Les brèves

Homo numericus - La « civilisation » qui vient

Nicole Gnesotto, créée le 20-11-2022

"Je recommande pour ma part un grand livre, à la fois par la taille et par l’intérêt. C’est le dernier ouvrage de Daniel Cohen. L’auteur poursuit ici son interrogation sur le capitalisme. Après le capitalisme industriel et le capitalisme financier, il en vient au capitalisme numérique, toujours avec une remarquable clarté. Deux choses ressortent pour moi de l’ouvrage. D’abord il montre (très brillamment) qu’après avoir produit des biens et des services, le capitalisme fait désormais commerce de l’imaginaire humain. Et aussi à quel point le développement du capitalisme numérique est systématiquement lié à la destruction des institutions qui ont accompagné le capitalisme industriel : les syndicats, les partis politiques, toute la démocratie que nous avons connue. Je trouve ce lien entre capitalisme numérique et crise de la démocratie très novateur et passionnant. "


Richelieu

Philippe Meyer, créée le 20-11-2022

"Avec cette biographie du cardinal, Françoise Hildesheimer est parvenue à maîtriser une bibliographie considérable, et à en tirer une vision extrêmement fine de l’homme mais aussi de la période. Elle peint l’homme d’Etat, mais aussi le prêtre (ce qu’on oublie ou qu’on ignore), et cette légende de « l’homme rouge », à laquelle Michelet et Victor Hugo ont contribué. La carrière de Richelieu fut aussi mouvementée que fragile, et ce jusqu’à la fin. L’auteure en profite pour contribuer à la réhabilitation de Louis XIII, peut-être pas comme homme, mais au moins comme monarque."


Vivre pauvre - Quelques enseignements tirés de l‘Europe des Lumières

Marc-Olivier Padis, créée le 20-11-2022

"Je vous recommande moi aussi un essai historique. Celui-ci est signé de Laurence Fontaine, historienne et directrice de recherches à l’Ecole des Hautes Études en Sciences Sociales. Le livre est passionnant et il suit deux projets. D’une part, l’auteure travaille sur un fonds d’archives qui n’avait pas été remarqué jusqu’à présent. On sait que les académies des arts régionales du XVIIIème siècle aimaient lancer des concours (c’est comme cela que Rousseau se fit connaître), et celle de Châlons-sur-Marne en avait lancé un en 1777 : réfléchir sur « les moyens de détruire la mendicité, en rendant les mendiants utiles à l’Etat, sans les rendre malheureux ». Le concours reçut 125 réponses, ce qui en fait la plus abondante production du siècle pour ce type de concours. Laurence Fontaine a donc analysé ces 125 propositions, mais au delà de ce travail historique, elle propose une perspective que révèle le sous-titre. Il faut s’intéresser à la pauvreté non seulement comme une situation de domination sociale, mais aussi en essayant de comprendre les stratégies des populations les plus pauvres pour sortir de leur condition. Elle s’appuie sur les travaux du grand économiste Amartya Sen, qui a montré que les acteurs économiques ne sont pas simplement dans des situations de domination, mais qu’ils ont aussi des capacités de réponses. Ils développent des stratégies. L’essai est tout à fait original, à la fois historique mais aux fortes résonances contemporaines."


L’aplatissement du monde

Isabelle de Gaulmyn, créée le 20-11-2022

"Je recommande le petit essai d’Olivier Roy. Au début je me suis dit « bon, Olivier Roy, on le connaît, ça va encore être « la fin de la grande culture », etc ». J’ai été très agréablement surprise. C’est une lecture simulante. Dans un précédent ouvrage, Olivier Roy expliquait comment la religion mondialisée, en coupant la foi de la culture, aboutissait aux fondamentalismes. En appliquant la même grille de lecture sur les schémas sociaux, il analyse la crise de la Culture actuelle, qui s’accompagne paradoxalement d’une énorme augmentation des normes. "



Dans les montagnes rocheuses

Richard Werly, créée le 06-11-2022

"A propos des Etats-Unis, j’ai deux recommandations cette semaine. La première vous enverra chez les bouquinistes. Ce livre est signé d’un Français, le baron de Mandat-Grancey. Il détaille son expédition dans les Black Hills, ces terres aurifères des Etats du Dakota. Elle a eu lieu au XIXème siècle, mais comme ce voyageur a la plume juste, beaucoup des choses racontées dans ce livre sont toujours vraies aujourd’hui. Notamment le fait que beaucoup de choses aux Etats-Unis sont des questions d’argent et de profit. "


L’Académie Goncourt et le Liban

Jean-Louis Bourlanges, créée le 06-11-2022

"J’aimerais faire partager aux auditeurs ma surprise et mon émotion face au comportement de l’Académie Goncourt. Je ne discute absolument pas le choix de la gagnante, mais l’Académie a accepté le diktat d’un ministre libanais Hezbollah. L’Académie souhaitait se rendre au Liban, pour témoigner de l’intérêt qu’elle porte à ce pays. Et voilà que ce ministre déclare que les éléments « jugés sionistes » (alors que simplement Juifs) ne sont pas les bienvenus. Et la moitié des membres de l’Académie est allée à Beyrouth tandis que l’autre moitié a refusé. Comme dirait la Vénus de Milo : « les bras m’en tombent »."


Le Président est-il devenu fou ?

François Bujon de L’Estang, créée le 06-11-2022

"Je vous ramène aux Etats-Unis avec ce très original ouvrage de Patrick Weil. L’auteur est historien, directeur de recherches au CNRS et visiting professor à Yale. Il y est question du président Woodrow Wilson, qui présida au naufrage du traité de Versailles devant le Sénat américain, par un comportement intransigeant et largement aberrant. Un grand diplomate américain, William Bullitt, le croyait fou. Il s’est donc séparé de Wilson dont il avait été le conseiller. Il s’est longtemps entretenu avec Sigmund Freud à propos du président américain, si bien qu’ils ont écrit à quatre mains une espèce de psychanalyse écrite de Wilson. Ce livre ne fut publié qu’en 1966, mais garde sa pertinence. Une pièce de choix à verser au dossier « ces malades qui nous gouvernent ». Celui de Patrick Weil prend comme fil rouge la brillante carrière diplomatique de Bullitt. Fascinant, mais aussi très éclairant."



La guerre entre la France et l’Allemagne redevient possible

Michaela Wiegel, créée le 06-11-2022

"Je voudrais moi aussi cette semaine partager un étonnement, mais aussi une colère. C’est ce que j’ai ressenti à la lecture de la tribune publiée par Jacques Attali, l’un des visiteurs du soir du président Macron. Elle a pour titre : « la guerre entre la France et l’Allemagne redevient possible ». Selon Attali, l’actuelle divergence serait d’une nature très différente d’autres tensions qu’ont pu éprouver les deux pays par le passé. Je ne suis absolument pas d’accord avec son analyse, et je trouve assez néfaste que presque toute la presse actuelle reprenne l’idée que les actuelles divergences à propos de l’énergie sont indépassables. Je pense pour ma part que nos mécanismes de dialogues sont si profonds et multiples que nous parviendrons à surmonter ces divergences. Une guerre entre nos deux pays n’est absolument pas envisageable. "


L’effacement programmé du jury populaire de cour d’assises

Philippe Meyer, créée le 06-11-2022

"Le Monde a publié le 3 novembre une tribune intitulée « L’effacement programmé du jury populaire de cour d’assises porte atteinte à la liberté, l’humanité et la citoyenneté ». Cette tribune fait suite à celle publiée il y a un an par 3.000 magistrats et une centaine de greffiers qui déclaraient « Nous ne voulons plus d’une justice qui n’écoute pas et qui chronomètre tout ». Celle du 3 novembre commence ainsi : « Héritage de la révolution de 1789, symbole éclatant de la démocratie participative en matière judiciaire, le jury populaire de cour d’assises est en voie d’extinction. La participation citoyenne à la justice pénale est gravement menacée, remise en cause par une doctrine libérale qui, plaquant sur l’institution judiciaire une logique de marché, se donne le rendement pour seul horizon et le chronomètre pour unique boussole. » Ce texte mérite d’être connu et diffusé."


Le dernier des siens

Lucile Schmid, créée le 30-10-2022

"C’est un roman que je vous recommande, écrit par Sybille Grimbert. Il raconte l’amitié très forte entre le dernier des grands pingouins et un jeune naturaliste, au XIXème siècle. Le livre aborde une question qu’on n’a pas l’occasion de croiser souvent en littérature : comment être conscient du sentiment qu’il y a entre le dernier animal d’une espèce et un être humain ? C’est ce thème philosophique de la vie avec l’extinction que ce roman explore. C’est assez bouleversant, on prend conscience en le lisant de ce que nous allons perdre, mais aussi de ce qu’il nous faut éviter de perdre. "