Les brèves


Hommage à Alfred Grosser

Jean-Louis Bourlanges, créée le 11-02-2024

"J’aimerais rendre hommage à Alfred Grosser, qui vient de nous quitter. Il avait été un très grand professeur à Sciences Po, il avait écrit un manuel définitif sur la politique française, il était personnellement centriste et pro-européen. Il avait fait sa thèse sur la IVème République et la politique extérieure (et non la politique extérieure de la IVème République), absolument prodigieuse. Et évidemment, c’était un Juif allemand, faisant partie de ces gens qui ont engagé la réconciliation franco-allemande dès 1945 et la fabrication de l‘Europe. Comme Simone Veil, qui m’avait dit : « en revenant des camps, j’ai vu qu’il n’y avait qu’une alternative : soit on les tue tous (mauvaise option), soit on fait l’Europe ». C’est à des gens comme Alfred Grosser que nous devons de vivre en paix. "


Un vieil homme et la terre

David Djaïz, créée le 11-02-2024

"Edgard Pisani est également l’auteur de ce livre, mélange de réflexions sur l’agriculture et de mémoires politiques. Il y revient en détail sur la modernisation agricole : ses avantages extraordinaires (l’augmentation des quantités produites, la souveraineté alimentaire, les performances à l’export …) mais aussi les dégâts que le « tout-marché » a provoqué sur les équilibres sociaux et sur l’environnement. C’est intéressant de voir à quel point la transformation de l’agriculture et de l’industrie doit s’inscrire dans un dessein politique. C’est ce qui me paraît manquer cruellement aujourd’hui : où veut-on emmener un système aussi complexe que l’agriculture ? On ne peut pas se contenter de n’avoir que des normes et des chèques. "


Et vous passerez comme des vents fous

Lucile Schmid, créée le 11-02-2024

"Je vous recommande un roman magnifique, écrit par Clara Arnaud. Le titre est une expression empruntée au grand poète arménien Hovhannès Chiraz. Le roman décrit les conflits autour des questions écologiques : biodiversité, ours dans les Pyrénées, etc. Le romanesque est parfois très fort, et dans un moment où l’on a l’impression d’impasses politiques quant à l’écologie, s’attacher à des personnages et à des histoires fait du bien. C’est un très beau roman, dont j’espère qu’il vous aidera à penser qu’on peut imaginer une société harmonieuse, entre agriculteurs et écologistes. "



Le déclin de la petite bourgeoisie culturelle

Philippe Meyer, créée le 28-01-2024

"L’auteur s’intéresse à un ensemble apparemment hétérogène, où l’on trouve des professeurs, des instituteurs, des conseillers d’orientation, des bibliothécaires, des artistes, mais aussi des travailleurs sociaux, des dirigeants d’association, des psychologues, des designers, des publicitaires, des journalistes … Ces personnes ont en commun d’avoir, à partir des années 80, connu une vie matérielle et un statut social meilleurs que ceux de leurs parents. Leur évolution est due à l’acquisition d’un capital culturel constitué dans l’effondrement du monopole de l’école dans la production des normes. Les politiques publiques, nationales, régionales ou municipales, ont favorisé et soutenu cette petite bourgeoisie. Or, depuis le début du XXIème siècle, ces politiques publiques s’effritent à grande vitesse. Il en résulte une fragilisation de cette petite bourgeoisie culturelle dont Élie Guéraut écrit : qu’elle « occasionne une perte de son pouvoir sur les institutions locales conquis dans les années 1980 et 1990, mais aussi de sa légitimité à se présenter en prescripteur de goûts et de pratiques culturelles. » Le paysage  culturel et ses habitants changent à bas bruit et la recherche menée par Élie Guéraut pourrait bien, comme le dit son auteur, « fonctionner comme un miroir grossissant de phénomènes valables à l’échelon national » et, à travers cette incarnation particulière des classes moyennes qu’est la petite bourgeoisie culturelle, nous éclairer sur les déceptions et les angoisses de toute cette partie de nos concitoyens."


Réflexions sur la question antisémite

Béatrice Giblin, créée le 28-01-2024

"J’ai été frappée par l’augmentation du nombre d’actes antisémites : on en est à 1676, soit plus de 1000%, depuis le 7 octobre dernier. Je suis donc allée relire le livre de Delphine Horvilleur, paru en 2019. Comme toujours avec cette autrice, c’est extrêmement intelligent, avec une pointe d’humour. Le livre nous montre comment le Juif voit l’antisémite, et comment la cause juive vit avec ce qui veut sa perte. Elle explique en quoi l’antisémitisme n’est pas un racisme comme les autres, avec un « en haut » qui méprise un « en bas ». C’est au contraire une pensée qui rejette celui qui est perçu comme ayant davantage. Une forme de jalousie envers le Juif, à qui on reproche toujours d’avoir trop (de richesses, de respect … et sans tenir compte de la situation réelle de celui qu’on méprise, évidemment)."


L’assiégé : dans la tête de Dominique Venner, le gourou caché de l’extrême-droite

Michel Eltchaninoff, créée le 28-01-2024

"Je vous recommande ce livre captivant, et qui se lit très vite. Renaud Dély a fait le roman vrai de cette personnalité peu connue du grand public mais véritablement très importante. On en a entendu parler le jour de son suicide à l’arme à feu en 2013 à Paris, dans la cathédrale Notre-Dame. Venner vient d’une famille de collaborateurs, qui a fait l’Algérie, qui a torturé et a tué … Il est devenu un grand idéologue de l’extrême-droite dans les années 1960-70, et a voulu « finir en beauté », comme il le disait lui-même, d’où son suicide spectaculaire, inspiré de Mishima, qu’il admirait. C’est une biographie vraiment très bien racontée, qui nous fait comprendre la façon dont Dominique Venner a transformé la pensée d’extrême-droite dans les années 1960. Il l’a faite sortir du vieux nationalisme français pour faire de la défense de l’Europe blanche menacée par les flux migratoires la pierre angulaire de toute la pensée d’extrême-droite actuelle. Les mouvements identitaires d’aujourd’hui se réfèrent aujourd’hui - explicitement ou implicitement - à l’œuvre, éminemment raciste, de Dominique Venner. Très éclairant. "




Le grand carnet d’adresses de la littérature à Paris

Nicole Gnesotto, créée le 28-01-2024

"Je recommande ce livre très agréable. Il est très volumineux et lourd : plus de 1200 pages ; vous ne l’emporterez pas partout, mais il est formidable. Il vient de paraître, et est signé de Gilles Schlesser. L’auteur a fait le tour de toutes les rues de Paris, pour voir où habitaient les écrivains français. Plus de mille sont recensés dans cet ouvrage, et c’est véritablement extraordinaire. Loin d’être un catalogue (qui ne serait pas intéressant), le livre comporte des anecdotes, des citations, des extraits à propos de l’adresse en question. On se précipite pour étudier ses quartiers préférés, c’est très jouissif. C’est un livre dans lequel on va régulièrement piocher avec délectation. Un travail absolument colossal, pour un grand plaisir de lecture."


Le dernier des Juifs

Philippe Meyer, créée le 21-01-2024

"En 2016 Jérôme Fourquet et Sylvain Manternach relevaient dans leur livre L’An prochain à Jérusalem qu'en Seine-Saint-Denis, à Aulnay-sous-Bois, le nombre de familles de confession juive est passé de 600 à 100, au Blanc-Mesnil de 300 à 100, à Clichy-sous-Bois de 400 à 80, à La Courneuve de 300 à 80. C'est dans l'une de ces communes que vit Bellisha, avec sa mère Gisèle, qui ne parle que de déménager et qu’incarne Agnès Jaoui en évitant, ou plutôt en renouvelant les clichés de la yiddishe muter. Bellisha est le protagoniste du film de Noé Debré, Le Dernier des juifs, qui sera dans les salles mercredi. C’est un jeune homme cartilagineux qui vit en retrait. Il fait croire à sa mère - du moins le pense-t-il - qu’il effectue un stage en entreprise et qu’il fréquente une salle où il apprend l’auto-défense. En réalité, sa défense consiste à éviter tout ce qui pourrait le contraindre à faire des choix, à prendre des décisions. Il coule des heures agréables dans le lit d’une voisine musulmane et mariée, il s’occupe de sa mère malade et qui sort de moins en moins, sinon sur son balcon. Bellisha voit la situation : le dernier magasin cascher ferme, les derniers voisins juifs partent, mais, comme on dit, Bellisha n’imprime pas. Il amortit. C’est une trouvaille et une réussite de Noé Debré que de nous mettre devant les yeux une réalité que nous nous efforçons avec succès d’ignorer non pas à travers un militant ou un indigné, mais à travers un grand dadais si lunaire qu’il en est comique, excellement campé par Michael Zindel. Au fond, pourrions-nous nous dire, ces Juifs qui quittent le 9.3, ça n’est pas grave, ça n’est pas un exode, mais une simple évaporation…"