Les brèves

Hommage à Laurent Greilsamer

Philippe Meyer, créée le 12-11-2023

"Le 1 vient de perdre l’un de ses deux fondateurs, Laurent Greilsamer, qui, en 2014, avait fait, avec Éric Fottorino le pari plus qu’audacieux de lancer un hebdomadaire au format étrange, ne traitant chaque semaine qu’une seule question d’actualité. En deux ans, le budget du 1 a atteint l’équilibre. A peine étions-nous amenés à quitter Radio France que les fondateurs du 1 m’appelaient pour m’offrir leur soutien moral et matériel. Il a été décisif. Pendant six ans, Laurent Greilsamer nous a suivi attentivement, me faisant part de ses réactions, me suggérant des thèmes ou des invités. Son élégance était dans sa tenue autant que dans son travail et dans son travail autant que dans ses façons d’être : à la fois discrète et savante, sérieuse et piquante. C’était un être de raison animé d’une curiosité scrupuleuse.  Il a publié une biographie d’Hubert Beuve-Méry, le fondateur du Monde, un remarquable dictionnaire Michelet, un livre qui a renouvelé le regard sur Alfred Dreyfus, des ouvrages sur Nicolas de Staël, Picasso, ou Gérard Fromanger. Avec son épouse, Claire, il a signé un captivant dictionnaire George Sand. Une chanson de Brassens lui allait comme un gant : son refrain dit « c’est un modeste ». Il m’avait averti qu’on lui avait découvert une maladie rare, une amylose AL, qui part de la moelle osseuse, dérive dans le sang et s’attaque au cœur. Son cœur a lâché mercredi. Son dernier message me disait à quel point les équipes médicales sont formidables. Dès son origine, le 1 a fait place à la poésie. Je dédie au souvenir de Laurent Greilsamer ce poème de Norge intitulé « On ne verra plus Robert » : « Le voici, comme il est pâle / Il sourit d’un œil lassé / Et presque tout son ovale / De visage est effacé / Un oiseau qui le traverse / N’a même pas tressailli / Puis, on dirait qu’une herse / S’abaisse entre nous et lui, / Le petit ourlet moqueur / De sa lèvre s’agrandit / Et son pouvoir sur nos cœurs / S’agrandit comme ce pli. »"


Ce cher et vieux pays

Richard Werly, créée le 05-11-2023

"Si vous vous interrogez sur la France, son état politique, ses difficultés à faire face aux crises intérieures et mondiales, ce petit ouvrage d’une quarantaine de pages signé Pascal Ory vous apportera beaucoup de réponses. Le centre de son argument : la France et les Français sont coincés dans une ambivalence : ils aiment la démocratie autoritaire. C’est ce qui les rend incapables de trancher entre la volonté de liberté de la démocratie et l’amour de l’autorité, hérité du bonapartisme et de l’empire. C’est lumineux, et quelques pages m’ont fait plaisir, dans lesquelles l’auteur trace un contre-portrait de la France, qui s’appelle la Suisse. "


Ma cinquième (Vol. 1)

Jean-Louis Bourlanges, créée le 05-11-2023

"Si j’ai aimé ce livre, c’est parce qu’il est parfait pour le paresseux que je suis. Michèle Cotta a quasiment le même âge que moi, et sa vie est entièrement parallèle à la mienne. Nous avons fait les mêmes expériences, elle à partir du centre-gauche, moi gaulliste de gauche, mais je retrouve les mêmes personnes, les mêmes anecdotes que celles de ma vie. Quand je lis ce livre, j’ai l’impression que je suis dispensé d’écrire mes propres souvenirs, pour un flemmard comme moi, c’est délectable. A mesure que je trouve les pages, je retrouve de vieux amis. Michèle Cotta n’a jamais fait de mystère de ses sympathies politiques pour la gauche modérée, on sent par exemple qu’elle n’aime pas beaucoup le général de Gaulle, mais on ne peut l’accuser de sectarisme, elle est très ouverte aux arguments du camp d’en face. Michèle Cotta est ma « sœur », elle a écrit mes souvenirs à ma place et je l’en remercie."


Les aveuglés : comment Berlin et Paris ont laissé la voie libre à la Russie

François Bujon de L’Estang, créée le 05-11-2023

"Je vous recommande le livre de Sylvie Kauffmann, particulièrement éclairant dans le contexte actuel. L’auteure analyse comment la France et l’Allemagne ont pensé possible de s’entendre avec M. Poutine, comment elles ont entretenu des illusions à propos de ce chef à la fois révisionniste et impérialiste. Sylvie Kauffmann a vécu en Allemagne et a pu enquêter auprès de presque toute la classe politique, ce qui montre à quel point l’aveuglement a été généralisé. Les socialistes ont toujours prôné une Ostpolitik qui les a conduit à des relations économiques aussi intégrées que possible avec la Russie, mais les conservateurs ont en définitive mené exactement la même. Les décisions qui ont placé l’Allemagne en totale dépendance à l‘égard de la Russie (la suppression de l’énergie nucléaire par exemple) ont été prises par Mme Merkel. Et pendant ce temps, nos présidents français ont entretenu d’extraordinaires illusions à propos de Vladimir Poutine."


Ruth Orkin, Bike trip, USA, 1939

Lucile Schmid, créée le 05-11-2023

"Je vous conseille cette petite exposition qui se tient à Paris, à la Fondation Henri Cartier-bresson. Elle ne fait qu’une quarantaine de photos, mais c’est la première fois que sont montrées en France des clichés de cette grande photographe américaine. En 1939, alors qu’elle a 17 ans, Ruth Orkin décide de quitter Los Angeles avec son vélo, et documente son voyage. Elle parcourt les grandes villes américaines, et prend des photographies incroyables, dans lesquelles le vélo lui-même devient un sujet, voire un outil de cadrage. C’est une introduction idéale à l’œuvre remarquable d’Orkin, qui vous donnera peut-être envie de voir le film qu’elle a réalisé avec son mari, Little fugitives, adoré de Truffaut et Cassavetes, mettant en scène un jeune enfant de 6 ans perdu dans New York. Ruth Orkin associe la liberté au mouvement, et à une époque où nous aimons de plus en plus le vélo, cette exposition nous fait goûter à m’la sensation d’avoir 17 ans et de quitter ses parents pour parcourir les Etats-Unis."


L’enlèvement

Philippe Meyer, créée le 05-11-2023

"Le 23 juin 1858, à dix heures du soir, la police pontificale fait irruption au domicile de la faille Mortara, à Bologne, ville soumise à l’autorité du pape. Les huit enfants sont tirés du lit, et les parents apprennent que l’un d’entre eux, Edgardo, âgé de 6 ans a été secrètement ondoyé quelques mois après sa naissance par la servante catholique des Mortara, qui le croyait en danger de mort. L’ondoiement est une sorte de baptême d’urgence qui peut être administré par n’importe quel chrétien. Il a fait d’Edgardo un catholique. A ce titre, il ne peut plus demeurer dans une famille juive, sauf si toute la famille se convertit. Conduit à Rome après diverses péripéties, l’enfant est élevé à la Maison des catéchumènes, un internat pour Juifs et musulmans nouvellement convertis au catholicisme et financé par les taxes imposées aux synagogues de l'État papal.  L'affaire connaît un retentissement international inédit et la conduite de l'Église est fortement critiquée, notamment par Napoléon III, dont les troupes assuraient alors la protection militaire des États pontificaux. Pie IX, le pape qui a fait adopter par un concile le dogme de l’infaillibilité pontificale, oppose un refus inflexible à toutes les demandes de restitution de l’enfant à sa famille et fait confirmer son ondoiement par un baptême auquel il assiste. De cette affaire, que Steven Spielberg avait songé à traiter, Marco Bellochio a réalisé un film, « L’Enlèvement » dans lequel tout se tuile : la vie des Juifs dans les États pontificaux, la souffrance des parents, le désarroi d’Edgardo et sa fascination pour les pompes de l’Église, la crispation et la brutalité d’un pape autrefois libéral face à une Italie qui lui échappe et qui construit son unité, face aussi à un monde que les idées progressistes travaillent et transforment. « L’Enlèvement » m’a conquis par son intelligence, par sa beauté et par son mélange de colère et de chagrin."


De Gaulle, une vie. Vol. 1 : l’homme de personne

Nicolas Baverez, créée le 29-10-2023

"Je voulais d’abord recommander la biographie de Jean-Luc Barré consacrée au général de Gaulle. Ce premier tome couvre les années 1890 à 1944. Il existe beaucoup de biographies sur de Gaulle, mais l’auteur a eu accès à beaucoup d’archives familiales, et le livre est vraiment extrêmement réussi. Il nous montre à quel point nous ne savons pas encore tout sur de Gaulle, tant la complexité et la profondeur du personnage laissent encore des espaces d’exploration."


Ne réveille pas les enfants

Akram Belkaïd, créée le 29-10-2023

"Je vous recommande ce récit de ma consœur Ariane Chemin. Elle est partie d’un fait divers qui a beaucoup ému la Suisse en 2022 : le suicide collectif d’une famille de 4 personnes, qui se sont jetées d’un immeuble à Montreux (une cinquième personne en a réchappé). Parmi les victimes, deux sœurs jumelles, dont la particularité est d’être les petites-filles de l’écrivain Mouloud Feraoun, cet écrivain algérien assassiné par l’OAS en 1962, quelques jours avant le cessez-le-feu. Ariane Chemin tire les fils de ce fait divers, par lesquels elle déroule toute l’histoire de deux familles, et surtout une Histoire franco-algérienne, une mémoire faite de paranoïa, de peurs, de difficultés … Mouloud Feraoun se savait menacé par l’OAS, il avait donné des instructions, et dit « ne réveille pas les enfants » quelques heures avant son assassinat. L’auteure nous raconte les répercussions d’un assassinat politique sur plusieurs générations, elle nous en apprend aussi beaucoup sur la relation franco-algérienne d’aujourd’hui."


Mémorial face à l’oppression russe : le combat pour la vérité

Michel Eltchaninoff, créée le 29-10-2023

"Je vous recommande ce livre d’Etienne Bouche, journaliste longtemps correspondant en Russie, qui connaît parfaitement le pays. Mémorial est une association, créée à la fin des années 1980 pour documenter les crimes du stalinisme, mais s’est aussi spécialisée dans la dénonciation des atteintes aux droits de l’Homme dans la Russie contemporaine, faisant ainsi un lien entre les crimes du régime soviétique et ceux de l’Etat russe qui a suivi (notamment en Tchétchénie). Le livre raconte l’histoire de Mémorial, de sa création à sa dissolution fin 2021, juste avant l’invasion de l‘Ukraine. Cette dissolution était le signe de cette agression à venir, un peu comme l’assassinat du commandant Massoud juste avant le 11 septembre, on sentait qu’il s’agissait de faire taire la « conscience » de la Russie que représentait Mémorial. Etienne Bouche ne passe pas sa vie à écouter et commenter les discours du Kremlin, il prend des trains en 3ème classe et parcourt tout le pays. Il nous raconte comment l’Etat russe modèle et transforme la mémoire, comment il rend les Russes amnésiques. Dans telle ville, on construit une Église glorifiant les forces armées, à côté d’un musée d’Histoire de la Russie dans lequel on explique que les révolution « de couleur » sont financées par les Américains et très dangereuses, etc. Comment, d’un point urbanistique, on interdit aux Russes de s’interroger sur leur propre identité historique. L’auteur en conclut qu’il est impossible pour les Russes de faire société ou d’imaginer un autre futur tant qu’ils seront ainsi empêchés de faire ce retour sur eux-mêmes. "


Le studio de l’inutilité

Philippe Meyer, créée le 29-10-2023

"Je voudrais dire le plaisir que j'ai eu à relire un livre paru en 2012, mais, grâce à dieu et à l'internet, qu’on peut très facilement se le procurer de nouveau aujourd'hui. Il s'agit d'un livre de Simon Leys Le studio de l'inutilité. Mon confrère et ami Pierre Boncenne avait écrit à la sortie de ce livre « il s'agit de la lecture la plus enrichissante à la fois profonde, brillante et délicieuse qu'il puisse se faire à propos de la Chine mais aussi de la littérature ou de la mer ». Quant à la Chine on retrouve la plume tranchante de l'auteur des Habits neufs du président Mao, du pourfendeur resté célèbre de Maria Antonietta Macciocchi et, dans ce livre, des divers intellectuels français dont la cécité ne laisse pas de stupéfier. La bêtise de l’intelligence est un sujet inépuisable. Quant à la littérature, c’est un bonheur de partager avec Simon Leys sa familiarité avec Chesterton, avec le prince de Ligne, avec Joseph Conrad, Henri Michaux ou Victor Segalen. Enfin la passion de Simon Leys pour la mer donne des pages amoureuses et souvent pleines d’humour et, on ne s’en étonnera pas sous sa plume, à rebours des clichés commodes et des idées préfabriquées."


A la terre : s’installer paysan, se battre avec les champs

Lucile Schmid, créée le 29-10-2023

"Je vous recommande ce petit ouvrage, écrit par le journaliste Marin Fouqué. Il commence de manière étonnante par un étudiant aux Baux-Arts qui peint le cul d’une vache INRA 95, c’est à dire issue de ces races bovines créées spécialement pour produire beaucoup de beefsteak. Cet étudiant ira ensuite dans une ferme vers Manosque, s’initier et s’exercer aux travaux des champs. Et comment il n’y arrivera pas, ou quasiment pas, parce que son corps se rappelle à lui, et parce que la lutte contre la terre (glaiseuse, hostile) est trop dure. Une espèce de reportage saisissant sur la façon dont on a été fasciné par le « retour à la terre » après la pandémie, et dont ce retour est extrêmement difficile. Si la transition écologique est d’abord mentale, ce livre - extrêmement bien écrit et qui se lit très vite - nous rappelle à quel point elle est aussi physique. "


Discours de Jean-Louis Bourlanges à l’Assemblée nationale du 23 octobre 2023

Nicolas Baverez, créée le 29-10-2023

"Et puis, au risque de tomber dans l’auto-célébration de notre émission, je voulais tout de même recommander moi aussi d’aller voir le discours de Jean-Louis Bourlanges. Pas seulement parce qu’il est notre ami, mais parce qu’il contient cette phrase, qui à mon avis va rester : « la violence barbare du Hamas est sans excuse, mais pas sans cause ». Dans cette période où, pour parler franchement, l’Assemblée nationale fait plutôt honte à la démocratie française, c’est la première fois de cette législature où nous y avons un moment qui soit un peu à la hauteur de l‘Histoire. Et par ailleurs, ce discours met en lumière le caractère absurde de la notion de « domaine réservé » sur la politique étrangère et la Défense. La position de Jean-Louis est autrement plus éclairée que celle du président de la République. "