Les brèves

Les aveuglés : comment Berlin et Paris ont laissé la voie libre à la Russie

Jean-Louis Bourlanges, créée le 15-10-2023

"Je recommande le livre de notre amie Sylvie Kaufmann, qui sort mercredi 18. Lors des débuts de la guerre en Ukraine, on entendait beaucoup « on n’a pas fait ce qu’il fallait avec les Russes, nous aurions dû être plus gentils avec eux ». Sylvie Kaufmann montre de manière implacable à quel point l’Allemagne et la France se sont trouvés en porte-à-faux, ne comprenant profondément rien à ce qu’était Vladimir Poutine. Et cela explique jusqu’à nos rapports difficiles avec l’Allemagne aujourd’hui : elle est inquiète de son rapport à la Russie, de sa compétition industrielle avec la Chine, de sa sécurité avec les Etats-Unis, et de ses choix écologiques. Il y a là un immense trouble, qui complique toute la dynamique européenne."


Trust

Nicole Gnesotto, créée le 15-10-2023

"Un peu de divertissement dans cette terrifiante actualité … Je vous recommande roman d’Hernan Diaz, son deuxième, récompensé par le prix Pulitzer. C’est un roman aussi intéressant que différent, tant sur le fond que sur la forme. Sur le fond, il s’agit d’une espèce de pédagogie de la haute finance : comment devenir très riche en période de crise économique. L’histoire se passe avant, pendant et après la crise de 1929, mais cela pourrait tout à fait être aujourd’hui : l’histoire d’un jeune banquier qui épouse une « aristocrate » américaine. La deuxième partie du roman change tout dans la forme : l’histoire de ce couple est cette fois racontée de trois autres points de vue. Cela donne une espèce de symphonie très intéressante, le livre est en lice pour des prix français, et à mon avis il en obtiendra."


Tous ceux qui tombent : visages du massacre de la Saint-Barthélemy

David Djaïz, créée le 15-10-2023

"Deux recommandations pour moi cette semaine. La première pour ce livre de l‘historien Jérémie Foa. C’est une façon très originale d’aborder les guerres de religion, par le biais de la micro-histoire. On n’est pas ici chez les rois, les ducs, dans les hautes sphères de la décision politique, mais à hauteur d’homme : le boucher, le commissaire de police, la lavandière … L’auteur a travaillé sur les journaux intimes, les correspondances, et il tente d’expliquer comment des gens qui vivent ensemble, mangent les mêmes choses aux mêmes endroits, sont parfois cousins, en viennent à s’entretuer et même à se mutiler. Son hypothèse est celle du ressort idéologique de la guerre sainte, qui ensauvage. La volonté de mutiler vise à « estranger » le corps du voisin, montrer qu’il est radicalement différent."


Ne réveille pas les enfants

Marc-Olivier Padis, créée le 08-10-2023

"Pour une personne née après 1962, il est toujours surprenant de voir à quel point la guerre d’Algérie reste dans notre histoire comme un récit souterrain qui ne cesse de resurgir là où on ne l’attend pas. C’est ce qui m’a intéressé dans ce livre d’Ariane Chemin, qui commence comme une enquête journalistique sur un fait divers qui s’est déroulé à Montreux, en Suisse, en 2022 mais qui laisse émerger, dans l’exploration d’une histoire familiale tourmentée, des souvenirs enfouis de cette guerre d’Algérie. En 1955, la résistante française et anthropologue des sociétés méditerranéennes Germaine Tillion fonde en Algérie les Centres sociaux, des lieux destinés notamment à l’éducation des jeunes filles algériennes. Parmi les dirigeants de ces centres sociaux, l’écrivain kabyle Mouloud Feraoun, dont le premier roman, le Fils du pauvre a été publié par les éditions du Seuil en 1950. Il est assassiné par l’OAS le 15 mars 1962. C’est un homme qui aura manqué à la construction de l’Algérie indépendante. Comme le dit un personnage interrogé par la journaliste : « j’avais espéré avoir oublié cette histoire ». « Ne réveille pas les enfants », dit le titre : ne réveille pas les souvenirs. Et pourtant, ils sont là, ils font partie de notre histoire. C’est ce que raconte, à travers un fait divers, cette enquête de la journaliste du Monde."


Prophète en son pays

Richard Werly, créée le 08-10-2023

"Je vous recommande deux livres, cette semaine, qui sont très différents mais ont en commun le règlement de comptes, en passe de devenir un genre éditorial en soi. Le premier est signé de Gilles Kepel. Il parle de la menace islamiste, l’auteur raconte comment il a été marginalisé par l’université française, et comment son expertise lui a valu l’opprobre de ceux qui ont préféré surfer sur des schémas idéologiques « occidento-tiermondistes » (pour reprendre le terme qu’il emploie). Il profite de ce livre pour régler ses comptes, ce qui a au moins le mérite d’accrocher le lecteur."



Ramses 2024 Un monde à refaire

Nicole Gnesotto, créée le 08-10-2023

"Comme tous les automnes, je parle d’un marronnier d’excellence, à savoir le rapport de l’IFRI, qui vient de paraître. C’est un très bon cru, il y a trois focus importants. D’abord, les leçons de la guerre en Ukraine, ensuite l’Inde, pays peu connu en France, et enfin une série de prospectives à plusieurs voix sur le monde à venir. Je trouve que l’édition de cette année est assez différente des autres, en ce qu’il y a de vraies analyses. D’abord sur la militarisation de l’interdépendance, c’est à dire la politique des sanctions en tant qu’arme de politique étrangère. On y trouve aussi un article très éclairant sur les fractures géopolitiques entre l’internet de l’Ouest et l’internet chinois. Et puis, la somme sur l’Inde, qui nous détrompe sur énormément de choses."


Mémorial face à l’oppression russe

Philippe Meyer, créée le 08-10-2023

"Je voudrais signaler la parution aux éditions plein jour d'un livre d’Étienne Bouche « Mémorial face à l'oppression russe » qui rassemble le fruit d'entretiens avec des personnalités de l'organisation non-gouvernementale Mémorial qui a reçu le prix Nobel 2022, a été empêchée d'agir par un tribunal aux ordres de Vladimir Poutine, et une réflexion sur le rapport de la société russe avec son passé. Etienne Bouche met en lumière la maladie de la mémoire qui affecte la société russe en même temps qu'il analyse l'échec de Mémorial à traiter et plus encore à guérir cette maladie. Nicolas Werth, l'historien de l'Union soviétique et président de Mémorial France parle « d'un livre foisonnant où le lecteur fait la connaissance des principaux acteurs ayant marqué depuis 30 ans Mémorial tout en obtenant de nombreuses clés d'explication sur cette maladie de la mémoire qui caractérise la société russe d'aujourd'hui. »"


Journal janvier-juin 2020

Richard Werly, créée le 08-10-2023

"De l’autre, le journal d’Agnès Buzyn, qui vient de paraître. Elle y règle aussi des comptes, mais très prudemment : ni avec Edouard Philippe, ni avec Emmanuel Macron. Avec tous les autres en revanche, elle ne se prive pas. Personnellement, ces règlements de comptes littéraires me posent des questions. Encore une fois, le lecteur peut y trouver du plaisir, voire de l’intérêt, mais on a tout de même envie de demander à ces deux auteurs : « et après ? »"



Le dernier cortège de Fidel Castro

Philippe Meyer, créée le 01-10-2023

"Je signale aussi que Matthias Fekl signe, aux éditions Passés Composés Le Dernier cortège de Fidel Castro, dans lequel il parcourt à l’envers le chemin qui a conduit les barbudos de Santiago à La Havane, de la révolution au parti unique. Il place en exergue de son livre cette phrase d’Ivan de la Nuez : « Depuis longtemps, à gauche comme à droite, Cuba est un endroit où l'on vient non pour découvrir la réalité mais pour confirmer un script ; les paradoxes sont remis à l'arrière-plan et les habitants condamnés à être de simples symboles des préjugés et jugements antérieurs des visiteurs. »"


Croix de cendre

Philippe Meyer, créée le 01-10-2023

"Je recommande ce roman d’Antoine Senanque, qui figure sur la liste des Goncourt. L’intrigue se déroule dans un milieu qui excite les curiosités, le milieu ecclésiastique, sur fond de rivalité entre religieux dominicains et prêtres séculiers au 14ème siècle, le siècle de Maître Eckart, l’un des héros de ce livre, juste après la peste noire. Antoine Senanque réussit à maitriser une documentation substantielle, il peint des personnages auxquels il n’est guère possible de ne pas s’attacher et d’autres - un autre notamment, l’inquisiteur de Toulouse - dont il n’est pas possible de ne pas être effrayé. Quand Antoine Senanque prend des libertés avec l’Histoire, ce sont des libertés fécondes et étonnamment vraisemblables. On a qualifié son roman de roman épique ou de polar moyenâgeux. Ce sont des qualificatifs incontestables, mais je leur ajouterai qu’Antoine Senanque est d’abord un écrivain de l’amitié. Cela m’avait frappé dans l’un de ses précédents romans Que sont nos amis devenus ? que j’avais signalé à nos auditeurs, c’est encore plus évident dans celui-ci et ce n’est pas le moindre de ses charmes."