Grand débat, la fin du commencement; Brexit le commencement de la fin #84

GRAND DÉBAT NATIONAL LA FIN DU COMMENCEMENT

Introduction

Lancé le 15 janvier dernier par Emmanuel Macron, le grand débat national, est la deuxième partie de la réponse de l'Élysée à la crise des gilets jaunes, après des mesures sur le pouvoir d’achat annoncées le 10 décembre 2018. Alors que les réunions locales et le dépôt des contributions des internautes sur la plateforme  granddebat.fr a pris fin le 15 mars l'exécutif va devoir réaliser un exercice de synthèse important pour répondre aux attentes des Français. Lundi 8 avril, Édouard Philippe a entamé la restitution du Grand débat national devant 500 personnes parmi lesquelles des maires, des ministres des directeurs d’administration centrale et des citoyens. Le Premier ministre a également présenté les conclusions de cet exercice inédit devant l’Assemblée Nationale mardi puis devant les sénateurs. Édouard Philippe a dégagé « quatre axes », "une immense exaspération fiscale", "une exigence de fraternité, de proximité, de lien quotidien", "une exigence démocratique" et "une exigence climatique". Il a ajouté que, face au ras-le-bol, il n’y a « qu’une direction à prendre : nous devons baisser, et baisser vite les impôts ». La plateforme en ligne du grand débat aurait attiré 506 000 contributeurs, qui auraient apporté près de 2 millions de contributions – « 1 364 000 contributions aux questions fermées et 569 020 contributions aux propositions ouvertes ». Néanmoins, le journal Le Monde ainsi que le site Les Jours pointent le fait que la moitié des contributions des Français n'a pas été prise en compte. La Bibliothèque Nationale de France (BNF), chargée de la numérisation de toutes les contributions n'aurait pas eu le temps d’en scanner l’ensemble compte- tenu des délais fixés par le gouvernement. La synthèse présentée par l’exécutif ne sera toutefois pas la seule analyse du grand débat. Des chercheurs, des ingénieurs et des citoyens ont développé en parallèle d’autres modes de débat et outils de restitution. Depuis le 15 janvier dernier, le président de la République a participé à 16 débats, a rencontré et écouté 2.310 élus, 1.000 jeunes, 60 intellectuels, 350 femmes et 55 enfants. Il s’exprimera dans les prochains jours.

Kontildondit ?

Richard Werly (RW):
Il a souvent été fait référence à la Suisse pendant le grand débat, à cause du référendum. La tâche de l’exécutif après une expression populaire aussi massive se résume en trois points : d’abord, il faut montrer qu’on a entendu. Et qu’on a entendu ce que les gens ont dit, et non ce que le gouvernement avait envie d’entendre. Deuxièmement, il va falloir faire, et faire vite. Il faudra prendre des mesures concrètes et applicables, pas seulement des projets à long terme. Et enfin, il va aussi falloir dire non. Si certaines demandes vont être traduites en mesures, d’autres seront refusées, et elles seront nombreuses.
Ce dernier point est le plus problématique : comment argumenter un refus dans une tension sociale pareille ? Emmanuel Macron va devoir faire mieux qu’Edouard Philippe sur ces trois points. Le premier ministre a pour le moment listé des chantiers qui vont dans le sens de ce que le gouvernement voulait déjà faire. Emmanuel Macron, qui a été mis en avant depuis le début de la crise des Gilets Jaunes (GJ), ne pourra pas se contenter de ça, et la tâche qui l’attend paraît considérablement plus difficile.

Lucile Schmid (LS) :
Il y a un débat à propos de ce grand débat, qui peut se résumer de la façon suivante : ce grand débat était-il un vrai débat ? Ce sujet est soulevé politiquement par les GJ, et on voit que les grand débat a été influencé par les questions soulevées par les GJ (fiscalité, écologie). Il s’agissait de trouver une perspective, alors que le mouvement des GJ semblait tourner en rond. Ce n’est peut-être plus le cas, car le mouvement s’organise et se perpétue. Articuler les questions du grand débat à celles soulevées par les GJ a donc été un premier sujet.
Ensuite, il s’agit de savoir si ce grand débat a vraiment été démocratique. On sait que la participation comprenait davantage de classes éduquées, plus d’hommes que de femmes, peu de jeunes, etc. Un sujet de représentativité est donc posé. Les propositions que fera Emmanuel Macron seront-elles représentatives ? Plusieurs articles pointent le fait que certains sujets essentiels pour les élections européennes, comme la question migratoire, n’ont pas été abordés dans ce grand débat, et que la sélection des quatre sujets permettait d’éviter les questions à problèmes.
Troisièmement, c’est un big bang qui est attendu, pas de petites mesures. LS, en regardant dans le détail les contributions du grand débat sur la question écologique, constate que les interventions sont individuelles et atomisées, mais quand bien même, elle peine à reconnaître dans les orientations indiquées par Edouard Philippe un reflet de ce qu’elle a lu. Il va s’agir pour le gouvernement non seulement de proposer un big bang, mais en plus de ne pas donner l’impression aux contributeurs que ce qu’ils ont dit n’a servi à rien.

Nicolas Baverez (NB) :
Cette tentative de désamorçage de la crise des GJ a compté trois moments : le débat, la restitution, et l’intervention du président de la République. Chacun de ces moments pose des difficultés.
Sur le débat lui-même, il y a effectivement des interrogations sur le contenu des réponses, sur qui a contribué et sur ce qui a été pris en compte. Sur la restitution, on constate un double écart. Le premier entre les GJ et le grand débat : les participants au débat sont sociologiquement et politiquement différents des GJ. Le second est entre les contributions et la synthèse qu’en a faite le premier ministre. Il s’agit dans cette synthèse de montrer qu’on tient compte de ce qui a été dit tout en sauvant le programme présidentiel. Enfin, le moment de l’annonce des décisions par le président s’annonce lui aussi problématique. On peut relever plusieurs ambiguïtés, la première d’entre elles étant qu’il est déjà engagé à hauteur de 10 milliards d’euros sur les mesures annoncées l’hiver dernier, on voit mal comment il pourrait faire davantage, puisqu’il ne dispose d’aucune marge financière. Deuxième ambiguïté : il a pesé très fort sur le débat et semble vouloir mener en même temps la campagne des élections européennes. Enfin, le temps du « en même temps » semble fini, et il va falloir trancher une bonne fois sur certains sujets.
Emmanuel Macron va donc jouer le destin de son quinquennat dans la semaine qui vient, et il doit le faire en résolvant une équation quasiment impossible. Les Français attendent beaucoup, et pas tant des mesures que le moyen de refaire une société, aujourd’hui complètement éclatée. Ils demandent un nouveau pacte économique, démocratique et social. Or, un tel nouveau projet supposerait plusieurs choses : remettre en cause le projet précédent (celui de la campagne présidentielle), adopter une nouvelle stratégie politique, acquérir une nouvelle base sociologique et politique, et bien sûr une équipe renouvelée. On voit mal comment il pourrait mettre tout cela en place dans un calendrier pareil.
La principale demande, celle qui fait entrevoir à NB une marge de manœuvre possible pour E. Macron, est une demande de reconnaissance de la dignité des citoyens. Macron (mais aussi certains de ses prédécesseurs) a exacerbé tous les défauts du système, a gouverné sur un mode très égocentrique, autoritaire, centralisé et technocratique. Sa seule échappatoire possible est de casser le mur du mépris qui s’est installé entre les Français et leur système politique. Pour cela, il lui faudrait rapprocher les citoyens de l’économie et de la politique, c’est à dire l’exact contraire de ce qu’il a fait depuis qu’il est au pouvoir.

Pour Philippe Meyer, il semble que la récente nomination de la femme de Gilles Le Gendre (président du groupe LREM à l’Assemblée nationale) comme directrice de la communication de la Française des Jeux en pleine privatisation n’aille pas dans ce sens, pas plus que celle de Philippe Besson au consulat général de Los Angeles (nomination qui, elle, n’a pas aboutie, parce qu’annulée par le Conseil d’Etat).

Jean-Louis Bourlanges (JLB), en tant qu’élu de la majorité, admet être dans une situation difficile pour discuter le sujet, puisqu’il a été élu avec le soutien du président de la République. Depuis le début de cette affaire, il est saisi d’incompréhension, qu’il attribue à son appartenance à « l’ancien monde ». Son parcours de « sachant » (le terme étant ici péjoratif), enseignant, haut fonctionnaire issu de l’ENA (école la plus haïe de France actuellement) ne joue pas en sa faveur, puisque dès qu’il émet une réflexion documentée, on considère qu’il commet un abus de pouvoir.
Pour JLB, on ne peut désormais plus faire de politique comme on en a fait jusque là. Il salue le courage personnel d’Emmanuel Macron ces derniers mois, qui n’a pas ménagé ses efforts, participant lui-même avec un talent indéniable à de nombreux débats, mais il a cédé par là au culte français de la prouesse.
On ne peut pas faire de politique sans une offre politique. Les femmes et hommes politiques qui se présentent au suffrage savent ce qu’ils vont faire et le mettent en ordre. Pour faire de la politique, il faut tout d’abord de l’application. Il ne s’agit pas d’être génial, il s’agit de s’appliquer. Continuellement et précisément. La politique n’est pas une affaire de fin de soirée où on refait le monde, il s’agit, pour reprendre le mot de Max Weber, de « tarauder des planches de bois dur ».
Le problème crucial de cette société (que les ex-conseillers du président n’ont visiblement pas décelé, en tous cas pas dans leur récent livre) est un problème de solidarité : comment faire un corps social et politique ?
Ensuite, il faut être documenté. JLB entend n’importe quoi, sur tous les sujets. L’accès aux services publics par exemple. Un récent rapport de la cour des compte montre par exemple que davantage d’argent est versé par citoyen en zone rurale qu’en zone urbaine. C’est tout de même un élément crucial dans un débat sur les inégalités territoriales, or ça n’a pas été versé au débat.
Troisièmement, les problèmes de la France ne se résument pas à la somme des problèmes de chaque Français. Il y a une carence énorme dans ce débat sur la France elle-même. Comment est-elle envisagée dans le monde ou en Europe ?
Les débats étaient clairement identifiables dès le mois de décembre. La démocratie tout d’abord : que fait-on des deux chambres du parlement ? Comment articule-t-on pouvoir local et pouvoir national ? Comment revitaliser la démocratie représentative avec une meilleure participation des Français ? Tout cela aurait dû être analysé. Le coût social élevé des modifications de la législation fiscale des carburants, n’a pas été réfléchi lui non plus. Pas plus que le financement des collectivités territoriales. Il ne s’agit pas d’annoncer telle ou telle modification de la taxe d’habitation, mais de dire clairement comment les collectivités territoriales doivent vivre. Et enfin le problème de la fiscalité doit être posé en regard de celui de la croissance : comment avoir une fiscalité qui sert la croissance et la justice ? Tout ce travail n’a pas été fait et le président s’est mis dans une situation où il ne peut pas ne pas décevoir.

Richard Werly :
Les problèmes évoqués par JLB sont indubitables, mais RW craint qu’ils ne reflètent une autre tentation bien française : celle de l’interminable débat. Il faut savoir s’arrêter, et si problématiques qu’aient pu être les modalités de ce grand débat, on ne peut nier qu’une consultation significative a eu lieu. Le dépouillement des résultats donnera lui aussi une idée significative (mais pas représentative) de ce qu’attendent les Français dans certains domaines.

Pour Jean-Louis Bourlanges, on n’a rien appris dans ce débat qu’on ne savait déjà il y a trois mois. Il ne s’agit pas de savoir arrêter le débat mais de le commencer. Il pourrait s’arrêter aujourd’hui s’il avait vraiment été commencé en décembre.

Richard Werly :
Ce débat, commencé ou non, est en tous cas terminé, et c’est sur cette base que le président va s’exprimer. Un défi va s’ajouter à ceux déjà évoqués, le premier d’entre eux étant d’annoncer des mesures que les gens comprennent. Parce que dans ce domaine, le gouvernement a un problème. Personne n’a compris quoi que ce soit aux mesures annoncées en décembre.
Emmanuel Macron a été élu sur une promesse : transformer la France avec les Français. Peut-être qu’il aura la chance dans la deuxième partie de son quinquennat de transformer le pays avec l’aide de sa population, plutôt que contre elle, comme c’était le cas ces deux dernières années. Cette chance sera très difficile à saisir, mais elle existe.

Lucile Schmid :
Un débat doit être un moment d’intelligence collective. Est-ce que davantage de collectif émergera de ce grand débat, alors même que nous sommes obsédés par le chef de l’état ? La question de notre existence collective en tant que démocratie est posée. Comment renforcer l’intelligence collective par ce débat ? Ce point n’a pas été résolu pendant le déroulement du débat, où le président a été fidèle à lui-même, pensant pouvoir convaincre tout le monde à lui seul. Il faut davantage d’interactivité entre le gouvernement et la société française, entre la population et les « élites ». En ce sens, le fait que le premier ministre ait invité les directeurs d’administration centrales à la restitution qu’il a faite est intéressant. La demande de service public est énorme en France, c’est un point commun entre les participants au débat et les GJ. Il y a sur la question de l’état une grande ambivalence de ce gouvernement : Edouard Philippe dit qu’on veut plus de service public et moins d’impôts, ce qui est une contradiction flagrante. Sur la question du service public et de l’exemplarité de l’état, comment le gouvernement peut-il remettre la fonction publique au service des plus démunis ?

Pour Nicolas Baverez, le président de la République a deux choses à faire : désarmer la charge politique du mouvement des GJ, d’abord. Cela n’a pas été fait, on le voit samedi après samedi. Le mouvement a d’ailleurs tendance à se structurer, il semble qu’il pèsera durablement sur l’échiquier politique. La deuxième tâche du président va consister à changer de posture et à retisser du lien avec les Français.
Comment refonder un pacte économique et social, comment sortir du chômage de masse, comment répartir les richesses au sein de l’entreprise avec la participation ? Sur le sujet de l’état, les gros chantiers sont l’éducation, la santé et la sécurité. Enfin, sur la démocratie, comment redonner un sens à ce mot de « fraternité » ? Comment fait-on une société à partir d’individus atomisés ? S’appuyer sur la société civile accomplirait ce qui avait été annoncé pendant la campagne présidentielle, mais cela suppose un changement de posture radical. Pour le moment, la réponse s’apparente à celle de Donald Trump : la campagne électorale permanente. Avec le grand débat d’abord, puis les élections européennes, pour lesquelles le président souhaite apparemment intervenir dans des meetings de LREM. Si le président persiste dans cette voie, il va au devant de graves problèmes car les Français attendent exactement l’inverse.

Jean-Louis Bourlanges croit profondément à la nécessité du débat. Mais on ne peut pas débattre sur rien. Le problème de ce grand débat est que les sujets débattus n’ont pas été posés courageusement, c’est à dire rigoureusement. Il aurait fallu annoncer les chantiers, puis établir une période pendant laquelle on donnerait les informations nécessaires à la réflexion. Cela a été ébauché à un moment, avec un tableau montrant où va l’argent public, mais cela n’a pas été fait suffisamment. Du coup ce grand débat repose sur du sable, alors qu’il était nécessaire. Enfin JLB est gêné par ce mot de la transformation. Il lui semble au contraire qu’il y a dans le corps social une volonté très grande de conservatisme (au sens le plus noble de ce mot). A commencer par la planète, qu’il s’agit de préserver ; puis la démocratie représentative, qui a tranché avec les régimes autoritaires ; l’économie ouverte qui doit certes être régulée mais qui a apporté une immense prospérité. Et enfin le lien entre la solidarité sociale et l’économie de marché, qui est constamment attaqué par les populismes de droite et de gauche. Réformer est nécessaire, mais pour conserver ce que nous avons de plus précieux.

BREXIT LE COMMENCEMENT DE LA FIN

Introduction

Lancé le 15 janvier dernier par Emmanuel Macron, le grand débat national, est la deuxième partie de la réponse de l'Élysée à la crise des gilets jaunes, après des mesures sur le pouvoir d’achat annoncées le 10 décembre 2018. Alors que les réunions locales et le dépôt des contributions des internautes sur la plateforme  granddebat.fr a pris fin le 15 mars l'exécutif va devoir réaliser un exercice de synthèse important pour répondre aux attentes des Français. Lundi 8 avril, Édouard Philippe a entamé la restitution du Grand débat national devant 500 personnes parmi lesquelles des maires, des ministres des directeurs d’administration centrale et des citoyens. Le Premier ministre a également présenté les conclusions de cet exercice inédit devant l’Assemblée Nationale mardi puis devant les sénateurs. Édouard Philippe a dégagé « quatre axes », "une immense exaspération fiscale", "une exigence de fraternité, de proximité, de lien quotidien", "une exigence démocratique" et "une exigence climatique". Il a ajouté que, face au ras-le-bol, il n’y a « qu’une direction à prendre : nous devons baisser, et baisser vite les impôts ». La plateforme en ligne du grand débat aurait attiré 506 000 contributeurs, qui auraient apporté près de 2 millions de contributions – « 1 364 000 contributions aux questions fermées et 569 020 contributions aux propositions ouvertes ». Néanmoins, le journal Le Monde ainsi que le site Les Jours pointent le fait que la moitié des contributions des Français n'a pas été prise en compte. La Bibliothèque Nationale de France (BNF), chargée de la numérisation de toutes les contributions n'aurait pas eu le temps d’en scanner l’ensemble compte- tenu des délais fixés par le gouvernement. La synthèse présentée par l’exécutif ne sera toutefois pas la seule analyse du grand débat. Des chercheurs, des ingénieurs et des citoyens ont développé en parallèle d’autres modes de débat et outils de restitution. Depuis le 15 janvier dernier, le président de la République a participé à 16 débats, a rencontré et écouté 2.310 élus, 1.000 jeunes, 60 intellectuels, 350 femmes et 55 enfants. Il s’exprimera dans les prochains jours.

Kontildondit ?

Lucile Schmid :
On a cette semaine inventé une nouvelle manière de qualifier le Brexit : le « Halloween Brexit », puisque le 31 octobre, c’est aussi Halloween. Plus personne ne comprend quoi que ce soit à ce Brexit, à commencer par les Britanniques, qui vont certainement devoir élire des députés au parlement européen, qui joueront un rôle fondamental dans la désignation du prochain président de ce parlement. Les sondages pour les européennes donnaient une avance certaines aux conservateurs du PPE sans les Britanniques. Avec eux, ce sera sans doute très différent car les travaillistes devraient dominer l’élection. Le parlement européen s’en trouverait donc profondément modifié, alors même que les députés Britanniques n’y resteront que quelques mois.
Ensuite, ce Halloween Brexit s’annonce comme un surcroît de confusion. Ces élections seront certainement gagnées par les travaillistes, et Jeremy Corbyn est assez confus au sujet de l’Europe. On imagine mal que ces élections débouchent sur une situation meilleure, ni même plus claire.
Emmanuel Macron a été seul à s’opposer au report du Brexit, il n’a pas su convaincre ses partenaires européens, dans ce théâtre-là non plus, le collectif n’est pas son fort. Il a sans doute eu le tort d’annoncer trop tôt et trop clairement qu’un report du Brexit était une mauvaise idée, Mme Merkel s’est fait un plaisir d’accueillir Theresa May très chaleureusement, montrant ostensiblement que le couple franco-allemand battait de l’aile.
L’opinion publique britannique n’y comprend rien, et est aussi divisée qu’elle l’était au moment du référendum de 2016. La tradition parlementaire britannique est très différente du crétinisme parlementaire Français, il y a de merveilleux orateurs, mais le niveau de confusion est inédit. Avoir Emmanuel Macron peut avoir du bon, car la capacité à finir quelque chose et la détermination font cruellement défaut outre-Manche.

Nicolas Baverez :
Les Britanniques semblent en effet avoir inventé le « neverendum ». De même que chez nous le débat est interminable, il y a un référendum sans fin chez eux. Il semble que quelle que soit la question, la réponse est non. Non au leave, non au remain. Non au deal, non au no deal, non au délai bref, non au délai long. Non à Mme May comme Premier Ministre, non à son départ. Non au résultat du référendum de 2016, non à un autre référendum. Le blocage est total. C’est la deuxième photographie de trou noir de la semaine.
Sur les grandes questions de fond, l’union douanière, la circulation, l’immigration, et surtout sur la frontière irlandaise, aucune réponse n’est en vue. On ne sait ni à Londres ni à Bruxelles ce que ce délai supplémentaire va pouvoir y changer.
La nouveauté est que les Britanniques ont réussi à exporter ce trou noir de Londres vers Bruxelles. Jusqu’à présent les 27 s’étaient montré unis, cette unité vient d’être rompue. Macron a été maladroit, mais les questions qu’il a soulevées sont sérieuses. Comme LS l’a rappelé, les Britanniques vont jouer un rôle décisif dans cette élection européenne, et la question du Brexit va continuer à accaparer l’agenda européen. Les raisons de ce désastre sont bien connues : la démagogie, qui poursuit ses ravages dans le reste du monde.

Richard Werly a assisté à ce sommet de Bruxelles, en tant que journaliste. S’il partage les analyses précédentes sur la confusion, qui est totale, et sur la situation politique Britannique totalement bloquée, il est en revanche plus optimiste sur les deux éléments qui sont sortis du récent sommet.
Premièrement, on a fait du Merkel bashing, ce qui est facile, mais la chancelière Allemande, en faisant durer le Brexit, replace la question économique au centre des préoccupations : elle et d’autres partenaires européens estiment que l’Europe ne peut pas se permettre un no deal. Et Emmanuel Macron, qui ne partageait pas cet avis, s’est finalement ravisé à la dernière minute. L’ampleur des difficultés d’un Brexit sans accord est sans doute sous-estimée en France. Les Français seraient bien avisés d’écouter les Allemands quand ceux-ci pointent un danger.
Deuxièmement, les élections européennes. La situation paraît en effet surréaliste, mais elle cache un pari politique. A partir du moment où le Royaume-Uni tiendra des élections européennes, un déblocage politique sera peut-être possible. On aura de fait une concurrence de deux scrutins : celui du 23 juin 2016, à savoir le référendum dans lequel le vote leave l’a emporté à 51,9%, et le scrutin européen de la fin mai. Si ce dernier montre une victoire des partisans du Brexit, alors la messe sera totalement dite. Mais si les pro-européens (c’est à dire le camp du remain, quels que soient les partis qui le composent) l’emportent nettement, alors les cartes seront rebattues. La situation est indéniablement abracadabrantesque, mais elle aura peut-être sur une issue pragmatique. C’est peut-être ce sur quoi comptent les Allemands, qui déclarent toujours en off aux journalistes que le Royaume-Uni restera in fine dans l’Union Européenne.

Jean-Louis Bourlanges partage l’avis de RW sur le danger économique du no deal. La perspective d’une sortie sans accord présente un problème qui concerne au premier chef les Français. Nous sommes la seule frontière terrestre avec la Grande Bretagne, nos échanges avec les Britanniques sont massifs, et toute la façade nord de la France serait durement touchée.
En revanche, JLB ne voit pas comme RW une issue possible. Les Britanniques ont voté il y a presque trois ans, ont annoncé leur départ il y a deux ans. Puis les négociations ont été entamées, elles ont été menées intelligemment, tant par les fonctionnaires Britanniques que par M. Barnier, et ont mené à un accord. Depuis, on est dans la situation qu’a décrite NB, où les parlementaires Britanniques sont incapables d’avancer d’un pouce. Et malheureusement cette situation peut durer éternellement, elle dépend entièrement des Britanniques, sur le continent, on a tout essayé.
Il y a trois options : celle, pas impossible mais très improbable du remain, celle de la sortie avec l’accord qui a été négocié, et enfin celle d’une sortie dure, sans accord. Cette décision ne nous appartient pas.
RW a mentionné du Merkel bashing en France. Il faudrait aussi parler du Macron bashing qu’il y a eu en Europe, et qui paraît injuste à JLB. Macron a apporté dans cette affaire un peu de cohérence, mais en Europe, on est qualifié de psychorigide dès lors qu’on est cartésien.
Ce qui domine juridiquement la situation, c’est l’interprétation de l’article 50 par la cour de justice. Cet article a été fait pour qu’un pays qui a pris la décision de partir dispose de deux ans pour aménager les conditions de son départ. Mais si ces conditions n’aboutissent pas à un accord, le pays en question part quand même. La cour de justice, en se fondant sur un terme impropre de l’article 50 (l’état concerné « notifie son intention », et non sa décision), a estimé que tant que les négociations ne sont pas finies, l’état peut rester. On estime désormais que la décision de partir n’a pas été prise, et c’est pourquoi l’hypothèse du remain n’est pas totalement écartée. C’est ce qui amène à l’absurdité d’aujourd’hui : si les Britanniques ne voulaient pas faire d’élections européennes, ils devaient sortir maintenant, puisque tant que l’on n’est pas sorti, on est membre avec toutes les obligations que cela implique.
La séance constitutive du parlement européen s’annonce selon JLB « complètement foireuse » puisque la principale délégation socialiste sera constituée des députés travaillistes Britanniques. Toute la répartition des présidents de commission, des vice-présidents de groupe, ainsi que la désignation du président de la commission seront modifiés par la présence d’un partenaire appelé à ne rester que quelques semaines. On marche sur la tête.

Les brèves

Lancer l’alerte

Lucile Schmid

" A l’heure où Julien Assange déffraie la chronique : est-il un lanceur d’alerte ? est-il un allié de Trump ou de Poutine ? Je voulais recommander le dernier numéro de la revue Esprit : Lancer l’alerte. Il donne la parole à Patrick Weil qui propose de donner l’asile à Edward Snowden. Il donne également la parole à Francis Chateauraynaud qui est le chercheur qui a inventé ce terme français de lanceur d’alerte qui n’est pas du tout la traduction littérale de « whistleblower ». "

La voiture et les "gilets jaunes"

Jean-Louis Bourlanges

"Je voudrais recommander l’article paru dans la revue Étude d’Hervé Le Bras : « La voiture et les "gilets jaunes ». Il montre que c’est véritablement le rôle de la voiture qui est au cœur de la colère des gilets jaunes. Il montre par exemple que le nombre de foyer qui ont deux voitures est complètement indépendant du niveau de richesse. Ce n’est pas un indice de richesse mais de nécessité. Il montre la place décisive du budget de la voiture sur le pouvoir d’achat. Il montre à quel point nous avons été aveugles face à cet élément décisif. Il fait deuxièmement une analyse sur le Front national à travers la voiture en montrant que le Front National se développe des villages regroupés et de champs ouverts par rapport aux pays bocagés. Dans les villages regroupés, la voiture est un instrument de fuite et de non-solidarité sociale et donc ça développe le front national alors que dans les hameaux la voiture rapproche. "

L’Inde de Modi

Nicolas Baverez

"Christophe Jaffrelot a publié l’Inde de Modi. Il est vrai que l’on s’intéresse trop peu à l’Asie en France. Il se trouve que le 11 avril c’est le début des élections qui dureront jusqu’au 19 mai. Il y aura 900 millions d’électeurs; ce qui n’a pas d’équivalent dans le monde. C’est une sorte de référendum envers Narendra Modi. C’est un national-populiste qui a utilisé la haine contre les musulmans pour modifier le système des castes. Jaffrelot montre cela très bien."