Le jeu de l’amour et du hasard

Brève proposée par Antoine Foucher dans l'émission Consommateur ou citoyen : les contradictions françaises / COP 30 / n°429 / 16 novembre 2025, que vous pouvez écouter ici. ou ci-dessous.

Le jeu de l’amour et du hasard

Antoine Foucher

"Je recommande chaleureusement la mise en scène de Frédéric Cherboeuf de cette pièce de Marivaux, qui se joue actuellement au théâtre des Mathurins, portée par la troupe l’Émeute avant qu’elle ne parte en tournée à partir de janvier. C’est un spectacle qui revigore vraiment : la mise en scène est vive, joyeuse, drôle, d’une énergie qui emporte tout. On voit les comédiens s’amuser entre eux, et cela donne presque envie de monter sur scène avec eux. Ils apportent une touche de modernité qui ne trahit jamais Marivaux et enrichit au contraire le texte. On en sort ragaillardi, et comme c’est à 19 heures, on peut aller dîner ensuite pour prolonger la soirée. Une garantie de belle soirée dans une période un peu morose."


Les autres brèves de l'émission :

Les livres de Georges Salines

Philippe Meyer

"Je voudrais inciter à la lecture ou à la relecture des deux livres de Georges Salines, le père de Lola, l’une des victimes du Bataclan : L’Indicible de A à Z, écrit au lendemain de l’attentat et Il nous reste les mots, dialogues avec AzdyneAmimour père d’un des terroristes du Bataclan. A propos du second de ces ouvrages, Georges Salines a déclaré : « Le livre a suscité beaucoup d’intérêt en France. Il a été traduit en anglais, en italien, en espagnol, en néerlandais… En Allemagne, ils ont fait une adaptation au théâtre. Et parmi les lecteurs, je n’ai quasiment jamais eu de retours négatifs. » La voix de Georges Salines, écrit une professeur de lettre à la veille d’une rencontre entre le père de Lola et des élèves de seconde, répète inlassablement qu’aucune cause, même juste (pas plus palestinienne aujourd’hui qu’algérienne jadis), ne peut justifier le terrorisme et que le terrorisme ne peut par ailleurs être un prétexte pour encourager la peur, les préjugés, la haine, l’amalgame. On ne peut y répondre que par les valeurs de la République. »"


La guerre des mots : Trump, Poutine et l’Europe

Béatrice Giblin

"Je recommande ce petit essai de Barbara Cassin, écrit avec une vivacité remarquable malgré le sujet inquiétant. Philologue, membre de l’Académie française, elle dissèque les novlangues de Trump et de Poutine, leurs manipulations du langage, leurs réinventions de l’histoire sans rapport avec les faits. Chez Trump, on retrouve un niveau linguistique évalué à celui d’un enfant de dix ans pour le vocabulaire et la grammaire, avec une vulgarité qui relève d’un autre registre. Chez Poutine, c’est plus complexe : il passe de l’argot des bas-fonds de Saint-Pétersbourg à des rhétoriques très travaillées selon ses interlocuteurs, construisant ainsi un récit déconnecté de la réalité. Ce qui me frappe dans l’analyse de Barbara Cassin, c’est l’idée que seule la culture — si l’Europe demeure vraiment ouverte, multilingue et multiculturelle — peut offrir une résistance à ces dérives. Malheureusement, je ne suis pas sûre que nous prenions cette direction."


Tenaces : pour celles qui ne lâchent rien

Richard Werly

"Je veux recommander Tenaces, ce recueil de témoignages rassemblés par Anaïs Bouton après son podcast, et publié chez Albin Michel. À première vue, ce n’est pas forcément le livre que l’on s’attendrait à voir surgir dans notre cercle, et j’y suis entré avec une certaine hésitation. Pourtant, j’y ai trouvé quelque chose d’essentiel : ces voix de femmes qui ont tenu bon, chacune à sa manière, dans un contexte où plane évidemment l’onde de choc de Me Too. Ce qui m’a frappé, c’est cette ténacité, cette force obstinée dont nous avons tant besoin aujourd’hui, au moment même où déferle des États-Unis une vague masculiniste préoccupante. Alors, oui : vive les femmes tenaces."


Expositions au Petit palais : Jean-Baptiste Greuze et Pekka Halonen

Nicolas Baverez

"Je recommande vivement une visite au Petit Palais. On y découvre d’abord l’exposition consacrée à Jean-Baptiste Greuze, peintre de l’enfance et de la famille dans toutes leurs dimensions, lumineuses comme plus sombres. Mais surtout, on y rencontre Pekka Halonen, un peintre finlandais formé auprès de Gauguin, qui a vécu de 1865 à 1933. Il peint la neige comme personne, et l’on comprend, en voyant ses toiles, pourquoi le finnois possède une cinquantaine de mots pour la désigner : chacun de ses tableaux semble en restituer une nuance. Halonen fut aussi l’ami de Sibelius et l’un de ceux qui ont contribué à inventer la nation finlandaise."


Les preuves de mon innocence

Nicolas Baverez

"Je recommande le dernier livre de Jonathan Coe, qui me semble un excellent antidote à cette période où l’on glorifie l’autoritarisme et le populisme. C’est une satire décapante de ce qui se passe en Angleterre depuis le Brexit, avec en point culminant cet épisode ahurissant du gouvernement de Liz Truss qui n’a duré que cinquante-neuf jours. Jonathan Coe démonte avec finesse les mécanismes de la post-vérité, qu’elle prenne les traits de Boris Johnson ou de Donald Trump. Et au passage, cela nous rappelle une chose essentielle : lorsque les contre-pouvoirs politiques cessent d’opérer, il arrive que le marché lui-même fasse le travail. Cela a été vrai face à Liz Truss, et c’est encore vrai aujourd’hui face à Donald Trump."