Chirac : santo subito ? ; la PMA à pas comptés / n°109

Chirac : santo subito ?

Introduction

La semaine dernière, nous avons réagi à la mort de Jacques Chirac. Depuis, il y a eu un hommage sur la nature et sur l’ampleur duquel il y a matière à s’interroger. A regarder les télévisions, à écouter leurs plateaux, à voir les images retransmises des files d’attente devant l’Élysée où un registre de condoléances était ouvert au public sans limites d’horaires, ou celles de l’hommage aux Invalides, puis de la messe à Saint Sulpice, à regarder les reportages sur les minutes de silence observées dans les écoles, les administrations ou les entreprises, j’ai pensé aux acclamations qui suivirent devant Saint Pierre, la mort de Jean-Paul II. « Santo subito ! » criait une foule peu soucieuse des formalités d’un procès en canonisation. Avons-nous assisté à un feu de paille comme la société du spectacle en consomme tant, faut-il au contraire voir dans ce deuil un phénomène plus significatif ? Il nous a semblé que la question méritait d’être éclaircie.

Kontildondit ?

Lucile Schmid (LS) :
Tout ce faste et cet unanimisme ont quelque chose d’assez suspect. On pense au film de Lubitsch dans lequel le héros, à force d’entendre des compliments, se dit qu’il doit être mort.
Ces célébrations amènent à s’interroger sur ce que signifie être un président aujourd’hui. Jacques Chirac a incarné cette fonction avec tout ce qu’elle induit d’imprévus et d’adaptation. LS se souvient par exemple avoir regardé du discours du 14 juillet 2001, en pleine cohabitation, dans lequel Chirac avait beaucoup insisté sur les questions de sécurité. En l’écoutant, LS se disait : « là, il y va quand même très fort. Que cherche-t-il ? ». Puis est arrivé le 11 septembre 2001, et la résonance des évènements avec ce discours du 14 juillet était frappante. Puis en 2002, il s’était retrouvé dans cette position d’incarner la résistance au Front National. On entend beaucoup qu’il était avant tout sympathique, avant d’être ceci ou cela. Pour LS, il s’agit surtout de quelqu’un qui a réagi à énormément d’imprévus durant sa carrière politique, et qui s’est retrouvé face à la nécessité de personnifier une continuité du pouvoir, qu’on n’aurait pas imaginé s’incarner en lui.

Nicole Gnesotto (NG) :
Nous avons eu plusieurs occasions de communion nationale récemment. L’incendie de Notre-Dame (dans un tout autre registre), la mort de Johnny Halliday, et dans une moindre mesure, celle de Jean d’Ormesson. Il est intéressant que les gens dans les cortèges expriment davantage de reconnaissance que d’admiration. On entend ou on lit beaucoup de « merci ».
Le président Chirac, inventeur de l’expression « fracture sociale » avait indéniablement le goût des gens. Ce ne fut le cas d’aucun de ses successeurs. Quoiqu’il ait pu faire par ailleurs, Chirac a haussé les petites gens à un niveau de dignité nationale, et c’est ce qui explique la reconnaissance exprimée cette semaine.
D’autre part, Chirac était aussi le dernier représentant d’un âge d’or français, celui dont tous les populistes d’aujourd’hui sont nostalgiques, avant la crise, avant la mondialisation, un âge où l’on fumait des cigarettes à la télévision ou au restaurant, où l’on draguait les femmes comme on le voulait. La ferveur qui s’est manifestée dans les rues tient beaucoup à la nostalgie à l’égard d’une société française définitivement révolue.
Enfin, il est frappant de constater à quel point cette ferveur nie les affaires, les scandales, etc. Comme si l’on célébrait aussi la résilience d’un animal politique ayant réussi à passer au travers de tout cela.

François Bujon de l’Estang (FBE) a côtoyé Jacques Chirac et travaillé avec lui. D’abord à Matignon, quand celui-ci était premier ministre, pendant la cohabitation (1986-1988), puis en tant qu’ambassadeur une fois Chirac président.
La ferveur exprimée cette semaine à l’égard de l’ancien président n’a pas surpris FBE. Chirac est donc parti définitivement, mais cela faisait longtemps qu’il s’était éloigné des Français. Il a quitté le pouvoir en 2007, ce qui a constitué un premier recul. Le second fut celui de la maladie, et tous les Français savaient la détérioration de son état physique et psychique. Pour beaucoup de gens, il était presque déjà parti ; et ce départ définitif les a émus. Au moment de la mort de Johnny Halliday, FBE se souvient avoir entendu beaucoup de gens prophétiser que la ferveur pour Jacques Chirac serait au moins équivalente. Ce fort sentiment n’est donc pas surprenant.
Ce qui l’est davantage, c’est à quel point son bilan politique importe peu aux Français ou aux commentateurs. La liste des réserves qu’on peut avoir à propos de ses douze ans aux pouvoirs serait pourtant longue. Mais il s’agit ici du parcours d’un homme, qui a beaucoup changé en 40 ans, et qui a vu le monde beaucoup changer également.
Mais ce que les gens ont retenu, c’étaient les qualités humaines de Jacques Chirac. Il aimait les gens, c’est ce qu’on entend partout, et c’est ce qu’on retient de lui. Cela et quelques éléments politiques forts : le refus de participer à la guerre d’Irak, ou l’appel de Johannesburg sur l’écologie. On se remémore son côté chaleureux, à l’aise partout, au salon de l’agriculture, en Corrèze, ou à l’étranger. Il s’y mêle aussi cette nostalgie évoquée par NG, c’est le dernier politicien du XXème siècle, et il incarnait la politique telle qu’on ne la reverra plus.

Jean-Louis Bourlanges (JLB), s’il partage les avis de ses prédécesseurs, précise tout de même quelques points. Il lui semble que ce que les gens aimaient chez Chirac n’était pas ce qu’il y avait de mieux en eux. On dit de Chirac qu’il était très sympathique, ce n’est pas exactement cela : il était très chaleureux certes, mais d’une indifférence totale à l’égard des autres. Cela était flagrant avec ceux qui l’ont servi par exemple, au premier rang desquels Alain Juppé, André Roussin ou Jean-Claude Méry.
Il ne faut pas confondre chaleur humaine et générosité. Il était empathique et comprenait les gens, avec une capacité de contact immédiat, dénuée de toute hauteur, qui était très agréable. Un homme politique, quand il est en face de quelqu’un, doit savoir saisir ce dont cette personne a peur, et ce qu’elle désire. Chirac avait cela.
La nostalgie est évidente, et éclatante. Les Français pleurent la disparition d’un monde. Et d’un homme dont nous avons salué dans l’émission de la semaine dernière à quel point il était aimé et respecté dans le monde. Quand on regarde la cérémonie de Saint-Sulpice, aucun dignitaire de la nouvelle Afrique ou de la nouvelle Asie, seulement quelques vieux dictateurs. C’est un monde qui a disparu avec Chirac, son dernier représentant.
Comme disait Pierre Desproges : « l’optimisme est l’opium des imbéciles ». Jacques Chirac s’est fait élire en 1995 sur une idée, fausse et tenace : le volontarisme (c’est-à-dire l’idée que la volonté est supérieure à la réalité et peut même lui en tenir lieu). Cela a donné lieu à la monnaie unique sans aucune rigueur économique pour l’accompagner, l‘envie de réformes sans en définir aucune, et bien évidemment tout cela n’a pas tenu longtemps. Comme le disait récemment un chauffeur de taxi : « c’était bien avec Chirac, car ça nous arrangeait bien »

Philippe Meyer (PM) :
Les Français citent la position de Jacques Chirac à propos de la guerre d’Irak parmi les choses positives qu’ils retiennent de lui, mais le discours de Johannesburg ne vient pas à l’esprit spontanément. C’est parce que les télévisions l’ont récemment matraqué qu’on en reparle, mais avant cela, il était largement oublié. Pour une raison très compréhensible, que JLB vient d’expliquer, à savoir que c’est un discours qui n’a été suivi de rien.
Les gens interrogés à propos de Jacques Chirac expriment le plus souvent « qu’il aimait les gens ». Peut-être faut-il voir dans cette assertion un message à destination du président actuel, comme si l’on sous-entendait « Chirac aimait les gens, lui ». Rien ne dit que ce soit vrai, mais il y a là comme une version adoucie des protestations des Gilets Jaunes.

Jean-Louis Bourlanges :
Au moment où le macronisme bascule un peu dans le chiraquisme (à savoir y aller doucement avec ce qui déplaît aux gens), les Français enjoignent l’actuel président à aller jusqu’au bout : être sympathique !

Philippe Meyer :
Le président Macron a choisi l’Aveyron en guise de Corrèze. Mais la différence est que la Corrèze de Jacques Chirac était d’abord celle de son grand prédécesseur, qui n’était pas Henri Queuille mais Charles Spinasse (maire d’Egleton, très prometteur lors du Front Populaire, avant de se fourvoyer dans le pétainisme et la collaboration). Il était le vrai mentor de Jacques Chirac, et c’est grâce à lui que ce dernier a pu s’y implanter si profondément. PM a eu plusieurs occasions de constater que Chirac connaissait intimement et dans le détail ce département, comme François Hollande après lui. C’est loin d’être le même cas pour Macron et l’Aveyron.

La PMA à pas comptés

Introduction

Vendredi 27 septembre, dans le cadre de ses débats sur la loi bioéthique, l'Assemblée Nationale, a autorisé l'ouverture de la Procréation Médicalement Assistée aux couples de femmes et aux femmes seules, jusqu'ici réservée aux couples hétérosexuels infertiles. Il s’agit de réglementer un ensemble de pratiques médicales permettant d'aider des couples hétérosexuels à concevoir un enfant en cas d'infertilité. Dans certains cas, il est nécessaire d'avoir recours à un donneur de gamète extérieur au couple. L'extension de la PMA à toutes les femmes faisait partie des promesses de campagne d'Emmanuel Macron et de François Hollande avant lui. Elle est approuvée par 65% des Français et par le Comité national d’Éthique.
En France, en 2014, la PMA concernait environ 25.000 enfants soit 3 % des naissances. La même année, le Comité Consultatif National d'Éthique estimait que 2 à 3.000 Françaises s'étaient rendues à l'étranger, principalement en Espagne et au Danemark, pour avoir recours à une PMA dans l’un des 11 pays Européens à avoir étendu son usage aux couples de femmes ou aux femmes seules.
Au-delà de l'extension de la PMA à toutes les femmes, la loi bioéthique en prévoit le remboursement ainsi que la levée de l'anonymat du donneur, permettant un accès aux origines aux enfants nés de dons. Cette levée de l’anonymat, mesure soutenue par 3 Français sur 4, fait craindre que nombre de donneurs ne renoncent et qu’il en résulte une pénurie de gamètes aggravée par l’augmentation de la demande. Chaque année, 3.500 couples souhaitent bénéficier d’un don de gamètes.  En 2015, 540 femmes ont donné des ovocytes, il en faudrait plus du double. Et 255 hommes ont donné des spermatozoïdes, il en faudrait 50 de plus.
Dans un avis du 21 septembre, le Comité d’éthique de l'Académie Nationale de médecine a annoncé sa crainte que l'absence de père présente des risques pour le développement de l'enfant, peur partagée par la majorité des critiques du texte.
Mesure soutenue par le groupe LREM ainsi que l'ensemble de la gauche, la loi bioéthique a suscité des oppositions à droite et au Rassemblement National. Les trois candidats en lice pour la présidence de LR ainsi que l'ancienne tête de liste aux élections européennes François-Xavier Bellamy ont annoncé s'y opposer, par crainte d’un glissement progressif vers la légalisation de la Gestation Par Autrui (mesure souhaitée par 62 % des Français). La Manif Pour Tous organise un rassemblement contre cette loi le 6 octobre.

Kontildondit ?

Nicole Gnesotto :
C’est un sujet difficile. Quantitativement, le nombre de Français concernés est très faible. Symboliquement, la portée est énorme, puisqu’on touche à des thèmes très fondamentaux : la procréation, la vie et l’organisation de la société. On n’a donc pas fini de débattre de cette affaire.
Signalons d’abord un paradoxe : l’opinion française semble favorable à l’extension de la PMA à toutes les femmes (les femmes bien davantage que les hommes). En revanche, c’est le seul sujet de société qui divise à ce point les partis politiques. La division droite-gauche, que l’on ne trouve plus sur les questions économiques et sociales, est remarquablement vivace à propos de cette question. La gauche et les progressistes sont pour, la droite, l’église et les conservateurs sont contre. Il y a ici un moyen pour la gauche de montrer qu’elle a encore des progrès à proposer (même si la question du « progrès » sur ce genre de question est évidemment épineuse). C’est pourquoi la gauche en rajoute, on a ainsi entendu des propositions excessives (toutes refusées), telles la PMA post-mortem ou pour les transgenres. Nous aurons donc sans doute des excès venant de la gauche, puisque le champ sociétal est la seule tribune où elle est encore audible.
C’est un débat difficile, selon que l’on se place sur le plan personnel ou le plan des principes. Sur le plan personnel, quand on connaît les souffrances de l’infertilité dans son entourage, on ne peut qu’être pour. Sur le plan des principes, il n’en va pas de même. NG est favorable à l’extension de la PMA à toutes les femmes, mais elle relève tout de même certains arguments qui lui paraissent contestables, voire dangereux.
Ainsi, le principe de la filiation naturelle. Il est utilisé par les opposants à la PMA, qui déclarent que la PMA va la remettre en cause. Cela ne tient pas debout, de nombreux travaux (notamment ceux de l’anthropologue Françoise Héritier) ont clairement établi que l’engendrement (le phénomène biologique de l’accouchement) était distinct du processus de filiation, qui est lui un phénomène social.
Un deuxième argument des adversaires de la PMA pour toutes : le rôle du père, qui serait remis en question. L’Académie de Médecine a d’ailleurs émis elle aussi des réserves à ce sujet. A ce sujet aussi, les études abondent, en France ou à l’étranger, ne montrant aucune différence entre les enfants nés d’une PMA ou ceux nés traditionnellement. Mais surtout, 27% des familles françaises sont monoparentales, et on n’a pas 27% des enfants français tarés ou délinquants ... On peut meme arguer qu’au contraire, les enfants de familles monoparentales, subissant un surcroît de pression, sont discriminés positivement.
Mais il y a aussi deux principes de groupes favorables à la PMA qui paraissent dangereux. Le premier est celui du droit à l’enfant. Pour NG, on ne saurait parler d’un droit à l’enfant, comme on parle d’un droit au logement ou au travail. L’enfant n’est pas une marchandise, et cet argument du droit à l’enfant ouvre la voie à la GPA. La conception d’un enfant est une possibilité, que la médecine peut favoriser, mais il ne saurait être un droit. Le second principe dangereux est celui de l’égalité et de la non-discrimination. Il y a là aussi une porte vers la GPA : si les couples de lesbiennes ont droit à la PMA puisque leur refuser un enfant serait les discriminer, alors il en ira de même pour les couples d’hommes. Cela mène à une question qui, bien que non politiquement correcte, paraît irréfutable à NG : la PMA est quelque chose de féminin. Elle concerne la possibilité des femmes de faire des enfants, elle n’est pas une affaire de couples. On ne fait pas la PMA pour les couples homosexuels ou lesbiens. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle les femmes seules y ont accès.

Jean-Louis Bourlanges :
Les arguments de NG sont très complexes, et JLB avoue ne pas bien les comprendre. Le cas du droit à l’enfant est symptomatique. Jusqu’à présent, tout le système était basé sur les droits de l’enfant à avoir des parents. C’est pourquoi les enfants que l’on confiait à des parents « non-biologiques » étaient soit orphelins, soit maltraités, soit abandonnés. Puisque l’on reconnaît un droit à l’homoparentalité, la suite logique est le droit à l’enfant pour les couples homosexuels. Et à partir du moment où l’on reconnaît un droit à l’enfant pour les femmes, pourquoi le dénier aux hommes ?
On voit bien que la PMA est une demi-GPA. Il ne s’agit en réalité que d’une GPA exclusivement offerte aux femmes. JLB est lui aussi très réservé sur cette question, mais refuse de la dramatiser outre-mesure.
Il faut distinguer le problème de l’homoparentalité de celui de la PMA et de la GPA. Sur le premier, les études évoquées par NG ne montrent en réalité pas grand chose, (ni en faveur de l’homoparentalité, ni en sa défaveur). Le vrai problème de cette affaire est celui qu’a traité Françoise Héritier : la dissociation entre la fonction d’engendrement et la fonction d’éducation. Jusqu’à présent, cette distinction n’existait pas : on ne choisissait pas un enfant, mais seulement la personne avec qui on prévoyait d’en faire.
Etablir cette dissociation en principe introduit nécessairement une logique de marché, c’est à dire une logique qui fera inéluctablement place à deux questions : la qualité et le prix. C’est à dire respectivement : l’eugénisme et la marchandisation. En outre, comme il semble que l’on s’achemine vers une situation où il n’y aura de toutes façons pas assez d’enfants produits par des dons de gamètes, les dérives possibles sont visibles et effrayantes.
Toute cette affaire est très datée. Elle relève d’une conception du mariage liée à ce qu’on pensait en mai 68. Mai 68 était le moment où l’on a cru que tout était social, et que rien n’était inné. Pour paraphraser Simone de Beauvoir évoquant les femmes, on pourrait dire ici : « on ne naît pas enfant, on le devient ». C’est curieux, car c’est contredit par les 40 dernières années, qui ont réhabilité le rôle essentiel de l’apport génétique, et ont donné lieu à d’importants mouvements sociaux : remise en cause de l’adoption plénière, de l’accouchement sous X, et revendication des enfants-gamètes sur le droit à connaître leur origine biologique.
L’idée que le père est un donneur de gamètes et non un géniteur vient donc contredire une tendance de fond. On résout cette contradiction de façon extraordinaire : on a le droit de connaître tout ce qui ne va pas chez son père (biologiquement parlant) mais pas de le rencontrer !

Lucile Schmid :
Ce sujet nécessite d’articuler égalité et différence. Différence entre hétérosexualité et homosexualité, différence entre le corps des femmes et celui des hommes, et différence des rôles éducatifs avec la question des familles monoparentales. Ce débat a en tous cas clairement établi que la parentalité était loin d’être seulement « un papa et une maman ». Une réalité de la diversité des familles a été dévoilée à l’occasion de ce débat.
On constate par ailleurs que cette articulation entre égalité et différence ne se fait pas non plus dans le débat politique. Le principe d’égalité l’a largement emporté. La question de la différence est revendiquée au nom de l’égalité des droits, c’est une première difficulté. Il y en a une seconde : les situations des enfants sont très différentes les unes des autres. Sont concernés tous les âges, certains sont adultes, d’autres viennent de naître, d’autres encore ne sont même pas encore nés. Autour de la question de l’enfant apparaît donc une autre grande diversité.
LS a regardé de nombreuses vidéos où s’expriment les opinions à ce sujet, d’un bord ou de l’autre. Il y a le débat officiel que nous avons commenté, mais il y en a un autre sur les réseaux sociaux, dont la force d’influence est très grande. Et là encore, la variété et la diversité des arguments individuels sont très grandes. Il nous faut porter un projet collectif, alors que les cas sont aussi intimes que variés.
Le visionnage de tous ces récits a frappé LS sur un point : l’enfant est presque exclusivement évoqué comme un bébé, cela ne va souvent pas au-delà de ce stade, or on a des enfants pour toute la vie.
Ces débats doivent servir à sortir de la fantasmagorie et des peurs pour nous ancrer dans la réalité de situations concrètes. Nous avons déjà vécu un long parcours juridique. Lorsqu’on conçoit le PACS, on le destine aux homosexuels, or on s’aperçoit que la majorité des couples pacsés sont hétérosexuels. Quand le mariage pour tous est institué, on constate que la société française ne s’effondre absolument pas. La dernière étape en date introduit une complication vertigineuse, puisqu’il ne s’agit plus seulement d’adultes désormais, et l’on est passé du champ médical (où a longtemps été cantonnée la PMA) au champ sociétal.
Il nous faut retrouver ce principe de réalité à propos de la famille, du fait d’élever un enfant, et imaginer ce qui va se passer dans la durée.

François Bujon de l’Estang :
C’est un sujet difficile, qui peut partir dans à peu près toutes les directions : la société, la famille et son évolution, la politique, les mœurs, le monde, l’académie de médecine ...
A propos de cette dernière, dont la position a été qualifiée de « datée » par Mme Buzyn, elle comprend tout de même des pédiatres et des pédopsychiatres, et balayer leur avis d’un revers de main paraît tout de même inconséquent. D’autant que cet avis a été émis après avoir été voté par une majorité de 69 contre 11. Écouter l’avis des médecins sur des sujets qui comportent une dimension médicale (quand bien même ce ne serait pas la seule) ne paraît pas aberrant à FBE.
Deux arguments de l’académie de médecine paraissent mériter réflexion. Le premier est ce qu’elle a appelé « une rupture anthropologique majeure ». Et c’est le cas. Ensuite, elle fait valoir que cela va considérablement transformer la profession médicale, qui consistait jusqu’à présent à soigner des patients, et non à proposer un service.
A propos du débat qui anime le parlement et le pays, il est intéressant de constater qu’il ravive le clivage droite / gauche. Mais il s’agit en réalité d’un sujet de conscience, et non politicien. Il est politique au sens noble du terme, mais pas politicien. Il a une dimension morale, philosophique, et sociétale.
Enfin, la rapidité de l’évolution de l’opinion publique sur ces sujets est spectaculaire. L’autorisation de l’IVG date de 1975. Presque 40 ans plus tard, en 2013, est voté le mariage pour tous. L’accélération se poursuit puisqu’en 2019 on en est à la PMA, et il ne fait aucun doute que la GPA sera la prochaine étape.
Le débat parlementaire s’est développé sans trop de vagues, bien moins en tous cas que celui à propos du mariage homosexuel. Il n’y a aucun suspense dans ce débat, personne ne doute que le parlement va autoriser la PMA. L’opinion publique y est très majoritairement favorable, deux présidents l’ont promis, les dés sont donc jetés. Les opposants à ce projet, pour des raisons diverses selon les groupes, sont en déroute complète, à commencer par le parti des Républicains. L’Eglise est complètement décrédibilisée sur la famille, à cause des affaires de pédophilie. Autrement dit, il n’y a plus que des gens pour.

Jean-Louis Bourlanges :
A propos de l’équation politique de l’affaire. JLB ne se sent personnellement pas en déroute. Il a voté contre l’article 1 (qui était central, c’est cet article qui étend la PMA aux femmes seules), mais reconnaît que les opposants à ce projet sont totalement inaudibles.
D’autre part, le clivage fondamental est davantage entre catholiques et non-catholiques qu’entre droite et gauche pour JLB. Et ce quelles que soient les difficultés de l’Eglise. Par exemple le Rassemblement National, qui est une formation de droite fondamentalement païenne, est très profondément divisé à ce sujet. C’est aussi le cas des Républicains, ou Bellamy est très minoritaire. Il y a d’autre part des catholiques de gauche très réservés sur cette affaire.

Nicole Gnesotto :
Il s’agit indubitablement d’une rupture anthropologique, mais elle ne vient pas de l’extension de la PMA. On est dans une période de transition sur la conception de la famille, et ceci n’est que le dernier épisode en date. Mais il mérite un débat, et il est regrettable que le gouvernement semble vouloir accélérer les choses.
Enfin, sur le droit à l’enfant, NG est contre, que ce soit pour un homme ou une femme. Mais il se trouve que pour un homme, il est biologiquement impossible de porter un enfant, il lui faut absolument un ventre de femme. Donc si l’homme a un droit a l’enfant, il se retrouve obligé de « louer » un corps de femme. C’est pour cette raison que NG est opposée à la GPA, et qu’elle se refuse à l’envisager comme conséquence logique de la PMA. C’est d’ailleurs le revers de la médaille pour la PMA. Car si elle est favorable à son extension, NG pourrait reconsidérer son opinion, comme beaucoup de Français, si la PMA est présentée comme une première étape vers la GPA.

Lucile Schmid :
Lorsqu’on évoque l’académie de médecine ou les partis politiques, on s’étonne qu’ils puissent parler de sujets qui relèvent d’une telle intimité, surtout à un moment où la société cherche à être autre chose qu’une somme d’individualités faisant valoir leurs différences. Quel projet de société défendons-nous en commun, malgré ou à travers nos différences ? L’aspect scientifique de ce débat peut intimider et donner l’impression que nous n’y connaissons pas grand chose. Éduquer et élever, ce n’est pas seulement vivre une histoire d’amour. La question du devoir d’éducation est important, et soit dit en passant, on peut tout à fait éduquer un enfant à davantage que deux personnes.

Les brèves

I am Europe

Lucile Schmid

"Dans la continuité de notre débat sur la PMA, un spectacle qui a lieu aux ateliers Berthier du théâtre de l’Odéon, qui s’appelle I am Europe, qui n’est pas, contrairement à ce qu’on pourrait penser, un vibrant plaidoyers pour le parlement européen. C’est en fait un spectacle où une vingtaine de jeunes acteurs-chanteurs-danseurs, absolument formidables, racontent leur pérégrinations en Europe. Ils y abordent leur histoire intime, leur sexualité, leur relation à l’enfant. "

La maison de Balzac

Jean-Louis Bourlanges

"Un cri d’indignation tout d’abord, contre tout ce qui arrive à ma rue, la rue de Trévise, Bloquée pendant des mois à cause de travaux, puis interdite, il devient de plus en plus difficile de la quitter ou d’y entrer. Ma voiture a été séquestrée dans son parking pendant cinq jours, mon immeuble est animé de tremblements fréquents, le téléphone est interrompu, une alerte au gaz nouvelle a été déclenchée il y a quelques jours ... Je pense qu’en toute logique, l’immeuble devrait exploser le jour de la réélection de Mme Hidalgo. Je voudrais tout de même signaler une initiative heureuse de la maire de Paris : la réouverture de la maison Balzac, rue Renoir, où l’on a réaménagé le tout petit domicile de Balzac, qui n’occupait que le premier étage. C’est un endroit merveilleux, et très animé puisqu’il accueille actuellement une exposition sur l’illustrateur Grandville, une animation ce dimanche sur les chansons de Béranger ... "

RAMSES 2020

Nicole Gnesotto

"J’avais parlé il y a quelques semaines du premier ouvrage de géopolitique de la rentrée (L’état du monde), voici maintenant le deuxième, le RAMSES, le traditionnel Rapport Annuel Mondial sur le Système Économique et les Stratégies. Ce numéro est intitulé « un monde sans boussole », ce que je trouve intéressant cette fois-c est le focus très important sur un sujet qu’on ne regarde pas assez : les évolutions en Amérique latine. On nous disait il y a quelques années que ce serait le prochain eldorado de la mondialisation économique, de la croissance et de la démocratie, or toute cette région est en train de sombrer dans une spirale de corruption, de populisme et d’extrême-droite ... Ne serait-ce que pour cette partie, je trouve cette livraison très intéressante."

Dictionnaire amoureux de la diplomatie

François Bujon de L’Estang

"Enfin un dictionnaire amoureux de la diplomatie ! L’auteur est mon collègue, et néanmoins ami Daniel Jouanneau, qui a eu une carrière d’ambassadeur très distinguée, et fut aussi inspecteur général des postes diplomatiques et chef du protocole. C’est un livre très amusant, pour tous ceux qui ont des idées toutes faites, ou pas d’idée du tout, sur un métier très mal connu. Ce dictionnaire amoureux est très pédagogique sans jamais être ennuyeux. Il est plein de culture historique, il comprend des anecdotes que seul un chef du protocole peut connaître. Pour tous ceux qui pensent, comme le disait Pompidou, que la diplomatie c’est « le petit gâteau et la tasse de thé » ce livre sera très profitable : il montre avec talent un métier compliqué dans toutes ses dimensions."

De Gaulle : une certaine idée de la France

Philippe Meyer

"Je voudrais recommander le livre de Julian Jackson sur De Gaulle. Hitchcock disait : « ce qui fait le suspense, c’est qu’on connaît la fin ». C’est le cas à propos de De Gaulle, et il y a dans ce livre un suspense remarquable, en ce sens qu’on se demande toujours comment Julian Jackson a trouvé que la fin est venue. C’est magnifiquement documenté, et écrit (et traduit) avec une fluidité remarquable. Certaines constantes demeurent : l’anglophobie, absolument consubstantielle à la pensée du général, une méthode qui consiste à foncer dans le lard agressivement puis à revenir plus tard en paraissant avoir fait des concessions (mais en ayant simplement changé de ton), et une idée : ce qui divise la société, ce ne sont pas les différences entres républicains et monarchistes, mais entre ceux qui servent l’état et ceux qui le desservent. Enfin, une vision quasi mystique de la France et des méthodes extrêmement pragmatiques. "