Les brèves

Amin Dada

Philippe Meyer, créée le 29-01-2023

"Je voudrais signaler la remarquable biographie d’Idi Amin Dada, qui tint pendant huit ans, de 1971 à 1979 l’Ouganda sous sa botte, biographie éditée par Perrin et signée par Jean-Louis de Montesquiou. Barbet Schroeder qui lui consacra un documentaire, a dit d'Amin Dada qu’il était la somme mais aussi la caricature de tous les dictateurs. Trois ans après son arrivée au pouvoir, on estimait à 90.000 le nombre de morts à porter à son débit et il ne s‘arrêta pas en si bon chemin, ne serait-ce que pour masquer ce que ses impulsions contradictoires, sa brutalité, le désordre de ses ambitions successives, son racisme envers les Indiens, les Arabes, les Européens et les mulâtres eurent comme conséquences désastreuses sur ce pays qui avait été la perle de l’Afrique qui, en 1978, s’est retrouvé ruiné avec une agriculture qui ne suffisait pas à nourrir la population. Amin Dada était démesuré en tout. A la fin de sa vie, il pesait 200kgs – adulte, il n’en avait jamais pesé moins de 120 - il avait fait 60 enfants à 21 mères, dont 5 officielles. Il fut président de l’OUA, et, intervenant à ce titre à la tribune de l’ONU, il contribua au vote de la résolution 3379 qui déclare « le sionisme est une forme de racisme et de discrimination raciale ». Humour macabre, sous son règne, l’Ouganda devint membre de la Commission des droits de l’Homme des Nations unies… Ce n'est pas le moindre intérêt du livre de Jean-Louis de Montesquiou que de dresser un tableau extrêmement bien informé du jeu joué par les différentes puissances, la Grande Bretagne, Israël, les Etats-Unis, l’Arabie saoudite, la France et, bien sûr, les nations africaines dont les calculs égoïstes maintinrent pendant huit ans au pouvoir celui qui, dit Montesquiou, « offre une figure chimiquement pure du mal », un spécimen de laboratoire de ce que Kant appelait le mal radical, c’est-à-dire la prééminence de l’amour de soi sur toute autre considération."


Marées

Lucile Schmid, créée le 29-01-2023

"Je vous recommande un roman cette semaine, le premier de son autrice, la canadienne Sara Freeman. Il a déjà été salué par la critique aux Etats-Unis, au Royaume-Uni et en France. C’est aussi un peu un objet littéraire, avec des paragraphes disjoints. L’héroïne a vécu un drame qui la conduit à refuser toute forme d’intimité, à disparaître et à aller s’installer dans une petite ville au bord de la mer, au moment où la saison touristique se termine. Elle passe son temps à aller se baigner la nuit, à trouver le moyen de vivre sans vivre, pour remonter la pente peu à peu. Je trouve le roman extraordinairement émouvant, et très réussi dans ce que le drame provoque d’incommunicabilité. "


Journal : 1890-1945

François Bujon de L’Estang, créée le 29-01-2023

"C’est toujours dans la musique que je cherche refuge contre les tracas du monde. J’ai donc été très intéressé quand Gallimard a publié le journal de Reynaldo Hahn, un musicien sous-estimé. Espérons que l’ouvrage servira à la réhabiliter. Le personnage est très intéressant, d’abord sur le plan personnel : ce rejeton d’une famille juive allemande immigrée au Venezuela et qui retrouva l’Europe par la France du Second Empire. Extraordinairement doué, élève de Massenet au Conservatoire, pour lequel il a des mots très affectueux et admiratifs. Il a traversé la première moitié du XXème siècle, et cette publication est en réalité un florilège. Ce journal va du flirt du jeune Reynaldo avec Cléa de Mérode, de la complicité avec Marcel Proust, jusqu’à son refuge à Monaco pendant l’occupation. Ses propos sur Pétain et Vichy sont très intéressants. Ce pur produit du XIXème siècle, brillant compositeur qui nous laisse une œuvre très belle et très riche, finira par diriger l’Opéra de Paris en 1946. Sa plume fait penser à un oursin, il y a beaucoup de piquants et de méchanceté. Tout à fait savoureux. "


À l’aube de nouveaux horizons

Nicole Gnesotto, créée le 29-01-2023

"Une fois n’est pas coutume, je vais vous recommander un ouvrage de sciences dures, en l’occurrence d’astrobiologie. Nathalie Cabrol fait le point sur l’Histoire de la recherche de la vie dans l’univers. L’autrice travaille depuis 1998 à la NASA, et dirige un programme au SETI (Search for Extra-Terrestrial Intelligence). On apprend donc où en est l’exploration : sondes, satellites, etc. Nous connaissons aujourd’hui plus de 5000 exoplanètes, et elle dit un moment que « penser que nous sommes seuls dans l’univers est une aberration mathématique ». C’est à la fois passionnant et très lisible. Même si cela peut sembler paradoxal, elle montre à quel point les frontières de l’infiniment grand continuent de s’éloigner, avec des distances qui dépassent mon entendement personnel. En même temps, elle montre comment l’existence d’autres formes de vie est non seulement possible, mais de plus en plus probable. L’ouvrage peut donner le vertige, mais il a le mérite de rendre modeste."


Le secret de Sybil

Marc-Olivier Padis, créée le 29-01-2023

"Dans un genre tout à fait différent, je recommande le nouveau livre de la romancière Laurence Cossé. Il s’agit d’un récit, celui de l’amitié d’enfance de l’autrice pour Sybil. C’est un très beau texte sur l’amitié et l’enfance, mais aussi une enquête sur la façon dont cette amitié s’est défaite, et dont Sybil s’est enfermée en elle-même. Laurence Cossé restitue tout cela avec son talent de plume habituel, une finesse et une sensibilité sans pareilles."


Boulevard de Yougoslavie

Marc-Olivier Padis, créée le 22-01-2023

"Je vous recommande ce livre tout à fait original, signé de trois romanciers, Arno Bertina, Mathieu Larnaudie et Olivier Rohe. Avoir trois plumes pour un roman est déjà assez inhabituel, mais ce projet est lié à une invitation. A Rennes, les trois auteurs ont recueilli la parole des habitants, confrontés à un vaste projet de rénovation de leur quartier résidentiel, bâti dans les années 1960. Devant la fronde suscitée par le projet de rénovation que la mairie avait commandé à une agence d’urbanisme, tout le monde a pris conscience qu’il fallait vraiment écouter les habitants. C’est là toute la question de l’ouvrage : c’est quoi, écouter vraiment les habitants ? Quels habitants, d’abord ? Il y a ceux qui ne veulent jamais prendre la parole, il s’agit de comprendre pourquoi. Comment va-t-on les chercher ? Il faut un talent de plume particulier pour restituer ce genre de réticence. A une époque où l’on parle tant de démocratie participative et de concertation, cette investigation littéraire est très éclairante."


Enseignement du français en Allemagne

Michaela Wiegel, créée le 22-01-2023

"J’avais déjà alerté à ce micro sur la baisse préoccupante des élèves français qui apprennent l’allemand. 70% des places de professeurs d’allemand n’ont pas été pourvues l’année dernière, par manque de candidats. Aujourd’hui, nous avons les chiffres d’Allemagne, guère plus réjouissants. Il n’y a plus que 15,3% des élèves allemands qui apprennent le français. A la différence de la France, cette langue reste tout de même la deuxième étudiée (derrière l’anglais). Mais l’espagnol monte en puissance, et le latin reste très faible. Ce chiffre global cache des disparités, et c’est probablement la seule note d’espoir. La Sarre, qui a une stratégie très offensive pour l’enseignement du français, a encore 51,2% de ses élèves qui l’apprennent. On voit donc bien qu’il s’agit de volonté politique, puisque qu’en Rhénanie du Nord - Westphalie, un Land tout proche, le chiffre n’est que de 11,5%. "


Cuba : une histoire de l’île par sa musique et sa littérature

Matthias Fekl, créée le 22-01-2023

"Il y a quelques années, Marcel Quillevéré, l’auteur du livre, avait fait sur France Musique une série absolument remarquable d’une soixantaine d’épisodes (« Cuba, la musique et le monde »). C’est ce travail qu’il poursuit dans ce livre à l’iconographie magnifique. Les amoureux de ce pays y découvriront ses influences culturelles ; caribéennes bien sûr mais aussi européennes, africaines, chinoises, ou américaines. "


Oh, Canada

Philippe Meyer, créée le 22-01-2023

"Russell Banks est mort il y a quelques jours et son ultime roman, Oh, Canada est placé sous l’invocation d’un vers de Fernando Pessoa : « Au souvenir de qui je fus, je vois un autre ». La vie de son héros, un documentariste révéré en raison de ses investigations percutantes, est-elle une imposture ? Et, si oui, laquelle ? N’a-t-elle été qu’une longue cavale ? Et pour fuir qui, ou quoi ? Au moment où la mort a déjà saisi presque tout son corps, Léonard Fife, que certains ont héroïsé parce qu’il avait déguerpi au Canada pour éviter la conscription et donc la guerre au Vietnam, veut répondre à ces questions et démêler ce qui fut mystification de ce qui fut le véritable Léonard. Mais est-ce le refus de la guerre qui l’a conduit à abandonner femme et enfant ? Son affaiblissement lui permet-il encore de se souvenir ou les médicaments qui l’aident à maintenir un souffle de vie dans sa carcasse le conduisent-ils à battre la campagne ? La boîte aux souvenirs se révèle être une boîte de Pandore et l’ultime roman de Russell Banks une recherche poignante de la trace que nous gardons de nous-même à nos derniers moments et de celle que nous laisserons après nous."


La relation à l’autre : au cœur de la pensée sociologique

Nicolas Baverez, créée le 22-01-2023

"Ce livre de Dominique Schnapper éclaire le débat entre l’universalisme et les identités, en reparcourant l’Histoire de la sociologie, et en l’éclairant des traditions nationales : Durkheim avec l’intégration nationale, Max Weber avec le débat entre communautés et sociétés, le Royaume-Uni avec la tradition impériale, et les Etats-Unis avec l’écrasante ombre portée de l’esclavage et de la ségrégation. C’est un livre passionnant, qui souligne le danger des dérives identitaires pour la démocratie, et pour sa vocation universaliste."


Souvenirs des montagnes au loin

Nicolas Baverez, créée le 15-01-2023

"Je vous conseille ce livre absolument extraordinaire d’Orhan Pamuk. Jusqu’à l’âge de 22 ans, Pamuk voulait être peintre, après quoi il décida de se consacrer à la littérature. En 2008, il est entré dans une boutique, a racheté de quoi peindre, et a commencé à tenir des carnets quotidiens, comprenant à la fois des écrits et des dessins. Ce livre en regroupe un certain nombre, dans un ordre qui n’est pas chronologique. C’est vraiment prodigieux. On y retrouve pêle-mêle la Turquie bien sûr, Istanbul, sa relation à l’écriture et à la littérature. Mais aussi ce que c’est que d’être un romancier turc soutenu surtout en Occident (on sait que sa situation dans son pays est très compliquée), beaucoup de choses sur son amour de la mer, de la nage, et la généalogie de ses créations littéraires. Et puis les montagnes au loin."


682 jours

Philippe Meyer, créée le 15-01-2023

"L’amitié que notre équipe éprouve pour Roselyne Bachelot et Roselyne Bachelot pour notre équipe n'est un mystère pour personne. C'est pourquoi personne ne sera étonné que je signale et recommande à l'attention de nos auditeurs le livre qu'elle publie aux éditions Plon sous le titre 682 jours. Nos auditeurs pourront d'ailleurs retrouver sur notre site sous l’onglet Les Thématiques l'émission que nous avions réalisée avec elle en octobre 2021 sur la politique culturelle (n°214). Qu'il s'agisse du patrimoine, de l'évolution des pratiques culturelles, des conséquences de l'importance prise par le numérique, Roselyne Bachelot dresse un panorama dont elle ne se contente pas de signaler les points noirs, mais dont elle propose des pistes d'évolution. Elle règle aussi quelques comptes et les distribue de joyeux coups de griffe, notamment à ceux qui dans le monde artistique ont un comportement de nantis et un discours de victimes. Trop de commentateurs n’ont retenu que cet aspect de ce livre qui offre à tous ceux à qui la politique culturelle importe les éléments nécessaires à une véritable réflexion."