Les brèves

Pleine terre

Lucile Schmid, créée le 03-10-2021

"Je voulais vous recommander ce roman de Corinne Royer que j’ai trouvé magnifique. Il raconte l’affaire Jérôme Laronze. Peut-être avez-vous lu cet été dans Le Monde le récit par Florence Aubenas de la cavale de cet agriculteur bourguignon, éleveur de vaches charolaises et porte-parole de la confédération paysanne, qui s’est retrouvé poursuivi pour non-respect des normes et finalement tué par les gendarmes. Le récit de Corinne Royer est complètement habité, elle en fait une espèce de saga qui va au-delà de Jérôme Laronze, et nous éclaire sur la façon dont la question agricole est primordiale dans nos interrogations sociétales. Il y a dans ce roman une intensité extraordinaire, car la destinée de Jérôme Laronze (renommé ici Jacques Bonhomme) nous renvoie à l’absence de sens, et à la façon dont il faut incarner ces questions écologiques dont nous parlons sans cesse. Corinne Royer parvient dans ce roman à humaniser la question écologique, qui reste trop souvent scientifique ou abstraite."


Lorsque le dernier arbre

Philippe Meyer, créée le 26-09-2021

"Il y a plusieurs façons de dire d'un roman « c'est un gros roman ». Il y a la façon résignée et il y a la façon gourmande. C'est la seconde qui convient pour parler de Lorsque le dernier arbre, premier roman publié par Albin Michel du jeune canadien Michael Christie, livre habilement construit en allers-retours entre 2038, époque où le contact avec la nature sera réservé aux possesseurs de grandes fortunes et 1908, période où peuvent commencer des fortunes fondées notamment sur l'exploitation forestière. Christie mélange un sens impressionnant du suspense et de la construction dramatique avec une connaissance intime des arbres et des forêts qui en font des personnages d’un roman qui est aussi un roman politique de l'urgence environnementale. Ajoutons que je recevrai la traductrice de ce livre ; Sarah Gurcel, dans un prochain bada de la série « Si c’est pour la Culture, on a déjà donné »…"


Une femme française

Richard Werly, créée le 26-09-2021

"Ma brève sera méchante. Je m’étonne de la manie qu’ont les politiques français de faire des livres inutiles, le dernier en date étant celui d’Anne Hidalgo. J’ai acheté ce livre avec gourmandise, parce que je me disais qu’ « une femme française », arrivée en France à deux ans, devait être un récit intéressant, que j’allais apprendre quelque chose sur la France. Très franchement, cela ne mérite absolument pas d’être lu. C’est un programme politique pas très bien écrit, où ne figure rien d’original sur la personnalité d’Anne Hidalgo ni sur son itinéraire. Je lance donc un appel : mesdames et messieurs les candidats, si vous faites des livres en espérant que la presse en parle, je vous en supplie, rendez-les intéressants."


Wheels

Marc-Olivier Padis, créée le 26-09-2021

"Comme nous avons la chance de pouvoir retourner aux concerts, je vais parler de musique, et comme notre ami François Bujon de l’Estang n’est pas là, je me permettrai de parler de jazz à sa place. Je vous recommande un disque qui vient de sortir, de deux pianistes, Ray Lema et Laurent de Wilde. Le disque s’intitule « Wheels », qu’on pourrait traduire par « roues », mais aussi « rouages », parce que l’ajustement des deux pianos est une mécanique de très haute précision. Les inspirations sont africaines, les rythmes sont transformés à leur manière, « jazzifiés ». Le travail d’écoute et d’entente entre les deux pianistes est absolument magnifique. Un bonheur."


Apocalypses

Nicolas Baverez, créée le 26-09-2021

"Je vous recommande la lecture du livre de Niall Ferguson, un historien écossais. L’auteur retrace l’histoire de tous les grands chocs subis par l’humanité. Éruptions, tremblements de terre, épidémies, et guerres. Il montre qu’à chaque fois, la surprise et l’impréparation sont totales, le politique est incompétent, et qu’il n’existe pas de cycle permettant de prévoir ces événements. Les bouleversements sont donc à chaque fois considérables, sur les mentalités et sur le système géopolitique. On s’aperçoit ainsi qu’aucune leçon n’est tirée de l’Histoire, et même qu’à l’inverse, l’illusion technologique va de pair avec une explosion de l‘irrationalité. Force est de constater que cette période de sortie de pandémie ressemble à cela : au lieu de s’efforcer d’être prêts pour les prochains grands chocs, c’est l’irrationalité qui progresse."


Les puissances mondialisées - Repenser la sécurité internationale

Nicole Gnesotto, créée le 26-09-2021

"Je reviens à la géopolitique pour vous recommander le dernier ouvrage de Bertrand Badie. J’ai déjà recommandé d’autres livres de ce grand professeur de science politique ici, notamment parce que sa pensée est assez iconoclaste, par rapport aux thèses prégnantes en France et plus généralement en Occident. Il est par exemple très mal vu au Quai d’Orsay, puisque l’une de ses thèses est de dire que la géopolitique est terminée, que dans la mondialisation, se fonder sur les territoires, les souverainetés nationales et les rapports de force pour penser la sécurité internationale, c’est se tromper de sujet. Les grands défis sont mondiaux ne se traitent pas avec des moyens militaires. Sa pensée peut très bien être contestée, je suis personnellement en désaccord sur plusieurs points, mais je reconnais que chaque fois que j’ai lu un livre de Bertrand Badie, il m’a fait réfléchir."


L’ange et la bête

Michaela Wiegel, créée le 19-09-2021

"J’ai lu avec beaucoup de retard le livre de Bruno Le Maire, ce qu’il appelle des « mémoires inachevées ». C’est parce qu’il a eu la Covid-19 que le ministre, forcé de s’isoler, a trouvé le temps de terminer ce livre. Ce qui m’a le plus intéressé, c’est le portrait qu’il dresse d’Olaf Scholz, le ministre des Finances allemand et favori parmi les possibles futurs chanceliers. Le livre a le mérite de montrer l’homme politique que pourrait être Scholz, c’est un homme qui n’est à l’aise que dans sa propre langue. De son côté, Bruno Le Maire parle très bien l’allemand, et il décrit comment, dans une démarche typiquement française, il a commencé par le flatter, en lui parlant de Thomas Mann. Olaf Scholz, voyant la ficelle, a éclaté de rire. A travers ce portrait, on retrouve assez bien la relation franco-allemande dans toute sa complexité."


Le livre de Maître Mô

Philippe Meyer, créée le 19-09-2021

"Maître Éolas, pénaliste affûté, suivi sur Twitter par plus de 360 000 abonnés, pédagogue limpide, railleur et ferrailleur, la liberté comme une fleur à la bouche m’a naguère fait lire « Au Guet-Apens » de son confrère lillois maître Mô. A peine ce livre terminé, j’avais dit aux auditeurs du Nouvel Esprit public à quel point j’avais été touché par ces récits brefs, denses et fraternels de l’ordinaire d’un avocat au pénal. Maître Mô, Jean-Yves Moyart, est mort en février dernier à 53 ans. Son confrère Éric Morain annonça cette perte en écrivant « Il y a les élégants, les talentueux, les généreux, les fêtards, les courageux, les fêlés laissant passer la lumière, mais je n’ai connu aucun autre avocat qui soit tout cela à la fois ». Et Pascale Robert-Diard, l’une des plumes qui donnerait envie d’être journaliste, saluait ainsi sa mémoire dans Le Monde : « Un colosse fragile qui se consumait pour ceux qu’il défendait, portait la peine des autres et ne riait que de lui. Un avocat bienveillant et ce n’est pas un oxymore ». Les quelques 70 000 personnes qui suivait maître Mô sur Twitter ont perdu – beaucoup l’ont écrit - un homme qui les tirait vers le meilleur d’eux-mêmes. « Au Guet-apens » et d’autres textes sont réédités aujourd’hui aux Arènes sous le titre « Le Livre de Maître Mô ». Je l’ai relu avec la même émotion, celle qui nait de la compagnie d’un homme intranquille, à qui rien de ce qui est humain n’était étranger."


Le premier XXIème siècle

Jean-Louis Bourlanges, créée le 19-09-2021

"Je voudrais recommander le livre de mon camarade de la Cour des Comptes, Jean-Marie Guéhenno. Je l’ai lu cet été, et trouve que la pensée est d’une complexité rare. Il y a peu de préconisations, et c’est tant mieux, mais la crise de l’Occident et de la démocratie est analysée avec une très grande finesse. Tout part d’un constat : l’Europe s’est trompée en croyant que le modèle démocratique avait triomphé, alors qu’il ne s’agissait que de l’effondrement du modèle soviétique. A partir de ce grand malentendu, il analyse toutes composantes de la crise démocratique et montre que cela va bien au delà des querelles qui nous agitent, qu’il s’agit d’une transformation de la conception même des rapports entre les citoyens, c’est à dire une société politique fragmentée, organisée dans des territoires de plus en plus virtuels, fondée sur l’identité et l’ajustement difficile entre des identités plus ou moins compatibles (d’où l’idéalisation du respect). Une démocratie profondément en panne, qui a substitué le culte des identités à l’organisation de l‘altérité et à l’organisation du bien commun. Enfin, une lecture aussi ambivalente qu’intéressante sur la Chine, dont il montre à la fois le caractère horrifique, mais aussi le modèle implicite que cela représente pour une société comme la nôtre, éperdue de discorde et de querelles."


Notre vagabonde liberté

Nicolas Baverez, créée le 19-09-2021

"Je recommande le récit du périple de Gaspard Koenig, sur les traces de Montaigne. L’auteur a eu l’idée de refaire le trajet du philosophe en Europe. Après s’être réfugié dans sa tour, Montaigne était parti à Paris, dans l’Est, en Allemagne pour arriver jusqu’à Rome. Avec son cheval Destinada, Koenig a suivi le même itinéraire. C’est passionnant, car il y a une espèce d’écho entre le XVIème et le XXIème siècle, au fil des rencontres. Il y a d’étonnants facteurs de stabilité, en Italie notamment, où il retrouve dans le même palais florentin l’héritière du Comte qui reçut Montaigne il y a 500 ans. C’est plein de notations, de fantaisie, il s’agit d’un hymne à la liberté et à l’Europe."