Les brèves

Après tant de silences

Jean-Louis Bourlanges, créée le 04-12-2022

"Ce livre écrit par Constance Guichard-Poniatowski m’a beaucoup touché. Les deux noms de son patronyme (celui de son père Olivier Guichard et celui de son mari Ladislas Poniatowski) sont déjà une espèce de « Montaigu-Capulet » entre pompidoliens et giscardiens. Si ce livre m’a ému, c’est parce qu’il parle de gens et d’un monde que j’ai bien connus. Mais en le lisant, j’ai réalisé à quel point cette époque était révolue. C’est le témoignage de la fille d’un homme, au sens traditionnel du terme, celui d’une époque où les hommes ne s’occupaient pas beaucoup de leur famille, de leurs enfants, et particulièrement des filles. Et Olivier Guichard est un homme politique, très proche collaborateur de de Gaulle et lui étant entièrement dévoué. Ce livre est très bien écrit, par une femme qui a beaucoup souffert de cette situation, de ce père qu’elle admire pourtant. J’ai beaucoup apprécié d’y découvrir tout ce que je savais déjà au fond de moi-même."


Note de conjoncture mensuelle de l’Insee

Lionel Zinsou, créée le 04-12-2022

"Comme la conjoncture est difficile et que des récessions se profilent, je me demandais comment en donner une lecture un peu objective. Car à écouter les réseaux sociaux ou la presse, on peut craindre que le pouvoir d’achat des Français ne soit amputé de 10% (alors que ce sera vraisemblablement plutôt 1%). Bref le décalage entre la perception et la réalité est souvent très grand sur ces sujets, il est bon de revenir aux faits. Deux sources complémentaires sont intéressantes pour cela, elles sont très faciles d’accès et bizarrement très peu utilisées. Il y a d’abord la note de conjoncture mensuelle de l’Insee, qui est parfaitement réalisée et bénéficie désormais de données de haute fréquence (clics google, dépenses par secteur des cartes de crédit, etc.) Des progrès considérables ont été accomplis, qui ne se retrouvent absolument pas dans les perceptions de l’opinion. Vous pouvez aussi aller regarder ce que publie l’OFCE (Observatoire Français des Conjonctures Économiques), également très éclairant. "


L’ennemi américain

François Bujon de L’Estang, créée le 04-12-2022

"J’ai ressorti de ma bibliothèque ce livre de Philippe Roger paru en 2002, mais qui garde toute sa pertinence. Il porte le sous-titre : généalogie de l’antiaméricanisme français. C’est une histoire de ce sentiment, qui commence en France au XVIIIème siècle avec Turgot et les physiocrates, et qui s’est beaucoup développé au XIXème pour culminer au XXème. L’antiaméricanisme n’est pas une idéologie, il n’appartient ni à la droite ni à la gauche. Quand les Etats-Unis abandonnent l’isolationnisme que nous critiquons, nous leur reprochons aussitôt leur impérialisme. Quoi qu’ils fassent, ils ont toujours tort. Le livre est très bon, on peut tout de même regretter qu’il n’ait pas son pendant, traitant du sentiment anti-français en Amérique. Gageons que cet ouvrage-là serait sans doute encore plus épais que ce volume, qui compte pourtant 600 pages."


La petite menteuse

Richard Werly, créée le 27-11-2022

"Il n’y a pas beaucoup de raisons de rire dans le roman que je vous recommande. Il est signé de Pascale Robert-Diard, chronique judiciaire au journal Le Monde. C’est le roman d’un faits divers. C’est une fiction où un homme est conduit en prison par un mensonge. Il est accusé à tort de viol. C’est aussi le roman de la prise de conscience de l’adulte qui avait accusé à tort quand elle était adolescente, et qui veut réparer sa faute. Mais la justice est-elle capable de l’entendre ? Le livre est très beau, il tourne autour de la question du doute. J’en ai parlé dans un article, et je me suis pris une volée de bois vert pour avoir simplement décrit des passages du roman, décrivant la jeunesse de cette protagoniste qui a connu beaucoup de garçons et est physiquement plus attirante que la moyenne. Elle s’est trouvée otage d’une société hyper-sexualisée, ce qui l’a conduite à accuser un innocent. La volonté de l’auteure n’est pas du tout de remettre en cause la parole féminine, mais de réhabiliter la place du doute dans notre société."


Aucun ours

Béatrice Giblin, créée le 27-11-2022

"A propos de l’Iran, je vous recommande ce film de Jafar Panahi. Le réalisateur est incarcéré depuis le mois de juillet, au secret, dans cette fameuse prison d’Evin, à Téhéran. Il a réussi à tourner dans des conditions absolument invraisemblables, dans un village tout près de la frontière turque qu’il se refuse à traverser. Il dirige son film depuis l’Iran, alors que le tournage a lieu de l’autre côté de la frontière, en Turquie. Avec une imbrication d’histoires, entre la fiction et la réalité des acteurs. Un couple essaie de fuir, mais c’est aussi le cas des acteurs qui jouent ces personnages. Le tout dans ce village très pauvre et très marqué par les traditions. C’est fait avec une finesse, une intelligence et une humanité telles que je ne peux que répéter à quel point les Iraniens sont un grand peuple."


Le voyant d’Etampes

Philippe Meyer, créée le 27-11-2022

"Je vous recommande ce roman d’Abel Quentin. Si vous battez les buissons aujourd’hui, il en sort des sycophantes. Si vous secouez les réseaux sociaux, vous verrez sortir des gens à l’affût de toutes sortes de dénonciations : de gens, de comportements, etc. Et ils sont tous d’un conformisme terrible, c’en sont même les vigiles. Abel Quentin a réussi à créer un roman qui traite de ce sujet en s’en moquant, il parvient même à tirer de son lecteur de francs éclats de rire. Je vous le conseille vivement."


Aux portes de l’Europe - Histoire de l’Ukraine

Michel Eltchaninoff, créée le 27-11-2022

"Un livre pour mieux comprendre l’invasion russe en Ukraine, par Serhii Plokhy, qui dirige la chaire d’Histoire de l‘Ukraine à Harvard. L’Histoire de ce pays est très complexe, ses frontières sont mouvantes, il fut très puissant au Moyen-Âge, et a traversé plusieurs empires. Cette Histoire est aussi très disputée et discutée, puisque l’historiographie russe a fait de l’Ukraine une « petite Russie », à la fois point source de la Russie, et zone folklorique un peu méprisée. Or avec ce livre, on comprend tout. C’est simple, c’est fluide, on remonte à l’Antiquité, c’est raconté évidemment de façon précise et rigoureuse, mais aussi avec beaucoup de drôlerie et d’anecdotes. Une manière de comprendre le conflit actuel au moyen d’un grand livre d’Histoire."


Histoire globale de la France coloniale

Lionel Zinsou, créée le 27-11-2022

"Pour ne pas nous éloigner de la francophonie, je recommande ce livre d’un collectif d’historiens. Nicolas Bancel, Pascal Blanchard, Sandrine Lemaire et Dominic Thomas ont écrit cet ouvrage remarquable, qui va du XVIIIème siècle à l’utilisation des thèmes coloniaux ou néo-coloniaux d’aujourd’hui. Il traite aussi des moyens d’influence, immatériels, qui ont permis de créer un lobby colonial : le rôle de la presse, et notamment de l’image, de la langue, de l’éducation, des expositions coloniales, de la monstration de l’indigène … Tout ceci a l’air très contemporain, alors qu’il s’agit du XIXème siècle. A le lire, on comprend aisément que l’emprise coloniale ne puisse avoir complètement disparu seulement cent ans plus tard."


Vivre pauvre - Quelques enseignements tirés de l‘Europe des Lumières

Marc-Olivier Padis, créée le 20-11-2022

"Je vous recommande moi aussi un essai historique. Celui-ci est signé de Laurence Fontaine, historienne et directrice de recherches à l’Ecole des Hautes Études en Sciences Sociales. Le livre est passionnant et il suit deux projets. D’une part, l’auteure travaille sur un fonds d’archives qui n’avait pas été remarqué jusqu’à présent. On sait que les académies des arts régionales du XVIIIème siècle aimaient lancer des concours (c’est comme cela que Rousseau se fit connaître), et celle de Châlons-sur-Marne en avait lancé un en 1777 : réfléchir sur « les moyens de détruire la mendicité, en rendant les mendiants utiles à l’Etat, sans les rendre malheureux ». Le concours reçut 125 réponses, ce qui en fait la plus abondante production du siècle pour ce type de concours. Laurence Fontaine a donc analysé ces 125 propositions, mais au delà de ce travail historique, elle propose une perspective que révèle le sous-titre. Il faut s’intéresser à la pauvreté non seulement comme une situation de domination sociale, mais aussi en essayant de comprendre les stratégies des populations les plus pauvres pour sortir de leur condition. Elle s’appuie sur les travaux du grand économiste Amartya Sen, qui a montré que les acteurs économiques ne sont pas simplement dans des situations de domination, mais qu’ils ont aussi des capacités de réponses. Ils développent des stratégies. L’essai est tout à fait original, à la fois historique mais aux fortes résonances contemporaines."


Richelieu

Philippe Meyer, créée le 20-11-2022

"Avec cette biographie du cardinal, Françoise Hildesheimer est parvenue à maîtriser une bibliographie considérable, et à en tirer une vision extrêmement fine de l’homme mais aussi de la période. Elle peint l’homme d’Etat, mais aussi le prêtre (ce qu’on oublie ou qu’on ignore), et cette légende de « l’homme rouge », à laquelle Michelet et Victor Hugo ont contribué. La carrière de Richelieu fut aussi mouvementée que fragile, et ce jusqu’à la fin. L’auteure en profite pour contribuer à la réhabilitation de Louis XIII, peut-être pas comme homme, mais au moins comme monarque."


L’aplatissement du monde

Isabelle de Gaulmyn, créée le 20-11-2022

"Je recommande le petit essai d’Olivier Roy. Au début je me suis dit « bon, Olivier Roy, on le connaît, ça va encore être « la fin de la grande culture », etc ». J’ai été très agréablement surprise. C’est une lecture simulante. Dans un précédent ouvrage, Olivier Roy expliquait comment la religion mondialisée, en coupant la foi de la culture, aboutissait aux fondamentalismes. En appliquant la même grille de lecture sur les schémas sociaux, il analyse la crise de la Culture actuelle, qui s’accompagne paradoxalement d’une énorme augmentation des normes. "


Aron et De Gaulle

Jean-Louis Bourlanges, créée le 20-11-2022

"Notre ami Jean-Claude Casanova a décidé de faire quelque chose de très utile : regrouper les écrits épars de Raymond Aron, en les classant par thème. C’est ainsi qu’il avait publié il y a quelques années un « Marx » de Raymond Aron, qu’Aron n’avait pourtant jamais conçu comme un livre. Il vient de faire la même chose à propos du général de Gaulle. Ces deux figures ont dominé ma jeunesse, il y a une gémellité entre ces deux destins tout à fait passionnante. Aron va à Londres au même moment que de Gaulle, il est totalement solidaire du combat des alliés, mais en décalage de la France Libre. Il se retrouve directeur de cabinet de Malraux, à la Libération. Il estime comme de Gaulle et au même moment qu’il faut en finir tôt ou tard avec l’Algérie, il a cette rupture très importante sur la guerre des six jours, mais en même temps on voit bien que sa démarche est très profondément différente de celle du général. Aron est un « classique », qui veut construire un ordre international, de Gaulle est un « baroque », qui chérit le mouvement, l’instabilité, le jeu, etc. Ce sont des esprits différents, mais deux personages qui ont vraiment dominé l’après-guerre en France. "