MAUVAISE LANGUE

Rubrique proposée par Philippe Meyer.

MAUVAISE LANGUE

Philippe Meyer

"Des augures soutiennent qu’il arrivera à l’anglais devenu langue mondialisée ce qui arriva au latin, langue de l’empire romain que trop d’usagers finirent par réduire à un idiome appauvri, abâtardi, épuisé dans son vocabulaire et affaissé dans sa syntaxe. J’en ai trouvé un exemple dans un article consacré à Helen Gandy, qui fut la très dévouée secrétaire de l’inamovible directeur du F.B.I. J.Edgar Hoover : « As she officially retired the day Hoover died, écrit l’auteur, she spent the following weeks shredding his papers ». Traduite par le jeune Célestin, dont la scolarité a rempli ses parents d’un orgueil légitime quoique exagéré, cela donne « Alors qu’elle avait pris officiellement sa retraite le jour de la mort de Hoover, elle consacra les semaines qui suivirent à détruire ses fiches ». Traduit par un logiciel prétendument ad hoc, la même phrase devient : « Tandis qu'elle se retirait officiellement, l'aspirateur de jour mort, elle a passé les semaines à venir détruisant ses papiers »… Je veux bien que Hoover, comme Frigidaire soit la victime d’une antonomase, autrement dit soit un nom propre et même un nom de marque déposé, devenu un nom commun ; je veux bien que les Britanniques utilisent couramment le verbe to hoover pour désigner l’activité que les Etatsuniens nomment to vacuum, mais j’ai du mal à comprendre que, dans un texte sur une femme dont la vie fut entièrement consacrée à John Edgar Hoover, personne n’ait pensé à introduire dans le logiciel ce qui aurait été nécessaire pour que le patronyme de l’ancien directeur du F.B.I. ne soit pas traduit. Cela aurait évité de lire des phrases comme « L'aspirateur a appelé Mlle Gandy "nécessaire" et elle a exercé la grande influence de derrière-le-scènes sur l'aspirateur et les fonctionnements du bureau ». Ou encore : « Elle, comme l'aspirateur, ne se marierait jamais, tous les deux étant complètement consacrés au bureau. » A vrai dire, la lecture de la traduction de l’article consacré à Helen Gandy est un voyage d’étonnement en étonnement : Au chapitre de sa personnalité, nous apprenons que Melle Gandy était soupe-au-lait. Enfin, nous ne l’apprenons pas, nous le déduisons : le logiciel dit qu’elle était « rapide gâcher ». L’anglais original dit « quick tempered ». Gâcher du mortier est le dernier sens que les dictionnaires proposent pour le verbe to temper. Plus loin, il est précisé que lorsque l’aspirateur était fâché il « écorçait le nom » de sa collaboratrice. Ecorcer est l’une des significations secondaires du verbe to bark, dont le sens premier est aboyer. Ne retenir qu’un des sens secondaires d’un mot semble d’ailleurs une manie du concepteur de ce logiciel de traduction, sauf lorsqu’il serait nécessaire de s’en tenir au sens premier : quand l’anglais dit Helen Gandy « was raised in Rockville », la version française proclame non qu’elle a été élevée dans cette ville, mais qu’elle y a été soutenue. Des exemples de bourdes, d’impairs, de sornettes et de bévues que j’ai pris dans un texte qui en aligne sur quatre pages, on pourra déduire que j’ai voulu me moquer des concepteurs de programmes de traduction. Il n’en est rien : grâce à eux et au va-et-vient d’un dictionnaire à l’autre que leurs méprises m’imposent dans une sorte de traduction participative, je vais finir par savoir l’anglais. "