LA VRAIE VIE EST-ELLE AILLEURS ?

Rubrique proposée par Philippe Meyer.

LA VRAIE VIE EST-ELLE AILLEURS ?

Philippe Meyer

" L’homme soupçonne facilement que l’herbe est plus verte dans d’autres prés que celui où il a planté sa tente. Il en nait une inquiétude que nourrissent périodiquement les magazines hebdomadaires en publiant le palmarès des villes où il fait le meilleur vivre, le classement des hôpitaux où il fait bon être soigné et bientôt, sans doute, celui des cimetières où l’on a le plus de chances d’attendre le jugement dernier à son aise. Le quotidien arverne La Montagne, cher à tous les lecteurs d’Alexandre Vialatte, rendit compte naguère d’une étude qui établit méthodiquement ce que l’opinion publique savait intuitivement : c’est en Auvergne qu’il convient de vivre et, s’il avait deux sous de jugeote, le Parisien transporterait ses pénates dans le Mauriacois, le Velay, la Planèze, le Cézalier ou le Carladès. Dépenser ses deux sous de jugeote serait un excellent placement. A Paris le temps moyen de transport entre domicile et travail est de 52 minutes. Il n’est que d’une demi-heure en Auvergne. Encore devrait-on ajouter que les déplacements du Parisien se font dans une atmosphère opaque et polluée, tandis que ceux de l’Auvergnat se déroulent dans une atmosphère qui a une vraie gueule d’atmosphère. D’ailleurs l’ensoleillement, qui est de 91 jours par an dans le Massif central n’est que de 72 jours dans la capitale. Voilà qui n’est pas bon pour la santé, or, on ne compte à Paris que 60 infirmiers pour 100.000 habitants tandis qu’il s’en trouve 142 en Auvergne. C’est que se loger où louer un local professionnel dans la capitale est hors de prix : les loyers y sont le triple de ceux que réclament les Auverpins, pourtant connus pour ne faire grâce d’un sou à âme qui compte. Certes, répondra le Parisien, mais je suis mieux payé que le Bougnat. Illusion : une fois son loyer réglé, il reste en moyenne chaque année 15.520 euros au Parigot tête de veau alors que l’Auvergnat disposera de 15.670 euros, soit de120 euros de plus. Or, tout à Paris est plus cher : un sandwich y coûte en moyenne 4 euros, seulement 2 euros 70 en Auvergne. L’Auvergnat sait que l’épargne est l’acte le plus sage de l’homme. Son pécule n’est guère menacé par les malfaiteurs : on ne compte dans la région que 3 cambriolages pour 1.000 habitants. On en dénombre 6 à la capitale. Poursuivre cette comparaison serait accablant pour le Parisien qui jouit de moins d’équipements sportifs et de pas plus de cinémas que l’Auverplum, lequel est quatre fois moins souvent agressé que le Parigot. C’est donc décidé, Adieu Paris ! Si vous me cherchez, vous me trouverez sur le flanc de quelque volcan éteint, au bord d’un lac bordé de sapins noirs ou sur un mont bossué couvert de vaches au poil fauve. Pour me visiter, vous n’aurez qu’à prendre des trains qui sont aujourd’hui plus lents qu’il y a un demi-siècle ou à emprunter des avions qui vous vendront un aller-retour deux fois le prix que vous couterait un voyage à New York. A moins que vous ne choisissiez le réseau routier dont l’état vous permettra de vous déplacer à 70 kilomètres heures de moyenne. Si vous ne me trouvez pas à la maison, c’est que je suis occupé avec mes voisins à manifester à la préfecture pour que l’État, aménageur du territoire, n’appauvrisse pas encore le lycée de leurs enfants en y fermant des classes. "