Censure, rue, grève : dans quelle crise sommes-nous ? / n°420 / 14 septembre 2025

CENSURE, RUE, GRÈVE : DANS QUELLE CRISE SOMMES-NOUS ?

Introduction

ISSN 2608-984X

Philippe Meyer :
Lundi, le premier ministre François Bayrou n’a pas obtenu la confiance des députés n’obtenant que 194 voix contre 364. Après sa démission le président de la République a nommé Premier ministre Sébastien Lecornu. Depuis sa réélection en 2022, Emmanuel Macron a désigné cinq Premier ministres. Elisabeth Borne, Gabriel Attal, puis Michel Barnier, dont le gouvernement n'a duré que trois mois, le plus court jamais enregistré sous ce régime et le premier de la Vème République à être censuré par l’Assemblée nationale. François Bayrou, censuré à son tour par l’Assemblée, n’aura duré que neuf mois. Cette crise politique s’accompagne d’une crise économique et budgétaire profonde à laquelle s’ajoute une crise sociale, avec des appels au blocage du pays le 10 septembre et à la grève le 18. Jérôme Fourquet, directeur du département opinion de l’Ifop, observe que « la division des forces politiques au point qu’une majorité semble introuvable est le reflet de l’archipellisation de la France ». Des divisions sociologiques, politiques et idéologiques qui fracturent le pays bien au-delà de l’ancien clivage droite-gauche.
Dans la rue, si la France ne s’est retrouvée ni bloquée ni à l’arrêt mercredi, de nombreuses actions ont eu lieu toute la journée partout dans le pays, avec des rassemblements d’ampleur dans certaines villes – entre 197.000 et 250.000 - personnes recensées – et une très forte présence des forces de l’ordre. Né en mai à l'initiative d'un site souverainiste, proche de la droite et de l'extrême droite, "Bloquons tout" a été repris et développé par des sympathisants de la gauche radicale. Le conflit des « Gilets jaunes » comme le rendez-vous de mercredi s'inscrivent dans la continuité d'une série de mobilisations citoyennes 2.0, qui se sont succédées depuis le référendum sur le traité constitutionnel européen de 2005. Les deux mouvements partagent la même forme d'auto-organisation horizontale en réseaux que celle des Gilets jaunes et une absence de leader. Toutefois, une récente enquête menée sous l’égide de la Fondation Jean Jaurès, souligne que le profil des animateurs de Bloquons tout est assez différent de celui des Gilets jaunes. Il s’agirait de citoyens plus jeunes, plus actifs, plus politisés et plus proches de la gauche radicale. Appartenant aux classes moyennes, ils sont souvent diplômés du supérieur. Seulement 27% d’entre eux prirent d’ailleurs part à la révolte des ronds-points de 2018. La plupart des organisations de salariés se sont placés à distance de l’initiative. Seuls, Solidaires et la CGT ont soutenu la démarche du 10 septembre. Le 18 septembre sera une journée d’action à l’appel de l’intersyndicale qui avait mené le combat contre la réforme des retraites et dénoncé  la copie budgétaire de François Bayrou.

Les brèves

Assassinat de Charlie Kirk

Philippe Meyer

"L’assassinat de Charlie Kirk m’a conduit à lire et visionner ce qui était disponible sur cet influenceur américain, notamment les vidéos de différentes manifestations dont il était l’animateur. D’abord, on voit qu’il était davantage un MAGA qu’un trumpiste, du moins qu’il avait commencé à prendre ses distances avec Donald Trump à cause de l’affaire Epstein. Ensuite on s’aperçoit à quel point cette affaire illustre parfaitement la thèse du livre de Mathieu Gallard Les États-Unis au bord de la guerre civile ?, qui était sous-titré « pourquoi les Américains se détestent ». Le livre est une analyse de la polarisation de la vie politique aux USA, commencée après la guerre (qui avait soudé la nation), et qui n’a cessé de croître depuis. D’après Mathieu Gallard, jusque dans les années 1990, il existait encore un sentiment d’appartenance à une collectivité nationale. On pouvait encore s’entendre sur certains grands enjeux structurants. Ce n’est plus vraiment le cas aujourd’hui, où l’on observe une polarisation affective : non seulement on est en désaccord idéologique profond avec les électeurs du parti adverse, mais ne plus, on ne les aime pas : on les juge malhonnêtes, malveillants. réer, ce ne sont plus seulement des adversaires, mais bien des ennemis. "

La peau dure

Marc-Olivier Padis

"Dans la rentrée littéraire, énormément de livres parlent de relations familiales et j'ai choisi de lire celui que Vanessa Schneider consacre à son père Michel Schneider, haut fonctionnaire, essayiste, psychanalyste et musicien. Il avait été directeur de la musique au ministère de la Culture et avait écrit un essai, une critique radicale de la période Jack Lang, très polémique, mais très vigoureux, très documenté, et assez courageux. Mais aussi un livre sur Glenn Gould, vraiment magnifique, un chef d'œuvre d'initiation, en tout cas pour quelqu'un comme moi qui connaît mal la musique classique. Vanessa Schneider choisit un angle un peu générationnel en comparant sa génération à celle de son père, cette génération d'après-guerre qui a fait mai 68, qui s'est fourvoyée dans le gauchisme (le maoïsme dans le cas de son père) et qui s'est rattrapée après le tournant de 1981. Et comme le dit Michel Schneider à sa fille « nous sommes la première génération à avoir tué à la fois le père et le fils ». C'est cette citation qui fournit le fil rouge de cette remémoration filiale et familiale."

Hommage à Rick Davies

Richard Werly

"Pour ma part, à l’occasion e la disparition de Rick Davies, ce sera un hommage à notre jeunesse, l'hommage à Supertramp ; une musique, un style musical, mais aussi un certain sens de la fête … Mais c'était aussi une image des Etats-Unis. Des Etats-Unis qui faisaient rêver, vous vous rappelez la pochette de l’album Breakfast in America. Je me demande aujourd'hui qui a encore envie de prendre son petit déjeuner en Amérique ou d'avoir un petit déjeuner américain. On a écouté beaucoup Supertramp ces jours-ci et ça faisait du bien dans ce marasme français et dans cette inquiétude américaine."

Un simple accident

Nicole Gnesotto

"Durant mes pérégrinations estivales, j'ai eu la chance d'assister en avant-première à la projection du film qui a eu la palme d'or cette année, réalisé par Jafar Panahi, cinéaste iranien. Il sortira le 1er octobre, et c’est un film absolument exceptionnel pour deux raisons. D’abord son style, c'est très rare d'avoir du cinéma qui innove. Or ce film se déroule à la fois comme une tragédie filmée à l'intérieur d'une camionnette, mais c’est aussi un film fellinien avec des scènes d'un burlesque extraordinaire. C'est un mélange virtuose de styles cinématographiques. Ensuite, il y a bien sûr sur le contenu, parce qu'on a vu beaucoup de films sur l'atrocité du régime iranien, c'est la première fois que je vois la corruption comme un sujet central. Par exemple tous les policiers ont un terminal de carte bleue dans la poche, ce qui facilite la vie de tout le monde … C'est un film d'une complexité et d'une facture tout à fait intéressante ; il vous marque longtemps."

Jusqu'au bout de la nuit : les vies de Jacques Benoist-Méchin : 1901-1983

Matthias Fekl

"Et pour l'histoire je recommande la lecture de la remarquable biographie d'Éric Roussel consacrée à Jacques Benoist-Méchin. Grand intellectuel des années 1920 et 1930, fasciné par le fascisme et par l'Allemagne nazie, il s’agit d’une réflexion sur comment on peut être brillant, cultivé et pourtant se fourvoyer totalement. Le livre traite aussi de la fascination pour la force, malgré l'abjection de ces régimes, on comprend qu'il y a un gros problème, au moment où, écrit Éric Roussel, Laval considère que Benoist-Méchin est trop proche de l'Allemagne … Et puis par contraste, cela montre aussi que malgré toutes ces imperfections, dans les périodes troubles l'attachement à la démocratie doit demeurer indéfectible."