L’ART DE MENTIR

Rubrique proposée par Philippe Meyer.

L’ART DE MENTIR

Philippe Meyer

"Sans être à proprement parler un poète, Donald Trump ne laisse pas inactive sa faculté d’imagination. Je dirai même qu’il la cultive, l’entretient, l’exerce, la peaufine, la torréfie, l’enfle, la travaille, la pousse dans des retranchements où peu d’hommes politiques – peut-être même aucun – n’ont osé s’aventurer jusqu’ici. Ainsi, lorsqu’il était candidat, le promoteur immobilier animateur de télé-réalité avait-il assuré qu’il existait une vidéo montrant des milliers de musulmans du New Jersey célébrant l’anniversaire des attentats du 11 septembre. L’un de ses soutiens produisit ce document, avant de devoir admettre qu’il s’agissait non de musulmans étatsuniens, mais de Palestiniens filmés à Gaza. Trump avait aussi découvert que Barack Obama s’apprêtait à faire entrer aux Etats-Unis 200.000 réfugiés syriens. Le chiffre exact -10.000- était 20 fois inférieur. Pour arriver à multiplier par huit le nombre de chômeurs, le milliardaire candidat ajoutait aux sans-emploi dénombrés par l’administration les 11 millions de mères au foyer et les 20 millions d’étudiants. Donald J. Trump a remercié Vladimir Poutine de l’avoir qualifié de « génie ». Le président russe avait déclaré qu’il trouvait le prétendant républicain « tsvetistyy », c’est à dire, en français, « pittoresque ». A chacune de ces affirmations controuvées comme à une cinquantaine d’autres, le site du Washington Post consacré à la vérification des faits a attribué quatre Pinocchios, la plus élevée des notes sur son échelle des mensonges. L’équipe de Trump ne s’est pas laissée émouvoir par ce rappel au respect de la vérité et l’une de ses porte-parole, Kellyanne Conway, a déclaré à la presse que son patron ne mentait pas mais qu’il présentait plutôt « des faits alternatifs ». C’était peu après que le nouveau président avait déclaré, nouvelle vantardise, que la foule présente à son installation était « la plus nombreuse à avoir jamais assisté à cette cérémonie ». Dans les archives déjà très riches des distorsions de la langue connues sous le nom d’éléments de langage, les « faits alternatifs » marquent une nouvelle étape vers une équivalence orwellienne entre le vrai et le faux. L’expression de Madame Conway me rappelle cette phrase du syndic de la publicité dans « La Folle de Chaillot » de Jean Giraudoux : « entre la vérité et le mensonge, ne me demandez pas de me départir de ma traditionnelle impartialité ». Le travestissement de la réalité par un vocabulaire anesthésiant, lénifiant, voire sédatif ne cesse de gagner du terrain dans notre vie publique depuis que la communication y a remplacé le débat. Longtemps « communiquer » fut un verbe transitif. On communiquait quelque chose. De préférence à quelqu’un. Désormais, ce verbe sans complément d’objet désigne l’action de recouvrir de propos captieux, plus ou moins sournois ou obreptices, ce qu’on ne veut pas reconnaître, ce qui gêne ou ce qui contrarie. A moins qu’il ne s’agisse de faire prendre les vessies pour des lanternes magiques, la limande pour de la sole ou l’immobilisme pour une politique. "