"Je voudrais faire faire état d’un agacement que j’ai ressenti à plusieurs reprises (et notamment vendredi matin) quand j’entends des chefs d’entreprise — en l’occurrence le président d’une entreprise tout à fait remarquable, Saint-Gobain — dire que les hommes politiques ne sont pas sérieux, qu’ils ne savent pas diriger le pays, qu’il faut prendre modèle sur les chefs d’entreprise. J’en ai par-dessus la tête de ce discours. Je ne dis pas que les dirigeants publics français soient bons, loin de là. Ils sont impuissants, ils sont incapables d’orienter le mouvement, mais ce n’est pas pour rien. Si vous mettez un chef d’entreprise à la place des dirigeants actuels, ça donnera le même résultat. Parce que c’est quelqu’un qui est responsable devant des actionnaires, qui attendent principalement une chose — ce n’est pas le critère unique, mais c’est le critère principal — c’est le profit. Donc le choix est relativement simple en termes normatifs. Les hommes politiques, eux, dépendent d’électeurs qui sont divisés. Et quand on dit que l’homme politique devrait faire preuve de courage, en général, ça veut dire une chose : s’affranchir de ceux qui l’ont élu. C’est quand même un peu paradoxal d’élire des gens et de dire « Ah, je vous élis, et vous n’êtes même pas capables de vous éloigner de moi ». Donc, le problème politique est fondamental, mais n’assimilons pas les fonctions très éminentes et très nécessaires de chef d’entreprise avec celles de dirigeant d’une communauté humaine profondément divisée sur ses valeurs et divisée sur ses orientations."