La sécurité sociale a 80 ans / L’Afrique : de junte en junte / n°433 / 14 décembre 2025

LA SÉCURITÉ SOCIALE A 80 ANS

Introduction

ISSN 2608-984X

Philippe Meyer :
Né en 1945 dans l’élan du Conseil national de la Résistance, l’État-providence français avait une ambition fondatrice : protéger chacun contre les grands risques de la vie. Il commence par la création de la Sécurité sociale et du régime de retraite par répartition, à une époque où 5 actifs soutenaient un retraité (contre 1,7 aujourd’hui). Les décennies suivantes ont vu un élargissement progressif du socle, au-delà de la seule logique assurantielle. Quatre-vingts ans plus tard, la Sécurité sociale n’a pas perdu l’amour des Français, ni, à leurs yeux, son attribut le plus précieux : l’universalité. Près de 80 % la considèrent comme la meilleure au monde et 85 % jugent impératif de maintenir une couverture universelle, sans distinction de revenus, selon un sondage Ifop de mars 2025. Mais elle traverse aujourd’hui une nouvelle crise grave. Le déficit record de l’assurance-maladie prévu cette année - 23 milliards en 2025 (contre 17,2 milliards en 2024) - interroge sur la capacité du système à perdurer. Et la pression démographique menace de le faire dériver encore plus, tandis que le vieillissement démographique déséquilibre autant le système de santé que celui des retraites en déficit elles de 6,6 milliards d’euros pour cette année.  Un vieillissement à prendre d’autant plus en compte que les dépenses de santé augmentent exponentiellement avec l’âge. D’après la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques, en 2021, la dépense annuelle moyenne a été de 1.114 euros pour les moins de 20 ans, 1.632 euros pour les 21-40 ans, 2.717 euros pour les 41-60 ans, 4.498 euros pour les 61-70 ans, 6.291 euros pour les 71-80 ans et 8.529 euros pour les plus de 80 ans. De fait, les plus de 60 ans concentrent plus de 50 % de la dépense totale, alors qu’ils représentent 28 % de la population.
Dans un rapport publié le 3 novembre, la Cour des comptes a mis en garde contre les effets budgétaires du vieillissement de la population et de la baisse de la natalité. « Premier poste de dépenses de la protection sociale, les pensions de vieillesse et de survie représentaient en effet 353 milliards d’euros en 2023, soit 13,4 % du PIB », signale le rapport. La Cour souligne que le poids de la démographie sur les finances publiques va aller croissant, et invite à repenser « la vision collective » du vieillissement et de l’âge du départ à la retraite. Pour mémoire, au début des années 1980, la dette ne finançait qu’1 % de la dépense sociale ; elle en finance désormais 10 %.
Mardi, à une courte majorité - 247 voix contre 234 (et 93 abstentions) - les députés ont validé le Projet de loi de financement de la sécurité sociale. Il prévoit notamment la suspension de la réforme des retraites, la hausse de la CSG sur les revenus du patrimoine et la hausse de 3 % des dépenses de santé. Résultat : malgré les concessions accordées aux oppositions, le déficit de la Sécurité sociale devrait rester sous les 20Mds€ en 2026. Après un passage par le Sénat, le texte devrait revenir au Palais-Bourbon mardi prochain pour un ultime vote.

L’AFRIQUE : DE JUNTE EN JUNTE

Introduction

Philippe Meyer :
En cinq ans, le Sahel a complètement changé. Les coups d’État militaires d’abord présentés comme des réponses temporaires à la crise sécuritaire, semblent installer durablement des régimes autoritaires. Au-delà du rejet commun de la présence française, ces nouveaux pouvoirs militaires peinent à formuler un véritable projet et surtout à endiguer une vague djihadiste de plus en plus meurtrière. La région est désormais secouée par des crises répétées qui ignorent les frontières nationales. Cette vague de coups d'État et de prises de pouvoir militaires a créé un paysage politique instable dans plusieurs régions. En novembre 2025, sept pays étaient dirigés par des juntes militaires, chacune avec sa propre trajectoire, sa justification et ses tensions politiques propres.
Au Mali, le retour à un régime militaire a commencé par deux coups d'État en moins d'un an, le premier en août 2020, suivi d'un autre en mai 2021. Le Burkina Faso a connu deux coups d'État militaires en 2022. L'ordre politique du Niger s'est effondré en juillet 2023. En mars 2025, la junte a adopté une charte de transition fixant un délai de cinq ans pour le retour à un régime constitutionnel. La Guinée a basculé dans un régime militaire en septembre 2021. La junte s'était initialement engagée à une transition structurée, mais le calendrier a été sans cesse repoussé. Au Soudan l’armée a pris le contrôle en octobre 2021, faisant dérailler un fragile accord de partage du pouvoir entre civils et militaires. En avril 2023, le pays a sombré dans une guerre civile brutale entre les forces armées soudanaises et les forces paramilitaires de soutien rapide. En octobre 2025, Madagascar a rejoint la liste des pays africains sous régime militaire. En Guinée-Bissau, le coup d'État qui a renversé le 26 novembre le président sortant Umaro Sissoco Embalo et suspendu les élections en cours est le dixième putsch en Afrique depuis 2020. Ce pays lusophone côtier d'Afrique de l'Ouest situé entre le Sénégal et la Guinée avait déjà connu quatre coups d'État et une kyrielle de tentatives de putsch depuis son indépendance du Portugal en 1974. La junte promet une transition d'un an. Les Bissau-Guinéens n'y croient plus vraiment. Dans un pays où chaque cycle électoral finit dans les casernes, la démocratie semble condamnée à ne jamais dépasser le stade de l'intention. Le Bénin, longtemps considéré comme une exception démocratique et qui n'avait plus connu de tels soubresauts depuis 1972, vient de rejoindre le club des pays touché par l’épidémie de putschs. Dimanche dernier, il s’en est fallu de peu que le pays ne rejoigne la longue liste des pays africains ayant connu un coup d’État militaire ces cinq dernières années. Le coup d’État a été mis en échec.

Les brèves

Les gens de Paris 1926-1936

Lucile Schmid

"Je recommande vivement cette exposition au musée Carnavalet, absolument passionnante. Elle repose notamment sur une collaboration inédite entre des historiens et des spécialistes de l’intelligence artificielle, avec de la lecture optique de millions de documents manuscrits issus des recensements, qui concernent près de neuf millions de Parisiens, puisque la population de l’époque était comparable à celle d’aujourd’hui. Elle éclaire de manière très concrète les grandes questions sociales : en 1926, l’espérance de vie à Paris n’était que de 50 ans, ce qui relativise bien des débats contemporains. On y retrouve déjà des traits familiers de la capitale, avec davantage de femmes au travail, beaucoup de célibataires, moins d’enfants qu’ailleurs, et surtout un moment clef de basculement où la société française devient majoritairement urbaine. L’exposition est aussi remarquable par la richesse de ses images et de ses films, qui montrent notamment une circulation parisienne déjà chaotique, où les piétons semblaient menacés à chaque instant."

Comptes publics : en finir avec le n’importe quoi (qu’il en coûte)

Lionel Zinsou

"Je suis en plein conflit d’intérêts, mais je recommande la lecture de cette note de l’économiste Guillaume Hannezo, publiée par Terra Nova. C’est un texte très pédagogique qui met de l’ordre dans le débat sur les comptes publics, sans aller dans des considérations de management ou des référendums, elle explique clairement pourquoi il faut trouver rapidement près de 100 milliards d’euros, pourquoi cet effort concernera nécessairement tout le monde, et ce que cela représente concrètement, de l’ordre de 3.000 euros par an en moyenne pour les ménages, évidemment pas pour les plus modestes. C’est un bon guide pour comprendre l’ampleur des ajustements à venir et sortir des approximations."

Mistinguett : la danseuse qui a sauvé la France

Nicolas Baverez

"Je recommande aussi vivement ce livre de Bruno Fuligni consacré à Mistinguett. On a trop tendance à mépriser la chanson en la tenant pour un art mineur, alors que, comme Joséphine Baker ou Marlène Dietrich, Mistinguett fut à la fois une immense artiste et une figure profondément politique. Le livre montre son rôle de combattante, notamment pendant la Première Guerre mondiale, et rappelle son intelligence, son indépendance d’esprit, son sens très aigu de l’argent et de l’État, au point qu’on se dit qu’elle aurait sans doute été un bien meilleur ministre des Finances que beaucoup de ceux qui se sont succédé depuis des décennies. C’est un portrait passionnant et très éclairant."

Discours de Mark Rutte, secrétaire général de l’OTAN, 11 décembre 2025

Antoine Foucher

"Je recommande la lecture de ce discours prononcé à Berlin, qui tire très clairement la sonnette d’alarme sur le risque de guerre en Europe dans les années à venir. On dira que c’est pessimiste, mais, à côté de ce que dit Mark Rutte, nos débats paraissent presque légers. Il expose de manière très précise l’intensification massive de la production d’armement en Russie, les progrès réalisés par l’OTAN ces dernières années, et surtout le décalage saisissant entre les deux dynamiques. La conclusion est frappante : les membres de l’OTAN doivent se préparer à une guerre d’une ampleur comparable à celle qu’ont connue nos grands-parents et arrière-grands-parents. C’est un texte dur, mais indispensable pour prendre la mesure de la situation."

Makbeth, par le Munstrum théâtre

Philippe Meyer

"Louis Arene et les acteurs de sa compagnie sont la coqueluche des aspirants comédiens d’aujourd’hui. Tous les étudiants des écoles de théâtre ne jurent que par le Munstrum Théâtre. La compagnie vient de jouer au théâtre du Rond-Point Makbeth, une réécriture de la pièce de Shakespeare, qui est désormais en tournée. J’étais donc très curieux de découvrir ce travail, et force est de reconnaître qu’il se passe bel et bien quelque chose d’enthousiasmant. C’est d’abord une claque esthétique. Le jeu est masqué, mais ce ne sont pas seulement des masques que nous propose le Munstrum, mais des créatures complètes : les corps, les costumes, chaque personnage est travaillé avec une méticulosité impressionnante. Et le tout dans une scénographie qui sait prendre de la hauteur (c’est rare de voir des décors hauts sur les scènes de théâtre, c’est évidemment plus cher, mais aussi plus difficile à éclairer) ; ça a l’air anodin mais cela donne à l’histoire une réelle ampleur, avec des trouvailles visuelles qui vous restent dans la tête bien après la représentation. On pense à la magie des sorcières, évoquée par une espèce de répugnant goudron que crachent les personnages, ou qui suinte des décors, le tout baigné dans les brumes du champ de bataille, que traversent soudain des rayons laser. Entre un concert de Pink Floyd et une partie de Warhammer 40.000 … Et si Shakespeare est réécrit, ce n’est pas pour l’abêtir, mais au contraire pour creuser certaines pistes, pour le mettre au service d’une recherche, rigoureuse et joyeuse. Ainsi, dans le Macbeth original, un acteur ne fait que narrer les atrocités du champ de bataille. Ici, le spectacle commence par l’horreur. Aucune boucherie ne nous est épargnée, mais le masque met tout cela à distance : on est horrifié, mais on rit beaucoup. Le Munstrum a pris Shakespeare au mot, et nous livre ici une histoire pleine de bruit et de fureur, qui mêle la tradition théâtrale la plus vénérable, celle du jeu masqué, avec une modernité visuelle et une exigence artistique qui forcent le respect. "