Les brèves

L’île silencieuse

Philippe Meyer, créée le 17-10-2021

"Le premier ouvrage que je vous recommande est de Bruno Racine, qui dirigea un certain temps -et excellemment- la Bibliothèque nationale de France. Vous prenez un colonel en retraite, une escort-girl aux ambitions artistiques, un directeur de revue et un ancien des services secrets, vous les mettez sur l’Île Saint-Honorat, dans un monastère. Entre le silence des moines et les bavardages des uns et des autres, je vous laisse aller voir ce qui peut se passer."


Historiciser le mal

Michaela Wiegel, créée le 03-10-2021

"Philippe a commencé l’émission avec un éloge de la traduction que j’aimerais poursuivre. Peut-on, ou faut-il traduire Mein Kampf ? Je voulais rendre hommage au travail de titan du traducteur Olivier Mannoni, qui pendant une dizaine d’années s’est appliqué à restituer la langue d’Hitler dans sa mocheté, dans sa syntaxe détournée. Grâce au travail d’une équipe d’historiens, c’est devenu un livre important pur tous ceux qui veulent comprendre ce qu’a représenté ce livre à l’époque. Les éditions Fayard ont incontestablement eu raison de faire paraître ce livre important."


Pleine terre

Lucile Schmid, créée le 03-10-2021

"Je voulais vous recommander ce roman de Corinne Royer que j’ai trouvé magnifique. Il raconte l’affaire Jérôme Laronze. Peut-être avez-vous lu cet été dans Le Monde le récit par Florence Aubenas de la cavale de cet agriculteur bourguignon, éleveur de vaches charolaises et porte-parole de la confédération paysanne, qui s’est retrouvé poursuivi pour non-respect des normes et finalement tué par les gendarmes. Le récit de Corinne Royer est complètement habité, elle en fait une espèce de saga qui va au-delà de Jérôme Laronze, et nous éclaire sur la façon dont la question agricole est primordiale dans nos interrogations sociétales. Il y a dans ce roman une intensité extraordinaire, car la destinée de Jérôme Laronze (renommé ici Jacques Bonhomme) nous renvoie à l’absence de sens, et à la façon dont il faut incarner ces questions écologiques dont nous parlons sans cesse. Corinne Royer parvient dans ce roman à humaniser la question écologique, qui reste trop souvent scientifique ou abstraite."


Authentique rapport sur la nécessaire disparition de Venise

Philippe Meyer, créée le 03-10-2021

"« J’ai connu à Londres un Américain fort compétent, lequel m'a révélé qu'un bébé sain et bien nourri constitue à l'âge d'un an un plat délicieux, riche en calories et hygiénique, qu'il soit préparé à l'étouffée, à la broche, au four ou en pot-au-feu et j'ai tout lieu de croire qu'il fournit de même d'excellents fricassées et ragoûts. » Éclairé par cette information Jonathan Swift, pour résoudre le problème de la surnatalité et des famines endémiques en Irlande publia sa « Modeste proposition pour empêcher les enfants des pauvres d'être à la charge de leurs parents ou de leur pays et pour les rendre utiles au public. Celui qui, sous le pseudonyme de Casanuova publie aux Éditions Exils un « Authentique rapport sur la nécessaire disparition de Venise » est un disciple de Swift, mais un disciple qui soutient sa proposition avec les remarquables arguments qui ne peuvent être que le fait d’un connaisseur intime de la cité lagunaire et de sa situation actuelle. On en jugera par le titre de certains chapitres : « Une ville pour les riches ; Le Mose où comment enrichir les parasites ; L’invasion chinoise. Il n'y a plus de cité, juste un cliché ; L'empire du faux ; Lascaux l'a fait ». Et l'auteur D'emprunter sa conclusion à Swift : « Je n'ai en vue que le bien de mon pays. Je cherche le développement de son commerce, le bien-être de ses enfants, le soulagement de ses pauvres et un peu d'agrément pour les riches. »"


(Re)constructions

Jean-Louis Bourlanges, créée le 03-10-2021

"Je voudrais faire quelque chose de peu convenable, et vous recommander le livre de notre camarade Nicolas Baverez. On ne sera pas étonné qu’il y reprenne ses thèmes habituels, Nicolas est quelqu’un plus enclin à se répéter qu’à se contredire, mais il les met sous un chapeau tout à fait différent puisqu’il replace son pessimisme habituel dans un cadre pandémique, et relie ce choc à ceux qui l’ont précédé. Je trouve qu’il y a quelque chose d’original par rapport à ce qu’on peut lire chez les autres : Baverez montre le faux diagnostic de la démondialisation ; il explique très clairement que la pandémie n’a pas ruiné la mondialisation ; elle a affecté les chaînes de valeurs et changé certains comportements, mais en réalité la planète économique et sociale reste un tout globalisé. Le livre a l’immense mérite pour nous autres Baverezologues émérites : nous étions habitués à un numéro d’affliction à caractère national, l’auteur a désormais atteint un niveau cosmique car c’est l’ensemble de l’Occident qui est désormais touché. Son pessimisme quasiment ontologique a enfin trouvé un terrain de jeu à sa mesure."


Le squelette de Big John

Matthias Fekl, créée le 03-10-2021

"Je vous conseille d’aller rue des Archives à Paris, où la Galerie du Marais expose dans une boutique pop-up le squelette de Big John. Ce sont les os d’un tricératops géant que vous pourrez y voir, vieux de 66 millions d’années. C’est tout à fait spectaculaire. Il sera bientôt vendu aux enchères, dépêchez-vous donc d’aller le voir, il y sera jusqu’au 15 octobre. Pour les jeunes archéologues en herbe, ou les moins jeunes qui ont rêvé devant Jurassic Park ou Indiana Jones, c’est très émouvant, très beau, courez-y."


Les puissances mondialisées - Repenser la sécurité internationale

Nicole Gnesotto, créée le 26-09-2021

"Je reviens à la géopolitique pour vous recommander le dernier ouvrage de Bertrand Badie. J’ai déjà recommandé d’autres livres de ce grand professeur de science politique ici, notamment parce que sa pensée est assez iconoclaste, par rapport aux thèses prégnantes en France et plus généralement en Occident. Il est par exemple très mal vu au Quai d’Orsay, puisque l’une de ses thèses est de dire que la géopolitique est terminée, que dans la mondialisation, se fonder sur les territoires, les souverainetés nationales et les rapports de force pour penser la sécurité internationale, c’est se tromper de sujet. Les grands défis sont mondiaux ne se traitent pas avec des moyens militaires. Sa pensée peut très bien être contestée, je suis personnellement en désaccord sur plusieurs points, mais je reconnais que chaque fois que j’ai lu un livre de Bertrand Badie, il m’a fait réfléchir."


Wheels

Marc-Olivier Padis, créée le 26-09-2021

"Comme nous avons la chance de pouvoir retourner aux concerts, je vais parler de musique, et comme notre ami François Bujon de l’Estang n’est pas là, je me permettrai de parler de jazz à sa place. Je vous recommande un disque qui vient de sortir, de deux pianistes, Ray Lema et Laurent de Wilde. Le disque s’intitule « Wheels », qu’on pourrait traduire par « roues », mais aussi « rouages », parce que l’ajustement des deux pianos est une mécanique de très haute précision. Les inspirations sont africaines, les rythmes sont transformés à leur manière, « jazzifiés ». Le travail d’écoute et d’entente entre les deux pianistes est absolument magnifique. Un bonheur."


Apocalypses

Nicolas Baverez, créée le 26-09-2021

"Je vous recommande la lecture du livre de Niall Ferguson, un historien écossais. L’auteur retrace l’histoire de tous les grands chocs subis par l’humanité. Éruptions, tremblements de terre, épidémies, et guerres. Il montre qu’à chaque fois, la surprise et l’impréparation sont totales, le politique est incompétent, et qu’il n’existe pas de cycle permettant de prévoir ces événements. Les bouleversements sont donc à chaque fois considérables, sur les mentalités et sur le système géopolitique. On s’aperçoit ainsi qu’aucune leçon n’est tirée de l’Histoire, et même qu’à l’inverse, l’illusion technologique va de pair avec une explosion de l‘irrationalité. Force est de constater que cette période de sortie de pandémie ressemble à cela : au lieu de s’efforcer d’être prêts pour les prochains grands chocs, c’est l’irrationalité qui progresse."


Lorsque le dernier arbre

Philippe Meyer, créée le 26-09-2021

"Il y a plusieurs façons de dire d'un roman « c'est un gros roman ». Il y a la façon résignée et il y a la façon gourmande. C'est la seconde qui convient pour parler de Lorsque le dernier arbre, premier roman publié par Albin Michel du jeune canadien Michael Christie, livre habilement construit en allers-retours entre 2038, époque où le contact avec la nature sera réservé aux possesseurs de grandes fortunes et 1908, période où peuvent commencer des fortunes fondées notamment sur l'exploitation forestière. Christie mélange un sens impressionnant du suspense et de la construction dramatique avec une connaissance intime des arbres et des forêts qui en font des personnages d’un roman qui est aussi un roman politique de l'urgence environnementale. Ajoutons que je recevrai la traductrice de ce livre ; Sarah Gurcel, dans un prochain bada de la série « Si c’est pour la Culture, on a déjà donné »…"


Une femme française

Richard Werly, créée le 26-09-2021

"Ma brève sera méchante. Je m’étonne de la manie qu’ont les politiques français de faire des livres inutiles, le dernier en date étant celui d’Anne Hidalgo. J’ai acheté ce livre avec gourmandise, parce que je me disais qu’ « une femme française », arrivée en France à deux ans, devait être un récit intéressant, que j’allais apprendre quelque chose sur la France. Très franchement, cela ne mérite absolument pas d’être lu. C’est un programme politique pas très bien écrit, où ne figure rien d’original sur la personnalité d’Anne Hidalgo ni sur son itinéraire. Je lance donc un appel : mesdames et messieurs les candidats, si vous faites des livres en espérant que la presse en parle, je vous en supplie, rendez-les intéressants."


Le premier XXIème siècle

Jean-Louis Bourlanges, créée le 19-09-2021

"Je voudrais recommander le livre de mon camarade de la Cour des Comptes, Jean-Marie Guéhenno. Je l’ai lu cet été, et trouve que la pensée est d’une complexité rare. Il y a peu de préconisations, et c’est tant mieux, mais la crise de l’Occident et de la démocratie est analysée avec une très grande finesse. Tout part d’un constat : l’Europe s’est trompée en croyant que le modèle démocratique avait triomphé, alors qu’il ne s’agissait que de l’effondrement du modèle soviétique. A partir de ce grand malentendu, il analyse toutes composantes de la crise démocratique et montre que cela va bien au delà des querelles qui nous agitent, qu’il s’agit d’une transformation de la conception même des rapports entre les citoyens, c’est à dire une société politique fragmentée, organisée dans des territoires de plus en plus virtuels, fondée sur l’identité et l’ajustement difficile entre des identités plus ou moins compatibles (d’où l’idéalisation du respect). Une démocratie profondément en panne, qui a substitué le culte des identités à l’organisation de l‘altérité et à l’organisation du bien commun. Enfin, une lecture aussi ambivalente qu’intéressante sur la Chine, dont il montre à la fois le caractère horrifique, mais aussi le modèle implicite que cela représente pour une société comme la nôtre, éperdue de discorde et de querelles."