Les brèves

Hommage à Bassma Kodmani

Nicole Gnesotto, créée le 12-03-2023

"Je voudrais profiter de cette brève pour rendre hommage à une collègue et amie qui vient de nous quitter, Bassma Kodmani. Elle était un très grand chercheur, je l’ai connue à l’IFRI et ces dernières années elle était à l’Institut Montaigne. C’était surtout une grande dame de la politique syrienne, elle s’était battue pour la démocratie en Syrie, allant courageusement jusqu’à être la porte-parole de l’opposition démocratique à l’époque où il y avait encore des négociations. Je crois que la revue Esprit compte publier prochainement quelques-uns de ses papiers et un portrait, mais beaucoup de ses articles se trouvent sur Internet. "


Emmanuel Berl Le temps, les idées et les hommes

Philippe Meyer, créée le 05-03-2023

"Je voudrais recommander le volume paru aux éditions Bouquins et consacré à Emmanuel Berl. Le regretté Bernard de Fallois, qui signe la préface, observe qu’un obstacle majeur s’est interposé entre Berl et la gloire : il « ne s'admire pas. Il sait parfaitement qu'il vit dans une époque où la célébrité s'attache à la personne plutôt qu'à l'œuvre, où la plus-value biographique, déjà importante au dix-neuvième siècle, est devenue prépondérante. Rien n'y fait : il ne sculptera pas sa statue. Faiblesse suprême, le succès des autres ne lui cause aucun déplaisir ». Après cette préface, il me semble qu’il faut lire la soixantaine de pages dans lesquelles Bernard Morlino, admirable architecte de cet ensemble de textes, brosse la biographie de Berl. Ensuite chacun voguera dans ce volume au gré de ses propres curiosités. Ici, des portraits de Camus, de Chamfort, de Voltaire, de Proust ou de Cocteau. Là, des réflexions sur la Justice, ailleurs une plongée perplexe autour de la politique du général de Gaulle. Histoire de l’art, biologie, psychanalyse, autant de sujets qui mettent en mouvement cette intelligence d’une exceptionnelle probité et cette plume d’une exceptionnelle clarté."


Senghor et les Arts

Lionel Zinsou, créée le 05-03-2023

"Je propose à nos auditeurs d’aller au Musée Jacques Chirac voir cette exposition. Pour tous ceux qui s’intéressent au soft power français, Senghor est incontournable. Il avait l’habitude de dire que la politique commençait et finissait toujours par la Culture. Il l’a prouvé, non seulement en étant un grand poète et un grand écrivain, mais aussi en créant de grandes manufactures de tapisseries (projet qui n’était pas sans rappeler celui de Colbert) et en soutenant toutes les formes de créations artistiques contemporaines, ainsi que toutes les formes de recherche sur les arts et la culture africaine. Cela avait d’ailleurs été très contesté, puisqu’il avait déclaré que « l’émotion est à l’Afrique ce que la raison est à l’Europe » ; sa théorie de la négritude a elle aussi rencontré de fortes oppositions. A travers les textes et les œuvres présentés dans cette exposition, il y a quelque chose qui aide à comprendre pourquoi aujourd’hui dans le pouvoir français en Afrique, la Culture est un élément si central : restitutions des œuvres, Alliances françaises pleines et très nombreuses. Ces succès là sont bien plus grands que les succès économiques ou militaires. C’est un sentiment que Senghor a travaillé à rendre moins français et plus universel."


Cahiers de l’Herne : Jankélévitch

François Bujon de L’Estang, créée le 05-03-2023

"Je salue la publication par les Cahiers de L’Herne d’un numéro consacré au philosophe Vladimir Jankélévitch. Il est très bien fait, comme toujours dans les Cahiers on y trouve des documents inédits, des portraits, des interviews, des critiques … Jankélévitch est l’un de nos grands philosophes, il a traversé tout le XXème siècle (il est né en 1903), enseigna à La Sorbonne pendant plus de 20 ans. Je me souviens avec émotion que du temps où j’y étudiais moi-même, je quittai certains cours pour aller écouter ceux de Jankélévitch deux étages plus haut. Il s’est essentiellement consacré à la morale et à la métaphysique, il a publié plusieurs ouvrages célèbres, dont le fameux « le Je-ne-sais-quoi et le presque-rien » au titre si accrocheur. Il était à la poursuite de l’insaisissable, non seulement en philosophie mais aussi en musique, puisqu’il a consacré plusieurs ouvrages à cet art. Son livre sur Gabriel Fauré est par exemple tout à fait remarquable. Très grand penseur, formidable enseignant, moraliste qui n’était sûr de rien, Jankélévitch a beaucoup à nous offrir. "


Géopolitique de l’Indo-Pacifique

Béatrice Giblin, créée le 05-03-2023

"Nous avions consacré une émission thématique à l’Indo-Pacifique (n°205, en août 2021, accessible gratuitement sur notre site) avec Isabelle Saint-Mézard. C’est elle qui signe cet ouvrage extrêmment intéressant. Rappelons que depuis une dizaine d’années, le concept « d’Indo-Pacifique » a remplacé celui « d’Asie Pacifique ». C’est la montée en puissance de la Chine et de l’Inde qui a provoqué ce changement de vocable. Désormais l’Indo-Pacifique est la nouvelle représentation de ces rapports de force mondiaux. Indiens, Chinois, Américains, Européens (et notamment Français), tous participent aux enjeux de cette région. Le livre en donne une présentation claire et remarquablement bien faite."


The Fabelmans

Marc-Olivier Padis, créée le 05-03-2023

"Je suis allé voir le film de Steven Spielberg, qui n’a peut-être pas besoin de publicité mais que j’ai beaucoup aimé. La démarche autobiographique est très intéressante, et elle me fait penser à celle de James Gray qui avait sorti « Armageddon time » à l’automne dernier. Deux grands cinéastes américains qui reviennent sur leur enfance pour expliquer comment leur vocation pour le cinéma est née. Interrogations personnelles, hommage à la naissance du cinéma, et récits familiaux dans lesquels la dépression maternelle prend une place importante. Deux films qu’il serait intéressant d’étudier en parallèle un jour, et qui se laissent voir avec beaucoup de plaisir. "


The Fabelmans

Nicolas Baverez, créée le 26-02-2023

"J’ai trouvé le dernier film de Steven Spielberg très réussi. Il est très personnel puisqu’il raconte l’enfance d’un futur cinéaste. Comment sa passion et sa curiosité sont inspirés par une scène de film qu’il s’efforce de reproduire chez lui (un accident ferroviaire), et aussi par sa vie familiale, avec la séparation de ses parents. Spielberg parvient à nous montrer comment le cinéma peut parfois être plus vrai que la réalité. "


Faith Ringgold

Lucile Schmid, créée le 26-02-2023

"Je vous conseille d’aller voir l’exposition de Faith Ringgold au Musée Picasso, à Paris. C’est la première rétrospective française de cette peintre américaine, qui a accompagné le mouvement des Black Panthers. Pour des raisons d’espace, il n’y a qu’une cinquantaine d’œuvres, mais elles sont remarquables. Faith Ringgold se forme aux arts à New York à une époque où les femmes n’en ont pas le droit. Elle apprend donc en travaillant directement avec des peintres. C’est un voyage à travers l’Europe, notamment en Italie et en France, qui va lui permettre de prendre son envol. Il y a des tableaux très figuratifs, puis son travail évolue vers des œuvres beaucoup plus composites, dans lesquelles elle assemble des matériaux divers. Une série la met en scène dans le Paris des années 1930. Pour cette artiste, la question noire a toujours été liée à la question de l‘émancipation féminine. Faith Ringgold a aujourd’hui 92 ans, et dit : « je ne peux pas penser aujourd’hui à une période plus libératrice dans ma vie que les années 1960. C’est alors que j’ai appris à porter mes cheveux au naturel. Plus de peigne chaud dans mes cheveux. Black is beautiful. Black pride and Black power en un seul geste ». Je trouve extraordinaire la façon dont elle se réfère à son corps pour porter cette ambition artistique et politique. "


Hiver 1812 : retraite de Russie

Richard Werly, créée le 26-02-2023

"Puisque nous célébrons cette semaine le triste anniversaire de l’invasion russe de l’Ukraine, je vous recommande ce livre, dans lequel Michel Bernard nous fait vivre les campagnes napoléoniennes « de l’intérieur », par des journaux de soldats par exemple. Le récit de ce face-à-face entre la vision « occidentale » de Napoléon et ce mur russe de l’empire tsariste. En septembre 1812, Napoléon va vers Moscou. « Mais où commençait l’Est, où commençait l’Ouest ? Et que faire de la Pologne ? Les Anglais n’avaient guère eu besoin de manœuvrer. Les Russes, battus deux fois, à Austerlitz puis à Friedland, momentanément résignés, avaient souscrit à la paix napoléonienne par nécessité, sans conviction. Les inquiétaient la renaissance éventuelle d’un Etat polonais ragaillardi, sous l’aile française et le coût du blocus continental pour leur fragile économie. Tout en s’étonnant, avec une fausse candeur, des protestations et mises en garde de ses partenaires, la Russie incorporait de nouveaux contingents de soldats, les équipait et concentrait ses divisions. La guerre couvait ». Aujourd’hui, si vous remplacez « Pologne » par « Ukraine », tout y est. "


Quel avenir pour la dissuasion nucléaire ?

Nicole Gnesotto, créée le 26-02-2023

"Mon conseil de lecture concerne la dissuasion nucléaire, un aspect très particulier de la guerre en Ukraine, à propos duquel on se rend compte que les gens sont souvent très mal informés. On entend des choses un peu surréalistes sur ce qu’est la dissuasion nucléaire, ou sur ce que pourrait être l’emploi de l’arme atomique. C’est pourquoi ce tout petit ouvrage sera si précieux. Il est paru en octobre dernier, et il est signé de Bruno Tertrais, le meilleur spécialiste français (voire européen) de la dissuasion nucléaire. C’est un très long article, ou un livre très court, qui est accessible gratuitement en ligne. Tout y est : les différents concepts, l’historique, les débats et surtout les questions pour l’avenir. En particulier celle de la moralité de la dissuasion ou de l’emploi de l’arme nucléaire, mais aussi la prolifération iranienne comparée à celle d’Israël, la spécificité de l’arme nucléaire française, l’échec de la dissuasion en Ukraine. Une lecture extrêmement pédagogique et très éclairante. "


Les dimanches de Jean Dézert

Philippe Meyer, créée le 26-02-2023

"Je voudrais signaler la parution aux éditions Finitude du seul roman de Jean de La Ville de Mirmont, mort dans les premières semaines de la première guerre mondiale, dont le nom nous est un peu connu comme poète, auteur du recueil posthume L’Horizon chimérique qui inspira Gabriel Fauré et Julien Clerc. Vaisseaux, nous vous aurons aimés en pure perte / Le dernier de vous tous est parti sur la mer / Le couchant emporta tant de voiles ouvertes / Que ce port et mon cœur sont à jamais déserts / La mer vous a rendus à votre destinée / Au-delà du rivage où s'arrêtent nos pas / Nous ne pouvions garder vos âmes enchaînées / Il vous faut des lointains que je ne connais pas /Je suis de ceux dont les désirs sont sur la terre / Le souffle qui vous grise emplit mon cœur d'effroi / Mais votre appel, au fond des soirs, me désespère / Car j'ai de grands départs inassouvis en moi. / Le Roman de Jean de La Ville de Mirmont, Les dimanches de Jean Dézert a pour héros un « figurant de la vie », un être naïf et conformiste qui n’a aucun départ inassouvi en lu, Un employé au ministère de l'encouragement ou bien direction du matériel. Au bureau comme dans la vie il ressemble nous dit l'auteur à ses choristes des théâtres d'opéras qui tout en songeant à leurs affaires personnelles ouvre la bouche en même temps que les autres pour avoir l'air de chanter avec eux. Cyril Piroux, dont la thèse porte sur « la figure littéraire du rond de cuir » parle à propos des dimanches de Jean Dézert, de l’art de faire un livre sur presque rien. Jean de La Ville de Mirmont maîtrise cet art doux-amer et les spirituelles illustrations que Christian Calleaux a réalisées pour cette édition ont la même saveur."


L’appel de la tribu

Nicolas Baverez, créée le 26-02-2023

"Dans notre conversation d’aujourd’hui, Richard Werly s’est demandé où trouver une droite intelligente. Nous avons désormais bien compris qu’il est inutile de la chercher dans la vie politique française, on sera sans doute mieux inspiré de lire ce livre de Mario Vargas Llosa. Il s’agit d’une autobiographie intellectuelle, où l’on croise le panthéon personnel de l’auteur. On suit la façon dont il est passé du marxisme au libéralisme, accompagné de sept penseurs d’envergure. Adam Smith, José Ortega y Gasset, Friedrich von Hayek, Karl Popper, Isaiah Berlin, et deux Français : Raymond Aron et Jean-François Revel. "