Savoir-vivre

Rubrique proposée par Philippe Meyer.

Savoir-vivre

Philippe Meyer

" Beaucoup d’entre nous, dans tous les milieux, éprouvent avec peine l’impression que, dans notre société, le manque de savoir-vivre affecte profondément la vie de tous les jours. Je dis le manque, d’autres écriraient la perte. Je préfère éviter les querelles sous-jacentes à ces nuances et surtout cette désagréable et oiseuse inflammation des arguments qui fait que la référence à un passé jugé, sur un point ou sur un autre, meilleur que le présent déplace le débat sur des terrains minés, surchargés d’approximations, hérissés d’amalgames et prolifiques en anathèmes. Cette propension à l’outrance, que, grâce à Gérard Collomb, qui semble devoir laisser davantage de souvenirs comme agrégé de lettres classiques que comme premier flic de France, nous appelons désormais hubris, est elle-même un des symptômes de l’anémie du savoir-vivre. Elle est recherchée, cultivée, banalisée et aseptisée par la plupart des chaînes de télévision, notamment celles dites d’information continue, et par un grand nombre de stations de radio. Elle fait litière de la politesse, dont Roland Barthes a donné une si juste définition en la qualifiant « d’état d'équilibre très subtil et très fin, manière de se protéger sans blesser l'autre ». Cette politesse selon Barthes est tout à fait capable d’exprimer la force d’un désaccord, mais d’une manière qui ne détruit pas ce lien social dont nous nous gargarisons d’autant plus volontiers que nous le rendons de plus en plus ténu. Si détestable et si influente que soient la façon de faire de tant de médias et sa dissémination, elles ne sont pas les seules causes du mal dont nous sommes atteints collectivement. Il me semble que l’un de nos travers majeurs est l’impatience et je trouve d’une admirable pertinence cette notation d’Alphonse Allais pour qui « l’homme sans savoir-vivre, c’est celui qui cherche à aller directement du foin au lait sans passer par la vache »."