Simon Leys : vivre dans la vérité et aimer les crapauds

Brève proposée par Philippe Meyer dans l'émission L’obsession allemande du frein à l’endettement va-t-elle plomber l’Europe ? / La société idéale aux yeux des Français / n°325 / 26 novembre 2023, que vous pouvez écouter ici. ou ci-dessous.

Simon Leys : vivre dans la vérité et aimer les crapauds

Philippe Meyer

"J’avais dit, il y a quelques semaines, le plaisir que j’avais éprouvé à relire Le Studio de l’inutilité de Simon Leys. Avec Alexandre Vialatte et, dans un tout autre genre, Georges Brassens j’y trouve beaucoup de l’humeur nécessaire à une échappée. Une échappée d’un univers d’injonctions, de certitudes et de simplifications. Dans le petit livre qu’il vient de consacrer à Simon Leys, Jérôme Michel note : « la littérature, Simon Leys la conçoit, à l'instar de Milan Kundera, comme le plus puissant et le plus salutaire antidote à la malédiction de la réduction qui s'acharna à défigurer l'humanité à l'âge des totalitarismes politiques et à en effacer les traits à l'heure contemporaine du non-sens bruyant, du bavardage permanent et de la disparition du monde de la vie derrière l'opacité des écrans. ». Dans son court essai, Jérôme Michel reprend tout ce que Simon Leys a appris de la Chine -et tout ce qu’il nous a appris qu’elle n’était pas quand des intellectuels possédés par le besoin d’appartenir débitaient des sornettes et proféraient des malédictions contre ceux qui avaient les yeux ouverts- mais aussi le passeur inlassable de romans et de romanciers que fut l’auteur du Bonheur des petits poissons. Au moment où sort sur les écrans le film de Ridley Scott sur Napoléon, Jérôme Michel rappelle que Simon Leys fut l’auteur d’un roman, La Mort de Napoléon, où l’on voit l’empereur évadé de Sainte-Hélène où il a laissé un sosie, devenir marchand de melons et de pastèques et se voir condamné à ne plus être que cela quand tous ses plans de reconquête du pouvoir tombent à l’eau parce que son sosie meurt dans son île lointaine. Après avoir visité un asile où pullulent les autoproclamés Napoléons, il ne lui reste plus qu’à examiner ce que fut sa vie. Où cet examen le conduira, c’est ce que je laisse découvrir aux lecteurs de Jérôme Michel et de La Mort de Napoléon."


Les autres brèves de l'émission :

L’enlèvement

Marc-Olivier Padis

"J’ai lu avec beaucoup d’intérêt ce livre de Grégoire Kauffmann. L’auteur est un jeune historien, et il a réussi à mêler dans ce livre l’histoire personnelle et l’histoire collective. Du côté de l’histoire personnelle, il faut savoir que l’écrivain est le fils du journaliste Jean-Paul Kauffmann et de Joëlle Brunerie-Kauffmann. Quand Jean-Paul Kauffmann a été otage au Liban, son épouse a monté un comité de soutien, très actif pour le faire libérer. Et ce comité a gardé des archives, conservées dans la maison familiale des Kauffmann. L’auteur a donc travaillé sur ces archives, comme le ferait tout historien, mais elles le touchent personnellement. A travers elles, il parvient à décrire les années 1980, ces années Mitterrand, une ambiance politique, un type de mobilisation alors nouveau, les controverses … Et puis sa vie de lycéen, la vie culturelle, comment il se construit dans une situation aussi dramatique. Un pari réussi. "


Le piège Nord Stream

Michaela Wiegel

"A propos de Nord Stream 2, et comment l’Allemagne a pu amener l’Europe à la suivre. Je voudrais vous recommander deux livres. Le premier est signé de Marion Van Renterghem, et raconte façon thriller comment l’Allemagne, après l’occupation russe de la Crimée, a pu monter (avec l’aide de la France) cette opération Nord Stream. C’est l’histoire d’un aveuglement qui a duré de longs mois, pendant lesquels on est resté sourds aux avertissements des Polonais et des Etats baltes. "


Les aveuglés : comment Berlin et Paris ont laissé la voie libre à la Russie

Michaela Wiegel

"Le deuxième livre est celui de Sylvie Kauffmann. Son sujet est plus large, puisqu’elle traite de toute la politique entre l’Europe et la Russie. Et le livre recèle quelques scoops. Martin Schulz, l’ancien président du Parlement européen lui a par exemple confié que c’est Angela Merkel qui a proposé que Gerhard Schröder dirige la compagnie Nord Stream, à cause de ses bonnes relations avec Vladimir Poutine. Cette « bénédiction » de l’ancienne chancelière était jusque là inconnue. Il y a d’autres chapitres fort intéressants, notamment sur la façon dont Nicolas Sarkozy avait humilié le président polonais et les dirigeants baltes de l’époque. "


Si Rome n’avait pas chuté

Matthias Fekl

"Je vous conseille ce livre de Raphaël Doan. L’auteur est un jeune magistrat administratif, énarque -et néanmoins tout à fait sympathique !- et tout à fait brillant. C’est à ma connaissance le premier livre d’Histoire écrit avec l’intelligence artificielle. Comme le titre l’indique, l’auteur imagine ce que serait l’empire romain s’il était devenu une puissance industrielle et technologique. Il y a des textes absolument incroyables, créés à partir de recoupements saisissants, des images complètement démentes (c’est aussi un magnifique livre d’un point de vue graphique). Et puis les commentaires de l’historien pour accompagner tout cela. Ce livre ouvre aussi une réflexion plus large sur l’intelligence artificielle, pas seulement sous l’angle des dangers, mais tout simplement sous celui de ce qui va changer. Pendant longtemps, les progrès technologiques ont menacé d’abord les métiers manuels. La remise en question qui arrive va aussi porter sur les métiers intellectuels, avec une nouveauté supplémentaire : la vitesse à laquelle ces bouleversements vont s’effectuer. Très stimulant intellectuellement, très beau, un cadeau de Noël idéal. "


Discours de la présidente du jury du prix de la laïcité 2023

Béatrice Giblin

"Je vous recommande d’écouter ce qui pour moi est un grand discours, prononcé le 8 novembre dernier par Abnousse Shalmani, à l’occasion de la remise du prix de la laïcité. Je vous en cite une phrase : « laïcité, ce mot qu’on doit dorénavant défendre alors qu’il nous défendait ». Tout y est. On peut cependant ajouter : « je ne donne pas de prix à un socialiste, je les laisse se flinguer dans leur moratoire à la con, à savoir si le Hamas est terroriste ou pas ». Tout est de la même veine. Abnousse Shalmani est d’origine iranienne, elle est révulsée de voir la gauche française défendre l’abaya ou le voile à l’heure où les Iraniennes risquent leur vie en s’y opposant. "