Les brèves

Dictionnaire amoureux de la traduction

Marc-Olivier Padis, créée le 29-09-2024

"Fallait-il consacrer un volume de cette collection bien connue du dictionnaire amoureux à l’activité réputée la plus infidèle qui soit ? Les traducteurs sont souvent accusés de trahir les écrivains (on connaît l’homophonie/paronomase « traduttore, traditore »). L’autrice montre plutôt que le but paradoxal du traducteur est de se faire oublier. Comment peut-on ainsi souhaiter devenir, au mieux, transparent ? C’est un des fils rouges qu’on peut suivre d’une entrée à l’autre de ce « dictionnaire amoureux qui parle beaucoup de littérature anglo-américaine puisque Josée Kamoun a été la traductrice de Philip Roth mais aussi de John Irving, George Orwell, Virginia Woolf ou encore Richard Ford. Elle parle magnifiquement de ces auteurs qui lui sont plus que familiers pour les avoir non seulement lus mais explorés et véritablement compris de l’intérieur. Un autre fil rouge passionnant concerne l’évolution de la langue en posant la question de la légitimité des nouvelles traductions. Pourquoi traduire à nouveau Shakespeare ou Orwell ? Qu’est-ce qu’une actualisation d’un texte ? Le traducteur est un explorateur de la langue, de la singularité de chaque écriture mais aussi de l’évolution historique de la langue commune des lecteurs et lectrices."


Ils ont choisi la France : James Baldwin, Nina Simone, Miles Davis, Melvin Van Peebles et Joséphine Baker

Béatrice Giblin, créée le 29-09-2024

"Un ouvrage pour nous rappeler les raisons pour lesquelles ces artistes ont choisi la France - pour être des hommes et des femmes avant que d'être noirs ; pour la citoyenneté, la laïcité, la liberté. Yasmina Jaafar nous met en garde sur l'importation de l'idéologie communautariste étasunienne qui nous fait oublier notre passé qui n'est pas celui des Etats-Unis. Le récit des vies de ces artistes nous aide à cesser de nous confondre avec l'histoire des Etats-Unis, la colonisation n'est pas l'esclavage, s'il y a des demandes de réparation, les héritages diffèrent. Le racisme sur lequel s'est forgé la République américaine via les lois ségrégationnistes a une autre histoire en France. Il est bon de le rappeler."


Nord sentinelle : contes de l’indigène et du voyageur

Nicole Gnesotto, créée le 22-09-2024

"C’est la rentrée littéraire, et j’ai deux recommandations. D’abord ce roman de Jérôme Ferrari, présenté comme une critique du surtourisme en Corse. Même si ce thème figure dans le roman, il n’en est à mon avis pas le cœur. Il s’agit surtout d’une écriture vertigineuse, violente, sur l’extraordinaire bêtise, l’inculture, la paresse de la petite mafia corse, qui arnaque le touriste. Formidable."


Germaine Tillion : une certaine idée de la résistance

Nicolas Baverez, créée le 22-09-2024

"Comme l’époque manque un peu de sens et de grandes personnalités, je vous recommande cette biographie signée Lorraine de Meaux. Germaine Tillion est vraiment une figure incroyable, d’une force stupéfiante. D’abord ethnologue, elle fait partie du réseau du Musée de l’Homme. Arrêtée, envoyée à Ravensbrück, où elle galvanise les déportées pour supporter l’horreur. Par la suite, elle dénonce le goulag stalinien, et se tiendra aux côtés de de Gaulle et Camus dans la guerre d’Algérie. Une vie exceptionnelle et très inspirante."



Schnock n°52 « Pompidou »

Philippe Meyer, créée le 22-09-2024

"Je suis un lecteur assidu et généralement comblé de Schnock, la revue des vieux de 27 à 87 ans. Ses numéros sont de délicieux bains que nous prenons dans notre mémoire, mais aussi, et même surtout dans la mémoire des autres. Son 52ème numéro est essentiellement consacré à Georges Pompidou. Comme d'habitude, on y trouve aussi des coup de projecteur, ici sur Simone Signoret et le feuilleton La Juge, plus loin sur le comédien Henri Guybet ou sur le dessinateur Serre, dont les albums sont des chefs-d’œuvre d'humour noir servis par un crayon virtuose. Sur Georges Pompidou, on apprendra ou on se remémorera son goût de l'art contemporain, sa dilection pour la vitesse, qu'il s'agisse de conduire une Porsche ou de mener l'action du gouvernement, et on restera quelque peu ébahi en constatant tous les traits qui le distinguent de ses prédécesseurs et de ses successeurs. On pourra notamment méditer sur une période où la modernité était la préoccupation et le fait de la droite, mais, à mon regret, il manque à ce numéro un chapitre sur Pompidou et Paris. L'homme qui a fait inconsidérément (à mon avis) détruire les pavillons de Baltard et voué Paris à la destruction de son centre, sans réfléchir au fait que ce centre n'était pas seulement le ventre de la capitale mais aussi son cœur et qui a remplacé ce cœur par un hypersupermarché plein de commerces sans commerçants, cet homme-là aurait mérité que l'on passe en revue une politique dont l'embourgeoisement et l’uniformisation de la ville n'auront pas été la moindre des conséquences, ni la moins fâcheuse."


Dahomey

Lionel Zinsou, créée le 22-09-2024

"Je vous invite à aller voir ce film documentaire, qui a fait la une de Libération le jour de sa sortie (le 11 septembre dernier). Il a reçu l’Ours d’or du festival de Berlin. Il est signé de Mati Diop, une cinéaste sénégalaise très engagée, sur le propos de ce film : la restitution par la France des trésors royaux du Dahomey, l’ancien nom de l‘actuelle République du Bénin. Le Dahomey était l’un des grands royaumes de l‘Afrique de l’Ouest précoloniale, et les rois du Dahomey avaient par leurs commandes, constitué un trésor assez exceptionnel. Vingt-six objets était au musée du Quai Branly. En 2016, le président du Bénin a fait une demande de restitution, et la réponse avait été « non » sous la présidence de François Hollande, puis « oui » dans le discours de Ouagadougou du président Macron. Ce n’est pas simplement un documentaire. En 1h08, vous entendez s’exprimer les statues en train de rentrer chez elles, dans une atmosphère un peu fantomatique. L’image est magnifique, Mati Diop fait déjà obtenu en 2018 le grand prix du Festival de Cannes pour la qualité de sa photographie. Et vous voyez aussi les débats filmés de jeunes étudiants béninois, on y entend la charge d’émotions, le retour à la fierté à l’occasion du retour de ces objets pillés. La prise de conscience d’une génération africaine. Il se trouve que le trésor royal comportait 27 objets, il restait un trône qui avait disparu, et qui vient d’être retrouvé à Helsinki. La Finlande va le rendre, toute l’Europe est donc en train de s’engager dans ce processus de restitution."


Théodoros

Richard Werly, créée le 22-09-2024

"Je suis en train de finir ce roman de Mircera Cartarescu, et je vous le recommande vivement. Je ne connaissais pas cet écrivain, il est professeur de littérature à Bucarest. Théodoros II était un roi d’Ethiopie, qui s’est suicidé dans son palais assiégé par l’armée britannique à l’époque de la reine Victoria. C’est absolument passionnant : une prose flamboyante qui m’a rappelé celle de Garcia Marquez. Je pense qu’il s’agit d’une œuvre majeure."


La grande illusion : journal secret du Brexit (2016-2020)

Michaela Wiegel, créée le 15-09-2024

"En attendant le gouvernement, on peut s’intéresser à la pensée de Michel Barnier, et il se trouve qu’il avait publié son journal de la période du Brexit, et il vient d’être publié en livre de poche. Le livre nous apprend tout de même des choses utiles pour la situation d’aujourd’hui, par exemple ce qu’il pense de Mme Le Pen. Et puis, en fil rouge, on retrouve en France les mêmes angoisses qui ont touché le peuple britannique. On aura donc les mêmes populistes si l’on n’y prend pas garde. "




Sortir du travail qui ne paie plus : compromis pour une société du travail au XXIème siècle

Philippe Meyer, créée le 15-09-2024

"Je voudrais signaler le livre d’Antoine Foucher, « Sortir du travail qui ne paie plus », aux éditions de l’Aube. L’auteur constate que, pendant les 30 glorieuses, le niveau de vie a augmenté de 5% par an, ce qui permettait de le doubler en 15 ans. Aujourd'hui, il augmente de 0,8% par an, autrement dit, il faut travailler 84 ans pour vivre deux fois mieux. Le mouvement qui voulait que l'on vive de mieux en mieux en travaillant de moins en moins grâce à un travail de plus en plus productif s’est arrêté. Les travailleurs actuels doivent travailler davantage que leurs parents sans avoir l'espérance de vivre mieux qu'eux. Il nous faut réindustrialiser, investir dans l'éducation, dans les compétences et dans l'innovation alors que nous surinvestissons dans les retraites et la protection sociale. Ne plus faire reposer sur les travailleurs l'essentiel de la fiscalité, car nous taxons le travail 8 fois plus que l'héritage, 3 fois plus que les retraites, une fois et demie plus que la rente. Il faut remettre à plat la fiscalité, soulager le travail de 100 milliards d'euros, taxer les 10% des héritages des plus élevés et les retraites les plus substantielles. Il faut créer une TVA de souveraineté, par exemple sur les biens intensifs en carbone importé comme les voitures produites en Asie, qui serait soumise à une TVA de 25%. La moindre originalité de ce livre n'est pas de proposer pour cette remise à plat de la fiscalité un référendum qui définirait un nouveau contrat social fondé sur le travail."