Le Conseil Constitutionnel et la loi immigration / Les révoltes paysannes en Europe / n°334 / 28 janvier 2024

Téléchargez le pdf du podcast.

LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL ET LA LOI IMMIGRATION

Introduction

ISSN 2608-984X

Philippe Meyer :
Le projet de loi sur l’immigration adopté dans un climat de tension par le Parlement le 19 décembre, restreignait le regroupement familial, l’accès des non-Européens à certaines prestations sociales et mettait fin à l’automaticité du droit du sol … Fin décembre, la loi a fait l’objet de quatre saisines du Conseil constitutionnel : celle du président de la République, celle de la présidente de l'Assemblée nationale Yaël Braun-Pivet et deux saisines de députés et sénateurs de gauche. De l’aveu même du ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin, qui a porté ce texte, plusieurs dispositions étaient « manifestement et clairement contraires à la Constitution » et certains au sein de l’exécutif espéraient une censure partielle.
Le 8 janvier, Emmanuel Macron, lors de la présentation de ses vœux au Conseil constitutionnel, s’était fait sermonner par Laurent Fabius, qui  déclarait que la juridiction qu’il préside n'est « ni une chambre d'écho des tendances de l'opinion, ni une chambre d'appel des choix du Parlement », qui soulignait « une certaine confusion chez certains entre le droit et la politique » avant de rappeler au chef de l’Etat les bases d’un « Etat de droit », et notamment cette règle : on ne peut pas voter une loi dont on sait que certaines dispositions sont contraires à la loi fondamentale. L'occasion de citer son prédécesseur Robert Badinter : « Une loi inconstitutionnelle est nécessairement mauvaise, mais une loi mauvaise n'est pas nécessairement inconstitutionnelle ».
Dans sa décision rendue jeudi, le Conseil constitutionnel a censuré plus du tiers du texte, dont le durcissement de l’accès aux prestations sociales. Des 86 articles de la loi, 32 ont été censurés en tant que cavalier législatif, en raison de l'absence de lien entre leur objet et celui de la loi. C'est le cas des articles liés au regroupement familial, la mise en place d'une caution pour les étudiants étrangers, la délivrance d'un titre de séjour pour motif de santé ou encore la restriction des prestations sociales (allocations familiales, aide personnalisée au logement…).. Toutes ces mesures avaient été portées par Les Républicains (LR) dans le cadre de l'accord passé avec la majorité pour faire voter la loi. Après la censure du Conseil Constitutionnel, Gérald Darmanin se félicite de la validation de « l’intégralité du texte du gouvernement », LR réclame un « projet de loi immigration 2 » pour y inclure les mesures rejetées, et le RN demande un référendum.

Kontildondit ?

Marc-Olivier Padis :
La décision du Conseil Constitutionnel (CC) était attendue, elle n’a surpris personne dans la mesure où le gouvernement lui-même reconnaissait qu’il avait fait voter une loi largement inconstitutionnelle. Rien d’étonnant dans ce cas à ce qu’environ 40% du texte ait été censuré. Gérald Darmanin fait plutôt profil bas, et tente de nous vendre un récit politique dans lequel ce sont les amendements apportés par la droite et l’extrême-droite qui auraient été retoqués par le CC. Selon lui, le Conseil aurait en quelque sorte « restitué » le texte originel proposé par le gouvernement. C’est évidemment faux. En tous cas, le ministre de l’Intérieur ne choisit pas de contester la légitimité du juge constitutionnel, ce qui aurait été inquiétant (et qu’aurait sans doute fait l’extrême-droite).
Les réactions face à ce jugement du CC en disent long sur les positions politiques : on entend beaucoup de bons esprits nous dire que désormais le RN est un parti comme un autre, qui accepte le jeu électoral. Ce qui vient de se passer est une nouvelle preuve qu’il accepte en effet le jeu électoral quand il lui est favorable, mais toujours pas l’Etat de droit. Il y a des points fondamentaux que le RN n’accepte pas, et notamment le contrôle constitutionnel. Cela en fait un parti qui reste hostile aux institutions républicaines.
Cela vaut la peine de regarder d’un peu plus près l’avis du CC. Philippe a rappelé tout ce qui a été censuré, c’est un véritable festival d’articles. La plupart pour des raisons de cavalier législatif, c’est à dire que le juge a considéré que ces questions relevaient du droit social, et non de l’entrée sur le territoire. Il y a tout de même aussi des délibérations sur le fond. Le juge dit : « quand nous estimons que telle proposition relève du cavalier législatif, cela ne préjuge pas de notre position ultérieure sur le fond, si jamais le texte revenait ». Il y a cependant déjà des décisions qui sont données à propos de problèmes de fond. Par exemple, le fait que la loi ne peut pas fixer l’obligation d’une délibération du Parlement sur des quotas d’étrangers, parce que l’agenda du Parlement est fixé par le gouvernement, et non par une loi. Il y a d’autres points sur les contraintes qu’on entend imposer aux étrangers (livrer leurs empreintes digitales ou une photo, sans avis d’un juge). Enfin, il y quelques éléments qui sont déclarés conformes, et qui valent la peine d’être rappelées, soit parce qu’ils avaient été censurés auparavant, soit parce qu’ils sont surprenants.
Désormais les demandes de régularisation peuvent être présentées sans l’accord d’un employeur. Cela constitue une avancée - la seule - du point de vue des droits individuels. Mais la régularisation d’un immigré sans papiers reste une décision discrétionnaire des préfets, et cela ouvre la porte à des inégalités. Il y a par ailleurs des dispositions qui restent absurdes, même si elles semblent de bon sens. Par exemple, demander qu’un étranger qui vienne en france maîtrise le français. On peut se dire que c’est rationnel, mais on se souvient eut-être du discours qu’avait fait Emmanuel Macron après que Donald Trump avait décidé de sortir de l‘accord de Paris : il avait dit que la France allait accueillir des chercheurs américains sur le climat. Si vous voulez accueillir un chercheur étranger de haut niveau, qui va travailler en anglais (car les publications scientifiques internationales sont en anglais), il va rater cet examen de français. C’est absurde de ne pas pouvoir attirer en France les meilleurs éléments.
Enfin, le juge a déclaré conforme quelque chose qu’il avait rejeté auparavant, et qui concerne le contrat d’intégration républicaine. En août 2021, le CC avait censuré un article de la loi dite « séparatisme » qui lançait le projet de devoir souscrire à un « contrat républicain ». A l’époque, le juge avait déclaré que cet article méconnaissait l’objectif des valeurs constitutionnelles d’accessibilité et d’intelligibilité de la loi. Dire « vous devez embrasser les principes de la République » était jugé trop équivoque. Ici, le texte de loi a pris le soin d’énumérer ces principes, pour passer la censure, et cela a fonctionné. Mais le CC, de façon assez rusée, rappelle qu’au tout premier plan des valeurs françaises figure la liberté d’expression et de conscience. Si l’on comprend bien, on va demander à un étranger de souscrire à une déclaration stipulant qu’il est pour la liberté de conscience, comme s’il était possible de le contraindre à respecter lui-même sa propre liberté de conscience (ce qui semble absurde d’un point de vue philosophique). A moins que l’idée ne soit de dire « il faut que respecter la liberté de conscience d’autrui ». Pourquoi pas … Par ailleurs, on énumère des droits fondamentaux : liberté d’expression, égalité femmes / hommes, dignité de la personne humaine. Mais curieusement, cette liste ne rappelle pas le droit de grève, le droit d’association, le droit de manifester … Évidemment, on ne va pas rappeler à des gens qui viennent travailler dans nos arrière-cuisine qu’ils ont un droit de grève …

Philippe Meyer :
A propos de cette manœuvre politique consistant à faire voter une loi tout en sachant qu’elle est pleine d’éléments inconstitutionnels, je rappellerai que quand Michel Rocard avait été nommé Premier ministre en mai 1988, il avait envoyé une circulaire à tous les membres du gouvernement, ce qui était tout à fait inédit. Il y disait qu’il souhaitait que les membres de son gouvernement observent un code de déontologie de l’action gouvernementale. Un passage concernait la constitutionnalité, je crois qu’il mérite d’être rappelé aujourd’hui :
« Il convient de tout faire pour déceler et éliminer les risques d’inconstitutionnalité susceptibles d’entacher les projets de loi, les amendements et les propositions de loi inscrits à l’ordre du jour. Cette préoccupation doit être la nôtre, même dans les hypothèses où une saisine du Conseil Constitutionnel est peu vraisemblable. ». Pourquoi citer un « passé glorieux » ? Parce que rien n’empêche que l’avenir ne renoue avec un passé glorieux …

Nicole Gnesotto :
Marc-Olivier a traité la question très sérieusement, mais personnellement, je me demande si nous sommes face à une crise politique ou à une farce. S’agit-il de vraiment solutionner les problèmes que posent l’immigration, ou bien de se moquer du monde ?
Nous avons ici une loi importante , passée par un vote majoritaire au Parlement, c’est à dire qui a évité l’article 49.3 (certes, il y a eu une commission paritaire, mais tout de même, par les temps qui courent, c’est assez rare pour être signalé). Et on s’aperçoit que cette majorité parlementaire n’était en fait qu’un marché de dupes : le CC censure 37 articles, et tout le monde s’en réjouit. Le gouvernement a manifesté ici un cynisme électoral dont on avait perdu l’habitude, puisqu’il savait pertinemment que les propositions venues de la droite allaient être retoquées. Les Républicains sont-ils stupides au point de ne pas avoir su que leurs propositions allaient être censurées ? On est en droit de le penser. Ou alors ils ont été encore plus cyniques que le gouvernement, et espéraient être retoqués pour pouvoir demander une réforme de la Constitution. Rappelons que le point fondamental du projet d’Eric Ciotti est la préséance du droit national sur le droit européen. La droite est donc très contente d’avoir fait preuve d’un cynisme extraordinaire. Le Rassemblement National est ravi lui aussi, car même si les propositions ont été censurées, il les estimait de toutes façons insuffisantes, mais surtout : ses idées se sont largement imposées durant ce débat. La censure de cette loi leur donne l’occasion de demander un référendum. Quant à la gauche, qu’il s’agisse de celle des macronistes ou de l’opposition, elle est plutôt satisfaite de la censure du CC, et a logiquement demandé à ce que le projet de loi soit retiré. Mais le président les a pris de court en promulguant immédiatement la loi. Le seul qui n’est pas content dans cette affaire, c’est le CC, qui a bien conscience d’être parfaitement instrumentalisé à des fins purement politiciennes.
On se moque de nous. Il y a une vraie crise de la démocratie dans ce pays. Le Parlement est tantôt contourné par l’article 49.3, tantôt par le CC. Il y de quoi être réellement inquiet sur les dérives démocratiques de notre pays.

Michel Eltchaninoff :
Les décisions du CC étaient effectivement attendues, il n’en reste pas moins qu’elles ont dû soulager certains. Ce soulagement n’a pourtant pas lieu d’être, pour trois raisons.
D’abord, si 40% des propositions sont rejetées, cela signifie que 60% sont adoptées. Donc aux yeux des opposants à cette loi, c’est tout de même une défaite. Comme le dit Gérald Darmanin lui-même, « jamais la République n’a eu une loi aussi dure contre les étrangers délinquants ». Ensuite, la question du détail de cette loi se pose. Comme Marc-Olivier l’expliquait, de nombreuses dispositions ont été rejetées pour des raisons de forme. Le rappel aux principes de la République n’est pas fait, ou alors il est fait marginalement ; un problème de clarté se pose donc. Peut-être que des éclaircissements vont venir par la suite, mais pour le moment, il est difficile pour le citoyen de comprendre au nom de quoi telle ou telle proposition est rejetée. Enfin, certaines dispositions sont conservées, comme celles d’un fichier de mineurs étrangers suspectés d’être des délinquants. Il y a là un réel risque d’atteinte aux droits de l’enfant. Et puis il y a ce noyau dur de la loi, autour des étrangers délinquants, avec une suspicion portée sur l’ensemble des étrangers, d’être des terroristes en puissance. Je pense par exemple à l’instauration d’une condition de respect des principes de la République pour obtenir un titre de séjour : là encore, on risque de traiter l’immigré comme un suspect a priori, automatiquement soupçonné de ne pas respecter les principes de la République. Cela peut tout à fait passer pour une rupture d’égalité.
On vit de ce fait dans une atmosphère (en partie créée par les médias) de suspicion généralisée. Et certains des articles approuvés par le CC obéissent à cette suspicion. Cela pose les problèmes que l’on sait, sur la langue par exemple : il n’est pas raisonnable d’exiger d’un étranger qui arrive qu’il soit déjà francophone.
C’est une victoire pour le Rassemblement National. Non seulement parce que ces idées sont promues, mais aussi parce que cette censure du CC lui donne l’occasion d’exiger le référendum qu’il souhaite. C’était la grande promesse de Mme Le Pen lors de sa campagne électorale, et la voici relancée : soumettre l’Etat de droit à la souveraineté populaire, c’est-à-dire créer une République illibérale.
Emmanuel Macron a fait un marchandage à l’ancienne : proposer trop afin d’obtenir un peu. Je crains que le camp présidentiel ne sorte pas gagnant de ce genre de tactique, qui légitimise les idées du Rassemblement National.

Béatrice Giblin :
Je serai moins sévère que vous trois à propos du contenu de la loi. Le CC s’est défaussé de beaucoup de choses sur le cavalier législatif. Il dit : tel élément est rejeté car il n’a rien à voir avec la proposition. Cela ne veut pas dire que s’il revient dans le bon cadre, il ne pourra pas être accepté, on dit seulement qu’il faut entrer par la porte, et non par la fenêtre. Il est vrai que cette loi était mal ficelée, elle a été discutée pendant plus d’un an, après quoi le Sénat a tout changé. Le gouvernement voulait absolument qu’elle soit votée (surtout pas d’une adoption par l’article 49.3), pour la faire passer, il a donc dû avaler un certain ombre de couleuvres.
Je rappellerai la responsabilité de la gauche dans l’affaire, car elle a empêché le débat sur cette loi. Elle aurait ainsi pu exprimer très clairement ce qu’elle refusait et ce qu’elle souhaitait. Le problème est qu’elle ne le sait pas elle-même, et ne souhaite pas que cela se voie trop.
Le CC a donc dit : « revoyez vote copie ». On va promulguer cette loi, mais je ne pense pas que la copie sera revue de si tôt, d’autant qu’il y a désormais un autre problème : la loi immigration va très probablement être mise de côté à cause de la crise des agriculteurs.
Je vous ai tous les trois trouvés très sévères à propos du contenu de cette loi. Une récente tribune de Didier Leschi (directeur de l’Office français de l’intégration et de l’immigration) explique que cette loi demeure la plus généreuse et la plus ouverte de tous les pays grands pays européens. Et je crois qu’il a raison. Mettre en place un certain délai avant de bénéficier de droits sociaux ne me paraît pas aberrant. Les droits sociaux français sont le résultat d’un long et difficile combat, que certains ont payé très cher. Je me mets à la place d’un certain nombre de Français, pour qui les immigrés sont mieux traités qu’eux-mêmes. Je ne dis pas que ce sentiment soit juste, mais c’est pourtant une représentation dont il faut tenir compte. Je ne suis pas sûre qu’avoir tapé sur le tambour comme on l’a fait soit l’attitude la plus raisonnable.

Philippe Meyer :
Un barrage est fait par les agriculteurs, avec des ballots de foin. Derrière le barrage, une famille. Une voiture fonce dans le barrage, tue la mère, la fille, et blesse grièvement le père. Dans la voiture, trois Arméniens, sous le coup d’une OQTF (obligation de quitter le territoire français). Quand l’information circule, elle est brute, ce sont les faits que je viens d’évoquer, pas encore déformés ou hystérisés par certains prismes médiatiques. Et pour répondre à ce que cette information brute peut provoquer chez ses auditeurs, il faut à mon avis trouver mieux que de dire « ça fait le jeu du Rassemblement National ».

Nicole Gnesotto :
Il y a des postures totalement hypocrites dans cette loi, et en particulier de la part de la gauche, qu’elle soit parlementaire ou intellectuelle. Car elle fait passer, sur ces problèmes intérieurs comme sur les conflits géostratégiques (Ukraine, Israël) une analyse parfaitement émotionnelle avant un raisonnement. Ici, de la même façon, on fait passer une analyse éthique complètement déconnectée de la réalité avant toute considération réaliste l’évolution de l’immigration et de la société française sur ce problème. Je rappelle que la France a voté le texte européen sur l’immigration et l’asile, qui l’oblige à être solidaire quand il y a des flux d’immigrés, soit en en accueillant sur son territoire, soit en donnant 20 000 par immigré au pays qui les accueille. Personne ne parle de cela. Je trouve qu’il y a un vrai problème dans ce pays, où l’on n’ose pas dire la vérité : certains problèmes de délinquance sont largement liés à l’immigration. Que Marc-Olivier me pardonne, mais l’exemple de l’éminent chercheur étranger rejeté à cause de la langue est l’arbre qui cache la forêt …

Marc-Olivier Padis :
Nous n’aurons pas le temps de régler ce débat aujourd’hui, mais je suis en désaccord complet : il ne s’agit pas de positions éthiques abstraites. Article 67 : les déboutés du droit d’asile n’ont plus accès à l’hébergement d’urgence. Autrement dit, ils sont dans la rue. Et l’on s’étonne que certains d’entre eux deviennent délinquants ? Qui est déconnecté de la réalité dans ce cas ?
Les dispositions de cette loi entendent lutter contre un sentiment, dont Béatrice raison de nous rappeler qu’il est peut-être négligé. Mais il y a aussi des situations réelles, et cette loi va les aggraver. Je ne suis pas opposé à ce qu’on renvoie dans leur pays des gens sous le coup d’une OQTF, mais le problème, c’est que les pays d’origine ne les reprennent pas. Et ce n’est ni la faute de la gauche française, ni des humanistes, c’est simplement une réalité géopolitique.

Philippe Meyer :
Les dispositions sur l’hébergement (ou sur l’aide médicale) sont en effet d’une bêtise absolument navrante : indépendamment du problème moral, elles auraient des effets absolument inverses à ceux que l’on espère.

Béatrice Giblin :
L’hébergement d’urgence en France représente plus du tiers de l’hébergement de tous les pays de l’UE. La France est donc - et de loin - le pays qui assure le plus d’hébergement d’urgence. On maintient des gens très longtemps dans une situation « d’hébergement d’urgence » : certains y sont plusieurs années. On n’est donc plus à proprement parler dans « l’urgence ». C’est aussi un vrai problème. Quant à l’aide médicale d’Etat (AME), rappelons que dans de nombreux pays, il faut payer pour avoir des soins, y compris des pays riches comme les Etats-Unis ou l’Australie. On vient en France avec cette possibilité de soins dans le cadre de traitements très lourds. C’est peut-être marginal dans le budget de la Sécurité Sociale, mais cela représente tout de même 1,2 milliards d’euros. Quand on nous dit à longueur de journée que notre système de santé est à bout de souffle, c’est un problème que l’on ne peut pas ignorer. On ne peut pas dire tout et son contraire.

LES RÉVOLTES PAYSANNES EN EUROPE

Introduction

Philippe Meyer :
L'Europe est depuis plusieurs semaines agitée par les révoltes des agriculteurs contre de multiples politiques, bruxelloises et nationales, climatiques ou économiques. Une vague de colère se répand chez les agriculteurs allemands, roumains, espagnols, français ou néerlandais, pour des raisons propres à chaque pays, mais qui se rejoignent dans leur dénonciation unanime de mesures trop contraignantes et trop chères. Souvent revient la question des enjeux climatiques, faisant resurgir un conflit redondant entre le monde agricole et environnemental. La première mèche a été allumée aux Pays-Bas. Les agriculteurs néerlandais se sont engagés dans une révolte nationale contre un plan du gouvernement qui visait à réduire le nombre de vaches de 30 % d'ici 2030, afin de faire baisser les émissions d'azote du pays. Cette colère a résonné en Irlande, où les producteurs laitiers ont manifesté leur mécontentement eux aussi contre des restrictions imposées à l'azote. Même causes, mêmes effets en Belgique. En Allemagne, en revanche, les agriculteurs se mobilisent contre une réforme de la fiscalité qui prévoit en 2026 de supprimer une exonération sur le diesel agricole. Partout, les inquiétudes des agriculteurs se cristallisent autour des répercussions financières de mesures qui mêlent économies budgétaires et décisions écologiques. Mais les politiques climatiques ne sont pas les seules à déstabiliser le monde agricole. En Roumanie et en Pologne, la guerre en Ukraine remet en question les modèles économiques des exploitants locaux. L'ouverture à l'importation des céréales ukrainiennes pour soutenir l'économie de leur voisin en guerre a mis en difficulté leurs producteurs nationaux. Résultat : des centaines de tracteurs et camions de marchandises ont paralysé les routes polonaises et roumaines, et même des voies de passage avec l'Ukraine. Les agriculteurs européens dénoncent tous le Pacte vert européen ou Green Deal qui prône la transition écologique des Etats membres de l'UE, fixe des objectifs de réduction d'usage des pesticides, de développement de l'agriculture biologique et de protection de la biodiversité, mais qui intervient dans un contexte déjà tendu pour les agriculteurs, bousculés par des événements climatiques extrêmes, la flambée de leurs coûts de production et les conséquences commerciales de la guerre en Ukraine.
En France, selon un sondage Elabe/BFM 70% des Français pensent que la mobilisation va déclencher « un mouvement social de grande ampleur dans les prochaines semaines ». 89% soutiennent le mouvement (plus que pour les Gilets Jaunes) et 70% approuvent le blocage des routes et refusent toute intervention des forces de l’ordre. Le malaise paysan pourrait vite trouver une traduction dans les urnes : selon le dernier sondage Elabe, 51 % des agriculteurs placent la question du pouvoir d'achat et de la lutte contre l'inflation en tête des enjeux des élections européennes, et 29 % se disent prêts à voter pour la liste Bardella. A quelques semaines du lancement du Salon international de l'agriculture, qui se tiendra du 24 février au 3 mars à Paris, l'exécutif tente une modération.

Kontildondit ?

Michel Eltchaninoff :
Les revendications et les contextes sont très différents selon les pays, mais il y a deux points communs à ces mouvements. D’abord, il s’agit d’un mouvement existentiel, et ensuite, on a affaire à un mouvement européen.
Existentiel, parce que le slogan de départ était « on marche sur la tête ». Et il est très significatif. Les agriculteurs ont le sentiment d’être les héritiers d’un monde d’avant la modernité, dans lequel c’est le paysan qui assure l’essentiel de la richesse. C’est ce que disaient les physiocrates du XVIIIIème siècle. Et ce monde dont ils sont les héritiers a disparu depuis longtemps : exode rural, industrialisation, mondialisation … Les agriculteurs ont donc ce sentiment d’être les derniers représentants de quelque chose. Sauf que cela fait longtemps que ça dure : le sociologue Henri Mendras avait publié un livre intitulé La fin des paysans … en 1967. Il y a donc cette impression d’être une population en sursis et pourtant essentielle, déchirée par de multiples injonctions contradictoires. Il faut s’adapter, se faire entrepreneur, gestionnaire (ce que les agriculteurs font d’ailleurs souvent remarquablement bien), mais il y a ce sentiment qu’une transmission est rompue. La culpabilité des agriculteurs face à leurs aînés est bien documentée : ils se reprochent d’avoir envie de vacances, de travailler moins, hésitent à transmettre leur exploitation à leurs enfants, car le travail est trop pénible … Par ailleurs, on sait que le taux de suicide est particulièrement important dans cette profession : 31% de plus que dans les autres, avec un suicide tous les deux jours en moyenne.
Et puis c’est une crise européenne, parce que l’Europe s’est construite depuis 60 ans sur la PAC, c’est-à-dire avec l’objectif de préserver l’économie rurale. Et voici qu’on a affaire à une révolte européenne contre l’Union européenne. Dès lors, la question qui se pose est : y a-t-il une réponse européenne possible à un mouvement européen ? Car la pire des réponses possibles serait de dire - comme le fait le Rassemblement National - qu’il faut moins d’Europe et moins d’écologie. Mais si l’on veut plus d’Europe et plus d’écologie, l’Europe doit être capable de fournir une réponse globale, structurée, compréhensible et vivable aux agriculteurs. Y en a-t-il une, et laquelle ?

Béatrice Giblin :
Une grande diversité de situations entre la Pologne, la Roumanie, les Pays-Bas, la France, l’Irlande, l’Espagne … Mais comme le dit Michel, dans tous les cas, le sentiment d’être en danger. Et le discours est celui d’un abandon (c’est d’ailleurs récurrent en ce moment : on se sent toujours abandonné, on veut toujours à la fois plus d’Etat et moins d’Etat).
Qui se révolte exactement ? Ce ne sont pas les agriculteurs, mais des agriculteurs, qui sont dans des situations extrêmement difficiles, qui ne parviennent pas à vivre de leur travail (malgré 60 heures hebdomadaires). Il s’agit essentiellement d’agriculteurs engagés dans une polyculture, avec de l’élevage, des céréales, et souvent l’obligation d’un autre métier en parallèle. En France, c’est le cas dans le Sud-Ouest, avec par exemple l’Ariège et le Gers. C’est de là que les choses sont parties.
Il y a une inégalité dans la situation des agriculteurs dont on ne parle pas assez. une fois encore, les plus gros mettent en avant les plus fragiles, pour obtenir qu’on détaxe le gazole non routier (GNR), qu’on recule sur le pacte vert, en éliminant des contraintes …
Arnaud Rousseau, l’actuel président de la FNSEA, est à la tête d’une exploitation de 700 hectares : maïs, blé, soja, betteraves … Il est par ailleurs responsable d’une très grosse coopérative, qui a des parts tout à fait significatives dans plusieurs importants groupes d’huiles végétales. Lui n’est pas dans la nostalgie d’un monde ancien, il sort d’une business school parisienne, a été courtier sur le prix des céréales … Il n’a pas grand chose à voit avec sa prédécesseure. Il est essentiel de faire ces distinctions et d’insister sur les grandes inégalités de situations.

Marc-Olivier Padis :
Béatrice a tout à fait raison : en France, les inégalités au sein du monde agricole sont supérieures aux inégalités dans le reste des actifs, tous secteurs confondus. Les chiffres sont réellement très impressionnants, et il est vrai que les gros instrumentalisent les petits. Et comment ne pas être saisis par les situations réellement poignantes des petits exploitants ?
La problématique rencontrée est celle du coût de la transition écologique. Qu’est-ce qui coûte le plus cher : l’inertie ou la transition ? En Espagne, on voit par exemple que la production d’huile d’olive régresse à cause du changement climatique. En Italie, c’est la production de blé qui diminue. Dans le Pas-de-Calais, les inondations ont ravagé les cultures de betteraves. Il y a un coût réel de l’inaction.
Aujourd’hui, on demande à des agriculteurs qui sont dans des situations difficiles de changer leurs pratiques, et ils ont le sentiment que l’effort demandé n’est pas partagé. Ils craignent d’autre part une surcharge réglementaire, car on peut faire évoluer les comportements de deux façons : soit par les prix, soit par les normes. Et beaucoup de normes leur tombent dessus actuellement. Enfin, il faut rappeler que les agriculteurs ne sont pas opposés à la transition verte, en réalité, ils en sont souvent les premiers acteurs, car ils connaissent bien la nature. Ils ont pourtant le sentiment d’être pris dans un étau.
A tout ceci se greffe un discours des conservateurs et de l’extrême-droite, qui désignent le pacte vert européen comme responsable des difficultés actuelles de la profession. Il y a d’abord un problème logique : on voit mal comment des dispositions qui ne sont pas encore mises en œuvre pourraient être à l’origine de leurs difficultés actuelles … C’est au contraire l’héritage d’un système aujourd’hui dans l’impasse qui en est responsable. Le pacte vert est un pacte d’investissement : 1000 milliards d’euros mobilisés sur 10 ans pour accompagner et faciliter la transition écologique, et en réalité il porte très peu sur l’agriculture. François-Xavier Bellamy (candidat LR pour les élections européennes) cible le Pacte vert, mais en réalité il tape dans le vide, car les dispositions qui concernent le monde agricole sont très peu nombreuses, la plupart concernent la transition industrielle et énergétique. Ce que nous révèlent ces mobilisations, c’est que la campagne pour les élections européennes a commencé. Je ne pensais pas que ce serait si tôt, ni sur ce thème.

Philippe Meyer :
On aurait tort de sous-estimer la floraison de normes qui s’abattent sur le monde agricole (comme sur d’autres secteurs). Je pense que dans cette protestation du monde agricole, on ne parle pas que des normes qui ont trait à l’agriculture. Et puis la production des normes a été singulièrement aggravée par la nouvelle organisation territoriale : pour exister, les communautés de communes se sont mises à vouloir rivaliser avec les conseils départementaux, et à créer leurs propres normes … Tout cela provoque des réactions, de gens qui ressentent une injustice et de l’humiliation.

Nicole Gnesotto :
Cette crise est tout de même révélatrice d’une transition majeure entre un mode de production agricole passé (largement industriel et capitaliste) et la nécessité de passer à une économie durable. et cette grande transition va largement dépasser le monde de l’agriculture : on la voit déjà dans le monde de l’automobile, celui du bâtiment … Nombreux seront les secteurs qui ne seront pas en mesure de respecter le calendrier imposé par les normes européennes. On voit bien que la transition écologique sera politiquement explosive.
Les agriculteurs n’en sont que la première manifestation. Je ne sais pas s’il y aura une convergence des luttes agricoles européennes, mais je pense qu’il y aura d’autres tensions dans d’autres secteurs avant qu’on ne concilie croissance et lutte contre le dérèglement climatique. On voit en effet que les solutions sont toutes contradictoires : on ne saurait lutter à la fois contre le réchauffement climatique, augmenter le revenu des paysans, et garder des finances publiques saines en réduisant le déficit et la dette. En le tout en étant solidaires de l’Ukraine, c’est-à-dire en acceptant les céréales et les poulets ukrainiens à des prix non concurrentiels. On se rend bien compte qu’on ne pourra pas faire tout cela à la fois ; va falloir décider, et les injonctions étant contradictoires, la décision va forcément mécontenter quelqu’un.
Michel se demandait ce que peut faire l’Europe. Car elle est en effet au cœur de ces contradictions : à la fois soutien des agriculteurs depuis sa création (4,6% de la population européenne, soit environ 10 millions de gens, travaillent dans l’agriculture, et ils ont à leur disposition 30% du budget européen), et le fossoyeur de l’agriculture traditionnelle, à cause de la transition écologique. En effet, obliger les agriculteurs à mettre 4% de leurs terres en jachère importe peu aux très grands groupes agricoles, mais pour les petites exploitations, c’est insupportable : on leur signifie que leur travail est nocif pour la nature. Et puis il y a ce zèle normatif français, qui en rajoute des couches sur les normes européennes.
L’Europe est donc au cœur de la contradiction : soutien indispensable aux agriculteurs, et instance qui leur impose des normes intenables. C’est pourquoi seul le niveau européen est à même de fournir une solution. Je crois personnellement que ce qu’il faut, c’est une grande conférence politique (un peu sur le modèle de la convention de 2001 sur l’avenir de l’UE) sur la transition environnementale, dans laquelle tous les domaines professionnels puissent s’exprimer, et produisent ensemble un calendrier acceptable. Si l’on continue à faire des mesures nationales, on sait bien ce qui va se passer : la France continuera à signer des chèques et à creuser le déficit public et la dette, se fera taper sur les doigts par Bruxelles, etc. Espérer une solution nationale à cette crise n’a aucun sens.

Philippe Meyer :
Peut-être aurait-on aussi intérêt à entendre ce que le monde paysan a à dire de ses préoccupations écologiques. A ce sujet, nous diffuserons bientôt une émission thématique sur la santé des sols. Vous pourrez y entendre à quel point le monde paysan se soucie des ces questions environnementales. On a entendu beaucoup de paysans s’exprimer récemment, et on constate qu’ils le font très éloquemment ; il me semble que puisque le président de la République est friand de ce genre de format, une convention citoyenne sur le monde paysan ne pourrait pas faire de mal ; certes, elle ne saurait résoudre une crise « à chaud », mais elle participerait à rendre au monde paysan une considération dont il s’estime souvent privé, à lui donner le sentiment qu’on l’écoute.

Béatrice Giblin :
Un bref rappel : parmi les syndicats agricoles, celui qu’avait fondé José Bové (Confédération paysanne) n’a pas pris du tout les mêmes positions que les autres. Il ne s’est pas jeté d’entrée de jeu dans le « soutien aux paysans ». Il a bien mis en valeur la nécessité de la transition écologique, en faisant valoir qu’elle remettait en question le libre-échange. Par exemple, les récents accords signés avec la Nouvelle-Zélande ou le Mercosur posent problème : ils permettent d’importer des produits qui ne répondent pas aux critères écologiques qu’on impose aux agriculteurs. C’est absolument inacceptable, et il y a là une responsabilité importante de l’Europe. Ce serait un signe fort que de cesser ce genre de pratiques. Ne mettons pas tous les syndicats agricoles dans le même sac : il y a un tout un monde entre la Coordination rurale (très proche de l’extrême-droite et du RN), la Confédération paysanne de Bové, ou le FNSEA qui défend un autre type d’agriculteurs …

Nicole Gnesotto :
D’autant que l’Europe a déjà fait des choses similaires. Avec la taxe carbone : pour éviter de pénaliser les industriels européens, on a taxé les produits importés, afin que la concurrence soit juste. On pourrait parfaitement en faire autant s’agissant des produits agricoles.

Les brèves

Le déclin de la petite bourgeoisie culturelle

Philippe Meyer

"L’auteur s’intéresse à un ensemble apparemment hétérogène, où l’on trouve des professeurs, des instituteurs, des conseillers d’orientation, des bibliothécaires, des artistes, mais aussi des travailleurs sociaux, des dirigeants d’association, des psychologues, des designers, des publicitaires, des journalistes … Ces personnes ont en commun d’avoir, à partir des années 80, connu une vie matérielle et un statut social meilleurs que ceux de leurs parents. Leur évolution est due à l’acquisition d’un capital culturel constitué dans l’effondrement du monopole de l’école dans la production des normes. Les politiques publiques, nationales, régionales ou municipales, ont favorisé et soutenu cette petite bourgeoisie. Or, depuis le début du XXIème siècle, ces politiques publiques s’effritent à grande vitesse. Il en résulte une fragilisation de cette petite bourgeoisie culturelle dont Élie Guéraut écrit : qu’elle « occasionne une perte de son pouvoir sur les institutions locales conquis dans les années 1980 et 1990, mais aussi de sa légitimité à se présenter en prescripteur de goûts et de pratiques culturelles. » Le paysage  culturel et ses habitants changent à bas bruit et la recherche menée par Élie Guéraut pourrait bien, comme le dit son auteur, « fonctionner comme un miroir grossissant de phénomènes valables à l’échelon national » et, à travers cette incarnation particulière des classes moyennes qu’est la petite bourgeoisie culturelle, nous éclairer sur les déceptions et les angoisses de toute cette partie de nos concitoyens."

Le grand carnet d’adresses de la littérature à Paris

Nicole Gnesotto

"Je recommande ce livre très agréable. Il est très volumineux et lourd : plus de 1200 pages ; vous ne l’emporterez pas partout, mais il est formidable. Il vient de paraître, et est signé de Gilles Schlesser. L’auteur a fait le tour de toutes les rues de Paris, pour voir où habitaient les écrivains français. Plus de mille sont recensés dans cet ouvrage, et c’est véritablement extraordinaire. Loin d’être un catalogue (qui ne serait pas intéressant), le livre comporte des anecdotes, des citations, des extraits à propos de l’adresse en question. On se précipite pour étudier ses quartiers préférés, c’est très jouissif. C’est un livre dans lequel on va régulièrement piocher avec délectation. Un travail absolument colossal, pour un grand plaisir de lecture."

L’assiégé : dans la tête de Dominique Venner, le gourou caché de l’extrême-droite

Michel Eltchaninoff

"Je vous recommande ce livre captivant, et qui se lit très vite. Renaud Dély a fait le roman vrai de cette personnalité peu connue du grand public mais véritablement très importante. On en a entendu parler le jour de son suicide à l’arme à feu en 2013 à Paris, dans la cathédrale Notre-Dame. Venner vient d’une famille de collaborateurs, qui a fait l’Algérie, qui a torturé et a tué … Il est devenu un grand idéologue de l’extrême-droite dans les années 1960-70, et a voulu « finir en beauté », comme il le disait lui-même, d’où son suicide spectaculaire, inspiré de Mishima, qu’il admirait. C’est une biographie vraiment très bien racontée, qui nous fait comprendre la façon dont Dominique Venner a transformé la pensée d’extrême-droite dans les années 1960. Il l’a faite sortir du vieux nationalisme français pour faire de la défense de l’Europe blanche menacée par les flux migratoires la pierre angulaire de toute la pensée d’extrême-droite actuelle. Les mouvements identitaires d’aujourd’hui se réfèrent aujourd’hui - explicitement ou implicitement - à l’œuvre, éminemment raciste, de Dominique Venner. Très éclairant. "

Réflexions sur la question antisémite

Béatrice Giblin

"J’ai été frappée par l’augmentation du nombre d’actes antisémites : on en est à 1676, soit plus de 1000%, depuis le 7 octobre dernier. Je suis donc allée relire le livre de Delphine Horvilleur, paru en 2019. Comme toujours avec cette autrice, c’est extrêmement intelligent, avec une pointe d’humour. Le livre nous montre comment le Juif voit l’antisémite, et comment la cause juive vit avec ce qui veut sa perte. Elle explique en quoi l’antisémitisme n’est pas un racisme comme les autres, avec un « en haut » qui méprise un « en bas ». C’est au contraire une pensée qui rejette celui qui est perçu comme ayant davantage. Une forme de jalousie envers le Juif, à qui on reproche toujours d’avoir trop (de richesses, de respect … et sans tenir compte de la situation réelle de celui qu’on méprise, évidemment)."