LA FRANCE ET LE CONTRÔLE DE SES FINANCES PUBLIQUES
Introduction
ISSN 2608-984X
Philippe Meyer :
Après une séquence de dérive des comptes publics « préoccupante », la Cour des comptes dans son rapport publié mi-février, chiffrait à 110 milliards d'euros l'effort à fournir pour ramener le déficit public à 3%. Les causes de ce déficit sont connues : des recettes fiscales inférieures de 40 milliards aux prévisions de la loi de finances et des dépenses plus élevées de 13 milliards, notamment du côté des collectivités locales. Selon le rapport de la Cour, la situation est due à des choix politiques. Tout d'abord, les experts reprochent au gouvernement des « hypothèses de croissance optimistes qu'il a fallu plusieurs fois réviser à la baisse ». Par ailleurs, ce dérapage est à mettre sur le compte de la mise en place, jusqu'en 2023, de baisses d'impôts « non financées » et de « l'absence d'économies structurelles sur le cœur de la dépense publique ». Ces facteurs combinés se sont traduits, selon le gendarme des comptes, par une « perte de contrôle de la dépense publique ». Face à ce constat, le premier président de la Cour des comptes Pierre Moscovici menace : « nous pourrions ne pas certifier les comptes 2025. »
Fin mars, l’Insee a annoncé que l’écart entre les recettes et les dépenses publiques a atteint 5,8% du PIB en 2024. Il s’agit du déficit public le plus massif depuis la guerre en valeur absolue, à l’exception de celui de l’année 2020, au pic de la pandémie de Covid-19. En atteignant 3.305 milliards d’euros, l’endettement public est monté à 113% du PIB fin 2024, a annoncé l’Insee. La dette publique française avait passé le cap des 100 milliards d’euros en 1981, celui des 1.000 milliards en 2003, puis celui des 3.000 milliards en 2023.
Dans son rapport sur le dérapage des finances publiques publié le 15 avril,la commission d'enquête de l'Assemblée nationale rappelle que pour 2024, la prévision initiale de déficit public du gouvernement Borne était de 4,4% du PIB, revue à 5,1% en avril dernier par le gouvernement Attal, puis à 6,1% par celui de Barnier. Au final, ce déficit public pour 2024 s'est établi à 5,8% du PIB. Les deux rapporteurs, le macroniste Mathieu Lefèvre et le président de l’Union des droites pour la République, allié du Rassemblement national, Éric Ciotti, ont des visions opposées sur ces chiffres. Le premier attribue ces erreurs aux services de Bercy, le deuxième les lie à des dissimulations politiques.
Malgré les discours, et même si le déficit budgétaire s’atténue peu à peu, la dette ne va pas diminuer de sitôt. Dans le budget 2025, il est prévu qu’elle monte à 115,5% du PIB en fin d’année. Dans un scénario jugé réaliste par la Cour des comptes, le ratio d’endettement pourrait dépasser 125% du PIB en 2029 et s’approcher des 130% dès 2031. D’autres économistes évoquent des ratios de 160% voire 170%, si l’État choisit d’investir massivement, notamment dans la transition énergétique ou l’armement. « Il est plus que temps de freiner et de reprendre le contrôle de nos finances publiques. Faute de quoi, nous risquons la paralysie, puis l'accident », met en garde Pierre Moscovici.
Kontildondit ?
Nicolas Baverez :
La France a perdu le contrôle de ses finances publiques. Cela s’est clairement illustré en 2024 : on attendait un déficit de 4,4 %, et nous avons terminé l’année à 5,8 %, avec à la clef une dette de 3.300 milliards d’euros. Ce qui est à la fois frappant et préoccupant, c’est que la France constitue aujourd’hui une véritable exception, y compris en Europe du Sud. L’Allemagne, qui a historiquement une aversion pour l’endettement, limite sa dette à 62 % du PIB. Cela lui laisse des marges de manœuvre pour transformer son modèle économique et réarmer. Mais l’évolution la plus marquante, c’est celle des pays du Sud de l’Europe : eux ont profondément changé, tandis que la France, elle, reste isolée.
Ainsi, l’Italie affiche un excédent primaire de 0,4% du PIB, et son déficit sera en 2025 inférieur à 3%. Le Portugal est en excédent budgétaire de 1,2%. L’Espagne a un déficit de 2,8%, et la Grèce est aussi sous les 3%. Il y a donc une singularité française, d’autant plus dangereuse que ce déficit s’accompagne de deux autres déficits très préoccupants : une balance commerciale déficitaire de 100 milliards en 2023 et de 80 milliards en 2024, et une position extérieure nette négative de plus de 800 milliards d’euros. Cela signifie que la somme des avoirs et des dettes de la France est profondément déséquilibrée. C’est très inquiétant.
Comment en est-on arrivé là ? Ce n’est pas un problème de recettes. Les dépenses publiques représentent 57% du PIB, et avec un déficit de 5,8%, cela signifie que les recettes atteignent 51% du PIB. C’est énorme : 46 % proviennent des prélèvements obligatoires, 5 % de la parafiscalité. Autrement dit, les recettes fiscales sont déjà à un niveau excessif, qui nuit à la croissance, à l’investissement et à l’innovation. Le vrai problème, c’est la dépense, et notamment la dépense sociale, qui atteint 34% du PIB. Il y a une addiction à la dépense publique.
Et cette perte de contrôle va continuer, car la croissance sera pratiquement nulle en 2025. Elle était de l’ordre de 0,5% avant les mesures prises par Trump ; désormais, on sera autour de 0%. Résultat : le déficit va à nouveau s’approcher des 6%, et la dette atteindra 120% du PIB dès la fin de l’année. C’est une situation intenable. Le service de la dette va coûter 100 milliards d’euros dès 2029 — ce n’est plus le budget de la défense, c’est le coût de la dette.
En économie, une dette devient insoutenable lorsque les taux d’intérêt sont supérieurs à la croissance nominale — c’est-à-dire la croissance plus l’inflation. En 2025, les taux d’intérêt seront autour de 3,5% et devraient encore augmenter à cause du désordre provoqué par Donald Trump sur le marché obligataire. La croissance sera comprise entre 0 et 0,4%, l’inflation à 2%. Ce qui signifie une croissance nominale maximale de 2,4%, très en deçà des taux d’intérêt. La dette va donc exploser. Nous ne sommes pas encore dans le scénario grec, mais nous sommes bel et bien dans celui de l’étranglement financier qu’a connu l’Italie en 2011.
Que faire ? Quand on observe les autres pays européens, et notamment ceux du Sud, on constate que le redressement n’a jamais été purement budgétaire. L’objectif ne peut être simplement de ramener le déficit à 3% du PIB. Pour que la dette redevienne soutenable, il faut un excédent primaire, comme en Italie. En France, cela implique de ramener le déficit à 1,5%. Il faudrait donc faire un effort d’un point de PIB par an. C’est tout à fait possible : les dépenses publiques s’élèvent à 1 700 milliards d’euros, et jusqu’à présent, aucune économie sérieuse n’a été engagée.
Mais il faut une méthode. Il ne faut pas cibler une catégorie particulière, « les retraités », « les riches », tel ou tel groupe. Il faut associer tout le monde à l’effort. Pour ma part, je proposerais de désindexer l’ensemble des aides sociales, le barème de l’impôt sur le revenu et les traitements des fonctionnaires tant que le déficit n’est pas redescendu à 1,5 % du PIB. C’est la seule manière de rendre le redressement juste.
Mais surtout, un redressement ne peut fonctionner que si l’on dispose d’une véritable stratégie économique. Le Portugal, l’Italie ou l’Espagne l’ont compris : on ne peut rétablir les finances publiques sans stratégie de croissance. Cela implique de travailler sur tous les facteurs de production. La France est le pays d’Europe où l’on travaille le moins : 664 heures par an en moyenne par habitant, contre 770 en Europe, près de 1 000 en Asie. Il faut rediriger l’épargne vers les entreprises et les fonds propres, notamment par la création de fonds de pension. Il faut egalement libérer l’innovation.
La France est en train d’aller droit dans le mur, comme en 1983. Ce qui est le plus inquiétant, c’est la capitulation de la classe politique, qui a choisi, en toute connaissance de cause, de ne rien faire tant que le mur de la dette n’aura pas été heurté. Ce choix est suicidaire. L’ajustement, quand il viendra, sera beaucoup plus douloureux — économiquement, mais surtout socialement.
Michaela Wiegel :
Il semble que nous soyons malheureusement entrés dans le scénario noir que tous les opposants allemands à l’euro redoutaient, non pas pour la France à l’origine, mais pour ce qu’ils appelaient de manière méprisante le “Club Med”. Et ce que Nicolas Baverez vient de décrire le montre de manière assez saisissante. La pression a été suffisamment forte pour pousser les pays du Sud — le Portugal, l’Espagne, l’Italie, la Grèce — à entreprendre des efforts considérables pour assainir leurs finances publiques. Et aujourd’hui, c’est la France, ce pays que Jean-Claude Juncker décrivait comme trop grand pour être mis sous pression — « la France restera toujours la France », disait-il —, qui représente un vrai défi pour la zone euro. Car l’euro protège la France et rend, pour l’instant, cette dette soutenable. Mais je crains que cette protection ne soit plus durable, et que l’amélioration des relations franco-allemandes, qui est un vrai objectif du futur chancelier Merz, ne soit rapidement mise en péril par l’incapacité des gouvernements minoritaires français à engager de véritables efforts budgétaires.
On l’a vu : le dernier gouvernement Barnier est tombé sur un budget. Le budget du gouvernement Bayrou était un budget du moindre effort. Et plus largement, on observe une classe politique française qui semble complètement déconnectée de la réalité des chiffres. Honnêtement, je ne vois pas comment, avec les partis actuellement en présence et M. Bayrou à Matignon, on pourrait bâtir un vrai budget d’économies pour l’année qui vient. Sur tous les sujets, on assiste au contraire à une remise en question des efforts déjà consentis — on le voit avec le débat sur les retraites, ou d’autres ajustements envisagés, qui montrent bien que la prise de conscience n’a toujours pas eu lieu.
En Allemagne, on discute sérieusement d’un relèvement de l’âge de départ à la retraite vers 68, voire 69 ans. Il y a donc un vrai décalage. Et si l’on regarde le parti qui progresse le plus dans les sondages en France, le Rassemblement national, on constate que, même s’il a abandonné officiellement son projet de sortie de l’euro et de l’Union européenne, sa politique économique conduirait, de fait, à une sortie implicite. Pas par volonté déclarée, mais parce que son programme rendrait intenable le maintien de la France dans la zone euro. Je le regrette, mais je n’ai pas de lueur d’optimisme à ajouter au tableau déjà très sombre que Nicolas Baverez vient de dresser …
Marc-Olivier Padis :
Tout le monde a noté le caractère répétitif de ce débat sur le contrôle des finances publiques. J’y vois deux explications. La première est évidemment que Nicolas Baverez n’est pas suffisamment écouté par les responsables politiques. Ensuite, les parlementaires — députés comme sénateurs — ne disposent pas des bons outils pour délibérer sur le budget. En réalité, ils débattent à l’aveugle. C’est ce que montrent les mauvaises prévisions et l’ajustement brutal qui a suivi, avec une prise de conscience tout aussi brutale. On a mis en cause Bercy et ses outils de prévision, mais plus largement, c’est l’absence de véritables tableaux de bord qui pose problème.
C’est la loi de programmation des finances publiques qui est censée donner de la visibilité sur les dépenses et les recettes. Elle couvre trois grands ensembles : l’État et ses opérateurs, les collectivités locales et leurs opérateurs, et les administrations de sécurité sociale. Or, pour les deux derniers blocs, nous ne disposons pas d’outils de prévision fiables. Premier exemple : l’ONDAM, l’Objectif National de Dépenses d’Assurance Maladie. Comme son nom l’indique, il fixe un objectif, mais en matière budgétaire, il faut distinguer le prévisionnel et le réalisé. Or, on ne fait jamais l’évaluation de ce qui a été réellement dépensé, ce qui rend le pilotage impossible. Les députés ne travaillent pas assez sur l’évaluation de l’exécution budgétaire. Par ailleurs l’ONDAM n’entre pas dans le détail des priorités de santé publique. Il fonctionne à l’aveugle, avec de grandes enveloppes sur des postes de dépense que nous ne savons pas contenir. 80% des dépenses de santé en France se répartissent entre les soins de ville (environ 100 milliards d’euros), et l’hôpital (à peu près la même chose, un peu moins). Mais les dépenses de soins de ville, c’est la médecine libérale, incontrôlable, c’est « open bar ». On décrète que l’ONDAM ne doit pas progresser de plus de 3%, mais quels leviers avons-nous pour y parvenir ? On ne définit aucune priorité, aucun choix n’est discuté au Parlement. Alors on serre la vis là où on le peut, c’est-à-dire sur l’hôpital public, qu’on rabote à l’aveugle, sans stratégie …
Deuxième exemple : les collectivités locales. Lors de la crise récente, on les a désignées comme responsables du dérapage. Un bouc émissaire idéal, puisqu’on compte environ 44.000 acteurs si on inclut les communes, les syndicats intercommunaux, etc. Comment contrôler les dépenses de 44.000 entités ? On n’en a pas les moyens. Bruno Le Maire a pu dire que c’était la faute des collectivités locales, mais le document qui donne une vision globale de leurs dépenses se contente d’une orientation générale, sans traduction opérationnelle des objectifs. Et surtout, fait très surprenant, il n’est pas établi à la suite d’une concertation avec les collectivités. Il est rédigé en chambre à Bercy, sans consulter les responsables financiers locaux, qui sont pourtant compétents. Le directeur financier d’une grande métropole est tout à fait en mesure de discuter avec Bercy. En réalité, Bercy produit des chiffres qui servent à rassurer Bruxelles, mais qui ne correspondent pas aux réalités locales.
Quand les prévisions sont approximatives mais que le réalisé reste dans les clous, tout cela passe inaperçu. Mais dès qu’un écart significatif se creuse entre les deux, cela devient problématique. J’en profite pour renvoyer nos auditeurs à une note qu’a publiée Terra Nova : « Les collectivités locales sont-elles responsables du dérapage budgétaire ? »
Il faut donc faire évoluer ces outils. Il faut des instruments plus fins, pour que les parlementaires puissent débattre de données réelles, et que les dépenses locales fassent l’objet d’une vraie concertation et d’une co-construction avec ceux qui en ont la charge. D’autant que ces finances sont bien tenues : l’endettement des collectivités locales reste raisonnable. Mais la conjoncture politique ne se prête pas à ce débat. Même si on suit les idées de Nicolas, on voit bien que ce sont des décisions de nature présidentielle. En dehors de quelques coups de rabot à l’aveugle, rien de structuré n’est envisageable sans un vrai débat politique d’ampleur. Si l’on veut engager une stratégie sérieuse de maîtrise des dépenses, comme une désindexation de certaines prestations — je pense notamment aux retraites —, cela ne peut se faire sans que ce soit inscrit dans un projet collectif débattu publiquement.
Nicole Gnesotto :
Je vais peut-être apporter une note dissonante dans ce tableau très noir. D’abord, si l’on compare la France au reste de l’Europe, je suis d’accord avec Nicolas : nous faisons partie des très mauvais élèves. Je crois que seul Malte fait pire que nous. Mais si l’on prend un peu de recul, on constate que depuis 1974, c’est-à-dire depuis plus de 50 ans, le budget français n’a jamais été à l’équilibre. Nous vivons donc avec un déficit structurel depuis un demi-siècle. De là, on peut tirer deux conclusions. La première, c’est que le gouvernement actuel n’est pas entièrement responsable de la situation des finances publiques : il hérite de cinquante ans de déséquilibres. La seconde, c’est que ce déficit chronique varie selon les périodes. Après la crise des subprimes en 2008, il a atteint 7% du PIB ; après le Covid, il a grimpé à 9%. Mais en 2018, nous étions presque dans les clous, à 3%. Cela montre qu’il existe des marges d’action, donc une possibilité de redressement. Et cela autorise, malgré tout, une certaine forme d’optimisme.
Autre caractéristique française : nous sommes un pays où il existe un vrai débat sur la dette. En Allemagne, jusqu’à très récemment, l’endettement était quasiment un péché constitutionnel, et strictement interdit. En France, en revanche, beaucoup d’économistes et d’experts continuent de penser que le pays reste très riche, que son patrimoine est considérable, qu’il bénéficie de l’euro, et que s’endetter pour financer des investissements productifs, notamment dans l’innovation, peut se défendre. Bien sûr, d’autres soutiennent la thèse inverse : celle d’un transfert de dette sur les générations futures. Aujourd’hui, 3.000 milliards de dette représentent 50.000 euros par personne. Il y a donc de quoi s’inquiéter pour l’avenir. Mais il faut aussi souligner que nous sommes un pays habitué au déficit, et qu’il existe un vrai débat d’économistes. Nicolas, vous êtes un bien meilleur économiste que moi, mais il y en a d’autres qui ne pensent pas comme vous, et cela mérite d’être dit.
Deuxième point : le problème ne réside pas tant dans le niveau des dépenses publiques que dans leur efficacité. Ce n’est pas que l’on dépense trop, c’est que l’on dépense mal. Et je rejoins Marc-Olivier : si nous disposions d’outils plus précis pour évaluer, à moyen et long terme, l’efficacité de la dépense publique, le débat serait tout autre. Nous sommes confrontés au « triangle des Bermudes » financier : la France a le plus haut niveau de redistribution sociale en Europe — 30 % ; elle a le plus haut taux d’imposition — 48 % ; et pourtant, elle affiche le plus fort taux de mécontentement populaire. Et les Français ont raison de ne pas être satisfaits : l’école et l’hôpital ne fonctionnent pas, et la recherche est sinistrée. Le vrai problème, ce n’est donc pas l’ampleur de la dépense publique, c’est son inefficacité.
Enfin, j’aimerais marquer un désaccord de fond avec Nicolas. Vous dites que la seule issue, c’est de relancer la croissance. Or, nous vivons dans un monde où la notion même de croissance me semble devoir être réinterrogée. L’Allemagne prévoit une croissance nulle en 2025. Dans ces conditions, tabler sur la croissance pour redresser les comptes paraît illusoire. Mon second désaccord porte sur la réduction des dépenses sociales. Ce n’est pas là que l’on pourra sérieusement diminuer les déficits publics. Et je crois que faire payer les retraités pour l’équilibre budgétaire serait une erreur politique majeure.
Nicolas Baverez :
Nous ne sommes pas dans un monde sans croissance. Avant que Donald Trump ne mette à sac l’économie américaine, celle-ci suivait une trajectoire de croissance de près de 3% par an, avec des gains de productivité de 2,5%. En Europe du Nord, il y a de la croissance, en Europe du Sud aussi. Et en Asie, certains pays enregistrent des progressions d’activité considérables. L’idée que le monde serait en croissance zéro est donc fausse — et même dangereuse, parce qu’elle garantit une paupérisation, et que cette paupérisation met en péril la liberté.
Ce qui est frappant aussi, c’est cette idée selon laquelle, puisque cela fait cinquante ans que nous vivons en déficit (le dernier excédent, en France, remonte à 1973, sous Georges Pompidou : + 0,2% du PIB) et que nous accumulons de la dette, on pourrait bien continuer pendant cinquante ans de plus. Cette idée ne tient pas, pour trois raisons. Premièrement, ce qui nous a jusqu’ici protégés d’une crise financière, c’est l’incroyable tolérance des Français à l’impôt. Contrairement à ce que l’on dit souvent, l’impôt rentre très bien : Bercy collecte chaque année plus de la moitié du PIB. Les Gilets jaunes ont été une révolte fiscale, mais tant qu’on ne commet pas d’erreurs de ce type, la machine continue d’avaler des ressources de façon impressionnante. Deuxièmement, la France bénéficiait jusqu’à récemment d’une stabilité politique : un État fort, des institutions solides, une continuité gouvernementale. Or, l’an dernier, nous avons connu quatre Premiers ministres. C’est pire que sous la Quatrième République. Rien ne fonctionne plus aujourd’hui dans la Cinquième : un gouvernement qui débat, des juges qui gouvernent, un Parlement qui juge à travers des commissions d’enquête. Dans ces conditions, aucun problème sérieux ne peut être traité efficacement. Troisièmement, il y avait l’euro. Mais aujourd’hui, comme l’a rappelé Michaela Wiegel, la France est devenue un problème pour ses partenaires. L’Allemagne a déjà annoncé qu’elle s’opposerait à l’activation du mécanisme de stabilité en cas de choc financier français. Tout ce qui nous protégeait appartient désormais au passé.
Le monde a changé. Il y a aujourd’hui une pénurie mondiale de capital, ce qui pousse les taux longs à la hausse. Et l’épisode Trump est, à cet égard, très révélateur. Il a montré que l’on ne gagne jamais contre les marchés. Trump a pu contourner le Congrès, menacer les juges, prendre le contrôle des universités, des médias, intimider tout le monde. Mais il s’est heurté à une chose : les marchés. Ce n’est pas leur fonction d’être un contre-pouvoir, et pourtant, cela a fonctionné. On a vu la même chose en Italie, en Grèce. Aléxis Tsipras a dû choisir entre sortir de l’euro et couper de 20% les pensions et les salaires des fonctionnaires. Il a choisi la seconde option. Liz Truss, au Royaume-Uni, a tenu quinze jours face aux marchés financiers. Il faut garder cela à l’esprit : quand une crise financière démarre, ce n’est pas le politique qui gagne. On l’a vu encore récemment, de manière spectaculaire, aux États-Unis. Le fait que Trump soit passé à deux doigts de faire sauter le marché obligataire devrait alerter notre classe dirigeante. C’est pour cela que je pense que la situation actuelle n’a plus rien à voir avec celle des cinquante dernières années.
Michaela Wiegel :
J’aimerais nuancer un peu le rapport de l’Allemagne à la dette. On présente souvent l’Allemagne comme vertueuse, rongée par la culpabilité face à l’endettement, et la France comme une dépensière invétérée. Mais en réalité, les responsables politiques allemands ont, eux aussi, eu tendance à dépenser plus que les recettes ne le permettaient. Le frein constitutionnel à l’endettement a justement été introduit pour contrer cette facilité politique. Car il est toujours plus aisé de ne pas tailler dans les dépenses et de simplement augmenter les impôts. L’approche allemande a donc été de se doter d’un garde-fou fort, inscrit dans la Constitution. Et si ce frein a récemment été desserré, c’est uniquement en raison d’une situation géopolitique exceptionnelle.
À propos des collectivités territoriales, ce que je trouve frappant, c’est que l’un des rares instruments dont elles disposaient — la taxe d’habitation — a été repris par l’État, alors que c’était l’un des rares leviers permettant de les responsabiliser. C’est ainsi qu’on se retrouve ainsi dans une situation d’opacité complète.
Nicole Gnesotto :
À propos des sources possibles de financement ; plutôt que de s’acharner une fois de plus sur les dépenses sociales, on pourrait commencer par regarder du côté des collectivités territoriales et du fameux millefeuille administratif. Un rapport de Boris Ravignon, publié en 2024, évalue le coût de ce millefeuille à 7 milliards d’euros par an pour la France. Il y a là, manifestement, une piste à explorer sérieusement. Deuxième élément : la suppression de l’ISF. Cette mesure engendre un manque à gagner de 5 milliards d’euros par an pour l’État. Troisièmement — et je cite ici l’INSEE, dans son rapport 2024 sur le revenu et le patrimoine des ménages — les 1 % des Français les plus riches ont vu leurs revenus doubler en 20 ans. N’y a-t-il pas là de quoi s’interroger aussi ? Enfin, dernier point, à propos de la flat tax unique à 30% sur les revenus du capital : un rapport — que certains ici contesteront, j’en suis sûre — estime que sur la période 2018-2023, cette mesure a représenté moins de 100 milliards d’euros de recettes pour l’État. Il existe donc d’autres moyens de trouver de l’argent que de taxer encore une fois les chômeurs et les retraités.
BILAN DE L’ACTION DIPLOMATIQUE DU PAPE
Introduction
Philippe Meyer :
Pape « du bout du monde », contrairement à ses prédécesseurs européens, Jorge Mario Bergoglio a déplacé l'axe diplomatique du Vatican vers les pays du Sud. De la dénonciation du système économique mondial, à la défense des migrants en passant par ses plaidoyers pour l'écologie, la paix, le dialogue avec l'islam, ou la lutte contre l'arme nucléaire, le pape François a été porté par une vision, inspirée de celui dont il avait choisi le nom, François d'Assise. À l'échelle internationale, appuyé sur un solide réseau diplomatique, ce dont rêvait François, c'était, « le renforcement du multilatéralisme, expression d'une coresponsabilité mondiale renouvelée, d'une solidarité fondée sur la justice et sur la réalisation de la paix et de l'unité de la famille humaine, projet de Dieu sur le monde ». Lui-même issu d'une famille de migrants - ses parents ont quitté l'Italie pour l'Argentine - François, dès le début de son pontificat, a pointé avec vigueur les drames de la migration. Son premier déplacement a eu lieu en juillet 2013, à Lampedusa, où il s'est indigné de la « mondialisation de l'indifférence », un thème clef de ce pontificat. Ce qui lui valu de sérieuses tensions avec l’Occident et en particulier les États-Unis.
Partisan de la paix à tout prix et de la politique de l'apaisement, le pape considérait que « toute guerre est une défaite ». Même les guerres de libération ou de légitime défense. Car « il n'existe pas de guerre juste ». Pas même en Ukraine où François n’a eu de cesse jusqu’en mai 2022, d’appeler à l’arrêt des combats, se refusant à reconnaître la responsabilité de Vladimir Poutine et de la Russie, avançant que la « colère » du Kremlin avait pu être « facilitée » par « les aboiements de l’OTAN à la porte de la Russie ». Au Moyen-Orient, depuis le massacre du 7 octobre 2023, les relations entre le Saint-Siège et Israël étaient devenues de plus en plus difficiles. Le pape s’est vu notamment reprocher d’avoir tardé à exprimer son horreur face au massacre perpétré par le Hamas.
Dans le droit fil de la tradition jésuite, le pape François a porté une attention très particulière aux 12 millions de catholiques de la République populaire de Chine. Sous son autorité, un accord secret a été signé en 2018 avec Pékin sur la nomination des évêques. Un accord qui a fait débat. Au chapitre des avancées diplomatiques, François a œuvré au rapprochement historique entre les États-Unis et Cuba et joué un rôle dans la réconciliation en Colombie ainsi que dans la libération d'enfants ukrainiens capturés par les Russes, tandis que le dialogue interreligieux aura progressé, notamment avec l’université al-Azhar du Caire.
En revanche, bousculant l’Europe, « grand-mère stérile » et égoïste à ses yeux, le pape n'a réalisé aucune visite officielle dans les grands pays européens de tradition catholique, comme la France, l'Espagne ou l'Allemagne.
Kontildondit ?
Nicole Gnesotto :
Il faut d’abord rappeler que le pape est le chef d’un État très puissant sur la scène internationale. Le Vatican a un statut d’observateur à l’ONU et entretient des relations diplomatiques avec 184 pays sur 192. Il n’y a que deux grands pays avec lesquels il n’en a pas : l’Arabie Saoudite et la Chine. S’agissant du bilan de ce pape, je crois que son principal succès diplomatique a été de réintégrer la chrétienté dans son universalité. Jusqu’à présent, les papes, italiens ou européens, avaient une vision naturellement occidentale. François, lui, a considéré que son « public » de 1,4 milliard de chrétiens formait une communauté unie, quels que soient les pays ou les civilisations. Premier pape venu du Sud global, il a, je crois, beaucoup contribué à rétablir l’équité entre les chrétiens du monde entier.
Il a aussi été un grand voyageur : en 12 ans, il a visité 67 pays lors de 47 voyages, un record, d’autant plus remarquable compte tenu de sa santé fragile. Il avait cette formule : « il faut sortir du balcon », aller dans les périphéries pour rétablir l’unité de la chrétienté. Le seul continent pour lequel il a montré une certaine désinvolture, voire un désintérêt, c’est l’Europe : ni la France, ni l’Espagne, ni l’Allemagne, ni même la Grande-Bretagne n’ont eu droit à une visite.
Un pape certes universel, mais aussi un pape contesté. À la différence de Jean-Paul II, qui fut un militant de la démocratie et un acteur majeur de la libération des pays d’Europe centrale face à l’Union soviétique, et à la différence de Benoît XVI, théologien pour qui l’action internationale n’était pas prioritaire, François a eu une véritable activité diplomatique. Mais elle a été contestée, y compris à l’intérieur de la curie, sur des sujets comme l’homosexualité ou la réforme des finances du Vatican. Trois grandes priorités — paix, planète et pauvres — ont structuré son action. Sur la paix, le bilan est nuancé. Il a joué un rôle déterminant dans la réconciliation entre les États-Unis — sous Obama — et Cuba en 2016, et il a aussi contribué à la pacification de la Colombie, ainsi qu’aux missions humanitaires du Saint-Siège. Mais sur l’Ukraine et le conflit israélo-palestinien, il a été fortement critiqué. Et pourtant, à ma propre surprise, j’aimerais prendre sa défense. Sur l’Ukraine, on lui a reproché son opposition de principe à la guerre. Il est vrai qu’il récuse la la notion même de guerre juste, pourtant admise par la doctrine catholique. Il estime que la guerre est toujours à éviter, inconditionnellement. Il a donc mis du temps à reconnaître le droit de l’Ukraine à se défendre et à désigner clairement la Russie comme agresseur. Mais lorsqu’il a dit que l’élargissement de l’OTAN aux frontières russes avait pu contribuer à cette guerre, il a été attaqué très sévèrement. Je pense pourtant que ce point reste ouvert au débat : il n’est pas évident que l’OTAN ne porte aucune responsabilité dans le déclenchement du conflit.
Sur le conflit Israël-Palestine, on lui a reproché de prendre la défense des Palestiniens, en particulier des victimes à Gaza. Il a eu des mots très forts sur les enfants assassinés. Mais il s’est toujours montré conforme au droit international. Il soutient la solution à deux États. Et il a condamné aussi bien l’attaque du Hamas que les violences de Tsahal en Palestine. Je ne m’étendrai pas sur la planète, où son action n’a guère été contestée. Sur les pauvres, en revanche, il a été critiqué pour sa défense des migrants. Certains ont voulu y voir une justification de l’islamisme, voire une indulgence envers le terrorisme. Je crois que c’est là lui faire un procès totalement injuste.
Marc-Olivier Padis :
Contrairement à Nicole, j’aurais un bilan plutôt négatif de cette action diplomatique. À vrai dire, cela m’étonne moi-même, car j’ai admiré certaines encycliques du pape, notamment Laudato si’ sur l’environnement, et Dilexit nos, publiée en 2024, consacrée à la littérature, de très beaux textes, une belle surprise.
Contrairement au Polonais Jean-Paul II, François n’a pas été choisi par le conclave pour des raisons géopolitiques. Il a été élu à la suite de la démission de Benoît XVI, qui avait mis en lumière les dysfonctionnements de la curie. Il fallait réformer, ce qu’il a fait, à sa manière un peu autoritaire, mais sans doute nécessaire. Après un pape théologien, professoral, doctrinaire comme Benoît XVI, il fallait une personnalité plus ouverte, plus avenante, avec un message plus simple. François s’est inscrit dans une mission pastorale : il n’a pas profondément modifié la doctrine théologique ou ecclésiologique, même s’il a initié des synodes. Il a été un pasteur humain, et il a bien rempli ce rôle. Cela dit, en tant que premier pape venu du Sud, il y avait nécessairement une dimension géopolitique à son pontificat. Il a exprimé son projet à travers l’idée des « périphéries » : lui-même venant d’une périphérie, il voulait parler à toutes les périphéries. Cela s’est traduit dans la nomination des cardinaux, où il a rééquilibré le collège électoral en faveur de l’Asie. Nous verrons ce que cela donnera.
Dans son discours, les périphéries ont pris un sens élargi, presque existentiel : elles désignent aussi bien les bidonvilles autour des grandes villes que les exclus, les pauvres, les migrants. Il a accompli de très beaux gestes dès le début de son pontificat, comme son déplacement à Lampedusa et ses discours sur les réfugiés. L’expression de « mondialisation de l’indifférence » m’a particulièrement marqué. Elle mérite de rester.
Cependant, la diplomatie du Vatican est toujours prise entre le témoignage et l’efficacité. François a pris des positions fortes — sur les migrants, contre les ventes d’armes, en faveur de ponts plutôt que de murs — mais elles sont restées dans le registre du témoignage. Leur portée pratique a été limitée. La dénonciation du culte de l’argent, pourtant fidèle à la tradition catholique, n’a eu aucun effet tangible sur l’économie mondiale. Son pacifisme, teinté d’anti-américanisme — dimension souvent présente chez les Argentins —, l’a conduit à des positions choquantes sur l’Ukraine. Il est tout de même essentiel de distinguer un agresseur d’un agressé. On ne peut pas se réfugier dans un discours abstrait sur la paix quand la guerre est là. Quant aux succès diplomatiques qu’on lui attribue, comme le rapprochement entre Cuba et les États-Unis, je dirais qu’ils relèvent plus du rôle d’un État neutre que d’une influence spirituelle ou morale. Sur la Chine, l’accord signé concerne surtout la nomination des évêques : une affaire d’organisation interne plus que de diplomatie mondiale. Il est resté silencieux sur l’Arménie, pourtant marquée récemment par des épreuves terribles pour les chrétiens. Je suis donc sceptique sur son impact réel. Et ce qui me désole le plus, c’est le peu de portée du dialogue interreligieux aujourd’hui. Les rencontres d’Assise, autrefois emblématiques, semblent désormais anachroniques. À l’époque de Jean-Paul II, on a cru que le dialogue interreligieux pouvait favoriser la paix. Mais aujourd’hui, croire qu’un dialogue avec le patriarche Kirill — un ancien du KGB — pourrait faire progresser la paix dans le monde est grotesque … Il y a finalement quelque chose d’assez triste dans ces grands gestes et ces beaux discours qui n’aboutissent à rien.
Michaela Wiegel :
Il restera quand même ce curieux hasard que le dernier visiteur d’État que François ait reçu soit le vice-président américain J. D. Vance. On a bien vu là le contraste entre un pape venu d’Argentine (et effectivement marqué par un certain anti-américanisme, hérité aussi de la théologie de la libération), et un J. D. Vance, converti, qui s’emploie à instrumentaliser l’Église catholique au service de sa révolution culturelle.
En Allemagne, le pape François avait suscité beaucoup d’espoirs : un espoir de nouveau progressisme, d’une Église plus ouverte non seulement aux pauvres, mais aussi aux femmes. La voie synodale qu’il avait lancée avait nourri ces attentes, mais très vite, il a fermé toute possibilité d’ouverture. À la fin de son pontificat, il était perçu en Allemagne comme un pape aux grandes idées, mais incapable d’aller jusqu’au bout — d’autant plus qu’il n’a effectivement pas été tendre dans ses propos sur l’Europe.
Et je pense qu’il y a eu une forme de naïveté pacifiste vis-à-vis de la Russie. Il avait effectué ce voyage à La Havane, en février 2016, pour rencontrer le patriarche de Moscou. Ce fut un événement historique, le premier depuis le schisme de 1054. Mais cette proximité avec Kirill s’est faite au prix de l’Église gréco-catholique d’Ukraine (rattachée à Rome), qui s’est sentie complètement mise à l’écart. Dans le conflit ukrainien, on a vu que François n’a jamais clairement désigné l’agresseur. Il n’a jamais cité Poutine. Il n’a pas non plus critiqué Kirill, alors même que celui-ci parlait d’une « guerre sainte » contre un Occident dépravé qui se jouerait en Ukraine. Face à cela, François s’est contenté de dénoncer les « aboiements de l’OTAN aux portes de la Russie » comme une des causes du conflit …
Nicolas Baverez :
François a été nommé à la suite de l’impasse qui avait conduit Benoît XVI à la démission. L’option « conservation-restauration » avait échoué. Il a donc été élu pour faire la révolution dans l’Église et pour être le pape d’un monde où 80% des 1,4 milliard de catholiques vivent désormais dans le « Sud global ». Il a tenté trois ruptures. La première : une Église pauvre pour les pauvres. Et il faut reconnaître qu’il l’a très bien incarnée. La deuxième : la lutte contre le cléricalisme, avec une réforme de la curie. Il a fait bouger les choses, mais force est de constater que rien n’est véritablement abouti. Trois dossiers en particulier étaient en jeu : les abus sexuels, la place des femmes, et la transparence des finances — cette dernière étant liée à la réorganisation de la curie. Aujourd’hui, le Vatican, c’est un peu la France : un milliard de budget, 70 à 80 millions de déficit. Sauf qu’au moins, la France publie ses comptes … La troisième rupture visait à bâtir une Église vraiment universelle, et sur ce point, je pense qu’il a réussi.
Paradoxalement, il a commis un contresens historique majeur : il n’a pas vu le rôle central de l’émotion et de la passion dans un monde qui bascule dans la guerre. Ce contresens a conduit à des erreurs majeures : sur la Russie, mais aussi sur la Chine. Avec les accords secrets signés avec Pékin, il a liquidé, sacrifié les catholiques de Chine, y compris le cardinal de Hong Kong, emprisonné. Il les a livrés au régime chinois, dans le prolongement de la vieille obsession jésuite pour la Chine …
Quant au dialogue interreligieux, il faut dire qu’il n’a pas vraiment fonctionné. Enfin, dans un monde où la démocratie et la liberté sont menacées par des empires autoritaires, être contre la guerre de manière inconditionnelle, refuser le concept de guerre juste, se montrer extrêmement critique vis-à-vis de la dissuasion nucléaire, n’a pas de sens quand on est face à des dirigeants comme Xi, Poutine, Erdogan, MBS et les autres.
En somme, ce pape de l’universalité laisse une Église profondément fracturée. Et le vrai défi de son successeur sera de préserver cette universalité tout en retrouvant une forme d’unité et de paix au sein de l’Église.
Philippe Meyer :
Le contraire de l’émotion, c’est la diplomatie. Et en matière de diplomatie, le Vatican est équipé comme personne, avec le plus ancien corps diplomatique au monde. Mais François l’a contourné systématiquement, méthodiquement. Cet instrument exceptionnel qu’est la diplomatie vaticane, à la fois ancienne et largement déployée, aurait pu — et dû — être un outil remarquable dans une époque qui, précisément, est saturée d’émotion.
Nicolas Baverez :
Le paradoxe de François, c’est qu’il détestait Trump, mais qu’il s’est comporté vis-à-vis de la curie comme Trump vis-à-vis de l’État profond.
Nicole Gnesotto :
Mais surtout, ce n’était pas un occidental. Il faut accepter que sa vision du monde n’était pas la nôtre. Il a incarné la relativisation de l’Occident dans le monde.