L’ours et le dragon

Brève proposée par Philippe Meyer dans l'émission Les défis intérieurs / n°404 / 25 mai 2025, que vous pouvez écouter ici. ou ci-dessous.

L’ours et le dragon

Philippe Meyer

"Je voudrais recommander ce livre de Sylvie Bermann, qui porte sur les rapports de la Russie et de la Chine pays dans lesquels Sylvie Bermann a représenté la France. Ces rapports ont une histoire longue dont l'autrice retrace ce qui peut être utile à une compréhension de leur état actuel, ils ont aussi une histoire récente, marquée par une ambiguïté derrière la façade d'une adhésion commune au communisme. Après avoir été le grand frère est même le tuteur de la Chine, la Russie se retrouve aujourd'hui dans une situation économique et industrielle très inférieure à celle de son ancienne protégée. Que leur reste-t-il de vision et d'intérêt partagés ? Comment prétendent-elles l'une et l'autre poursuivre leur rêve impérial et quels jeux jouent-elles avec l'autre empire, celui que conduit désormais Donald Trump ?"


Les autres brèves de l'émission :

La maison de tante Léonie

Lionel Zinsou

"Je vous conseille une promenade, pour aller voir la vraie réalité culturelle et rurale française. Dans le Perche, en Orne-et-Loir, un musée Proust a ouvert ses portes en 2024. Ceux d’entre vous qui se sont longtemps couchés de bonne heure, auront beaucoup de bonheur à aller à Combray. Comme Combray n’existe pas, allez à Illiers, qui s’appelle désormais Illiers-Combray. Vous pouvez visiter la maison restaurée par Stéphane Bern, mais aussi la maison de Tante Léonie. Il y a plusieurs boulangers (qui vendent évidemment des madeleines), si vous souhaitez retrouver un certain goût du souvenir. Vous y trouverez des éléments sur tous les peintres et écrivains de l’époque, dans une ravissante maison, avec un ravissant jardin. Je vous recommande vivement ce musée, encore un peu méconnu, et créé par le conseil départemental en 2024."


La villa Cavrois

Béatrice Giblin

"Restons dans les promenades, puisque c’est la saison. Moi, je voudrais vous parler de la Villa Cavrois, située à Croix, dans la métropole lilloise. C’est une maison conçue par l’architecte Robert Mallet-Stevens pour la famille Cavrois, grands industriels du textile. Elle a été construite entre 1929 et 1932, et est un projet architectural tout à fait remarquable, parce qu’il est pensé dans sa totalité. Mallet-Stevens a conçu l’architecture pour une famille nombreuse, les Cavrois avaient sept enfants et de très gros moyens, et il a élaboré cette architecture si caractéristique de son style. On en retrouve quelques autres exemples à Paris et en Île-de-France, mais aussi à la Villa Noailles dans le Var. Ce qui rend cette maison particulièrement intéressante, c’est que Mallet-Stevens en a également dessiné tout le mobilier. C’est une conception vraiment globale, aussi bien architecturale que décorative. La villa a connu un destin assez tragique. Avant la mort de Mme Cavrois, un promoteur immobilier a voulu racheter les lieux. Rocard l’a fait inscrire au titre des Monuments historiques en 1990. Comme le promoteur n’a pas pu lotir le parc, il a laissé la villa à l’abandon. Elle a été squattée, les meubles ont été vendus aux quatre coi s du monde. Puis l’État a décidé de la restaurer. Elle est aujourd’hui ouverte au public, et c’est vraiment un chef-d’œuvre. Allez-y !"


Europes : une histoire personnelle

Jean-Louis Bourlanges

"Je voudrais signaler ce livre d’un éminent universitaire anglais, Timothy Garton Ash. L’auteur est né en 1955, il appartient à la même génération que moi, porte en lui toute l’histoire des soixante-dix dernières années, et il vit une double souffrance. D’un côté, il est britannique et profondément pro-européen, ce que son père n’était pas. Conservateur, très réservé vis-à-vis de la construction européenne, le père estimait appartenir à un pays qui, bien qu’européen par l’histoire et par la géographie, ne se vivait pas comme tel. Le Brexit a donc été, pour Timothy Garton Ash, un drame personnel, une immense douleur. En même temps, en tant qu’Européen convaincu, il ressent une autre forme de souffrance, que nous partageons tous aujourd’hui : l’extrême difficulté qu’a l’Europe — et je ne parle pas seulement de l’Union européenne, mais bien des peuples européens dans leur ensemble — à survivre, à exister, à peser d’un poids réel dans un monde qui tend à ignorer, voire à marginaliser notre continent. C’est cette double douleur qui traverse son livre. Mais ce qui le distingue, par exemple, de quelqu’un comme moi, c’est que moi, quand je parle d’Europe, je parle des institutions, de la place de la Commission … des sujets qui, pour tout dire, n’intéressent pas grand monde. Tandis que lui adopte une approche profondément personnelle. Il livre des témoignages. Il a tout vu, il est allé partout : en Pologne, dans les Balkans, dans tous les pays concernés. Il rencontre des gens, raconte ce qu’il observe. C’est une Europe charnelle. Le livre témoigne de cette formidable expérience européenne, dont je crains, hélas, qu’elle ne soit aujourd’hui sérieusement menacée par la violence du monde."


La meute : enquête sur La France insoumise de Jean-Luc Mélenchon

Richard Werly

"Je me suis plongé dans le livre dont tout le monde parle ces jours-ci. Il s’agit d’un ouvrage consacré à la France insoumise de Jean-Luc Mélenchon, écrit par Charlotte Belaïche et Olivier Perroux. D’abord, je trouve extrêmement utile, dans le débat politique français, ce type d’enquête approfondie sur une formation politique. Et, quelque part, je rêverais qu’on ait, d’ici 2027, l’équivalent pour chacun des grands partis. La Meute devrait donner envie à d’autres journalistes de se lancer dans cet exercice, car ce que les auteurs nous dévoilent des coulisses de LFI est passionnant et instructif. On comprend bien comment cette machine s’est mise en marche et le rôle central qu’y joue Jean-Luc Mélenchon. Mais le livre me paraît avoir de deux failles. La première, c’est qu’il est évident que les auteurs voulaient au départ faire une biographie à charge de Mélenchon. On sent pourtant qu’ils n’y sont pas tout à fait parvenus, et qu’ils ont bifurqué vers un portrait plus collectif du parti. On reste donc un peu sur notre faim : on aurait aimé une enquête plus fouillée sur ce personnage, qui vit uniquement pour la politique, et entièrement pour elle. Deuxième faiblesse : le livre montre bien à quel point Mélenchon a su tirer parti de la faiblesse de ses adversaires — voire de ses anciens alliés. Mais sans toujours l’analyser. Ce qui frappe, c’est son opportunisme, sa capacité à saisir l’instant, à trahir quand il le faut, puis à revenir quand il le faut. Cela laisse penser au lecteur — car c’est l’une des conclusions du livre — qu’il sera sans doute candidat en 2027. Et qu’il ne faut surtout pas sous-estimer cette candidature : contrairement à ce que beaucoup imaginent, il sera un candidat redoutable, face auquel il sera très difficile, pour la gauche, de faire émerger une alternative crédible."