Les brèves

Courrier d’auditeur

Philippe Meyer, créée le 23-01-2022

"A la suite de ma brève de dimanche dernier sur Don’t look up dans laquelle j’ironisais sur le caractère caricatural de la représentation de la politique aux États-Unis, et notamment du personnage de la présidente incarnée par Meryl Streep, plusieurs de nos auditeurs habitants aux États-Unis m’ont écrit pour me dire que je m’étais mis le doigt dans l’œil « usque ad omoplatum », comme on dirait dans Astérix. La critique la plus développée est celle que je vais lire, elle émane d’Emmanuel Dupuy d’Angeac.       « Je me permets un commentaire sur votre brève à propos du film "Don't look up". Je vis aux Etats Unis depuis maintenant près de 25 ans et je constate avec horreur depuis les années Bush (probablement depuis Reagan) la descente aux enfers de la démocratie américaine. La suppression du droit de vote, une cour suprême fanatisée, un Pentagone omni puissant et inquisiteur, la criminalisation de journalistes tels que Julian Assange, la propagande des médias américains, la captation du pouvoir par une minorité blanche - le sénat américain, par le découpage électoral, représente en gros 30% des électeurs, la remise en cause du droit à l'avortement, la toute puissance des polices (locales) américaines (En moyenne les polices américaine tuent 1000 personnes par an), l'incarcération de masse (Bill Clinton à lui tout seul est responsable de la mise en prison d'en gros 1 million de Noirs - "3 strikes and you are out"), l'omni puissance des lobbies américains (Le sénateur Manchin et sa femme ont touché en 2020 plus d'un million de dollars d'un producteur de charbon de West Virginia), l'éradication des syndicats (voir Amazon), le système de sécurité sociale inexistant, le salaire minimum qui n'a pas changé depuis les années Reagan. Le capitalisme américain a tué la démocratie en Amérique. Les parti démocrate et républicain sont complètement corrompus par le capitalisme. Je suis affolé de constater que les Européens ne voient pas la gravité de ce qui est en train de se passer de ce côté de l'Atlantique. Il est urgent de fermer le NY Times et de suivre le peu de journalistes intègres qui restent dans ce pays. Matt Taibbi et Glenn Greenwald sont par exemple des voix importantes. Le livre de Jane Mayer "Dark Money" est également un ouvrage important. Pour en revenir au film, oui c'est une caricature, mais à peine poussée. Une partie des dialogues sont d'ailleurs des reprises de Trump, notamment lorsque le fils parle de sa mère comme d’une nana qu'il aurait bien mise dans son lit si ce n'était sa mère. Trump a dit exactement la même chose de sa fille. Les élections de mi-mandat vont être une catastrophe et le futur très sombre. »"


L’Etat qu’il nous faut

Marc-Olivier Padis, créée le 23-01-2022

"Pour en revenir à la politique française, parmi les grands sujets qui seront peut-être débattus dans la campagne électorale si elle se développe un jour, il y aura nécessairement des réflexions sur la réforme de l’Etat. C’est un grand sujet, mais comme il est assez austère, le nombre de ses amateurs est plutôt restreint. C’est le cas de trois jeunes spécialistes des questions de politique publique, Daniel Agacinski, Romain Beaucher et Céline Danion, qui ont écrit ce livre. Leur ligne directrice consiste à se demander si la politique publique française est adaptée à des décisions, en particulier pour faire face au changement climatique. Il s’interrogent sur la façon de réorganiser l’action publique en ce sens. C’est une lecture exigeante et pas toujours facile, mais le sujet étant majeur, il mérite quelques efforts. "


L’Europe changer ou périr

Michaela Wiegel, créée le 16-01-2022

"Nous ne nous étions pas concertés, mais il se trouve que je voulais moi aussi recommander le livre de notre amie Nicole Gnesotto. J’ai été très frappée dans la préface de Jacques Delors, par une phrase : « il s’en est fallu de peu que le Covid-19 ne porte un coup fatal à l’Union Européenne » et le livre part en quelque sorte de ce constat. Nicole analyse de façon très lucide les difficultés qu’il y a à adapter cette construction qui datait d’un monde réellement révolu. Elle montre le chemin que pourrait prendre une diplomatie européenne, intégrant cette Allemagne souvent bien trop pacifiste, mais qui tempère en quelque sorte une France trop prompte aux interventions militaires. J’espère que ce livre sera vite traduit en allemand."


Algérie 1962 une histoire populaire

Akram Belkaïd, créée le 16-01-2022

"Je vous recommande cet ouvrage de Malika Rahal qui vient de paraître aux éditions La Découverte. Vous savez que nous commémorons le 60ème anniversaire de l’indépendance cette année, ce sera donc un élément de l’actualité des prochaines semaines, y compris en France. L’historienne propose « une histoire populaire », et nous montre ce qu’a été cette année 1962 en Algérie. Le livre est en deux parties : tout ce qui précède l’indépendance, l’OAS, les recompositions et les défaites de tous ceux qui n’étaient pas au sein du FLN ; et puis, après 1962, le temps de la vengeance (un chapitre évoque le massacre de Pieds-noirs à Oran), les violences pour ceux qui ont servi la France, mais aussi un aspect passionnant : comment on bâtit un jeune Etat, à partir de ce qu’a laissé la France, et après un exode massif. Tout cela est raconté avec force témoignages."



Un héros

Béatrice Giblin, créée le 16-01-2022

"Je vous recommande ce film Franco-iranien dont je crains qu’il ne disparaisse très bientôt des écrans, réalisé par Asgard Farhadi, qui avait déjà signé le très réussi Une séparation. Celui-ci est remarquable par la complexité de tous les personnages d’abord, personne n’est bon ou méchant, le « héros » en question n’est pas aussi moralement bon qu’il est physiquement beau, l’usurier n’est pas que vénal, etc. Et puis on voit comment fonctionne une famille iranienne. C’est un film d’une très grande humanité, qui aide à comprendre la complexité de la société iranienne à laquelle je suis très attachée."


Don’t look up

Philippe Meyer, créée le 16-01-2022

"Il y a un engouement général à propos de ce film diffusé sur Netflix, à propos d’une catastrophe imminente. J’en suis très étonné, car il ne s’agit pas d’une caricature mais d’une farce. Autant la caricature à propos de l’infotainment me paraît réussie, autant la manière dont est représentée le pouvoir politique ne l’est pas : c’est du « tous pourris », tous sont ridicules. J’ai l’impression qu’en faisant l’éloge de ce film, on confond Pierre Desproges et Patrick Sébastien. "


L’Europe changer ou périr

Philippe Meyer, créée le 16-01-2022

"Je voudrais signaler la parution, aux éditions Tallandier d’un livre de Nicole Gnesotto, L’Europe, Changer ou périr. Elle rappelle qu’à sa fondation, l’Europe misait sur l’OTAN pour la défendre et sur le libéralisme, le marché et la concurrence pour assurer à la fois son progrès et sa prospérité. Nicole Gnesotto soutient qu’aujourd’hui il faut sortir de la dépendance à l’OTAN - et en convaincre nos partenaires est une tâche ardue - et que cette sortie ne se fera pas par la construction d’une défense européenne dont les bégaiements successifs montrent qu’elle est une chimère, mais par l’instauration d’une diplomatie européenne. Elle rappelle utilement que des interventions extérieures occidentales depuis la fin de la guerre froide, à part celle de 1991 pour le Koweit, se sont soldées par des catastrophe. Elle remarque que la force militaire n’est plus la condition de la puissance de l’Europe et qu’il est nécessaire qu’elle s’investisse dans les solutions diplomatiques et qu’elle cesse de laisser la pensée des crises aux Américains. Quant à l’économie, Nicole Gnesotto affirme que, bien plus qu’assurer le libre jeu du marché et de la concurrence, le rôle de l’Europe, si elle ne veut pas périr, est d’aider à limiter l’explosion des inégalités, provoquée par la mondialisation."


Proust et la société

Nicolas Baverez, créée le 16-01-2022

"En contrepoint de l‘exposition, le dernier livre de Jean-Yves Tadié, le grand spécialiste de l’auteur. Le sujet est similaire à celui de l‘exposition : la société dans laquelle Proust a vécu, une société aristocratique qui vit ses derniers feux face à la montée de la société démocratique d’une IIIème République à son apogée. Et de l’autre côté, la société proustienne de la Recherche, cette extraordinaire galaxie de personnage, nouvelle comédie humaine."


Roumanie Au carrefour des empires

Jean-Louis Bourlanges, créée le 09-01-2022

"Je vous recommande ce livre paru dans la remarquable collection « l’âme des peuples », que dirige notre ami Richard Werly. Des livres courts, incisifs et très intelligemment faits. J’ai beaucoup apprécié celui sur la Roumanie, très justement sous-titré « au carrefour des empires ». Il est écrit par Henri Paul, un autre de mes amis, j’admets tout à fait la partialité de cette brève, mais Henri Paul a été notre ambassadeur en Roumanie. C’est un pays méconnu par la France et l’Union Européenne, alors qu’il est absolument essentiel, c’est la clef des Balkans. La Roumanie est une création de l‘empire romain, on sait que le roumain est une langue latine, mais le pays est au carrefour de la Russie, de la Turquie, de l’Europe … La France a joué un rôle très important dans la constitution de l’indépendance roumaine, à trois reprises : Napoléon III, Clémenceau, puis l’entrée dans l’UE. Edgar Quinet disait : « l’amitié de la Russie a été plus funeste aux Roumains que l’hostilité de tous les autres peuples réunis ». Cela explique beaucoup de choses, et notamment le profond Franco-tropisme des Roumains auquel nous ne sommes pas suffisamment sensibles. Au moment où la France préside l’Union Européenne, rappelons qu’il y a des choses importantes à faire avec nos amis roumains. "


Une télévision française

Philippe Meyer, créée le 09-01-2022

"Comme il existe un cinéma documentaire, il existe un théâtre documentaire. Au théâtre de la Ville aux Abbesses, Thomas Quillardet et sa troupe le démontre avec finesse, drôlerie et pertinence dans « Une Télévision française », qui retrace le passage de TF1 du public au privé en 1987. « Les gens n’ont pas besoin qu’on leur fasse la morale, ils ont besoin qu’on leur rafraichisse la mémoire », écrivait Samuel Johnson. Quillardet et les siens, en remontant dans le temps, nous font voir comment cette privatisation est à l’origine d’un changement quasi géologique de l’information télévisée. La force de ce spectacle tient à la justesse avec laquelle il décrit ce qu’était le journalisme audiovisuel à l’époque de la télévision d’État dont il ne cache ni les scléroses, ni le retard d’équipement, ni les aspects pesamment institutionnels, tout comme il montre avec nuance à quelles lois nouvelles, celle du marketing et d’une nouvelle forme de complaisance, les journalistes vont devoir -ou pas- s’adapter. Mais cette pièce tient aussi sa force d’une mise en scène enlevée, maligne et même malicieuse, et à des comédiens épatants qui virevoltent d’un rôle à l’autre et nous font revivre des moments savoureux, tel celui ou Patrick le Lay promet sur sa chaîne quantité de retransmissions théâtrales et lyriques (et même les « chorégraphies d’Orange » (sic), tandis que Bernard Tapie annonce la célébration du cinquantenaire de la mort de Maurice Ravel. Du point de vue du spectateur, la pièce aurait pu s’appeler « Les Cocus magnifiques » et de celui des politiques, qui ont appris à passer sous les fourches caudines de l’audiovisuel « Vous l’aurez voulu Georges Dandin ».  "


La grande expérience

David Djaïz, créée le 09-01-2022

"Je voudrais conseiller un livre qui sera publié à la fin du mois, de Yascha Mounk. C’est un livre sur un sujet assez essentiel, surtout pour notre élection présidentielle. Mounk constate d’abord que la théorie pure de la démocratie libérale ne reconnaît que deux instances : l’individu et l’Etat. Sauf que dans la pratique, se glissent entre les deux des groupes sociaux de plus en plus homogènes sur le plan culturel et/ou religieux. C’est le multiculturalisme : nos sociétés comprennent de nombreuses « sub-cultures ». L’observation de plusieurs sociétés à plusieurs époque n’incite pas à l’optimisme, car on constate que soit on tombe dans l’anarchie, soit dans la domination d’une culture majoritaire. L’auteur essaie donc très honnêtement de proposer des solutions pour éviter ces deux écueils. Mais je trouve que la grande faiblesse du livre est de ne pas s’intéresser suffisamment à notre laïcité, qui est en réalité un moyen extraordinaire de faire coexister dans le respect plusieurs cultures dans un projet politique partagé. N’être ni dans le « zemmouris me » d’écrasement de la diversité, ni dans la démission et la complicité avec des mouvements agressifs sur le plan culturel."