Les brèves

Une télévision française

Philippe Meyer, créée le 09-01-2022

"Comme il existe un cinéma documentaire, il existe un théâtre documentaire. Au théâtre de la Ville aux Abbesses, Thomas Quillardet et sa troupe le démontre avec finesse, drôlerie et pertinence dans « Une Télévision française », qui retrace le passage de TF1 du public au privé en 1987. « Les gens n’ont pas besoin qu’on leur fasse la morale, ils ont besoin qu’on leur rafraichisse la mémoire », écrivait Samuel Johnson. Quillardet et les siens, en remontant dans le temps, nous font voir comment cette privatisation est à l’origine d’un changement quasi géologique de l’information télévisée. La force de ce spectacle tient à la justesse avec laquelle il décrit ce qu’était le journalisme audiovisuel à l’époque de la télévision d’État dont il ne cache ni les scléroses, ni le retard d’équipement, ni les aspects pesamment institutionnels, tout comme il montre avec nuance à quelles lois nouvelles, celle du marketing et d’une nouvelle forme de complaisance, les journalistes vont devoir -ou pas- s’adapter. Mais cette pièce tient aussi sa force d’une mise en scène enlevée, maligne et même malicieuse, et à des comédiens épatants qui virevoltent d’un rôle à l’autre et nous font revivre des moments savoureux, tel celui ou Patrick le Lay promet sur sa chaîne quantité de retransmissions théâtrales et lyriques (et même les « chorégraphies d’Orange » (sic), tandis que Bernard Tapie annonce la célébration du cinquantenaire de la mort de Maurice Ravel. Du point de vue du spectateur, la pièce aurait pu s’appeler « Les Cocus magnifiques » et de celui des politiques, qui ont appris à passer sous les fourches caudines de l’audiovisuel « Vous l’aurez voulu Georges Dandin ».  "



Il nous reste les mots

Philippe Meyer, créée le 26-12-2021

"La densité, la vérité et la dignité du livre de Georges Salines, sa capacité à faire comprendre et à transmettre vous ont valu une invitation inattendue : Azdyne Amimour le père de Samy, l’un des terroristes abattus le 13 novembre, a souhaité rencontrer le père de Lola. D’un premier contact organisé par Sébastien Boussois, spécialiste de la prévention du radicalisme, est né un dialogue retranscrit dans un livre, « Il nous reste les mots »."



Liquidation de la SAM

Philippe Meyer, créée le 12-12-2021

"Pendant que trop de médias vaticinent sur des sondages qui leur tiennent lieu de connaissance de la réalité et qu’ils traitent comme des prédictions, dans l’Aveyron, à Decazeville, après la fermeture de la mine de charbon, après la mise à l’arrêt des activités de Vallourec, la Société aveyronnaise de métallurgie, la SAM va être liquidée parce que Renault, son unique client, a décidé de se fournir dans des pays où les rémunérations sont plus faibles et le droit du travail plus accommodant et bien que la SAM consacre près de la moitié de son activité à l’équipement des voitures hybrides et électriques. 333 ouvriers et cadres de la SAM se retrouvent sur le carreau. Ce qui reste du bassin industriel de l’ouest du département, Decazeville, Viviez et Aubin, est frappé à mort par la décision d’une entreprise, Renault, dont l’État est actionnaire à 15%. Nul doute que la décision de Renault n’ait une logique économique, mais une logique économique qui ne prend pas en compte les conséquences sociales de ses décisions n’est pas une logique économique, c’est une logique comptable. Je connais bien cette région ; j’ai vu Decazeville et son bassin prendre les uns après les autres les coups donnés par ces décisions à courte vue, toutes ont blessé, la dernière tue."


Trésors de la collection Al Thani

Nicole Gnesotto, créée le 12-12-2021

"Je voudrais partager avec vous une expérience artistique assez rare : la visite de la collection Al Thani à l’Hôtel de la Marine, place de la Concorde. Le cadre est déjà exceptionnel, mais l’exposition est exceptionnelle puisque c’est la première fois (du moins pour moi) qu’une collection est consacrée à notre commune humanité. Les objets rares qu’a réunis ce milliardaire qatari ne sont pas regroupés par période ou par civilisation, mais par thème. Il y a notamment une galerie de sculptures de têtes, dans toutes sortes de matériaux, où l’on voit une tête de Mésopotamie vieille de 5500 ans, à côté d’une autre tibétaine, mexicaine, égyptienne … C’est vertigineux car ce téléscopage ne montre qu’une chose : à quel point le désir de beauté et de durer sont communs à tous les Hommes. "


L’animal et la mort

Béatrice Giblin, créée le 12-12-2021

"Je vous recommande cette semaine un ouvrage qui m’a beaucoup plu, celui de l’anthropologue Charles Stépanoff, qui travaillait essentiellement sur les peuples autochtones du sud de la Sibérie. Avec la pandémie, il a dû faire du terrain ailleurs, à une centaine de kilomètres de Paris, en s’intéressant aux chasseurs paysans. C’est extrêmement intéressant, car son enquête montre qu’ils ne sont pas si éloignés que ses sujets dénudés précédents, qui eux aussi chassent, pour se nourrir. Certes les chasseurs paysans ne sont pas dans une culture chamanique, mais la connaissance du milieu, du gibier, et du rapport à l’animal son très comparables. Il parvient à établir deux grandes catégories : l’animal-enfant, avec lequel on joue, l’animal domestique qui ne sait plus rien faire par lui-même, et la production animalière (l’élevage pour la viande notamment). Tout ce qui est hostile à la chasse combine ces deux aspects, mais un autre rapport au vivant est possible : celui de ces chasseurs paysans. Passionnant."



Fado dans les veines

Akram Belkaïd, créée le 12-12-2021

"Je vous recommande un spectacle de Nadège Prugnard, qui est à la fois une pièce de théâtre et un spectacle musical, qui se joue au théâtre de l’Echangeur à Bagnolet. Il s’agit de l’itinéraire d’une fille d’immigrés portugais, sa destinée et celle de ses parents. Le spectacle rappelle des choses dont on ne parle plus en France, par exemple que l’immigration portugaise a longtemps été clandestine, avec son lot de misères, de passeurs … C’était à l’époque où le Portugal était sous la dictature de Salazar, et de nombreux immigrés portugais atterrissaient dans des bidonvilles français et y sont restés longtemps. L’auteure-metteuse en scène raconte sa volonté de sortir des « trois f » (Fado, Fátima et Football). Le récit est puissant, la musique est bonne et il y a deux chanteuses de fado sur scène."


Picasso l’étranger

Béatrice Giblin, créée le 05-12-2021

"Dans le même ordre d’idées, je vous recommande cette exposition qui démarre au Musée national de l’histoire de l’immigration. Picasso était anarchiste, réfugié politique et communiste, il fut donc surveillé de près par les services de renseignement français pendant des décennies. La nationalité française lui fut refusée quand il la demanda, et il la refusa quand on la lui reproposa, une fois au sommet de sa notoriété. L’exposition est très belle, les documents très émouvants et inédits : on trouve des oeuvres méconnues de Picasso, mais aussi des documents secrets de la police de Paris. Le Musée de l’immigration est un endroit remarquable, dont Benjamin Stora est toujours le conseiller scientifique. Saluons le courage de l’établissement d’exposer cet épisode peu glorieux de l’attitude française vis-à-vis des immigrés. Compte tenu du moment que nous vivons, ce rappel me semble important. "



The diary of a nobody

Lucile Schmid, créée le 05-12-2021

"Pour nous réconcilier avec la perfide Albion, je vous recommande un livre en anglais. Il date de la fin du XIXème siècle, et a été écrit par les frères Grossmith. Il est très drôle et nous rappelle à quel point l’humour est constitutif de la culture britannique. Il met en scène un anti-héros appelé Putter, un employé de bureau essayant en vain d’utiliser tous les codes de l’ascension sociale. Les personages préfigurent Laurel et Hardy, c’est Courteline au pays de Boris Johnson. Irrésistible."