Les primaires, machines à perdre? / Déroute à Kaboul: vers une défense européenne? / n°209 / 5 septembre 2021

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Les primaires, machines à perdre?

Introduction

Philippe Meyer :
  L'automne qui arrive pourrait s’annoncer comme la saison des primaires en vue des présidentielles de 2022. A droite, plusieurs candidats se sont déclarés en leur faveur : Valérie Pécresse, Michel Barnier, Philippe Juvin et Éric Ciotti. Mais Xavier Bertrand s’y oppose. Le 2 septembre, le président des Républicains, Christian Jacob a annoncé que « ce sont les militants qui trancheront lors du congrès du 25 septembre » si des primaires doivent avoir lieu et sous quelle forme. LR va donc procéder à une primaire de la primaire. La primaire d'Europe Ecologie-Les Verts (EELV) est déjà programmée et ses règles fixées. En septembre, elle sera numérique, faute de moyens pour l'organiser physiquement. Certains, au Parti socialiste, commencent à réclamer un processus similaire pour départager les candidats putatifs. Le premier secrétaire du PS, Olivier Faure, proposera une modification des statuts lors du congrès des 18 et 19 septembre à Villeurbanne pour réserver la primaire aux militants. La maire de Paris, Anne Hidalgo, en rupture avec les statuts du PS, a déjà fait savoir qu'elle n'était « pas favorable à un système de primaire ». Le 11 juillet, une démarche inédite et ouverte à tous, « La Primaire populaire » a été lancée par une poignée de citoyens engagés. Il s’agit d’un parrainage en ligne visant à faire émerger une candidature commune à gauche. Sa particularité : les candidats ne choisissent pas de l'être.
A l’origine, le système des primaires n'est pas dans la tradition politique française. Le premier à en avoir introduit l'idée fut Charles Pasqua en 1989, pour départager Valéry Giscard d’Estaing et Jacques Chirac. Ce n’est que depuis 2012, que le procédé a été fréquemment utilisé, à droite comme à gauche, avec des résultats mitigés : en 2012, il déboucha sur la sélection de François Hollande comme candidat du PS et de ses alliés, puis sur sa victoire finale. En revanche, en 2016 et 2017, les deux vainqueurs des primaires, à droite comme à gauche, François Fillon et Benoît Hamon, ne sont pas parvenus au second tour des présidentielles. Et le vainqueur de 2017 fut le candidat issu d'un gouvernement socialiste mais ayant fait le choix de se soustraire aux primaires de gauche, Emmanuel Macron...
En août, la Fondation pour l'innovation politique a publié une étude des politologues Pascal Perrineau et Laurence Morel estimant que l'élection présidentielle de 2022 sera centrale pour l'avenir des primaires en France. Pour eux, « soit elles sont abandonnées avant d'être totalement entrées dans les mœurs, soit elles perdurent et un retour en arrière sera difficile. »
Selon un sondage Ifop pour le Journal du Dimanche publié le 29 août, une majorité de Français se déclare en faveur de l’organisation de primaire : 59 % des personnes interrogées plaident pour l'organisation d'une primaire à gauche, et 58 % à droite.

Kontildondit ?

Richard Werly :
Les primaires sont-elles une machine à perdre les élections en France ? A ce stade, j’ai tendance à penser que oui. En 2017, les deux candidats issus de primaires n’ont pas réussi à accéder au second tour, pour des raisons tout à fait différentes bien entendu, mais on a bien vu que pendant les primaires, ces candidats avaient plutôt divisés leurs camps respectifs. Si l’on regarde du côté des Etats-Unis, pays qui pratique les primaires de la façon la plus grandiloquente, on constate qu’elles sont faites pour permettre aux candidats désignés par les militants et par les cadres des partis de rallier toute la base du parti et d’élargir au-delà. Cet aspect fédérateur ne s’est clairement pas produit en 2017. On voit mal comment en 2022, les candidats qui sortiraient de primaires (dont on ne sait pas exactement comment elles seront organisées) réussiraient à fédérer au sein de leur famille politique et en dehors. Je vois deux raisons à cela.
Il y a d’abord une contradiction fondamentale entre l’organisation de primaires et la désaffection croissante de l’électorat français pour les partis politiques. Ces derniers perdent leurs militants à vitesse grand V, ils ne sont plus les machines électorales qu’ils étaient autrefois. La base partisane s’étiole, d’où l’organisation de primaires ouvertes. Cela complique encore la donne car cela met le militant encarté au même plan que le sympathisant, voire le simple curieux.
Ensuite, les hommes et femmes politiques français n’en ont pas envie. Certains en veulent pour des raisons purement tactiques, mais la mentalité des primaires n’est pas entrée dans les mœurs politiques française, la meilleure preuve étant qu’Emmanuel Macron s’en est affranchi en 2017 avec le succès que l’on sait, que Xavier Bertrand s’est dès le début constitué candidat contre les primaires, et qu’Anne Hidalgo semble aller sur cette même voie, tout comme Jean-Luc Mélenchon. Je ne vois pas dans ces conditions en quoi des primaires pourraient être des machines à gagner.

Michaela Wiegel :
Je commencerai par rappeler à quel point les primaires constituent une pratique récente dans l’histoire de la Vème République. J’ai tendance à croire qu’elles ne sont que l’expression de la crise politique des partis traditionnels. Je crois que les premiers à avoir organisé des primaires étaient Europe-écologie-les Verts, en 2001. Les écologistes français se demandaient pourquoi ils devaient subir le système des présidentielles, tandis que leurs homologues allemands étaient bien mieux représentés, on se souvient de Joschka Fischer, ministres des affaires étrangères. Dans le gouvernement Jospin au même moment, les Verts français ne donnaient pas l’impression de maîtriser l’agenda.
Les primaires étaient donc envisagées comme le moyen de régler un problème : celui de la pénurie d’ « homme providentiel ». C’est probablement Emmanuel Macron qui a le mieux senti cela : le système très personnalisé de la présidentielle française exige un homme ou une femme touché(e) par une « vocation ». Si vous vous en souvenez, le candidat Macron évoquait à l’époque Jeanne d’Arc et sa mission de réformer la France. Mais cela a quelque peu occulté une partie son succès, due à son programme. C’est là que me semblent être les réponses à la crise politique des partis. Il faut certes la bonne personne, mais il faut aussi un programme. Or j’ai l’impression qu’actuellement, c’est ce qui manque dans les formations traditionnelles, aussi bien à gauche qu’à droite.
Si je me tourne vers l’Allemagne à titre de comparaison, il faut souligner que le système électoral est beaucoup moins personnalisé là-bas, puisqu’on vote pour des listes et des candidats désignés par les partis. Aucun candidat n’est désigné par des primaires. Assez paradoxalement, c’est chez les Verts, parti épris de démocratie et de pluralité, que la désignation des candidats se faisait de la façon la plus autoritaire, puisque c’était aux co-présidents du parti de désigner leur candidat. Le SPD de son côté n’a pas non plus fait confiance à des primaires ouvertes, ce sont simplement les adhérents qui ont pu voter électroniquement. Quant à la CDU, il y a eu une lutte acharnée jusqu’à la dernière minute. Aujourd’hui on voit bien que les difficultés d’Armin Laschet ne viennent pas seulement d’un manque de charisme, mais aussi d’un manque de programme.
On le voit outre-Rhin : ce sont ceux qui ont le programme le plus cohérent qui sont pour le moment en tête des sondages.

Matthias Fekl :
En politique ce qui compte, ce sont les dynamiques. C’est quand on réussit à en enclencher qu’on a des chances de gagner. Derrière cette première évidence s’en cache une seconde : les primaires sont un outil et non une fin en soi. Elles peuvent être des déclencheurs de dynamiques extraordinaires, elles l’ont été pour la gauche en 2011 et 2012, mais aussi pour la droite en 2016-2017. Car si François Fillon a quitté la partie, c’est à cause d’affaires judiciaires, mais les primaires à droite avaient été un tremplin extraordinaire pour lui. Les circonstances de son échec ultérieur n’ont rien à voir avec les primaires. On ne peut pas dire de manière générique que les primaires sont bonnes ou mauvaises.
Ceci étant dit, pour ce qui est de 2022, je pense moi aussi que les primaires actuelles sont plutôt des machines à perdre. J’y vois plusieurs explications. Tout d’abord, et je rejoins Michaela sur ce point, les primaires ne peuvent pas masquer l’absence de travail sur le fond. Quand les partis politique ne travaillent plus sur des projets, sur une vision de la France qui soit adaptée au monde contemporain, toutes les primaires du monde ne suffiront pas à convaincre les citoyens de leur accorder leur confiance.
La politique, c’est toujours la conjugaison des idées et d’une incarnation. Dans sa note sur Machiavel, Merleau-Ponty dit qu’il faut avoir des idées mais que cela ne suffit pas ; tant qu'on n’a pas choisi ceux qui ont pour mission de les porter dans la lutte historique, on n’a rien fait. Une primaire réussie, ce devrait être cela. Non pas la rencontre entre une femme ou un homme et un pays, mais la recherche de la personne qui incarne le mieux un projet.
Ensuite, les divisions. Vous aurez beau juxtaposer des primaires, quand vous avez à la sortie quatre ou cinq candidats à gauche et à droite, on voit bien qu’elles ne sont plus un facteur d’unification. Certes, on peut se dire qu’un vainqueur de primaire dispose d’un petit avantage de légitimité, mais à quoi bon, si son électorat naturel est morcelé entre différents candidats ?
Enfin, l’affaiblissement inédit des partis politiques. Quand les primaires produisent les dynamiques recherchées, c’est qu’elles sont adossées à des partis forts, légitimes, qui disposent d’un cote de confiance dans la population, et qui se modernisent. C’était le cas pour le PS en 2011, dont les primaires étaient apparues comme très modernes. Aujourd’hui, la situation est bien différente, à cause du manque de travail mais sans doute aussi de l’usure du pouvoir. Certainement aussi parce qu’on a basculé dans une démocratie de l’immédiateté, de l’émotion, de la polémique permanente. Nous sommes également confrontés à une crise de confiance résultant des lourdeurs des prises de décision. Entre le moment où un décideur politique annonce quelque chose et celui où les Français voient le résultat, il se passe tant de temps que la crédibilité de la parole politique est fortement entamée.
Les primaires ne sont en soi ni une solution miracle ni une machine à perdre, elles ne sont qu’un outil, ne fonctionnant que lorsque l’unité et le travail de fond sont au rendez-vous.

Lucile Schmid :
Je commencerai par rebondir sur certains propos de Michaela, en rappelant d’abord que si les Verts furent les premiers à organiser une primaire en France en 2001, le candidat victorieux Alain Lipietz avait ensuite été démis, car jugé trop déraisonnable (à propos de ses positions en faveur de l’indépendantisme corse). C’est donc Noël Mamère qui fut candidat, après avoir été désigné (et n’étant donc absolument pas passé par une primaire) qui permit aux Verts de faire leur meilleur score, au moment même où Lionel Jospin était éliminé de la course présidentielle.
Cet exemple nous montre bien que les primaires sont un système qui ne correspond pas à la scène politique française. Il est très clairement importé des Etats-Unis, mais il est là-bas inscrit dans les institutions. De plus, aux USA, les différences idéologiques entre les deux grands partis sont bien moindres qu’elles ne le sont ici ; dans l’exercice du pouvoir c’est autre chose, mais pour ce qui est de l’idéologie, les Républicains ne sont pas foncièrement aux antipodes des Démocrates.
Quand on inscrit une primaire dans les institutions, les citoyens se sentent davantage tenus d’y participer. Ce n’est absolument pas le cas en France. Certes, les Français se déclarent favorables dans les sondages à ce que se tiennent des primaires. Quand il s’agit de s’y déplacer par la suite, c’est une autre histoire. Par exemple, il y a aujourd’hui chez les Verts moins de 20 000 inscrits à la primaire, et un premier débat se tient entre les candidats au moment même où nous parlons, sans que personne ne le sache. Par conséquent, il y a un vrai sujet sur le fait d’organiser des choses que tout le monde ignore, avec des candidats dont les déclarations donnent souvent le sentiment qu’ils sont contre la présidentielle. Ce n’est sans doute pas le meilleur moyen de construire la dynamique recherchée, celle que nous décrivait Matthias.
Ce qu’on appelle primaire dépend donc des modalités d’organisation, du calendrier, des candidats, et surtout ce n’est pas inscrit dans les institutions, cela reste en France une pratique considérée comme marginale, une procédure arrivée « par effraction ».
Aujourd’hui on appelle « primaires » des choses extrêmement différentes. A droite, on multiplie les étapes avant le vote, parce que le favori des sondages ne veut pas y participer, et prive au passage la primaire de toute légitimité. Quant à la primaire citoyenne, envers laquelle je suis plutôt bien disposée à cause de mes sympathies politiques, elle désigne des candidats qui n’ont pas envie de l’être ; sans parler de personnalités comme Arnaud Montebourg qui veut être candidat mais ne veut pas faire partie de la primaire. On a parfois le sentiment d’être dans un récit de Lewis Carroll. La multiplication des manières de qualifier la primaire donne le sentiment que les candidats sérieux le disputent aux candidats pas sérieux, et donc que notre choix est déjà fait, par défaut. C’est l’inverse de ce qu’il faudrait : dans une élection aussi fondamentale que la présidentielle, si les familles politiques se délégitimisent, que nous restera-t-il ? Le duel Macron-Le Pen.
D’une part la question des programmes est effectivement très négligée, je déplore personnellement que la primaire citoyenne veuille désigner des personnes et n’insiste pas sur les contenus. D’autre part, même si les partis politiques sont affaiblis, les candidats issus des primaires devront tout de même compter sur eux pour récolter les 500 signatures nécessaires, et d’autre part il y a la question de l’argent. On sait qu’en campagne électorale, on est en situation de dépendre des appareils. Quand on prétend se présenter à la présidentielle, c’est quelque chose à garder en tête.

Richard Werly :
Je suis en désaccord avec Michaela qui insistait sur l’importance des programmes. Encore une fois, si l’on regarde du côté des Etas-Unis où les primaires sont une tradition bien établie, on ne peut pas dire que ce soit sur les programmes que la différence se fait entre les candidats des deux grands partis. La personnalité joue énormément, on l’a vu avec Donald Trump. Je ne crois donc pas que l’on puisse dire que l’affirmation d’un programme précis soit la condition d’une primaire réussie.
On l’avait vu avec François Fillon, il ne me semble pas que ce soit à son programme qu’il ait dû sa victoire à la primaire de la droite, mais à la façon dont il a réussi à se démarquer d’Alain Juppé.
Il y a pour moi deux obstacles majeurs à la réussite des primaires en France aujourd’hui. Le premier est que les partis politiques sont incapables de dire quel traitement ils réserveront aux candidats de leur camp qui resteront en piste malgré les résultats des primaires. Si un candidat émerge de la primaire des Républicains, le parti excommuniera-t-il Xavier Bertrand ? Ils misent à mon avis sur le fait que la dynamique de la primaire obligera M. Bertrand à renoncer. C’est un pari risqué vu la conjoncture actuelle. On pourrait en dire autant vis-à-vis du PS et des candidats « hors primaire ».
Second obstacle : les candidats majeurs, comme Emmanuel Macron ou Marine Le Pen, qui par leur personnalité et leur position sont très destructeurs pour le système des primaires. Macron car il s’est imposé en voulant faire exploser le système des partis politiques, et Le Pen car elle incarne le candidat qui s’impose naturellement à son parti. Dès lors que les mieux placés dans les sondages sont les candidats qui démontrent que la primaire n’est pas un passage obligé de l’élection présidentielle, je ne vois pas comment ce dispositif pourrait s’imposer.

Michaela Wiegel :
Loin de moi l’idée que les primaires, c’est le programme et rien que le programme. Ce n’est pas ce que j’ai voulu dire quand j’évoquais le rôle de l’homme providentiel dans le système de la Vème République. Il me semble cependant qu’à l’approche de la présidentielle, le fait pour Emmanuel Macron d’être la figure incontestable de son camp ne suffit pas. Le président français n’a pas réussi à construire un parti digne de ce nom derrière lui (ce que plusieurs voix au sein de LREM appellent de leurs vœux).
Gagner une élection présidentielle nécessite une structure sur laquelle s’appuyer, des militants dans les régions, etc. Même si l’on n’oublie pas la très forte abstention, le résultat des dernières élections régionales me paraît très intéressant à ce propos : elles ont montré que le maillage territorial jouait un role déterminant. Les formations comme LREM, davantage organisées comme des fan-clubs, ont eu bien plus de mal.

Matthias Fekl :
Quand je n parle du programme, ce n’est effectivement pas le détail des mesures qui emporte l’adhésion. Mais les candidats victorieux incarnent une ligne. A l’époque, celle de François Fillon était centrée sur l’identité, la lutte contre l’islamisme politique, un programme économique très dur, etc. Il en va de même pour Trump : « America First », « haro sur la Chine », « priorité aux classes moyennes et ouvrières » sont des axes qui se sont avérés payants.
Il me semble que le candidat Macron de 2016-2017 avait réussi à créer une dynamique, sans les primaires mais ressemblant aux primaires, en créant une nouvelle formation et en montrant une mobilisation très forte de la base. Cela donnait une impression de large adhésion populaire, même si à mon avis le mouvement était déjà très centralisé. Il va désormais devoir trouver une autre dynamique, ailleurs ou autrement. Sans doute s’appuiera-t-il sur la présidence française de l’UE, et son volontarisme politique affiché, comme cette semaine à Marseille.

Lucile Schmid :
Il y a aussi deux facteurs très importants en politique : l’espace et le temps : où et quand se déroule tel ou tel débat. Par exemple, où et quand lancer une campagne électorale est crucial. C’est quelque chose qui n’arrive pas à s’inscrire dans la vie politique française d’aujourd’hui : les débats sont bien souvent virtuels, la question d’aller à la rencontre des citoyens est elle aussi très importante. Emmanuel Macron a essayé de faire plusieurs grands débats pendant son mandat, mais je pense qu’au fond il a échoué à rencontrer la société française.
Aujourd’hui, il s’agit d’inscrire et d’incarner le débat politique, dans les lieux, des temporalités, et des personnes. Cette campagne qui a commencé sans avoir commencé est de nature à créer une désaffection du corps électoral, et vider de son sens l’élection présidentielle, déjà questionnée depuis longtemps. En 2001 déjà, on évoquait une VIème République. Ne devrions pas réfléchir à une meilleure façon d’incarner le leadership en France ?

Déroute à Kaboul: vers une défense européenne ?

Introduction

Philippe Meyer :
  Le 2 septembre, les ministres de la Défense de l'UE ont évalué les premières conséquences du « fiasco » afghan et ils ont évoqué un nouveau format de projection. Il n'est pas ressorti de décision de leurs échanges à Kranj, en Slovénie, mais, selon les mots d'un diplomate européen, « la maturité collective s'accroît », en vue d'une autonomisation de l'Europe vis-à-vis de l'Otan et des Etats-Unis. Le président du Conseil européen Charles Michel avait observé : « l'Europe ne bouge que dans les crises. L'Afghanistan peut la réveiller. Le moment est venu d'être en mesure de la doter d'une force militaire capable de se battre si nécessaire. » Le chef de la diplomatie européenne Josep Borrell s’est exprimé dans le même sens, prédisant que « les prochaines crises seront en Irak et au Sahel ». Le concept d'une force dite de « première entrée » de plusieurs milliers de soldats, déjà avancé en mai dernier, a été de nouveau discuté, sans que soient évoqués ni chiffres précis, ni mode de décision d'engagement de ces troupes. Une des questions qui se posent est celle de l'unanimité. Compte tenu des traditions militaires et des sensibilités très différentes à travers le continent, l’on pourrait se diriger vers des coopérations renforcées ad hoc entre quelques Etats membres, en fonction des crises.
Thierry Breton, commissaire au Marché intérieur, également en charge de la Défense et de l'Espace, estime que « l'Europe de la défense doit rentrer dans l'âge adulte » pour faire basculer le continent de « l'Europe marché » vers « l'Europe puissance ». Il propose de définir une doctrine européenne de sécurité et de défense pour établir les motifs d'intervention, un cadre institutionnel renouvelé qui inclurait un Conseil de sécurité européen et une force européenne de projection, qui impliquerait « un centre de commandement européen intégré ».
Toutefois, les expériences passées ont montré que les meilleures idées ont du mal à se concrétiser. Les leaders européens avaient décidé, en 1999 à Helsinki, la création d'une force terrestre de 50 000 à 60 000 soldats qui n'a jamais vu le jour. Un système commun de groupements tactiques, composés chacun de 1 500 militaires, a été mis en place en 2007 pour répondre aux crises mais ils ne sont encore jamais intervenus car les gouvernements de l'UE n'ont pas pu se mettre d'accord sur la manière et le moment de les déployer. En 2018, les vingt-sept ont donné leur feu vert à une Initiative européenne d'intervention ainsi qu'à une implication croissante de l'Europe au Sahel et à la création d'un Fonds européen de défense doté de 8 milliards d'euros. Mais un certain nombre de pays, notamment en Europe orientale, craignent que l'édification d'une défense européenne ne se fasse au détriment de la relation avec le protecteur américain - et donc de leur sécurité.

Kontildondit ?

Lucile Schmid :
Dès la naissance de l’UE, personne ne croyait à une Europe de la Défense. Ainsi en 1954, l’Assemblée Nationale a refusé de ratifier le traité qui instaurait la Communauté Européenne de la Défense (CED). Hormis la question du réarmement allemand, les arguments de l’époque sont les mêmes qu’aujourd’hui : ne pas déléguer la puissance nationale, ne pas trop donner aux Etats-Unis, et par conséquent de ne pas organiser un modèle fédéral européen. A la suite de l’échec de la CED, le modèle choisi a été un modèle mixte, où le fédéralisme le dispute à l’intergouvernemental.
Mais aujourd’hui, le contexte a changé. Aux portes de l’Europe il y a des menaces, des conflits, des incertitudes. Il faut évoquer l’attitude de la Russie, avec ce qui s’est passé en Crimée ou en Ukraine. C’est aussi la question du Sahel, de la Libye, de la Syrie, ou de nos relations avec la Turquie. Mais l’Afghanistan change la donne : le fait que les diplomates évoquent désormais une maturité européenne à la suite de la crise afghane est essentiel. Les Etats-Unis ont franchi une étape dans la manière de traiter leurs alliés. On le sait, l’Allemagne et le Royaume-Uni, les plus fervents alliés des USA, ont été maltraités dans l’opération afghane. Les Européens ont ainsi découvert l’impossibilité de mener à bien des opérations humanitaires : les Américains ne laissaient pas entrer dans l’aéroport militaire les Afghans que les Européens voulaient évacuer.
Du coup, la prise de conscience est importante, surtout en Allemagne et au Royaume-Uni. En France, il semble qu’Emmanuel Macron ait eu raison trop tôt (il avait décrit l’OTAN « en état de mort cérébrale » en 2019), mais cela ne l’aidera pas nécessairement à former cette armée européenne, adossée à cette Europe-puissance qu’il appelle de ses vœux.
Josep Borrell a évoqué deux choses (dans le New York Times, d’ailleurs, choisir un journal américain n’était peut-être pas anodin). D’abord, l’organisation d’une armée européenne comprenant 50 000 à 60 000 personnes, mais surtout un bataillon de 5 000 à 6 000 hommes pouvant intervenir en urgence. C’est le nombre de soldats américains qui étaient présents pour sécuriser l’aéroport militaire de Kaboul, et c’est ce qu’il aurait fallu à l’UE pour évacuer ses ressortissants. Il ne s’agit pas d’une ambition démesurée, simplement d’un réalisme durement acquis après ce fiasco afghan.
Une Défense, ce n’est pas qu’une armée. C’est aussi une Histoire, une doctrine d’emploi de la force, la possibilité de perdre la vie sur des théâtres d’opération. Autant de considérations qui paraissent très éloignées de l’Union Européenne, qu’on imagine comme une tortueuse machine juridique et commerciale, aux tractations interminables.
L’Europe de la Défense est évidemment une première étape vers l’Europe-puissance pour la France. Et de fait, comment prétendre être une puissance dans le monde d’aujourd’hui si l’on n’est pas une puissance militaire ?

Richard Werly :
Evidemment, les Américains ont mis leurs alliés devant le fait accompli et sont comportés avec eux d’une manière plus que désagréable. Mais très franchement, il faut que les Européens arrêtent de nous expliquer qu’il s’agit d’une débâcle américaine. C’est une débâcle américaine et européenne. L’Europe aussi est allée en Afghanistan en 2001, dans le sillage des Américains, y est restée, jusqu’en 2012 pour le cas de la France, et y a combattu. Commençons donc par avoir l’élégance de reconnaître que le fiasco afghan est aussi européen. L’Europe y avait des missions de formation de l’armée, de la police, ce sont les Européens qui ont les premiers parlé de « nation building », un concept que les Américains étaient très réticents à utiliser. Prenons donc notre part de responsabilité et d’aveuglement dans cette capacité à changer l’Afghanistan. Le pays n’a pas changé, les talibans y ont pris le pouvoir, et s’ils l’ont fait, ce n’est pas seulement parce que les Américains se sont retirés, mais aussi parce que toute la structure politico-militaire leur était favorable.
A propos de la Défense européenne, vous avez évoqué Charles Michel en introduction, qui parle des structures européennes. Mais les structures existent déjà ! Depuis le traité de 2009, tous les instruments d’une Défense européenne autonome existent. Arrêtons donc de parler de structures, de la nécessité de créer des conseils ou je ne sais quels bataillons : nous avons déjà les outils. Trois problèmes se posent cependant aux Européens, et ils me paraissent insolubles.
D’abord, le problème de puissance, c’est à dire la force qu’on est à même de déployer sur des théâtres d’opération, possiblement lointains. Là dessus, les Européens ont un gros problème logistique. On le voit par exemple avec la France dans le cas de l’opération au Sahel. Si les Américains retirent leurs soutien logistique, leur capacité de renseignement et de surveillance, leurs drones, l’opération française est quasiment paralysée.
Ensuite, une difficulté liée au Brexit. On est tenté de se dire : « les Britanniques ayant quitté l’Europe, nous avons enfin la possibilité de nous détacher de l’OTAN ». Certes, mais ce départ des Britanniques ampute l’Europe de sa deuxième armée en termes de moyens. L’armée britannique est en mauvais état, elle est sortie lessivée des opérations en Irak et en Afghanistan, les Américains ont d’ailleurs cessé de s’appuyer sur elle. Mais qui dit difficultés pour l’armée britannique dit également difficultés pour l’Europe.
Enfin, il y a un syndrome à résoudre, que j’appellerai « téléphone-bouton-action ». En cas de crise, on téléphone à qui ? On se souvient de l’expression américaine « quand j’appelle l’Europe, je ne sais jamais qui va décrocher », elle s’applique ici aussi. On peut critiquer l’OTAN à juste titre, n’empêche que l’OTAN, ça fonctionne. L’alliance a plus de 50 ans d’existence, on sait comment ça marche et qui appeler. Comment et par quoi la remplacer ? Vient ensuite la question du bouton. Une fois qu’in a répondu au téléphone, qui appuie sur le bouton ? Qui décide d’envoyer telle force à tel endroit ? Là non plus, je ne vois pas de réponse. Et enfin l’action, c’est à dire la question des moyens, ce qui se passe une fois qu’on a appuyé sur le bouton : quel bataillon envoie-t-on ? Par qui est-il soutenu, quel réseau logistique, etc. ?
La Défense européenne n’est pas une question de structures (elles existent déjà) mais de volonté politique et de capacité pour les alliés à se mettre autour d’une table et à se mettre d’accord : comment ça se passe en temps de crise ? Qui décide ? Qui suit-on ?

Michaela Wiegel :
J’aimerais , une fois n’est pas coutume, prendre la défense des Américains. L’opération en Afghanistan a été déclenchée après les attentats du 11 septembre 2001, en faisant appel pour la première fois à l’article 5 du traité transatlantique sur la défense collective. Si les Européens sont intervenus, c’est aussi par solidarité à l’égard des Etats-Unis, il ne faut pas l’oublier. Toute la problématique du nation building est venue bien plus tard. A l’époque , les débats étaient vifs, à propos du out of area, c’est à dire du « hors-champ », hors du domaine de compétence de l’OTAN. Aujourd’hui, on peut dire que out of area is out of business, c’est à dire que les opérations lointaines sont des échecs.
Si je souhaite défendre les Américains, c’est parce qu’il y a eu une paresse énorme des alliés européens pendant toute la période où le retrait d’Afghanistan était déjà annoncé. Des mois pendant lesquels les conseils de l’OTAN se réunissaient, auxquels participaient les Européens, et où rien n’a été fait. Tout le monde savait, et a pourtant pris un air très surpris en constatant que les Américains ont fait ce qu’ils avaient dit qu’ils allaient faire.
En Allemagne, la déception est grande aujourd’hui. Armin Laschet, le candidat de la CDU, a déclaré que l’Europe devrait être capable de sécuriser un aéroport comme celui de Kaboul (sans pour autant dire comment). Le parti de gauche et les Verts de leur côté ont déclaré que cet échec montrait l’inefficacité totale de toute opération militaire, et que répondre à la menace terroriste ne passait pas par un renforcement des moyens de la Défense.
Ce qui importe aujourd’hui, ce n’est à mon avis pas le débat sur une éventuelle armée européenne ; il s’agit plutôt d’admettre que les Etats-Unis ont cessé de jouer le rôle de gendarme du monde, et que les Européens, face aux crises de leur voisinage (par exemple au Sahel) doivent se poser la question de leur stratégie. On assiste sur ces terrains aux mêmes phénomènes qu’en Afghanistan : structures politiques peu fiables, corruption endémique, putschs à répétition … On voit mal où va nous mener l’opération militaire. Je ne vois aujourd’hui aucun débat digne de ce nom en Allemagne à propos de la question : que veut-on faire stratégiquement au plan européen ?
Ce qui manque le plus, c’est à mon avis une volonté politique, aussi bien de la France que de l‘Allemagne, ou que des 25 autres. Il nous faut mettre sur la table le véritable débat stratégique. À commencer par se demander quel pays a le droit pour ses ressortissants au statut de réfugié. En mai dernier, alors que la France rapatriait le personnel aidant de l’ambassade de Kaboul, l’Allemagne de son côté expulsait encore des Afghans … Avant même de songer à envoyer une force militaire, nous devrions nous mettre d’accord sur ces questions politiques.

Matthias Fekl :
La situation en Afghanistan place incontestablement les Européens face à leurs responsabilités. Peut-être marquera-t-elle la fin du néo-conservatisme américain. C’est en tous cas la fin de l’interventionnisme tous azimuts, et la fin du rôle de gendarme mondial pour les USA, pour un temps au moins. Les Etats-Unis se recentrent clairement sur l’unique défense de leurs intérêts vitaux. C’est un pays qui, contrairement à l’UE, a la capacité, tant en termes d’action que d’analyse, de définir ses intérêts et de dérouler des agendas très offensifs pour les défendre.
Le premier défi pour l’Europe est celui de l’accueil des réfugiés. A ce propos, on ne rappellera jamais assez que l’asile est un droit, pas une chance. Le digne accueil des Afghans persécutés est à mon avis une question fondamentale pour l’UE. Il y a une tentation de plus en plus forte au repli, en France et dans toute l’Europe. L’afflux de réfugiés de 2015 a laissé des traces très fortes. Pourtant, du point de vue des chiffres, il est tout à fait possible de les intégrer dignement, de les « absorber » (même si l’expression est affreuse) dans l’UE dès lors qu’il y a eu une action concertée en ce sens.
Il y a ensuite les sujets de Défense. Et il est vrai que depuis l’échec de la CED il y a presque 70 ans, c’est devenu une espèce se serpent de mer. A chaque crise, on entend qu’il faut une Europe de la Défense, et pourtant rien n’avance. A Helsinki en 2009, on voulait mettre en place une force de 50 000 à 60 000 hommes, il existe aujourd’hui des groupements tactiques de 1 500 hommes, sur une base tournante entre les pays, mais elle n’a jamais été mobilisée nulle part. Des outils existent, comme le fonds européen de Défense, doté de 8 milliards d’euros, mais plusieurs écueils doivent être surmontés.
Il y a d’abord un différentiel de vision, d’Histoire, d’approche, de culture politique entre les Etats européens. C’est vrai entre la France et l’Allemagne, mais aussi entre les pays de l’Est et ceux de l’Ouest. Les questions militaires sont envisagées de façon parfois diamétralement opposées. Quand vous regardez le débat public allemand, les réticences sont très fortes à envoyer des troupes, bien plus que cela ne l’est ici. Il y a des différences d’intérêts stratégiques: tous les pays de l’Est sont ainsi très attachés à l’OTAN et à la protection américaine. Avant de remplacer l’alliance atlantique par un ensemble européen crédible, de l’eau va encore couler sous les ponts … Le voisin russe fait très peur, et il suffit de regarder la situation en Ukraine ou en Biélorussie pour comprendre que les inquiétudes des membres orientaux de l’UE sont justifiées. Il y a également des questions de financement. La moyenne européenne des budgets militaires s’élève à 1,2% de la richesse nationale. C’est presque trois fois plus aux Etats-Unis (3,4%). En France, nous sommes entre les deux, à environ 2%.
Il y a enfin la question des formats, et des processus de prises de décision. Personnellement je crois beaucoup plus à des solutions pragmatiques au cas par cas, avec des coopérations renforcées ne mobilisant pas toujours les mêmes pays, qu’à un « grand soir » de l’armée européenne, mobilisant les 27 membres de l’Union aux quatre coins du monde. Aujourd’hui, personne n’a envie de mourir pour l’Union Européenne. En revanche, certains sont prêts à donner leur vie pour la défense de certaines valeurs. L’avenir, comme souvent en Europe, ce sont sans doute des petits pas. Il est pourtant possible de répondre à des questions concrètes, en renforçant les budgets, et en renonçant à l’unanimité pour les décisions de crise.

Les brèves

Poussière dans le vent

Matthias Fekl

"Je conseille le dernier roman de l’écrivain cubain Leonardo Padura, qui a déjà signé L’homme qui aimait les chiens, ainsi qu’un cycle de romans policiers qui permettent de comprendre le Cuba d’aujourd’hui. C’est un auteur extraordinaire, c’est également un homme très désabusé sur la situation de son pays, où il vit toujours, dans les quartiers populaires de La Havane. Dans ce roman, on touche un aspect qu’il n’avait pas encore exploité dans son oeuvre : les rapports entre les Cubains de Cuba et les Cubains exilés, en particulier à Miami. Comme toujours, on trouve une galerie de personnages aussi humains que finement décrits, ainsi que beaucoup de désillusions, d’humanité et de générosité."

13 novembre

Michaela Wiegel

"Alors que s’ouvre le procès des attentats du 13 novembre 2015, je voulais vous recommander un livre intitulé 13 novembre, résultat d’un programme à mon avis unique dans l’histoire mémorielle, à l’initiative (entre autres) du CNRS, qui regroupe un millier de témoignages étalés dans le temps. L’ouvrage est l’un des premiers résultats de ce travail sans précédent. Par rapport à la multitude de récits déjà existants, très prenants, ce travail offre un certain recul, avec un déroulé très précis. Le livre est très complet, et les bénéfices de la vente financent intégralement ce programme de recherche sur la mémoire."

Lake success

Lucile Schmid

"Je vous recommande ce roman de Gary Shteingart. L’auteur est américain, mais né en URSS en 1972, et arrivé aux USA à l’âge de sept ans. L’histoire se déroule pendant l’été 2016, juste avant l’élection de Donald Trump. Le héros est un multimillionnaire qui, à la suite d’une dispute conjugale, décide sur un coup de tête, en pleine nuit, de prendre un bus en direction du Nouveau-Mexique. Il va ainsi rencontrer l’Amérique qui va voter Trump, ce qui ne serait jamais produit sans ce voyage imprévu.Pendant ce temps, sa merveilleuse épouse new-yorkaise entame une liaison avec un écrivain qui pourrait bien être un double de l’auteur. Passionnant, et plein d’humour."

Mohican

Richard Werly

"Ce roman d’Eric Fottorino, qui vient de paraître, nous raconte l’histoire del a fracture génération elle de paysans dans le Jura, à propos des éoliennes. Outre son talent de conteur, Eric Fottorino a bien compris à quel point il existe aujourd’hui un lobby industriel de l’éolienne, qui remplace en quelque sorte celui qui a équipé les paysans de tracteurs énormes, de moissonneuses-batteuses toujours plus grandes, etc. Une génération de paysans qui a hier surinvesti dans la mécanique et la chimie se tourne aujourd’hui vers l’éolienne, perçue aujourd’hui comme un nouveau moyen de valoriser industriellement les terres agricoles, tandis que la génération nouvelle, sensible aux thèses écologistes et à l’agriculture biologique, y est réticente. C’est subtil, car on sait que les éoliennes sont une grande revendication écologiste, mais Fottorino nous montre que ce n’est pas forcément le cas pour les entreprises qu’il y a derrière. "

Miarka

Philippe Meyer

"C’est le portrait d’une jeune femme, à vrai dire encore une adolescente : elle a 19 ans quand elle entre dans la Résistance où elle est chargée de l’acheminement des faux papiers. Elle court de grands risques pendant deux ans, avant d’être arrêtée, torturée et envoyée à Ravensbrück puis à Mauthausen pendant que sa mère, son père, son frère Jean et ses sœurs Madeleine et Simone sont déportés dans le cadre de la solution finale. Denise Jacob – Miarka dans la Résistance- est la sœur de Simone Jacob, plus tard Simone Veil. Leur père, leur frère, leur mère mourront dans les camps. Miarka est le portrait d'une femme de beaucoup d’éclat physique et moral, issue d’une famille impressionnante par son attachement au savoir, aux livres, à la littérature, à la conversation, aux échanges, à l’impératif moral, à la recherche de la beauté et à la France. L’admiration qu’Antoine de Meaux voue à Miarka n’est pas béate, elle est tonifiante et contagieuse. Mais son livre est aussi un livre remarquable -et, quelquefois, terrible - par la clarté, la précision et la retenue qui en sont la marque. Pour moi qui ai signé avec Frédéric Rossif « De Nuremberg à Nuremberg », un documentaire sur le nazisme, la difficulté dans laquelle se sont trouvées les déportées parce que résistantes et les déportées parce que juives à partager leur destin n'a jamais été aussi claire, ni aussi prenante. La réflexion sur la transmission qui termine ce livre me touche au plus haut point."