L’imaginaire est une réalité

Brève proposée par Nicolas Baverez dans l'émission Macron : inventaire avant bilan / La désindustrialisation en France et en Europe / n° 403 / 18 mai 2025, que vous pouvez écouter ici. ou ci-dessous.

L’imaginaire est une réalité

Nicolas Baverez

"Il y a des historiens qui sortent de l’ordinaire parce qu’ils inventent des objets historiques. Anthony Rowley, par exemple, avait réintégré l’histoire de la cuisine, de la gastronomie, de la table dans le champ de l’histoire. Et je voulais recommander la lecture de l’entretien de Michel Pastoureau avec Laurent Lemire, qui est une forme de mémoire. Michel Pastoureau a réussi à faire de l’histoire sur deux champs que ses maîtres, a priori, jugeaient impossibles. Le bestiaire — puisque c’est un spécialiste du Moyen Âge, mais qui, à partir de l’héraldique, a travaillé sur l’image du cochon, du loup, du taureau, du corbeau ou de la baleine. Et je crois qu’il a en perspective l’âne et le renard. Et surtout, il a fait une histoire des couleurs, avec des livres successifs sur le noir, le vert, le rouge, le jaune, le blanc ou le rose. Et ce sont des livres extraordinaires, qui fonctionnent remarquablement. Cela vaut donc vraiment la peine de lire ces entretiens et de voir comment il a construit, contre le consensus de la discipline, des objets d’étude qui font mieux que tenir la route, et qui sont extrêmement originaux. Par ailleurs, l’homme qui écrit extraordinairement bien, et on ne s’ennuie jamais en ouvrant ses livres."


Les autres brèves de l'émission :

À propos de la SNCF

Philippe Meyer

"Pour ce qui est des brèves, je rebondirai sur le train Paris-Clermont-Ferrand. Des gens comme Laurent Bouvet ont mis au centre de leur réflexion l’identité culturelle, en disant qu’il n’y a pas que les problèmes économiques. Et dans l’identité culturelle française, parmi les piliers importants, il y a l’école, il y a l’hôpital, il y a la sécurité de tous les jours, et il y a la SNCF. C’est une particularité de ce pays : la SNCF fait partie de notre identité, de la fierté nationale. Et il se trouve que, de tous ces piliers, celui qui est le plus facile à améliorer, à réformer, à reprendre, qui ne demande que, si j’ose dire, de l’argent et une volonté, c’est la SNCF. Et je ne comprends pas que ce soit par exemple totalement absent de l’interview du président par laquelle nous avons commencé cette émission. Je soutiens que la réforme, l’amélioration, la remise au niveau de la SNCF est un pilier très important pour qu’on puisse commencer à croire que la politique a prise sur le réel."


37 secondes

Antoine Foucher

"Je voudrais recommander une série qui est en ce moment sur Arte et qui est l’histoire du chalutier Bugaled Breizh, qui a coulé dans la Manche en 2004. L’histoire est bouleversante, et deux dimensions font qu’on ne lâche pas la série. La première, c’est la dimension de polar. Quand on ne connaît pas — et c’était mon cas — l’histoire de ce chalutier et l’histoire de l’enquête judiciaire, on suit les épisodes en se demandant : « Mais alors, pourquoi le chalutier a coulé ? » Et c’est vraiment très bien fait. La deuxième raison, c’est que la série montre en même temps les histoires de vie, la densité, le courage de la vie des marins et de leurs épouses et de leurs conjoints, en Bretagne aujourd’hui. Cela m’a fait penser aux Travailleurs de la mer. 150 ans plus tard, ce sont les mêmes. Le personnage joué par Nina Meurisse, qui emmène les Bretons dans la recherche de la vérité, résonne, me semble-t-il, un peu comme le Gilliatt d’Hugo. C’est la même dignité, le même courage, et la même vie très simple, mais vraiment admirable."


Le silence de Bétharram : le récit choc du lanceur d'alerte et ancien élève

Michaela Wiegel

"Je voudrais recommander ce livre qui m’a vraiment bouleversée. C’est écrit par Alain Esquerre, qui est un des élèves et victime des violences (pas des sévices sexuels), parce qu’il contraste vraiment avec le travail de l’actuelle commission d’enquête, par la recherche, d’abord, mais aussi par la monstration des mécanismes de ce silence et puis par les solutions proposées, qui ne sont pas des tentatives de tirer profit politiquement des défaillances ou des faillites. Le livre est très poignant, et je le recommande même à tous les membres de cette commission d’enquête, qui a interrogé le Premier ministre pendant cinq heures, afin de se concentrer sur l’essentiel et de ne pas essayer d’en faire un spectacle de calcul politique, comme c’était malheureusement trop le cas pendant cette audition."


France-Algérie, le double aveuglement

François Bujon de L’Estang

"Je saluer la sortie du nouveau livre de Xavier Driencourt sur la relation franco-algérienne. Il fait écho à un autre livre qu’il avait publié en 2022, appuyé sur ses souvenirs. L’auteur a été deux fois ambassadeur à Alger, de 2008 à 2012, puis de 2017 à 2020, sous Sarkozy puis Macron. Et il porte sur l’ensemble de la relation un regard très critique, mais je crois très lucide. Il incrimine largement l’Algérie, dont le système est d’une totale opacité, verrouillé par l’armée, par les services de renseignement, avec des méthodes souvent mafieuses, et avec des gens formés très largement à Moscou (tous les cadres de l’armée, par exemple). Un régime qui n’a pas réussi à assurer le succès à l’Algérie, ni sur le plan économique, ni sur le plan humain (la société algérienne est profondément troublée), ni même sur le plan international, puisque l’Algérie est aujourd’hui très isolée, et qu’elle n’a même pas réussi à faire admettre sa candidature parmi les BRICS. En face, il y a une France qui continue d’être très inhibée et très paralysée dans sa relation, par une espèce de repentance qui ne s’avoue pas, et qu’il appelle « bienveillance spontanée ». C’est cette espèce d’attitude toute faite avec laquelle sont accueillies toutes les provocations, toutes les mauvaises manières dont l’Algérie nous abreuve. Cette analyse très sévère aboutit à une recommandation : résister à l’Algérie et lui tenir la dragée beaucoup plus haute. Le livre est petit, concis, très percutant, et mérite vraiment d’être lu. Il appelle notre attention sur la nécessité de revoir complètement notre relation avec une Algérie qui a fait son fond de commerce d’une rancune antifrançaise."