Les brèves

La non-publication des mémoires de Woody Allen

Jean-Louis Bourlanges, créée le 08-03-2020

"Je suis scandalisé par le sort réservé aux mémoires de Woody Allen par les éditions Hachette. Il s’agit purement et simplement d’une censure, au nom de l’indignation supposée d’un certain nombre de gens, et ce malgré les excuses absolument pas crédibles prétextant que les raisons de cette décision sont purement commerciales. Je crois que cela pose deux problèmes. D’abord : doit-il y avoir un rapport entre une œuvre publiée et la moralité de son auteur ? De François Villon au Caravage, il semble que non. Je rappelle qu’andré Gide disait qu’on ne faisait pas de littérature avec des bons sentiments. Ensuite : qui doit juger ? Woody Allen doit-il être jugé par des juges ou des justiciers ? Selon quelle procédure ? Est-il essentiel de commencer par lui interdire de parler ? On avait cela à un certain moment, cela s’appelait les décrets de Prairial, et ce n’était pas une bonne idée. "


La Turquie, l’invention d’une diplomatie émergente

Lionel Zinsou, créée le 15-03-2020

"A plusieurs reprises nous avons évoqué les politiques turques vis à vis de l’Europe, de l’OTAN, de la Russie, ou des mondes arabe ou persan. Or la Turquie reste mal connue en France. On n’enseigne presque plus la Question d’Orient. Ce livre remarquable et savant de Jana Jabbour, chercheuse à Sciences Po, paru en 2017 aux éditions du CNRS, permet de mieux s’orienter dans les errances apparentes de M. Erdogan. Au-delà du seul Néo-Ottomanisme et des nostalgies impériales, on y comprend beaucoup mieux en quoi la Turquie cherche à se créer un rang contemporain de grande puissance que ses succès économiques modernes expliquent mieux que l’héritage historique. "


Didier Bezace

Philippe Meyer, créée le 15-03-2020

"On entrait de plain-pied dans son ambition. Il ne l’expliquait pas, il la donnait à voir et à entendre. Il l’illustrait par ses choix si ouverts, d’auteurs, de textes, d’interprètes, de mises en scène, par son besoin de partager ces choix avec le public le plus large, de concevoir sa programmation pour ce public et non pour flatter le conformisme de la critique. Il chantait volontiers, il avait même d’abord pensé que c’était sa vocation, aidé autant que trompé par sa voix au timbre de clarinette basse et se sentant chez lui dans l’univers de Brassens ou de Montero, de Pia Colombo ou de Patachou, de Lluis Llach ou de Pete Seeger. On entrait de plain-pied dans sa camaraderie. Aller voir les spectacles qu’il programmait au Théâtre de la Commune d’Auberviliers, en parler avec lui, le suivre dans cette cafétéria où il était disponible à tout le monde, c’était revigorer les enthousiasmes, les rêves et les idéaux que nous avaient insufflés, dont nous avaient persuadés, qu’avaient incarné pour nous Jean Vilar et la troupe du TNP. Ceux qui lui doivent d’avoir fait vivre cette idée du théâtre malgré la pétrification des milieux culturels et le carriérisme qui y règne sont dans un profond chagrin."


La longue nuit syrienne

Nicole Gnesotto, créée le 15-03-2020

"Cet essai de Michel Duclos est capital aujourd’hui pour comprendre et relever le défi syrien, même si sa portée va bien au-delà. Michel Duclos fut ambassadeur en Syrie en 2006 et il conseille aujourd’hui l’Institut Montaigne. Plusieurs strates font la richesse de cet ouvrage : on y trouve bien sûr une analyse des facteurs qui ont conduit à la guerre civile, puis à une guerre internationale sur le sol syrien, dans laquelle la Russie, la Turquie et l’Iran jouent un rôle majeur. On y trouve aussi une réflexion lucide sur les impasses respectives des solutions militaires (en Irak en 2003) et diplomatiques (en Syrie en 2013) qui attendent les occidentaux face aux crises extérieures. Enfin, Michel Duclos entame une réflexion magistrale sur le nouvel ordre, ou chaos mondial, qui consacre la montée en puissance des nouveaux régimes autoritaires, sur fond d’abandon occidental, et notamment américain."


La grande aventure de l’égyptologie

Lionel Zinsou, créée le 08-03-2020

"Pour ceux qui, sur la question de l’Orient étendu jusqu’à l’Egypte, s’intéressent à la continuité des grands empires et le renouveau des impérialismes anciens, je recommande ce livre de Robert Solé, paru il y a quelques mois. Il allie les qualités du romancier à une très grande érudition. Il met en scène le prestige de l’école française, mais aussi la rivalité allemande et britannique. Comment se joue, dans la recherche et la reproduction de la puissance impériale égyptienne, cette espèce d’extraordinaire soft power en matière politique et culturelle."


Paris - Berlin, la survie de l’Europe

Béatrice Giblin, créée le 08-03-2020

"Je voudrais vous parler d’un ouvrage qui vient de sortir d’Edouard Husson, excellent germaniste. C’est publié chez Gallimard, dans la collection Esprits du monde. Cet ouvrage est extrêmement intéressant car pour une fois, il ne vient pas d’un germaniste béat devant l’Allemagne. Il montre très bien d’où vient en France ce complexe du modèle allemand, et analyse très finement la politique très récente de l’Allemagne, en particulier l’attitude d’Angela Merkel, l’évolution de la CDU. Je conseille vivement cette lecture à tous ceux qui s’intéressent au devenir de l’Europe. "


The Deuce

Philippe Meyer, créée le 08-03-2020

"« The Corner »  racontait la vie quotidienne d’un quartier de Baltimore grignoté par la drogue et par la violence; The Wire  («  Sur Écoute ») explorait tous les aspects de la criminalité dans la mème ville du Maryland, à l’époque de la disparition de la sidérurgie et de la montée du chômage et de la pauvreté. « Treme », racontait La Nouvelle Orléans après Katrina. « Show me a Hero » retraçait l’obstruction d’une grande partie de la classe moyenne blanche à l’installation d’habitations à loyer modéré - le plus souvent attribuées à des Noirs- dans une ville de la banlieue de New York, Yonkers. Derrière ces séries, un même homme, David Simon, ancien fait-diversier du Baltimore Sun, reporter méthodique et scénariste ou producteur inspiré. «  The Deuce  »  (« La Quarante-deuxième ») décrit l’évolution concomitante de la prostitution, du cinéma porno et de l’immobilier à New-York et le triomphe final des promoteurs au détriment d’habitants rejetés dans les ténèbres extérieures. Cette dernière série est actuellement proposée sur OCS et on y retrouve toutes les qualités d’observation et d’humanité de David Simon et des équipes qu’il réunit."


Ernst Kantorowicz, une vie d’historien

Matthias Fekl, créée le 08-03-2020

"Je vous recommande la biographie du grand historien Ernst Kantorowicz par Robert Lerner. Kantorowicz est comme vous le savez l’auteur des Deux corps du Roi. Cette biographie est parue en anglais en 2017 et a été traduite l’an dernier chez Gallimard. C’est un livre très fort, on y suit l’itinéraire d’un homme, ses propres ambiguïtés intellectuelles avant de faire des choix incontestables. On y vit la crise économique, l’effondrement, politique, moral et intellectuel de l’Europe, on y croise de grandes figures, comme Isaiah Berlin ou Marc Bloch. Passionnant."


Le monde arabe existe-t-il (encore) ?

Béatrice Giblin, créée le 01-03-2020

"Je vous signale la sortie dans le collection Araborama (sous l’égide de l’Institut du Monde Arabe) d’un premier ouvrage. Il y aura je crois un volume par an ; il s’agit d’une présentation pluridisciplinaire de la situation du monde arabe. Le titre est presque provocateur, mais l’intérêt est grand, puisqu’il s’agit d’une approche à la fois historique, sociologique, qui laisse beaucoup de place à la culture contemporaine. Qu’il s’agisse de dessinateurs humoristiques, de peintres, de musiciens, tous sont représentés. Les journées de l’Histoire de l’IMA commencent ce dimanche. Il y en aura d’autres : le 7 juin puis le 24 octobre, avec de nombreux évènements."


Une vie cachée

Nicole Gnesotto, créée le 01-03-2020

"Je vais rester dans le cinéma pour vous recommander très vite voir le dernier film de Terrence Malick, avant qu’il ne disparaisse des écrans. C’est très beau, les paysages autrichiens sont magnifiques, il y a une puissance visuelle presque mystique. C’est l’histoire d’un homme qui dit non, d’un objecteur de conscience sous le régime nazi. Il accepte d’être enrôlé mais refuse de dire « heil Hitler ». Il sera déterminé jusqu’à sa fin, tragique. Il a d’ailleurs été béatifié en 2007. C’est peut-être le défaut du film, ce mysticisme catholique. Mais ça n’en reste pas moins un très grand film, et une bouleversante merveille visuelle."


Cuban network

Matthias Fekl, créée le 01-03-2020

"Pour ma part je vous conseille le film d’Olivier Assayas, très beau lui aussi. On suit l’arrivée à Miami de deux Cubains de Cuba dans les milieux cubains de Floride. Je ne vais pas raconter davantage car il s’agit d’un thriller à suspense. Mais le film montre aussi les difficultés de la vie à Cuba, et les relations qui restent à fleur de peau entre les Cubains de l’île et ceux de la diaspora, et le rôle de ces derniers dans la vie politique américaine. Des plaies restent béantes plus de 60 ans après la révolution cubaine. Une situation dont on espérait qu’elle pourrait évoluer à la fin du mandat d’Obama, ce qui ne fut malheureusement pas le cas. "


Les bourreaux de Staline - Katyn, 1940

Philippe Meyer, créée le 01-03-2020

"La chaîne Arte offre la possibilité de revoir des émissions. Je vous conseille une série de documentaires remarquables, tant au point de vue de l’image qu’à celui du contenu, sur le massacre de Katyn, sur le long chemin vers le pacte germano-soviétique, sur la nature du Goulag. Ces documentaires sont longs, très bien rythmés, le récit est précis. Ils consacrent d’une certaine manière la sortie d’une histoire très idéologisée. "