L’aplatissement du monde

Brève proposée par Isabelle de Gaulmyn dans l'émission 8 milliards, est-ce tenable ? / L’avenir de la Nupes / n°272 / 20 novembre 2022, que vous pouvez écouter ici. ou ci-dessous.

L’aplatissement du monde

Isabelle de Gaulmyn

"Je recommande le petit essai d’Olivier Roy. Au début je me suis dit « bon, Olivier Roy, on le connaît, ça va encore être « la fin de la grande culture », etc ». J’ai été très agréablement surprise. C’est une lecture simulante. Dans un précédent ouvrage, Olivier Roy expliquait comment la religion mondialisée, en coupant la foi de la culture, aboutissait aux fondamentalismes. En appliquant la même grille de lecture sur les schémas sociaux, il analyse la crise de la Culture actuelle, qui s’accompagne paradoxalement d’une énorme augmentation des normes. "


Les autres brèves de l'émission :

Richelieu

Philippe Meyer

"Avec cette biographie du cardinal, Françoise Hildesheimer est parvenue à maîtriser une bibliographie considérable, et à en tirer une vision extrêmement fine de l’homme mais aussi de la période. Elle peint l’homme d’Etat, mais aussi le prêtre (ce qu’on oublie ou qu’on ignore), et cette légende de « l’homme rouge », à laquelle Michelet et Victor Hugo ont contribué. La carrière de Richelieu fut aussi mouvementée que fragile, et ce jusqu’à la fin. L’auteure en profite pour contribuer à la réhabilitation de Louis XIII, peut-être pas comme homme, mais au moins comme monarque."


Vivre pauvre - Quelques enseignements tirés de l‘Europe des Lumières

Marc-Olivier Padis

"Je vous recommande moi aussi un essai historique. Celui-ci est signé de Laurence Fontaine, historienne et directrice de recherches à l’Ecole des Hautes Études en Sciences Sociales. Le livre est passionnant et il suit deux projets. D’une part, l’auteure travaille sur un fonds d’archives qui n’avait pas été remarqué jusqu’à présent. On sait que les académies des arts régionales du XVIIIème siècle aimaient lancer des concours (c’est comme cela que Rousseau se fit connaître), et celle de Châlons-sur-Marne en avait lancé un en 1777 : réfléchir sur « les moyens de détruire la mendicité, en rendant les mendiants utiles à l’Etat, sans les rendre malheureux ». Le concours reçut 125 réponses, ce qui en fait la plus abondante production du siècle pour ce type de concours. Laurence Fontaine a donc analysé ces 125 propositions, mais au delà de ce travail historique, elle propose une perspective que révèle le sous-titre. Il faut s’intéresser à la pauvreté non seulement comme une situation de domination sociale, mais aussi en essayant de comprendre les stratégies des populations les plus pauvres pour sortir de leur condition. Elle s’appuie sur les travaux du grand économiste Amartya Sen, qui a montré que les acteurs économiques ne sont pas simplement dans des situations de domination, mais qu’ils ont aussi des capacités de réponses. Ils développent des stratégies. L’essai est tout à fait original, à la fois historique mais aux fortes résonances contemporaines."


Homo numericus - La « civilisation » qui vient

Nicole Gnesotto

"Je recommande pour ma part un grand livre, à la fois par la taille et par l’intérêt. C’est le dernier ouvrage de Daniel Cohen. L’auteur poursuit ici son interrogation sur le capitalisme. Après le capitalisme industriel et le capitalisme financier, il en vient au capitalisme numérique, toujours avec une remarquable clarté. Deux choses ressortent pour moi de l’ouvrage. D’abord il montre (très brillamment) qu’après avoir produit des biens et des services, le capitalisme fait désormais commerce de l’imaginaire humain. Et aussi à quel point le développement du capitalisme numérique est systématiquement lié à la destruction des institutions qui ont accompagné le capitalisme industriel : les syndicats, les partis politiques, toute la démocratie que nous avons connue. Je trouve ce lien entre capitalisme numérique et crise de la démocratie très novateur et passionnant. "


Aron et De Gaulle

Jean-Louis Bourlanges

"Notre ami Jean-Claude Casanova a décidé de faire quelque chose de très utile : regrouper les écrits épars de Raymond Aron, en les classant par thème. C’est ainsi qu’il avait publié il y a quelques années un « Marx » de Raymond Aron, qu’Aron n’avait pourtant jamais conçu comme un livre. Il vient de faire la même chose à propos du général de Gaulle. Ces deux figures ont dominé ma jeunesse, il y a une gémellité entre ces deux destins tout à fait passionnante. Aron va à Londres au même moment que de Gaulle, il est totalement solidaire du combat des alliés, mais en décalage de la France Libre. Il se retrouve directeur de cabinet de Malraux, à la Libération. Il estime comme de Gaulle et au même moment qu’il faut en finir tôt ou tard avec l’Algérie, il a cette rupture très importante sur la guerre des six jours, mais en même temps on voit bien que sa démarche est très profondément différente de celle du général. Aron est un « classique », qui veut construire un ordre international, de Gaulle est un « baroque », qui chérit le mouvement, l’instabilité, le jeu, etc. Ce sont des esprits différents, mais deux personages qui ont vraiment dominé l’après-guerre en France. "