Les brèves

Macron-Poutine : les liaisons dangereuses

Jean-Louis Bourlanges, créée le 11-06-2023

"J’avais évoqué le livre d’Isabelle Lasserre à ce micro il y a quelques semaines, j’aimerais y revenir, car c’est la confrontation de deux personnalités radicalement différentes. Poutine est un homme absolument terrifiant, qui vit dans une réalité parallèle de plus en plus éloignée de la nôtre, et Macron, qui surplombe en quelque sorte la réalité, par un excès de rationalisme. Une irrationalité dévastatrice face à une rationalité abusive."



L’homme apprivoisé

Philippe Meyer, créée le 11-06-2023

"Je voudrais signaler un court roman d’un auteur salvadorien, Horacio Castellanos Moya, qui vit et travaille aujourd’hui à Pittsburgh, dans le cadre du programme « City of Asylum » (une des villes-refuges créées par Russell Banks). Comme l’écrit son éditeur, Horacio Castellanos Moya a écrit plus d’une dizaine de romans qui lui ont valu de nombreux prix, des menaces de mort et une reconnaissance internationale. Le héros de « L’Homme apprivoisé » a connu plusieurs exils et le dernier en date le conduit en Suède. Il vit à peine, il se traîne, secouru par une infirmière qui finira par ne plus supporter son état d’ataraxie, mélange d’incapacité à entreprendre quoi que ce soit là où il n’a ni racines, ni familiarité culturelle, ni même connaissance de la langue et qu’aggrave la dépendance aux neuroleptiques. Il survit donc dans un indémêlable désordre intellectuel, psychologique, sentimental, sexuel. Avoir échappé aux menaces ne guérit pas de la peur. Cela pousse plutôt à une méfiance bien proche de la paranoïa. On croit sauvés ceux qui ont pu fuir les dictateurs et les gangs et Horacio Castellanos Moya montre que pour certains, l’exil est un autre mal, mais un mal d’autant plus difficile à supporter qu’il est enkysté au plus profond de l’esprit et qu’il plombe l’existence de l’émigré. Erasmo Aragón, le héros de l’Homme apprivoisé n’aura finalement pas d’autre choix que de retourner dans le pays qu’il a dû fuir."


Les abeilles grises

Béatrice Giblin, créée le 11-06-2023

"Ce roman d’Andreï Kourkov a obtenu le prix Médicis étranger en 2022. L’histoire se passe dans le Donbass, dans la zone grise qui n’est plus tout à fait controlée par les séparatistes pro-russes ni par les Ukrainiens. Dans un village, il ne reste plus que deux personnes, qui sont deux ennemis intimes. Comme il n’y a plus qu’eux, ils vont se rabibocher. L’un est alcoolique invétéré, l’autre est apiculteur. La première partie du roman a lieu dans cette zone désespérante, et puis l’apiculteur décide de partir, avec ses abeilles, pour la Crimée, chez un apiculteur tatare rencontré dans un colloque. C’est ce voyage qui est narré, fait de rencontres multiples. Le roman est merveilleux, profondément triste, mais avec énormément de charme et de douceur. Un goût de miel."


Quand la musique fait l’Histoire

Nicolas Baverez, créée le 11-06-2023

"Je vous recommande ce livre d’Hélène Daccord, qui est très réussi. Il rappelle que la musique est non seulement un art majeur, mais aussi un outil diplomatique et militaire. Elle est utilisée pour les rivalités entre les puissances, mais aussi pour la construction des nations, il n’y a qu’à se pencher sur le rôle qu’a joué Verdi dans l’unité italienne. L’ouvrage est constitué de quinze moments, on peut citer la querelle des Bouffons, Beethoven qui passe de l’admiration de Bonaparte à la détestation de Napoléon, Chostakovitch et la fameuse symphonie Léningrad, Rostropovitch devant les restes du mur de Berlin, l’orchestre philharmonique de New-York à Pyongyang … Au moment où la guerre fait rage en Ukraine, on verra des polémiques autour des musiciens russes, comme avec les sportifs. Ce livre rappelle utilement que la musique fait l’Histoire. "


La dernière reine

Akram Belkaïd, créée le 04-06-2023

"Je vous recommande ce film algérien encore à l’affiche. Il a la particularité de traiter d’une période historique qui n’a rien à voir avec la période coloniale ou post-indépendance. L’intrigue se déroule à Alger en 1516, au moment où la république monarchique d’Alger est sous la menace des Espagnols, et où elle fait appel au fameux corsaire turc Barberousse, héros national ottoman, pour libérer la ville. Le film explique comment les Ottomans se sont installés à Alger, et comment cette installation a été combattue par la reine Zaphira, qui s’est efforcée de conserver l’autonomie de la République d’Alger. C’est un film intéressant car il a déclenché beaucoup de débats. En effet, les Ottomans sont traditionnellement présentés comme des sauveurs dans l’historiographie algérienne. Le film adopté un autre point de vue : ce sont certes des libérateurs, mais aussi des régicides, car ils assassinent le roi en place et imposent leur propre dynastie, dont l’un des représentants sera le geôlier de Cervantès. Comment les Algériens doivent-ils considérer la présence ottomane ? Le film pose la question."


Grève de la rédaction des Échos

Philippe Meyer, créée le 04-06-2023

"Quand on veut mesurer la relation qui unit deux phénomènes, on établit un taux de corrélation, qui se situe entre 0 et 1. Le regretté Raymond Boudon, dans son cours sur les statistiques appliquées aux sciences sociales, nous indiquait que le taux de corrélation entre le vol des cigognes au dessus de l’Alsace et la naissance des bébés était de 0,7, c’est à dire très élevé. Il en profitait pour nous rappeler que la corrélation et la causalité sont deux concepts différents. Il y a quelque temps, le directeur des Echos (propriété de M. Bernard Arnault) a été licencié. Son journal venait de publier un article sur des suspicions de l’administration envers l’une des entreprises de M. Arnault. Je ne voudrais pas établir d’autre lien que celui de la corrélation entre ces deux phénomènes, mais il se trouve que M. Arnault semble avoir trouvé un moyen de contourner le véto auquel a statutairement droit la rédaction des Echos. Si bien que la dite rédaction, qu’on ne saurait soupçonner d’idées d’extrême-gauche, s’est mise en grève pendant 24 heures. Ceci pose plusieurs problèmes, dont l’un est plus aigu en France que dans le reste de l’Europe : la propriété de la presse. Et aussi la garantie d’indépendance d’une rédaction. « Indépendance » ne signifie pas « irresponsabilité », toutes les rédactions ont à répondre de ce qu’elles publient. Il y a beaucoup à réfléchir pour garantir la manière dont les propriétaires de journaux respectent les engagements qu’ils ont pris, et l’indépendance des rédactions."


Giovanni Bellini : influences croisées

Michel Eltchaninoff, créée le 04-06-2023

"Je vous vous recommande cette exposition du musée Jacquemart-André à Paris, qui se finira le 17 juillet. Le peintre vénitien Bellini est peut-être moins flamboyant que Carpaccio, moins violent que le Tintoret, et moins philosophe que Giorgione, il peint surtout des madones, mais il exprime une humanité et une douceur absolument bouleversantes. Il est l’un des premiers chefs de file de l’école du colorito : vénitien, sensuel, face aux expérimentations géométriques et mathématiques des florentins. Un mélange de vie et de sérénité que cette position. Notons qu’on peut la visiter comme l’ont prévu ses commissaires, en présentant des liens avec d’autres peintres. Mais on peut aussi se faire son petit scénario personnel. Ç’a été mon cas, à travers ces mères et ces enfants. J’ai vu d’abord la tendresse, mais aussi l’inquiétude maternelle, on comprend au regard de Marie qu’elle sait que son fils va mourir avant elle et on voit que cela la désespère. Dans un autre tableau, lors de la crucifixion, le corps de Jésus est totalement livide, le visage décomposé. Encore un peu plus loin, le Christ est mort. Son torse est celui d’un jeune homme, glabre, rose, le visage ne souffre plus, il semble apaisé. S’il l’un des deux anges au-dessus de lui verse une larme. Je vous engage à aller vous faire votre propre itinéraire dans cette magnifique exposition."


La faille souterraine et autres enquêtes

Nicole Gnesotto, créée le 04-06-2023

"Ma brève est nostalgique. J’ai toujours beaucoup admiré l’écrivain suédois Henning Mankell, auteur de romans dits « policiers », qui a inventé le savoureux personnage du commissaire Kurt Wallander : divorcé, solitaire, taiseux, déprimé et désespéré, qui passe sa vie à traquer ce qu’il appelle « la faille » dans la société suédoise : l’irruption d’une violence aussi brutale qu’incompréhensible. Dans une petite librairie, je suis tombée par hasard sur ce recueil de nouvelles qui m’avait échappé. On y retrouve Kurt Wallander, alors jeune inspecteur. Ce sont des petites pépites de 50 ou 60 pages. Pour moi, Mankell est sur la crise de la société suédoise ce que John le Carré a pu être sur le délitement de l‘empire britannique. A travers une intrigue policière ou d’espionnage, ces auteurs vous font sentir comment une société millénaire perd petit à petit ses repères."


Le bâtard de Nazareth

Richard Werly, créée le 04-06-2023

"Metin Arditi est un écrivain turco-suisse. C’est un romancier prolifique, puisqu’il sort presque un livre par an. Avec son dernier livre, il s’est lancé un pari assez insensé : raconter la vie de Jésus. Je dois avouer que j’ai abordé la lecture avec suspicion. D’abord parce que le livre est court, je me demandais comment il allait s’en tirer en si peu de pages. Or j’ai trouvé formidable cette plongée dans la réalité du Juif Jésus. Il retrace la fresque de l’époque (en grande partie fictionnelle, mais basée sur des faits), et il y a dans le titre même du livre une énigme dont je ne dévoilerai pas la réponse ici. Heureuse surprise que cette plongée dans une époque qui a façonné nos sociétés d’aujourd’hui. "