TITRES DE FILMS

Rubrique proposée par Philippe Meyer.

TITRES DE FILMS

Philippe Meyer

" Un auditeur qui joint à cette noble qualité celle de cinéaste, Luc Béraud, me fait remarquer que chaque mercredi apporte son lot de sorties de films, et chaque fois la même consternation de les voir, en nombre grandissant, affichés sous des titres anglais. C’est vrai lorsqu’il s’agit de productions anglo-saxonnes, mais c’est tout aussi vrai pour des films qui nous arrivent de pays ou l’anglais n’est qu’une langue enseignée à l’école. Ainsi le film tchèque intitulé Stasti, mot qui signifie "bonheur", a-t-il été commercialisé en France sous le titre " Something like Happiness ». Et si les éditions du Seuil ont publié le livre de John Le Carré sous le titre La Constance du jardinier, les distributeurs de l’adaptation cinématographique de ce roman n’ont jugé susceptible d’intéresser le public que le titre anglais The Constant gardener. Le film sud-coréen Oechul (je ne garantis pas la prononciation) est devenu sur nos affiches April Snow. A Madrid, The Secret life of words s’intitule La vida secreta de las palabras. Pas à Paris, où il conserve son titre américain. Le dessin animé, lui aussi étatsunien, qui raconte l’histoire d’une bande d’animaux d’un zoo parti à la recherche d’un lionceau malencontreusement transféré dans la jungle est présenté en France sous le titre The Wild. Luc Béraud, qui est savant, ne souhaite pas que nous retombions dans les errements de l’époque où l’on traduisait My Darling Clementine John Ford par La Poursuite infernale… (film au demeurant dépourvu de poursuite aussi bien que de vision de l’enfer) où Stagecoach to Kansas devenait Tonnerre sur le Texas, et même où No Way out s’appelait à Paris La porte s’ouvre. Sans parler de Wish you were there Lindsay Anderson devenu en France, sinon en français, Too much ! Moins plaisantin, Luc Béraud souligne que Hollywood, dans sa volonté d’hégémonie, cherche à donner à ses productions des intitulés transparents qui puissent être les mêmes dans toutes les langues : Matrix, Fourmiz… Et quand cela n’est pas possible, l’industrie américaine du cinéma impose du bref et du facilement mémorisable : Big Mama, Sex Movie, Fog… Quant à des titres comme Basic Instinct ou History of Violence, on les suppose assez transparents pour qu'ils soient accessibles tels quels. L’objectif visé serait-il de persuader le public qu’ "un vrai film, c’est un film américain" ? La langue du Septième Art, c’est l’anglais, et donc son pays, c’est Hollywood. Faute de cet estampillage, le spectateur saura qu’il prend le risque de voir un film ennuyeux, fauché, difficile, insensible à ses attentes et à ses habitudes. Luc Béraud a développé sur ce thème un article d’une argumentation fournie et informée qu’il a vainement cherché à faire publier dans nos journaux. Sans doute sommes nous les champions du respect de la diversité culturelle, mais, pour rester dans le ton, not in our backyard, autrement dit pas lorsqu’elle est mise à mal sous nos yeux. Comment traduit-on en anglais « Essai sur la servitude volontaire » ?"