Les brèves



L’enlèvement

Marc-Olivier Padis, créée le 26-11-2023

"J’ai lu avec beaucoup d’intérêt ce livre de Grégoire Kauffmann. L’auteur est un jeune historien, et il a réussi à mêler dans ce livre l’histoire personnelle et l’histoire collective. Du côté de l’histoire personnelle, il faut savoir que l’écrivain est le fils du journaliste Jean-Paul Kauffmann et de Joëlle Brunerie-Kauffmann. Quand Jean-Paul Kauffmann a été otage au Liban, son épouse a monté un comité de soutien, très actif pour le faire libérer. Et ce comité a gardé des archives, conservées dans la maison familiale des Kauffmann. L’auteur a donc travaillé sur ces archives, comme le ferait tout historien, mais elles le touchent personnellement. A travers elles, il parvient à décrire les années 1980, ces années Mitterrand, une ambiance politique, un type de mobilisation alors nouveau, les controverses … Et puis sa vie de lycéen, la vie culturelle, comment il se construit dans une situation aussi dramatique. Un pari réussi. "


Le piège Nord Stream

Michaela Wiegel, créée le 26-11-2023

"A propos de Nord Stream 2, et comment l’Allemagne a pu amener l’Europe à la suivre. Je voudrais vous recommander deux livres. Le premier est signé de Marion Van Renterghem, et raconte façon thriller comment l’Allemagne, après l’occupation russe de la Crimée, a pu monter (avec l’aide de la France) cette opération Nord Stream. C’est l’histoire d’un aveuglement qui a duré de longs mois, pendant lesquels on est resté sourds aux avertissements des Polonais et des Etats baltes. "


Simon Leys : vivre dans la vérité et aimer les crapauds

Philippe Meyer, créée le 26-11-2023

"J’avais dit, il y a quelques semaines, le plaisir que j’avais éprouvé à relire Le Studio de l’inutilité de Simon Leys. Avec Alexandre Vialatte et, dans un tout autre genre, Georges Brassens j’y trouve beaucoup de l’humeur nécessaire à une échappée. Une échappée d’un univers d’injonctions, de certitudes et de simplifications. Dans le petit livre qu’il vient de consacrer à Simon Leys, Jérôme Michel note : « la littérature, Simon Leys la conçoit, à l'instar de Milan Kundera, comme le plus puissant et le plus salutaire antidote à la malédiction de la réduction qui s'acharna à défigurer l'humanité à l'âge des totalitarismes politiques et à en effacer les traits à l'heure contemporaine du non-sens bruyant, du bavardage permanent et de la disparition du monde de la vie derrière l'opacité des écrans. ». Dans son court essai, Jérôme Michel reprend tout ce que Simon Leys a appris de la Chine -et tout ce qu’il nous a appris qu’elle n’était pas quand des intellectuels possédés par le besoin d’appartenir débitaient des sornettes et proféraient des malédictions contre ceux qui avaient les yeux ouverts- mais aussi le passeur inlassable de romans et de romanciers que fut l’auteur du Bonheur des petits poissons. Au moment où sort sur les écrans le film de Ridley Scott sur Napoléon, Jérôme Michel rappelle que Simon Leys fut l’auteur d’un roman, La Mort de Napoléon, où l’on voit l’empereur évadé de Sainte-Hélène où il a laissé un sosie, devenir marchand de melons et de pastèques et se voir condamné à ne plus être que cela quand tous ses plans de reconquête du pouvoir tombent à l’eau parce que son sosie meurt dans son île lointaine. Après avoir visité un asile où pullulent les autoproclamés Napoléons, il ne lui reste plus qu’à examiner ce que fut sa vie. Où cet examen le conduira, c’est ce que je laisse découvrir aux lecteurs de Jérôme Michel et de La Mort de Napoléon."



Les aveuglés : comment Berlin et Paris ont laissé la voie libre à la Russie

Michaela Wiegel, créée le 26-11-2023

"Le deuxième livre est celui de Sylvie Kauffmann. Son sujet est plus large, puisqu’elle traite de toute la politique entre l’Europe et la Russie. Et le livre recèle quelques scoops. Martin Schulz, l’ancien président du Parlement européen lui a par exemple confié que c’est Angela Merkel qui a proposé que Gerhard Schröder dirige la compagnie Nord Stream, à cause de ses bonnes relations avec Vladimir Poutine. Cette « bénédiction » de l’ancienne chancelière était jusque là inconnue. Il y a d’autres chapitres fort intéressants, notamment sur la façon dont Nicolas Sarkozy avait humilié le président polonais et les dirigeants baltes de l’époque. "


Si Rome n’avait pas chuté

Matthias Fekl, créée le 26-11-2023

"Je vous conseille ce livre de Raphaël Doan. L’auteur est un jeune magistrat administratif, énarque -et néanmoins tout à fait sympathique !- et tout à fait brillant. C’est à ma connaissance le premier livre d’Histoire écrit avec l’intelligence artificielle. Comme le titre l’indique, l’auteur imagine ce que serait l’empire romain s’il était devenu une puissance industrielle et technologique. Il y a des textes absolument incroyables, créés à partir de recoupements saisissants, des images complètement démentes (c’est aussi un magnifique livre d’un point de vue graphique). Et puis les commentaires de l’historien pour accompagner tout cela. Ce livre ouvre aussi une réflexion plus large sur l’intelligence artificielle, pas seulement sous l’angle des dangers, mais tout simplement sous celui de ce qui va changer. Pendant longtemps, les progrès technologiques ont menacé d’abord les métiers manuels. La remise en question qui arrive va aussi porter sur les métiers intellectuels, avec une nouveauté supplémentaire : la vitesse à laquelle ces bouleversements vont s’effectuer. Très stimulant intellectuellement, très beau, un cadeau de Noël idéal. "


Discours de la présidente du jury du prix de la laïcité 2023

Béatrice Giblin, créée le 26-11-2023

"Je vous recommande d’écouter ce qui pour moi est un grand discours, prononcé le 8 novembre dernier par Abnousse Shalmani, à l’occasion de la remise du prix de la laïcité. Je vous en cite une phrase : « laïcité, ce mot qu’on doit dorénavant défendre alors qu’il nous défendait ». Tout y est. On peut cependant ajouter : « je ne donne pas de prix à un socialiste, je les laisse se flinguer dans leur moratoire à la con, à savoir si le Hamas est terroriste ou pas ». Tout est de la même veine. Abnousse Shalmani est d’origine iranienne, elle est révulsée de voir la gauche française défendre l’abaya ou le voile à l’heure où les Iraniennes risquent leur vie en s’y opposant. "


Le livre des amis

Philippe Meyer, créée le 19-11-2023

"Je recommande ce tout récent ouvrage de Jean Clair, édité par Gallimard. C’est une plongée dans l’art du dernier demi-siècle, d’Alechinsky à Xavier Valls en passant par Louise Bourgeois, Lucian Freud, David Hockney, Henri Cartier Bresson, Balthus, Roseline Granet ou Raymond Mason. Clarté du style, fermeté du propos, intimité avec les œuvres et, le plus souvent, avec les artistes, Le Livre des amis fait partie des lectures dont on sort reconnaissant à l’auteur de nous avoir donné un regard mieux informé, une compréhension plus riche et un appétit d’aller y revoir. Les serviteurs de l’art ont leur place dans ce recueil chaleureux. Le portrait du galeriste Claude Bernard, disparu en 2022 « l'un des derniers marchands dans sa profession qui ont su garder le sens et la dignité de leur métier, quand tout le marché de l'art se constituait comme un gigantesque marché à la criée, soutenu par des organismes officiels comme les FRAC constituant non des réserves mais des débarras toujours plus vastes des productions éphémères de l'art actuel » Non loin de celui de Claude Bernard, on trouvera Françoise Cachin, la première directrice d’Orsay, puis des Musées de France, fonction dans laquelle elle fit un remarquable travail en faveur des musées de province. Jean Clair rappelle avec admiration l'exposition « Images d'une métropole, les impressionnistes à Paris. Il s'agissait bien sûr de plus que des impressionnistes elle commence avec Corot pour finir avec Matisse. Mais surtout elle montre, mêlée aux maîtres, de Manet à Caillebotte, des œuvres peu connues, de Maximilien Luce à Devambez, d'Adler à Louis Anquetin, qui donne de Paris une image bien éloignée de la vision traditionnelle de la ville lumière, celle d’une ville industrielle et pauvre, avec les cheminées d'usine, les fumées des locomotives et les gazomètres, avec les foules en fureur, les défilés, les émeutes ouvrières … Jean Clair célèbre aussi le courage avec lequel Françoise « s’opposa dans un silence embarrassé puis hostile contre la dérive mercantile des musées qui les voient assimiler les œuvres patrimoniales qu'ils ont la charge de conserver, d'étudier et de faire connaître à de simples marchandises que l'on peut vendre ou bien louer comme s'il s'agissait de réserves naturelles de pétrole ou de champs de patates. »"


Raymond Aron

Jean-Louis Bourlanges, créée le 19-11-2023

"Il y a quarante ans disparaissait Raymond Aron. C’est certainement l’homme qui m’a le plus influencé, je lui dois très largement tout ce que j’ai fait de meilleur, et sa pensée a structuré toute ma vie politique. Et il me semble qu’elle nous est encore essentielle aujourd’hui. Aron nous a appris trois choses : que si la politique était la lutte pour le pouvoir, le conflit, la violence, l’égoïsme, elle n’excluait pas pour autant le désintéressement, la hauteur de vue ou le rapport à l’Histoire. Il nous a aussi appris que l’Histoire était certes la violence, la guerre et le rapport de forces, mais que toutes les formes de civilité, de démocratie, de coopération entre les nations étaient essentielles et méritaient d’être défendues. Enfin, que toutes les théories du progrès automatique et du sens de l’Histoire étaient assez largement illusoires, mais que le fait que l’Histoire soit tragique n’interdisait pas l’espérance, la volonté, ni les progrès. Qu’on pouvait rendre la vie de chacun d’entre nous plus vivable, plus respectable et plus libre. "


De Gaulle, une vie. Vol. 1. L'homme de personne : 1890-1944

Isabelle de Gaulmyn, créée le 19-11-2023

"J’ai aimé le premier volume de la biographie que Jean-Luc Barré a consacré au général de Gaulle. Ce tome va jusqu’en 1944, il s’attarde sur l’enfance et la jeunesse de Charles de Gaulle. L’auteur est rompu à cet exercice, on lui doit déjà des biographies de Maritain, de Mauriac, etc. Il rattache très bien de Gaulle à cette filiation de droite, catholique et monarchiste et montre ce qu’elle apporte de meilleur dans cette fidélité à une certaine idée de la France et de la nation. On peut évidemment critiquer le travail, car la plupart des archives sont issues de la famille de Gaulle, donc très influencées. Il n’en reste pas moins que c’est très bien écrit, très intéressant, et qu’on vit cette lente maturation de l’homme de Gaulle, qui rate sa carrière militaire pour une carrière politique à Londres. Il y a des pages très drôles et très savoureuses sur ses rapports avec Churchill, on aurait voulu être une petite souris pour assister à certains entretiens. Le livre fait prendre conscience de l’obstination incroyable du général, et les montagnes d’obstacles que les Anglais et les Américains ont mis sur sa route est incroyable à relire aujourd’hui. "