Paris noir

Brève proposée par Lucile Schmid dans l'émission Le recul des accords de Paris / La politique de Netanyahou et l’isolement d’Israël / n°405 / 1er juin 2025, que vous pouvez écouter ici. ou ci-dessous.

Paris noir

Lucile Schmid

"J’ai adoré cette exposition du Centre Pompidou. Sous-titrée Circulations artistiques et lutte anticoloniale 1950-2000, elle affiche une ambition immense. C’est une exposition engagée, qui montre à quel point ces artistes noirs faisaient partie d’un mouvement global, aux côtés d’écrivains, de poètes, d’hommes politiques comme Frantz Fanon. Elle réserve de vraies découvertes. Pour ma part, j’ai été frappée par Beaufort Delaney, un artiste américain exilé à Paris, comme beaucoup d’autres, car être un artiste noir aux États-Unis dans les années 1950 était quasiment impossible. À Paris, ce n’était pas simple non plus, mais leur expression y trouvait plus de place. Delaney, avec ses portraits et ses œuvres abstraites, m’a éblouie. J’ai aussi beaucoup aimé Avel de Knight, dont les dessins de jeunes hommes sont saisissants. Souvent, leur homosexualité s’ajoutait à leur marginalité, ce qui rend leur trajectoire encore plus poignante. Ces artistes restaient à Paris, y vivaient, y travaillaient, mais sans pour autant devenir des figures parisiennes majeures. Il y a là un enjeu de reconnaissance artistique et politique. Mon seul bémol : l’accrochage thématique, qui oblige à refaire tout le parcours si l’on veut revoir certaines œuvres. Mais vraiment, c’est une exposition qui fera date."


Les autres brèves de l'émission :

Zelensky

Philippe Meyer

"Je voudrais signaler un documentaire disponible sur la plateforme d’Arte, consacré à Volodymyr Zelensky, réalisé par Yves Jeuland. On connaît les talents de Jeuland depuis Les Batailles de Paris, lors des municipales de 2001, ou encore son film sur Georges Frêche, peu avant sa mort. Il avait aussi marqué avec Il est minuit, Paris s’éveille, sur les cabarets de l’après-guerre. Ce documentaire est un portrait. Comme beaucoup, je ne m’étais intéressé à Zelensky que dans son rôle de chef de guerre, impressionné par l’énergie avec laquelle il défend son peuple, retournant parfois des situations, y compris cet obscène moment avec Trump, Vance et quelques courtisans dans le bureau ovale. Mais je ne connaissais pas le Zelensky d’avant. Arte avait diffusé la série où il incarne un président devenu chef d’État par hasard, mais je découvre ici que la troisième saison de cette série raconte sa vraie campagne électorale. Ce que ce documentaire nous montre bien, c’est qu’avant d’être ce héros, Zelensky était un personnage entre Patrick Sébastien et Patrick Sabatier. Pendant la campagne, il bouscule tous les codes. Poroshenko, sûr de gagner, le considère comme un amuseur. Zelensky refuse tout débat avant le premier tour, puis impose que le débat d’entre-deux tours se tienne dans un stade de 80.000 personnes. Et là, on se retrouve dans une ambiance d’émission de variétés. Je n’en tire pas de conclusion définitive, sinon l’espoir que ce ne soit pas un nouveau modèle politique appelé à se généraliser. Et j’espère que ni Sabatier ni Sébastien ne brigueront l’Élysée. C’est un excellent documentaire, on apprend beaucoup."


L’inventaire des rêves

Marc-Olivier Padis

"Je recommande le dernier roman de Chimamanda Ngozi Adichie, publié chez Gallimard. On attendait ce livre depuis douze ans, après le succès d’Americanah, L’Hibiscus pourpre et L’Autre moitié du soleil. Il n’y a pas de véritable intrigue, pas de dénouement ni de rebondissements. On suit trois femmes, entre le Nigeria et les États-Unis, avec des carrières brillantes et des vies sentimentales plus chaotiques. Elles sont à un âge où la maternité devient centrale : faut-il adopter ? Est-ce trop tard ? Trouveront-elles le bon compagnon ? Avec en toile de fond, la pression des familles africaines pour fonder une famille. Le roman est construit autour de dialogues, de portraits, de discussions intimes. Un quatrième personnage entre en scène, Kadiatou, employée de maison de l’une des héroïnes. Elle vit une histoire proche de celle de Nafissatou Diallo, que l’on associe à l’affaire Dominique Strauss-Kahn. Cela donne une dimension supplémentaire, avec quatre portraits de femmes et quatre récits croisés sur les relations entre l’Afrique et l’Occident, la mobilité des individus, les désirs, les tensions. Très réussi."


La guerre mondiale n’aura pas lieu : les raisons géopolitiques d’espérer

Béatrice Giblin

"Je vous conseille le dernier ouvrage de Frédéric Encel. Dans un contexte saturé de discours apocalyptiques, portés par divers « experts » en géopolitique annonçant une guerre mondiale imminente, ce livre apporte un éclairage précieux. Il ne nie pas la persistance des conflits, mais il démontre, de manière claire et pédagogique, pourquoi nous ne sommes pas à la veille d’une troisième guerre mondiale. C’est un véritable travail d’analyse, rigoureux, sans emballement émotionnel. Il examine en détail plusieurs situations géopolitiques, et s’appuie sur un appareil cartographique (en noir et blanc, parfois un peu difficile à lire), utile pour comprendre les dynamiques en jeu. Dans cette période de grande incertitude, je trouve salutaire de pouvoir s’appuyer sur un raisonnement solide : cela redonne une boussole."


À propos des débats parlementaires autour de la loi Duplomb

Jean-Louis Bourlanges

"Je voulais dire un mot sur la dérive de l’institution parlementaire française. Ce qui a été fait sur la fin de vie est exemplaire, et M. Falorni, avec qui je suis en désaccord sur le fond, a mené le débat avec rigueur et intelligence. Mais cela contraste fortement avec ce qui s’est passé autour de la controverse entre défenseurs des abeilles et betteraviers, au sujet de la réintroduction de produits interdits. On a assisté à un déferlement d’amendements qui ont bloqué le débat. La majorité gouvernementale, souhaitant avancer, a fini par voter une motion de rejet de son propre texte — une démarche incompréhensible pour le public. Certains, notamment les écologistes et LFI, y ont vu un mépris du débat. Mais ce n’est pas ce qui s’est réellement passé : le débat avait été paralysé. Je ne comprends pas que des forces politiques, à moins que d’être fondamentalement hostiles au parlementarisme, comme semble l’être LFI, se prêtent à de telles obstructions. Cela ne supprime pas l’expression démocratique : le Sénat reprendra le texte, le modifiera, une commission mixte paritaire cherchera un compromis. Et si ce compromis ne convient pas à l’Assemblée, elle pourra le rejeter. Je le dis à mes anciens collègues, en particulier à ceux de LFI : cessez d’empoisonner délibérément le débat parlementaire. C’est ce que la démocratie a de plus noble, à condition qu’elle se déroule dans le respect et la dignité."