmement originaux. Par ailleurs, l’homme qui écrit extraordinairement bien, et on ne s’ennuie jamais en ouvrant ses livres."




Disparition de Mario Vargas Llosa

Nicolas Baverez, créée le 27-04-2025

"J’aimerais évoquer la mémoire de Mario Vargas Llosa. Pour le coup, c’était un vrai Latino-Américain, mais qui a été sans doute le plus européen des Latino-Américains. Un homme qui croyait en l’écriture, qui croyait en la vie et qui croyait en la liberté. Il était le dernier représentant de cette génération incroyable d’auteurs latino-américains : Cortázar, Fuentes, évidemment son ami García Márquez, avec lequel il s’est brouillé. Son œuvre continue à nous éclairer sur ce qu’est le populisme — La fête au bouc, sur la fin de Trujillo, c’est un livre magnifique — mais ça montre bien ce mélange de mensonges et de peur qui est en train de gagner les États-Unis d’aujourd’hui. Et on peut rappeler aussi qu’il a fait une autobiographie intellectuelle et politique, qui s’appelle L’appel de la tribu, dans laquelle il résume les sept auteurs qui l’ont converti du communisme au libéralisme. On trouve José Ortega y Gasset, bon Hayek, Karl Popper, Isaiah Berlin, et deux Français : Raymond Aron et Jean-François Revel. Cette éthique, cette politique de la liberté est vraiment importante dans ce moment d’âge des empires, d’âge des prédateurs et des hommes forts."


Locarno

Michaela Wiegel, créée le 27-04-2025

"Comment sauver la paix ? C’est la question qui est de façon romanesque décrite dans ce roman de Christine de Mazières. On sent qu’elle s’est plongée dans les archives allemandes et françaises pour décrire ces négociations entre Aristide Briand d’un côté, et Gustav Stresemann de l’autre, et pour montrer des questions qui restent aujourd’hui vraiment d’actualité : après le traité de Versailles, comment rapprocher et bâtir une paix qui soit durable ? On a parfois l’impression qu’effectivement, alors qu’on s’oriente vers une paix de diktat de la Russie sur l’Ukraine, nous, Européens, aurons probablement bientôt notre Locarno à faire pour rendre une situation entre l’Ukraine et la Russie plus viable."


Les grands ministres qui ont fait la France

Nicole Gnesotto, créée le 27-04-2025

"Je vous conseille de vous plonger dans ce livre collectif dirigé par Jean-Christian Petitfils, paru en 2024. C’est simplement le portrait, depuis l’abbé Suger jusqu’à Georges Pompidou — de grands ministres, dont certains très connus, comme Talleyrand, Colbert ou Schuman, et d’autres, en tout cas pour moi, moins connus, comme Waldeck-Rousseau ou l’abbé Dubois, sous la régence de Philippe d’Orléans. Il n’y a aucune idée générale à tirer de ces portraits, mais ils sont formidables pour montrer, non les réussites ou les échecs, mais les défis auxquels ces gens ont été confrontés et comment ils ont abordé ces défis. Ce qui est extraordinaire, en revanche, c’est de voir à quel point tous ces grands hommes étaient pétris d’une culture classique dont on peine aujourd’hui à distinguer quelques bribes … Sauf peut-etre chez notre Premier ministre, agrégé de Lettres classiques ?"