PERSISTANCE

Rubrique proposée par Philippe Meyer.

PERSISTANCE

Philippe Meyer

" La dizaine de jeunes filles en robe de bal qui figurent sur la photo publiée par le Daily mail étatsunien ont pris place devant l’objectif en fonction de la couleur de leur peau : une noire, une blanche, une noire, une blanche. Le résultat ne manque pas de charme, mais ce n’est pas pour charmer que ces élèves de dernière année du lycée de Macon, dans le comté étatsunien de Wilcox ont imaginé cette carte d’invitation à leur traditionnel bal de promotion. C’est parce qu’elles ont l’ambition que cette soirée de fête soit ouverte à tous les élèves de leur établissement, quelle que soit la couleur de leur peau. On a beau savoir (et, dans mon cas, apprendre) que le comté de Wilcox se situe dans le sud de l’Etat sudiste de Géorgie, on croit que la ségrégation raciale est abolie dans les faits depuis une cinquantaine d’années à Macon comme partout à travers les États-Unis. On a raison de le croire, et si les autorités du lycée de Macon acceptaient d’organiser un bal de promotion dont l’une des couleurs de peau serait bannie, elles encourraient de sérieux ennuis avec les tribunaux. Aussi la loi est-elle tournée depuis plus d’un demi-siècle et le bal du lycée de Macon est-il organisé à titre privé par des parents d’élèves et des élèves. Les autorités du lycée se contentent de n’organiser aucun bal ni aucune festivité qui pourraient concurrencer la bal ségrégationniste, bal ségrégationniste qu’elles ne mentionnent sur aucun document papier ou électronique afin de se couvrir et d’échapper aux foudres de la loi. De son côté, la police ne fait officiellement aucune distinction entre les races et moins encore de discrimination. Elle ne connaît à l’occasion de cette fête que deux sortes d’individus : les invités et les non-invités. Aussi se contente-t-elle de se tenir à la disposition des parents blancs qui organisent un bal pour enfant blancs au cas où un élève non-invité tenterait de se mêler aux danseurs. Les choses seraient restées en l’état pour encore de nombreuses années si Stephanie Sinnot, Mareshia Rucker, Quanesha Wallace, et Keela Bloodworth n’étaient des amies d'enfance. Ce quatuor d’inséparables est aussi un quatuor éthniquement mixte : Stephanie et Keela sont blanches, Mareshia et Quanesha sont noires, ce qui les empêche de célébrer ensemble la fin de leur scolarité. Cette perspective les chagrine, c’est pourquoi elles ont pris l’initiative d’un appel à l’organisation d’un bal unitaire. Leur geste n’a pas été aussi bien accueilli qu’elles l’espéraient. Les affiches annonçant leur initiative ont été arrachées et l’administration du lycée a expliqué qu’elle ne disposait d’aucun moyen pour les aider ni d’aucun local pour accueillir leur fête. L’an passé, les forces de l’ordre du comté de Wilcox ont exfiltré un non-invité du bal organisé par les parents blancs. Il était métis. Il a de la chance de l’être toujours, si on en juge par les mœurs encore en vigueur en Géorgie à l’époque où les ségrégationnistes n’étaient pas obligés d’avoir recours à des ruses pour organiser des bals blancs. "