LE CAPITAINE EST-IL ENCEINT ?

Rubrique proposée par Philippe Meyer.

LE CAPITAINE EST-IL ENCEINT ?

Philippe Meyer

"La France est un pays « où l’on préférera toujours les projets qui divisent aux projets qui unissent ». Combien d’occasions nous ont-elles été données de vérifier ce mot d’un professeur de droit ? Dernier et fort bavard exemple en date : la querelle naissante - naissante dans les médias, car la société civile ne semble pas s’enflammer - sur l’écriture inclusive, moyen, selon ses promoteur.e.s de favoriser dans les esprits des citoyen.ne.s l’égalité entre les sexes. Si procureure, auteure, inventeure, docteure, auditeure, constitue un mode de féminisation des noms de métiers passé dans les mœurs (en tout cas dans les mœurs de la presse), il est plus facile à lire qu’à prononcer. Naguère, nous fîmes de la féminisation des noms de fonction le sujet d’une rude bataille. Trop rude aux yeux de la Commission générale de terminologie et de néologie qui fit vainement observer que l’usage en cette matière avait plusieurs fois varié et que ce n’était pas d’hier que nous fluctuions dans ce domaine. Inventeure était employé au Moyen Age, autrice fut en usage pendant 200 ans, entre le 16ème et le 18ème siècle. Le 19ème siècle essaya autoresse, le début du 20ème tenta écrivaine, notamment sous la plume de Colette mais aussi sous celle de Barrès ou de Jules Renard. On recense plusieurs exemples de féminisation du mot ministre. Mais c’est en prenant ce vocable dans son sens de serviteur et non pour désigner un membre du gouvernement : « la nuit est des amours la ministre fidèle », écrit Philippe Desportes, un poète du 16ème siècle. On a dit une peintresse, on a dit une peintre, on a dit une femme peintre. On a longtemps préféré doctoresse à docteure, certains le préfèrent encore, et on a dit chanteresse avant de dire chanteuse. Nous disons aujourd’hui dictateure, là où nos aïeuls auraient sans doute préféré dictatrice ou dictateresse, quoique cette carrière n’ait guère été ouverte aux femmes, sans toutefois leur être complètement inaccessible, comme on le voit avec la grande Catherine. Les partisans de la féminisation réclament que l’on parle d’une ministre, une ambassadeure, d’une maire. Leurs adversaires feignent de s’inquiéter : si la ville d’Houilles place une femme à la tête de sa municipalité, comment la désignera-t-on, feignent-ils finement de s’inquiéter ? Conservons le masculin, soutiennent-ils, il fait fonction de neutre, de genre générique. Parfait, feignent d’approuver leurs contradicteurs, mais aujourd’hui que tous les métiers se sont ouverts aux femmes, vous souhaitez donc qu’on dise que le capitaine est enceint et que la robe de mariée du gendarme était du meilleur effet ? Et que n’êtes-vuos gêné quand il s’agit de désigner le premier magistrat de la ville d’Eu… De son côté, la Commission générale de terminologie, qui prépare le travail de l’Académie française, chargée par la loi de la police du langage, constate que pompière ou assureuse ne franchissent pas le cap de l’usage bien qu’il soit prescrit par la circulaire Jospin du 6 mars 1998, donc vieille de 20 ans. Le sentiment et les critères d’euphonie évoluent avec les époques, et il serait bien vain d’affirmer que l’on peut enfermer et fixer la pratique d’une langue dans un décret. Persuadé de cette vérité il est loisible d’imaginer qu’un jour, pour en finir avec l’arbitraire de notre langue, une circulaire prescrira de donner un masculin et un féminin à tous les noms d’animaux : Un hamster, une hamstère. Une grive, un grif. Un étourneau, une étournelle. Une fauvette, un fauvet. On pourra alors étudier les mœurs de la hibouse, du hulot et du chouet, observer le vol de la milane, accrocher un sautereau à son hameçon pour attraper un truite, écouter les modulations du chant de la criquette, se régaler de langoustins et reprendre de la homarde. Et de l’aspirine."