Le chamboule-tout français / Le mouvement GenZ au Maroc et dans le monde / n°424 / 12 octobre 2025

LE CHAMBOULE-TOUT FRANÇAIS

Introduction

ISSN 2608-984X

Philippe Meyer :
Quatre gouvernements en treize mois, un président affaibli, une Assemblée fragmentée : la France semble prise dans un tourbillon sans fin. La présentation, dimanche soir, par Sébastien Lecornu d'une équipe « resserrée » de 18 membres, dans laquelle les traces de la rupture annoncée n’étaient pas très apparentes a été vivement critiquée à droite comme à gauche. Lundi, en quelques heures, les Français ont assisté à la démission d’un Premier ministre, Sébastien Lecornu, nommé vingt-sept jours plus tôt, puis, en fin d’après-midi, à la désignation par le président de la République du même Sébastien Lecornu pour une mission de quarante-huit heures ayant pour but de « définir une plateforme d’action et de stabilité », soit précisément ce que Le Premier ministre démissionnaire n’avait pas réussi à faire. M. Lecornu a accepté tout en faisant savoir qu’il ne redeviendrait pas chef du gouvernement, même dans le cas, très hypothétique, d’une réussite des discussions.
Estimant qu’il existe « une majorité absolue » de députés opposés à la dissolution, Sébastien Lecornu a affirmé mercredi sur France 2 que les conditions étaient réunies pour que le président nomme un nouveau premier ministre « dans les 48 heures ». La première option pour le président de la République est donc de nommer un nouveau Premier ministre. En cas d'échec, un deuxième scénario serait une nouvelle dissolution de l'Assemblée nationale et un retour aux urnes. Le troisième scénario est celui d'une démission du président de la République. Une demande exprimée par l’extrême-droite, LFI, mais aussi, après l’adoption d’un budget par l’ancien Premier ministre Edouard Philippe.
La situation est inédite, puisque les passations de pouvoir n'ont pas eu lieu entre les deux gouvernements démissionnaires. Dans ces cas-là, le décret publié au Journal officiel fait foi. Il a été publié dimanche soir, les ministres démissionnaires sont donc bien ceux qui ont été nommés le 5 octobre. Cette équipe devra gérer les « affaires courantes ». Aucun texte n'indique ce que peut faire, ou pas, un gouvernement démissionnaire, mais ses prérogatives sont limitées. Il s'agit de faire face aux urgences, d'assurer le fonctionnement minimal de l'État ainsi que sa continuité. Ce gouvernement peut mettre en application des lois déjà votées mais pas déposer de nouveaux projets de loi. Généralement, le Conseil des ministres ne se réunit pas en période démissionnaire.
Si l’incertitude politique ne se traduit pas, à ce stade, par une crise économique aiguë, elle a toutefois déjà provoqué deux cassures dont les effets se feront sentir sur le long terme : le déclassement de la France sur les marchés, et la panne des investissements.

LE MOUVEMENT GENZ AU MAROC ET DANS LE MONDE (MADAGASCAR, NÉPAL …)

Introduction

Philippe Meyer :
Le Maroc est le théâtre depuis le 27 septembre de rassemblements quotidiens de jeunes protestataires − parfois mineurs − réclamant de meilleurs services d’éducation et de santé. Début octobre, des débordements violents à proximité d’Agadir ont causé la mort de trois manifestants. Face à une fièvre contestataire comme le Maroc n’en avait pas connu depuis la révolte du Rif en 2016-2017, le gouvernement semble pris de court. Parmi les jeunes urbains de 15-24 ans, la moitié est sans emploi et un quart a déserté l’école. Des marches spontanées avaient déjà eu lieu, début juillet, dans le Haut-Atlas pour l’accès à l’eau, poussant le roi Mohammed VI à manifester son refus d’un « Maroc à deux vitesses », lors de son discours du trône le 29 juillet.
Le mouvement actuel est spontané, sans tête d'affiche et assez flou sur le plan des revendications. Il n’a pas de plateforme ni de programme politique, mais défend des grands thèmes sociaux. Né d’une indignation générale face à la mort de huit femmes à la mi-septembre dans un hôpital d’Agadir après des accouchements par césarienne, il s’est structuré une dizaine de jours plus tard sur le réseau social Discord sous la bannière d’un collectif GenZ 212. Une déclinaison locale (212 est l’indicatif téléphonique du Maroc) d’une génération Z − née entre 1997 et 2012 − qui a déjà fait vaciller le pouvoir au Sri Lanka, au Bangladesh et au Népal, et enfiévré plus récemment Madagascar. Connexion numérique, aspiration à la dignité et rejet de la vieille politique : la jeunesse marocaine se met au diapason d’un soulèvement transnational. Les jeunes Marocains se gardent toutefois bien de franchir une ligne rouge : la sacralité de l’institution royale. Si nombre d’entre eux réclament la démission du chef de gouvernement Aziz Akhannouch, un homme d’affaires richissime, symbole d’une oligarchie conquérante, nul n’appelle à la fin de la monarchie, malgré l’acuité des doléances sociales.
Déjà électrique, le climat social n’a cessé de se tendre, à mesure que les prestigieux projets lancés dans la perspective de la Coupe d’Afrique des nations de football, qui s’ouvre fin décembre, et de la Coupe du monde de 2030 − que le Maroc coorganisera avec l’Espagne et le Portugal −détournaient les financements des priorités sanitaires et éducatives. Le régime espérait désamorcer le ressentiment populaire dans le patriotisme sportif : il s’est trompé. « Des écoles et des hôpitaux, plutôt que des stades ! », clame en substance la jeunesse soulevée. La GenZ 212 braque une lumière crue sur l’envers de la vitrine scintillante d’un Maroc « émergent ». Le coup est rude pour l’image que le royaume aime à projeter de lui-même à l’étranger. Le roi Mohammed VI doit faire un discours d’ouverture de la session parlementaire, ce vendredi.

Les brèves

Les Rencontres François Rabelais

Philippe Meyer

"La 21ème édition des Rencontres François Rabelais se déroulera du 4 au 6 novembre 2025 à Tours. Elle s’intéressera aux aux éléments alimentaires et culinaires inscrits au patrimoine de l’humanité. La première journée de ces Rencontres sera entièrement consacrée à une réflexion sur l'élection d'un chef cuisinier à l'Académie des beaux-arts, en l’occurrence celle de Guy Savoy, qui a joué un grand rôle pour l’inscription du Repas gastronomique des Français sur la liste représentative du patrimoine culturel immatériel de l’humanité et qui présidera ces Rencontres 2025. On y entendra Coline Serreau, Régis Marcon, Jean-Robert Pitte, Marc Haeberlin, Pierre Hermé, Pascal Ory, Laurent Petitgirard, Jean-Michel Wilmotte … Les Rencontres François Rabelais reposent sur un principe original dont elles tirent leur spécificité : le dialogue entre deux mondes qui pensent et pratiquent la cuisine, celui des observateurs et producteurs de discours gastronomiques d’une part ; celui des acteurs de l’alimentation d’autre part. L’éducation au goût, le végétalisme, le genre, l’Europe, la santé, le tourisme, ce sont quelques-uns des sujets importants abordés durant ces 20 éditions. L’IEHCA a également piloté le dossier scientifique de « la baguette de pain » inscrite par l’Unesco sur la liste représentative du patrimoine culturel immatériel de l’humanité."

Le Prénom : esquisse pour une auto-histoire de l’immigration algérienne

Marc-Olivier Padis

"J’ai été très touché par ce livre, écrit par un économiste qui n’est pas le plus médiatisé, mais dont le parcours et la réflexion m’ont profondément intéressé. El Mouhoub Mouhoud, aujourd’hui président de l’université Paris Sciences et Lettres après avoir dirigé Paris-Dauphine, a d’abord travaillé sur l’économie internationale et les relocalisations industrielles, avant de se livrer ici à un exercice très personnel : relire son parcours à travers l’histoire de sa famille et de son prénom. Ce témoignage d’un enfant de l’immigration algérienne, dont l’intégration et la réussite sont exemplaires, vient contredire les discours de panique morale sur des populations prétendument inassimilables. Il montre surtout qu’on ne comprend pas un itinéraire individuel sans le replacer dans une lignée, un contexte social, une mémoire collective. Ce livre, ancré dans la Kabylie de ses origines, fait entendre cette « réussite silencieuse » de l’intégration et éclaire, avec pudeur et intelligence, la manière dont les histoires migratoires enrichissent la nôtre."

Le cœur pensant : réflexions sur un chaos annoncé

Béatrice Giblin

"J’ai envie de recommander ce petit livre, écrit par l’un des grands auteurs israéliens, David Grossman, dont on connaît depuis longtemps l’engagement pour la paix et pour la coexistence de deux États. Ce recueil réunit des textes publiés avant et après le 7 octobre 2023, et il est saisissant de voir combien, avant même la tragédie, Grossman avait pressenti la catastrophe. Il y décrit lucidement comment la logique politique suivie par le gouvernement Netanyahou menait droit au désastre, en minant les valeurs mêmes sur lesquelles repose l’État d’Israël. C’est aussi une méditation douloureuse sur ce que signifie vivre toute sa vie dans un pays sans paix, sous la conduite de dirigeants qui semblent entretenir le malheur. C’est un petit livre par la taille, mais un grand texte par la force de sa plume et la clarté de sa conscience morale."

Soulages, une autre lumière

Nicole Gnesotto

"Pour une fois, je vais parler peinture. Je vous recommande d’aller voir cette exposition consacrée à Pierre Soulages au musée du Luxembourg. Pour dire la vérité, je n’avais jamais vu un seul Soulages de ma vie, et j’ai été absolument éblouie. Ce sont uniquement des œuvres sur papier — cent trente au total — dont la plupart datent de l’immédiat après-guerre, en 1946, avec quelques reprises dans les années 2000. Elles sont réalisées au brou de noix, cette matière brune, presque noire, que j’ai découverte à cette occasion. L’accrochage est parfait, d’une beauté saisissante. Il y a bien quelques vidéos où l’artiste parle de sa démarche, mais, honnêtement, elles n’apportent pas grand-chose : Soulages ne cherche pas à expliquer, il laisse la couleur, la matière, la lumière parler pour lui. Et c’est cela qui est extraordinaire : cette œuvre qui s’impose d’elle-même, qui vous saisit, sans discours. C’est jusqu’au 11 janvier, et c’est splendide."

La maison vide

François Bujon de L’Estang

"J’ai eu la bonne surprise de découvrir cet excellent roman français, de Laurent Mauvignier, au milieu des centaines de titres de la rentrée littéraire. C’est un grand roman, dans tous les sens du terme — 750 pages — mais qu’on lit avec un plaisir constant, tant l’écriture est maîtrisée et fluide. Mauvignier y raconte la vie d’une famille française sur quatre générations à travers ses personnages féminins : l’arrière-grand-mère, la grand-mère et la mère. Ce tissage de voix compose une fresque intime et sensible, servie par une langue singulière, à mi-chemin entre le parlé et le monologue intérieur, qui évoque parfois Claude Simon tout en restant très lisible. On se laisse emporter, engloutir même, par ce récit ample et profondément humain."