Tombeaux Autobiographie de ma famille

Brève proposée par Béatrice Giblin dans l'émission La réforme des retraites : sortie de route, issue de secours, enlisement ? / n°283 / 5 février 2023, que vous pouvez écouter ici. ou ci-dessous.

Tombeaux Autobiographie de ma famille

Béatrice Giblin

"Je vous recommande cet ouvrage d’Annette Wieviorka, connue comme une des meilleures historiennes de la Shoah, et issue d’une famille d’historiens très réputés. Il s’agit d’une réflexion sur les traces laissées par toutes celles et ceux qui constituent sa famille. Famille juive polonaise, qui a émigré dans les années 1920. Le grand-père Wolf est journaliste et poète yiddish, n’ayant pas trop le sens des réalités quotidiennes. Heureusement sa femme assure la vie de sa famille. Le récit est très attachant, on suit ces vies qui ont fui l’antisémitisme pour chercher un peu de bonheur et de liberté, et vont être bousculées de façon tragique par la seconde guerre mondiale. C’est un livre que j’ai trouvé très émouvant. Annette Wieviorka cite cette phrase de Michel de Certeau : « l’historien fait œuvre de sépulture, pour que les morts retournent moins tristes dans leurs tombeaux ». "


Les autres brèves de l'émission :

Le Royaume désuni

Philippe Meyer

"Je voudrais recommander le dernier roman de Jonathan Coe, « Le Royaume désuni ». Sept moments clés de l’histoire britannique récente, de la fin de la guerre à l’arrivée de Boris Johnson à travers l’histoire d’une famille et d’une petite ville. Le roman commence en 1945, alors que Doll Clarke balayant le Perron de sa maison 12 Bitch road savoure le calme de Bournville dans l’odeur du chocolat Cadbury fabriqué à deux pas et les pépiements des élèves de l’école communale assez proche et le roman finit en septembre 2020 avec Shoreh Nazari, émigrée iranienne, dans le brouillard de la pandémie accomplissant les mêmes gestes et savourant le même calme et les mêmes bruits après qu’elle est entrée par hasard en possession des carnets d’enfant de Mary - personnage essentiel et magnifique de ce livre- la fille de Doll et Samuel, la mère de Jack, Martin et Peter, la grand-mère de Lorna la contrebassiste de jazz avec lesquels nous traversons les années qui séparent le jour de la Victoire de mai 1945 de sa commémoration 75 ans plus tard en passant par le couronnement d’Elizabeth II, la finale de la coupe du monde Angleterre - Allemagne de l’Ouest, 1966, l’investiture du prince de Galles en juillet 69, son mariage en juillet 81, les funérailles de Lady Di en septembre 97. « J’écris, dit Jonathan Coe, pour arrêter le cours du temps ». Il fait mieux, il nous le rend à travers les voix de personnages dont il nous rend fraternellement proches."


Astérix & Obélix : l’empire du milieu

Richard Werly

"Pour cette brève, je vais armer mon canon Caesar pour tirer sur un navet atomique : les dernières aventures cinématographiques d’Astérix et Obélix. Je n’aurais normalement pas dû parler de ce film qui ne le mérite pas. Sauf que quand un pays peut rater à ce point un film, je ne m’étonne pas qu’il puisse rater aussi la réforme des retraites. Nous sommes ici dans le stupide, et rien d’autre que le stupide. Je ne suis pas très familier du système de subventions français, mais j’ai vu que le film bénéficiait du soutien du CNC. J’imagine donc qu’il y a une quantité d’argent public assez conséquente. Si la France trouve de quoi financer un navet pareil, je ne suis pas surpris que deux millions de Français dans les rues puissent imaginer que l’argent public pousse sur les arbres."


Les ambitions inavouées Ce que préparent les grandes puissances

Jean-Louis Bourlanges

"Thomas Gomart est un auteur que j’ai l’occasion de recommander assez régulièrement, il est aussi le directeur de l’IFRI. Ce livre m’a fait penser à une phrase de Churchill : « dans une guerre, il arrive toujours un moment où il faut s’intéresser aux intentions de l’adversaire ». C’est ce que nous rappelle cet ouvrage : la France n’est pas seule ; elle est confrontée à d’autres puissances. L’auteur en retient neuf. Certaines sont terrestres : Allemagne, Russie, d’autres sont davantage maritimes (Royaume-Uni, Etats-Unis), d’autres sont spirituelles, avec de grands enjeux religieux. Il nous faut prendre en compte cette pluralité. L’autre chose très importante que nous dit ce livre, c’est qu’à côté de notre conception des relations internationales, toujours bien intentionnée et parfois un peu gnangnan, il existe encore une politique de confrontation des plus traditionnelles, à laquelle on ne peut pas se souscrire. Ce rappel au réalisme de la confrontation est bienvenu, nous devons prendre conscience de cette altérité hostile qui entoure une grande partie des peuples européens. "


Z comme zombie

François Bujon de L’Estang

"Un peu de Russie et d’Ukraine, pour achever de renforcer notre optimisme général. J’attire votre attention sur ce petit essai de Iegor Gran. C’est un écrivain russe de langue française, familier de la revue Esprit à laquelle il a contribué à de nombreuses reprises. Il s’agit d’une analyse de l’état d’esprit des Russes moyens à propos de la guerre en Ukraine, ou « l’opération militaire spéciale ». Ce livre est écrit de façon très vive, sur un ton pamphlétaire, sa lecture est très rapide. L’auteur y dénonce la transformation de la Russie en un « zombie land toxique » ; il décrit en réalité un empire du mensonge. Les ravages d’un mensonge systémique qui a duré un siècle, car il est l’un des produits du système soviétique. L’auteur trace une continuité très vive d’Ivan le Terrible à Staline et à Poutine. Le mensonge devient un principe d’action, comme dans la « dénazification » de l’Ukraine. L’ouvrage montre bien que les Russes ont un rapport très problématique à la vérité. Au Kremlin, on appelle « juste réalité historique » une réalité reconstruite pour coïncider avec une idéologie. Le livre est très stimulant, mais aussi très déprimant. Il décrit une société soumise au pouvoir. On sent bien que ce n’est pas d’elle que viendra la prise de conscience."