Quelle politique pour combattre la menace islamiste ? / La première COP vraiment géopolitique / N°327 / 10 décembre 2023

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QUELLE POLITIQUE POUR COMBATTRE LA MENACE ISLAMISTE ?

Introduction

ISSN 2608-984X

Philippe Meyer :
L'attaque mortelle perpétrée le 2 décembre contre un touriste germano-philippin par un jeune Français fiché S, près de la tour Eiffel, confirme la persistance de la menace islamiste. Quelques semaines après Arras, en plein conflit Hamas-Israël et à huit mois des Jeux Olympiques, les inquiétudes grandissent. Selon les différents services antiterroristes français, cette menace serait pour beaucoup le fait d'adolescents de 13 à 18 ans fascinés par la violence et enfermés dans une sorte de bulle numérique. Les prisons françaises accueillent aujourd'hui 391 détenus terroristes islamistes et 462 détenus de droit commun susceptibles de radicalisation.
Déjà emprisonné pour terrorisme, et ayant fait l’objet d’un suivi psychiatrique, le profil de l’assaillant relance la polémique entre responsabilité psychiatrique et idéologie radicale. « Entre 25% et 40% des personnes suivies pour radicalisation sont concernées par des maladies mentales », assure Gérald Darmanin, favorable à ce que les pouvoirs publics puissent exiger une « injonction de soins pour une personne radicalisée suivie pour troubles psychiatriques ». Un préfet, et non un médecin, pourrait ainsi forcer un radicalisé souffrant de problèmes psychiatriques à continuer son traitement. « L’analyse psy, elle est fondamentale. Mais il faut la combiner avec une solide connaissance de la dimension idéologique, parce que si on prend de l’idéologie pour de la folie, on fait des erreurs d’évaluation », souligne le chercheur Hugo Micheron, spécialiste du djihadisme. Autre mesure envisagée par le ministre de l’Intérieur, et par le président du Rassemblement national, celle de durcir la « rétention de sûreté », c'est-à-dire le maintien dans une forme de détention des cas jugés toujours menaçants à l'issue de leur peine. Le ministre de l’Économie et des Finances a déploré, pour sa part, que la publication d’images, faisant l’apologie du terrorisme, ne fasse l’objet d’« aucune sanction » pénale, contrairement au partage de contenus pédopornographiques.
L'attentat confirme les craintes d'une importation de la guerre au Proche-Orient, l’auteur ayant évoqué la mort de Palestiniens à Gaza pour expliquer son geste. Depuis le 7 octobre et les attaques du Hamas contre Israël, l'ensemble des pays européens ont accru leur niveau de vigilance. Tout comme la France, l'Espagne et la Belgique ont notamment renforcé la protection des synagogues. Au-delà des interrogations autour du suivi psychiatrique défaillant et des services de renseignement débordés, il y a la problématique des « sortants » : ces personnes condamnées pour terrorisme, qui ont purgé leur peine, et qui restent suivies de près. Le ministre de l'Intérieur a déclaré que, depuis qu'il y a des condamnations pour terrorisme, 340 personnes radicalisées qui ont purgé leur peine sont sorties de prison. « L'année prochaine, ce sera entre 30 et 35 personnes », a-t-il ajouté.

Kontildondit ?

Matthias Fekl :
L’attentat du 2 décembre est un évènement terrible, qui nous fait penser d’abord aux victimes, à leurs proches, ainsi qu’aux forces de l’ordre qui font face à ces situations avec le plus grand courage. A titre personnel, cela me ramène plus de six ans en arrière, lorsqu’en avril 2017, le jeune policier Xavier Jugelé avait été assassiné sur les Champs-Elysées, déjà par un terroriste islamiste. Là encore, ses collègues avaient réussi à éviter ce qui aurait pu devenir un véritable bain de sang.
Comment faire ? Il faut d’abord être très lucide sur le fait que le terrorisme est un poison lent pour les sociétés. Certes, il y a des actions extrêmement brutales et violentes, mais entre elles, il y a quelque chose qui se diffuse qui est de nature à détruire le pacte social. Il faut être à ce propos totalement intransigeant : tous ceux qui considèrent qu’on peut minimiser cette réalité commettent à mon avis une faute très importante, y compris contre les valeurs républicaines. Notre pays a connu des vagues de terrorisme par le passé, depuis 2015 elles ont malheureusement été fréquentes, et la situation au Moyen-Orient, ainsi que la tenue des prochains Jeux Olympiques à Paris ont de quoi inquiéter.
Même Le Figaro a récemment reconnu qu’en matière de terrorisme, le risque zéro n’existait pas. Je reprends volontiers cet avertissement. Si une solution unique et efficace existait, elle serait mise en œuvre depuis longtemps. Dans le discours politique, le simplisme est toujours tentant, mais il est également toujours trompeur. C’est à mon avis la pire réponse possible, car si l’on veut durablement lutter contre le terrorisme, il faut mettre en place toute une palette d’outils, dont aucun ne suffit s’il est pris isolément. Quels sont ces outils ? D’abord le renforcement du suivi des individus à risque, et les moyens conférés aux services de renseignement. Ces moyens sont renforcés de manière continue sur une longue période, et même s’ils sont sans doute encore insuffisants par rapport à l’ampleur de la tâche, il faut reconnaître que l’expertise française en ce domaine est exceptionnelle.
Et puis il y a l’aspect psychiatrique. Quand on l’évoque, on est souvent accusé d’être dans le déni, mais ce sont au contraire ceux qui le balaient d’un revers de main qui le sont. Ce n’est pas parce que vous dites que quelqu’un est atteint de troubles psychiques relevant de la psychiatrie, que vous niez par ailleurs qu’il peut être perméable aux idéologies, en l’occurrence l’islamisme radical.
Et c’est bien dans la conjonction des deux que se joue la question de notre sécurité à tous : renforcement de la psychiatrie et de la coopération, car évidemment cela pose de nombreux problèmes, comme celui du secret médical.
Il y a le problème des réseaux sociaux (et plus généralement de l’internet) qui est fondamental, et le ministre de l’Economie a raison de le pointer du doigt. Plusieurs engagements avaient été pris par les grandes plateformes après les attentats de 2015, je ne suis pas certain qu’ils aient tous été tenus. La preuve en est malheureusement que nous pouvons trouver de la propagande islamiste si nous en cherchons. Donc un jeune un peu fragile et/ou un peu perdu le peut lui aussi … Dans ces conditions, on peut très vite basculer car l’argumentaire est bien huilé et peut se montrer séduisant. Vous êtes pris dans une sorte de jeu dans lequel vous êtes le héros que vous n’êtes pas dans la vie, une réalité parallèle ultra-violente mais valorisante. Et progressivement, vous êtes amené à rencontrer des gens qui vous amèneront à passer à l’acte. Il y a une répression à instaurer sur internet sur ces sujets : fermetures de sites et sanctions contre les plateformes qui ne jouent pas le jeu. Car les algorithmes sont des pièges : vous pouvez très vite vous retrouver dans des chambres d’écho, où vos seuls contacts sont des gens qui pensent comme vous et ressassent les mêmes sujets à longueur de temps.
Enfin, il y a la question de la rétention de sûreté et de la dangerosité. Je comprends tout à fait que nos concitoyens se disent : « encore un acte terroriste commis par un fiché S, comment se fait-il qu’on n’ait pas pu l’empêcher alors qu’il était connu des forces de l’ordre ? » Je n’ai aucun problème de principe sur le fait de renforcer le suivi et de suivre de très près des individus considérés comme dangereux pour autrui, voire pour le pacte social dans son ensemble. Pour autant, il ne faut pas perdre de vue la question de la limite. Car la notion de dangerosité est extrêmement étirable. On peut passer en un rien de temps de quelques rares cas très circonscrits, et dont personne ne contestera qu’ils présentent un danger, à quelque chose de plus diffus et de beaucoup plus large. Jusqu’où notre société, ou nos sociétés européennes, sont-elles prêtes à aller sur la question de l’enfermement sans décision judiciaire, ou sur simple soupçon ?

Isabelle de Gaulmyn :
Je suis frappée par le fait qu’une fois de plus, on oublie la dimension religieuse de cette histoire. Car cette action terroriste a un moteur, et il est religieux. Il ne s’agit évidemment pas de dire que les musulmans sont des terroristes en puissance, mais il nous faut examiner par quelle voie se fait la radicalisation. Gilles Kepel ou Hugo Micheron le montrent assez bien, : il y a plusieurs formes de radicalisme musulman, dont certaines peuvent conduire à une action violente. C’est peut-être là-dessus qu’il faut intervenir, il faut à tout le moins travailler aussi ce champ là.
Il y a le salafisme, qui en soi n’est pas censé être violent, mais qui constitue tout de même une rupture violente avec la société : il s’agit d’un biais qui peut isoler de la réalité. Il y a l’islam politique, comme celui des Frères musulmans ; on est là dans le jeu politique, mais la dimension religieuse est cependant toujours présente. Et il y a le djihadisme, l’utilisation de la violence au nom de l’islam, avec toute une rhétorique de croisade, etc. Il faut étudier les passages entre ces trois radicalités, quelle forme ils prennent, et comment on peut aider les gens qui se sont engagés dans la voie de la radicalité à en sortir. Je suis personnellement assez stupéfaite du silence des musulmans de France. Certes, on argue toujours que c’est parce qu’il n’y a pas de clergé, pas de représentant officiel, etc. Mais tout de même, il y a de nombreux musulmans en France, dont des intellectuels, il faudrait quand même qu’il y ait dans cette religion une réflexion à propos de ce qu’elle peut engendrer de pire, au delà de la seule question : « qui dirige les mosquées ? » Les autres religions ont fait ce travail d’interrogation sur leur rapport à la société. L’islam doit faire ce travail, et essayer d’avoir un rapport plus moderne et sécularisé à la société. L’Etat peut difficilement le faire à la place des musulmans. Il y a un travail à faire du côté des élites musulmanes, on ne peut pas rester indéfiniment avec une seule déclaration se résumant à : « c’est pas nous ». Le carburant du terrorisme islamiste est religieux. Certes, cet aspect religieux n’explique pas tout, mais en France, il est négligé.

Béatrice Giblin :
Il est vrai que nous sommes très mal à l’aise sur ce point. A chaque évènement grave relevant du terrorisme islamiste, on entend qu’on aimerait bien des déclarations de la part de la « communauté musulmane ». On est en droit de récuser ce terme, car les musulmans de France ne sont pas une communauté, en ce qu’ils n’ont pas grand chose de commun. On ferait mieux de parler de « groupes ».
On considère qu’il y a environ 6 millions de musulmans en France, ou plutôt de Français de culture musulmane, car ils ne sont pas forcément pratiquants. Et on aimerait les entendre clamer leur rejet de ces atrocités. Visiblement c’est compliqué, et il y a toujours des partis de gauche pour clamer que nous n’avons pas à leur demander de prouver qu’ils sont attachés aux valeurs de la laïcité. A ceci près qu’une grande partie de l’opinion publique française considère aujourd’hui l’islam comme un danger pour la République. On peut le déplorer, mais c’est comme cela qu’il est perçu.
Comme Matthias, je pense que la solution unique n’existe pas, et qu’il faut combiner de nombreuses actions pour être efficace. Rappelons que la situation française présente tout de même quelques particularités. Le groupe étranger le plus nombreux en France, ce sont les Algériens : plus de 800 000 aujourd’hui, avec un passif post-colonial très lourd, qui est manipulé par l’extrême-gauche française, en particulier par LFI, qui passe son temps à dire qu’il s’agit d’un racisme d’Etat, qu’on est dans la discrimination, qu’ils sont maltraités, etc. Cela constitue un terreau de ressentiment qui peut s’avérer très dangereux. Ayant travaillé en Seine-Saint-Denis, j’ai eu l’occasion de le percevoir, et je suis toujours très surprise sur l’aveuglement des responsables politiques à propos de ces dérives.
Si le drame du 2 décembre doit nous préoccuper, c’est parce que son auteur n’est pas quelqu’un qui vient des cités, ou d’un milieu social défavorisé. Il est né à Neuilly, d’une famille iranienne qui a émigré à la chute du Shah, c’est à dire des gens sans doute diplômés et sans doute pas sans ressources. Il a fait des études, vient d’une famille laïque, bref aucun des clichés que l’on colle généralement à ce genre d’individus. Les réseaux sociaux ont joué un rôle important dans son basculement vers la radicalité violente. On sait qu’il avait été en contact avec l’assassin de Samuel Paty, ce qui était tout de même alarmant. Déjà condamné pour terrorisme, il était suivi, bref on croyait avoir fait le nécessaire pour qu’il ne retombe pas dans le terrorisme. Dire comme le ministre de l’Intérieur qu’il s’agit d’un « ratage de la psychiatrie » est trop simple, et clamer qu’on va faire de la rétention de sûreté est illusoire. D’abord c’est inenvisageable, ne serait-ce que du point de vue du nombre : on suit déjà environ 800 personnes, cela représente des moyens absolument énormes, on ne peut guère faire davantage. En revanche, on peut travailler sur les réseaux sociaux et sur les réseaux salafistes, sans naïveté : il y a là aussi un terreau fertile pour un islam radical.

Philippe Meyer :
J’ose espérer que ceux qui parlent d’un « ratage de la psychiatrie » veulent signifier que c’est nous-mêmes qui avons raté la psychiatrie, car cela fait plus de quarante ans qu’elle est le parent pauvre de la médecine, et que les psychiatres nous alertent sur ce fait, comme le faisait Raphaël Gaillard dans une de nos émissions thématiques. J’ai trouvé très inconvenant qu’on fasse porter le chapeau à une discipline aussi essentielle, après l’avoir négligée de façon aussi patente et irresponsable pendant des décennies.

Lucile Schmid :
Mathias a décrit le terrorisme comme un poison lent, et cela me paraît très juste. Nous voyons bien les difficultés auxquelles nous faisons face : la diffusion pernicieuse d’idéologies mortifères et parfois le passage à l’acte. Je suis très sensible au fait que plusieurs professeurs ont été assassinés, et que désormais au sein de l’Education nationale, la peur d’être assassiné existe parmi nos enseignants.
Il y a dans ce sujet non seulement les éléments que vous avez détaillés plus haut : l’aspect religieux, les différentes formes de radicalisation et de moyens d’agir, mais il y a également le refus de la démocratie, le refus de la liberté de conscience, le refus de la discussion et du débat contradictoire. C’est à tout cela que s’attaque ce poison lent.
C’est pourquoi les déclarations de Bruno Le Maire m’ont semblé être de bon sens, à vrai dire j’ai même été surprise de découvrir qu’on ne pouvait pas pénaliser la diffusion ou la consultation de contenu dont la violence pouvait inciter à l’assassinat. D’autant plus que le directeur général de la DGSI insiste dans un entretien récent que ce sont les très jeunes, c’est à dire les collégiens qui ont actuellement 13 ou 14 ans, qui sont les plus sensibles à ce genre de propagande. Cette intrication entre extrême jeunesse et incitation au terrorisme est l’un des problèmes les plus cruciaux. A vrai dire, quand Gabriel Attal a misé sa rentrée scolaire sur la question de l’abaya, j’étais plutôt perplexe. Mais je pense qu’au-delà de ça, l’enjeu de la propagande est fondamental. C’est pourquoi s’agissant du terrorisme, le sujet le plus important me semble être celui de la République, plus encore que celui de l’islam.
Comme Béatrice, je pense qu’on ne peut tout simplement pas placer un agent de la DGSI derrière chaque jeune de 13-14 ans sensible à la propagande … Au-delà des capteurs, qui sont effectivement très développés en France, comment mesure-t-on le passage à l’acte ? Il est intéressant - et tragique - que ce soit la mère du terroriste qui ait alerté les autorités, mais toute la question du moment est cruciale, car apparemment il s’était dé-radicalisé, puis re-radicalisé. Et à propos de la dangerosité, je pense qu’il nous faut élaborer davantage sur ces termes même de radicalisation, dé-radicalisation, re-radicalisation.

Isabelle de Gaulmyn :
J’ai étudié les débuts du journal La Croix, à la fin du XIXème siècle, une période pendant laquelle la presse n’était pas régulée, comme les réseaux sociaux d’aujourd’hui. Il y avait beaucoup de journaux, et dans bon nombre d’entre eux on racontait n’importe quoi (c’était d’ailleurs le cas pour La Croix). Et notamment à propos des Juifs : caricatures, fake news, rien n’était vérifié, on pouvait lire des choses réellement horribles. C’est ainsi que quelqu’un comme Xavier Vallat, qui était commissaire général aux questions juives sous le gouvernement de Vichy a pu, pour se défendre en 1947 dire « si vous me condamnez, vous condamnez aussi Le Pèlerin et La Croix, car j’ai été biberonné à tout cela depuis mon plus jeune âge, et ce sont eux qui m’ont mis dans la tête que les Juifs étaient des gens bons à tuer ». C’est pourquoi je pense que la religion joue un rôle important dans la radicalisation terroriste. Comment est-on musulman aujourd’hui en France ? Évidemment, la plupart des musulmans vivent harmonieusement avec la société française aujourd’hui, on aimerait donc les entendre à ce propos, on aimerait qu’ils s’emparent davantage de ce problème. Mais il est vrai que ce n’est pas le seul. Par exemple, la ligne téléphonique que l’Etat a mise en place pour signaler les cas est essentiellement utilisée par des parents, cela doit nous interpeller. Il y a aujourd’hui une génération de parents qui ne comprennent pas le rapport de leurs enfants à la société et à la République.

Matthias Fekl :
L’enfermement n’a effectivement pas attendu les réseaux sociaux pour exister, et il peut exister aussi dans certaines mosquées totalement radicalisées. J’avais moi-même à l’époque où j’étais ministre de l’Intérieur fait expulser certains imams radicalisés ou fermer certaines mosquées. Il faut être lucide là-dessus, et très vigilant. Il est inacceptable que des propos contraires à toutes nos valeurs républicaines puissent être prêchés ainsi. Cela pose aussi la question du financement d’une partie de l’islam de France. Mais là encore, tout ceci ne fait que conforter l’idée que seule une approche d’ensemble permet de traiter ce problème. A savoir d’un côté faciliter l’intégration des musulmans, dont la plupart sont modérés et se sentent profondément français (et à juste titre : ils le sont), de l’autre lutter contre des minorités radicalisées. Il est vrai que la religion catholique a fait ce travail de sécularisation. La loi de laïcité en 1905 avait été votée dans des conditions de très grande violence. Elle nous paraît aller de soi aujourd’hui, mais la séparation des Églises et de l‘Etat s’est faite dans la douleur. Évidemment, le contexte a énormément changé, mais qu’un travail de l’islam de France reste à faire me paraît cependant incontestable.

Philippe Meyer :
Il faudra suivre attentivement l’évolution de cette affaire du lycée Averroès de Lille, révélée par Le Canard enchaîné. Il semble qu’il y ait eu à ce sujet une espèce d’auto-intimidation, qui fait que beaucoup savaient mais n’osaient pas dire, de crainte de passer pour islamophobes.

Béatrice Giblin :
Dans les Hauts-de-France, il est vrai que si vous osiez émettre des réserves à propos du lycée Averroès, vous étiez aussitôt qualifié d’islamophobe. C’est ce qui alimente le discours de ces jeunes dont je parlais plus haut : on ne cesse de leur répéter qu’ils ne sont pas reconnus, qu’ils sont des citoyens de seconde zone, bref qu’ils sont colonisés.
On sous-estime souvent la puissance de l’idéologie djihadiste, et son pouvoir de fascination. Oui, il y a les réseaux sociaux, mais il n’y a pas que cela. Le sentiment de transcendance, d’appartenance à quelque chose de plus grand que soi produit un effet véritablement enivrant, qu’il est très difficile de combattre. Peut-être faudrait-il commencer par cesser d’avoir un réflexe de mauvaise conscience, et de brandir à tout bout de champ le « ça n’a rien à voir ». Si, cela a peut-être un peu à voir.

LA PREMIÈRE COP VRAIMENT GÉOPOLITIQUE

Introduction

Philippe Meyer :
« Critique », « cruciale », « charnière » : du 30 novembre au 12 décembre la Conférence des Nations unies sur le changement climatique, la COP28 rassemble à Dubaï, l'un des Émirats arabes unis - septième producteur mondial de pétrole - plus de 70.000 personnes (dirigeants, lobbies, ONG ou journalistes...). L'année 2023 devrait être la plus chaude jamais enregistrée dans le monde. Les effets de ce réchauffement climatique s'aggravent : fonte des glaciers, sécheresses à répétition, pénurie d'eau, perte de la biodiversité … D’après une étude de l’agence ONU Climat, publiée mi-novembre, les engagements climatiques actuels des pays mènent à 2% de baisse des émissions mondiales en 2030 comparé à l'année 2019, loin de la réduction de 43% recommandée par le GIEC.
Hypothétique sortie du pétrole, fonds pour aider les pays les plus vulnérables au changement climatique, mobilisation de la finance mondiale pour l'adaptation, bilan des efforts consentis par les États pour réduire leurs émissions ... Le programme est chargé et cristallise déjà des débats entre pays du Nord, et du Sud. Lors de l’ouverture de la conférence, le président émirati de la COP28, le sultan al-Jaber a évoqué « le rôle des combustibles fossiles ». Il avait estimé auparavant que la réduction des énergies fossiles est « inévitable et essentielle », se gardant toutefois de fixer un calendrier. Seule une vingtaine de pays, dont la France, plaident franchement pour la fin de l'ensemble des énergies fossiles. Dès le premier jour de la COP, la création d'un fonds « pertes et dommages » climatiques pour les pays les plus vulnérables a été également actée. Historique, cette décision a été saluée par une ovation debout des délégués des 196 pays participants. A ce stade, 720 millions de dollars ont été récoltés. En outre, les Émirats ont promis la création d'un fonds de 30 milliards de dollars pour aider ces pays à conduire leur transition énergétique. Pour la première fois depuis huit ans, les 196 États et l'Union européenne doivent évaluer les progrès réalisés par les pays depuis la signature de l'Accord de Paris de 2015. Ses signataires s'étaient engagés à maintenir l'augmentation de la température « bien en dessous » de 2°C, et de préférence de 1,5 °C, par rapport aux niveaux préindustriels. Les débats les plus difficiles portent sur l'engagement des pays à réduire l'utilisation du charbon, du pétrole et du gaz, gros émetteurs de CO2.
La COP28 se déroule dans un contexte géopolitique tendu lié à la guerre en Ukraine, et le conflit qui fait rage dans la bande de Gaza au Proche-Orient. Certains dirigeants présents à Dubaï, notamment les présidents israélien et français ont mené des négociations, en marge de la conférence, pour aboutir à la libération des otages détenus par le Hamas.

Kontildondit ?

Lucile Schmid :
En effet, cette COP28 est particulièrement géopolitique. Pour des raisons de contexte : guerre en Ukraine, conflit Israël-Hamas, mais aussi parce qu’elle a lieu à Dubaï, aux Emirats Arabes Unis, et que ne plus regarder en face la question de la sortie des énergies fossiles est impossible dans un endroit pareil. C’est d’ailleurs l’une des raisons pour lesquelles bon nombre d’ONG avaient protesté : il semblait paradoxal, voire hypocrite de parler de réduction des émissions de CO2 depuis le septième producteur mondial d’hydrocarbures.
Je pense plutôt l’inverse. Il me semble que lorsqu’on est dans un lieu qui nous fait voir le pire de notre modèle énergétique de développement, on ne peut pas détourner les yeux. Il y a huit ans, l’accord de Paris avait le mérite d’être universel, mais on n’y évoquait ni le pétrole, ni le charbon, ni le gaz, ni les voitures, ni les énergies renouvelables. Or, mettre des mots en face des réalités est indispensable si l’on veut avancer. L’accord de Paris était une grande réussite diplomatique pour la France et pour l’UE, désormais nous sommes dans une autre phase, très différente. Cette COP28 se veut « inclusive » (pour Dubaï, cela signifie accorder des visas gratuits à tous les pays du Sud global), mais pendant ces huit années, notre addiction aux énergies fossiles ne s’est pas améliorée, puisque nous n’avons prévu de réduire nos émissions que de 2% d’ici 2030. Cette COP est donc inextricablement liée à des enjeux de grandes puissances, et pour ma part je m’en réjouis.
Le lien entre les enjeux de puissances, les questions climatiques et l’économie sera évident, et là encore, tant mieux. Nous nous étions habitués à ce que ces COP soient une sorte de bulle pendant laquelle des ONG discutent avec des diplomates impuissants. Aborder, comme le fait le sultan al-Jaber, la question du triplement des énergies renouvelables d’ici 2030, a forcé à ramener la question du nucléaire sur la table (on évoque là aussi un triplement, mais d’ici 2050), et à ressusciter le thème de la sobriété. Et puis la diplomatie du chèque a mieux fonctionné que d’habitude, semble-t-il : il y a déjà 700 millions sur la table pour les pays du Sud, alors que les pays du Nord avaient pris de longues années pour tenir leurs promesses du « fonds vert ».
Le principe de réalité semble être en train de prendre le dessus. Cela ne signifie pas pour autant qu’il sera conforme à ce qu’espèrent les écologistes. Ce que nous voyons à travers ces COP, c’est qu’il n’y aura aucune solution miraculeuse, aucune qui résoudra à elle seule le problème du réchauffement climatique. Il faudra la conjonction des Etats, des ONG, des entreprises et des sociétés civiles. La question de ce que stipulera l’accord final est essentielle, mais n’oublions pas celle du volontariat, de l’incitation. Par conséquent, « choisir son camp » en matière d’écologie me paraît absurde aujourd’hui : il s’agit d’être à la fois du côté de la croissance verte, et d’une forme de décroissance en ce qui concerne les énergies fossiles. Il nous faut apprendre à regarder la réalité de demain en face.

Matthias Fekl :
Ces COP sont désormais un rendez-vous important. On peut ironiser sur leur efficacité, mais quand on regarde l’évolution de ces grandes réunions depuis les années 1990, on constate plusieurs choses. D’abord, elles sont de plus en plus contraignantes : l’accord universel de la COP21 a été un jalon en ce domaine, puisqu’il est contraignant pour les Etats. Et puis, elles sont de plus en plus concentrées sur des objectifs très concrets, il semble que c’en est fini des grandes déclarations dans lesquelles on clame qu’il faut préserver la nature, on passe désormais à des sujets de mise en œuvre, avec toutes les difficultés que cela entraîne. En particulier dans un contexte géopolitique d’émergence du « Sud global ». Beaucoup d’Etats se disent que ces grand sommets écologiques ne doivent pas devenir la dernière trouvaille en date de l’Occident pour continuer à les exploiter et à les brimer.
Je partage l’avis de Lucile à propos des protestations quant à la tenue du sommet à Dubaï. Je les ai trouvées décalées. Quand on attribue les Jeux Olympiques d’hiver à un pays de la région, je suis choqué et trouve qu’on envoie un très mauvais signal. En revanche, la résolution des problèmes climatiques concerne tout le monde, et a fortiori les grands producteurs d’hydrocarbures. D’autant plus que les pays du Golfe réfléchissent déjà à l’après-pétrole : cela se voit dans les décisions des grands fonds d’investissement stratégiques. Tout le monde a parfaitement compris que cette manne ne sera pas éternelle. Bien sûr, je ne dis pas qu’ils sont pressés d’en arriver là, mais la simple raison les force à infléchir leurs stratégies d’investissement. Comment conforteront-ils et consolideront-ils leur richesse quand le pétrole sera épuisé, ou obsolète ?
Il y a effectivement une dimension géopolitique bien plus saillante que lors des COP précédentes. Il y a déjà une grande victoire avec le Fonds pour la réparation des dommages. Sur le principe, c’est tout à fait nouveau : les pays riches et développés admettent qu’ils doivent aider les pays moins riches et moins développés à compenser les différentes contraintes que leur imposera le changement climatique.
Je sais qu’on ne pourra pas passer à côté de la géopolitique pour résoudre les problèmes climatiques, mais à mon sens, c’est au sein des sociétés que le cœur du combat va se jouer. A quel point les différentes opinions adhéreront-elles ou non aux valeurs écologiques ? Si l’on pense aux Etats-Unis, le possible retour de Donald Trump à la présidence serait un désastre absolu en matière écologique, non seulement pour le pays, mais pour toutes les COP à venir. Il était sorti de l’accord de Paris et on sait qu’il bloquera toute velléité d’avancée en la matière. Mais même en France, les choses sont loin d’être gagnées dans l’opinion. Par exemple le mouvement des Gilets Jaunes (que je n’accuse pas d’être anti-écologique) est né du sentiment pour des pans entiers de la population que ce n’était pas à eux de payer. La question écologique présente un réel risque de fracturation de nos sociétés. Ce n’est peut-être pas à la COP d’examiner cela, mais les dirigeants qui y figurent ont forcément tout cela en tête. Les réalités de la vie sociale et quotidienne devront aussi être prises en compte, sans quoi tous les efforts de ces dernières années pour convaincre que l’engagement écologique est indispensable seront réduits à néant.

Béatrice Giblin :
Je ne m’offusque pas moi non plus que cette COP se tienne à Dubaï. On a entendu beaucoup de cris d’orfraie à ce sujet, mais un lieu pareil oblige davantage à regarder la réalité en face, en effet. Le simple fait de poser la question des énergies fossiles est déjà déterminant. Il ne faut pas se leurrer à ce sujet : on n’en sortira ni facilement, ni rapidement. Aujourd’hui, elles ont encore un avenir ; on peut le déplorer mais c’est une réalité. Il y a une montée en puissance des classes moyennes dans certains pays (je pense évidemment à l’Inde, mais aussi à plusieurs Etats africains), il y aura donc une demande énergétique à laquelle les énergies renouvelables ne seront pas en mesure de répondre. Et on ne peut pas se lamenter de cela, car il s’agit de gens dont les conditions de vie vont s’améliorer. Ca va avoir lieu, et cela se fera avec les énergies fossiles. C’est ainsi, c’est la réalité avec laquelle il nous faut composer.
En revanche, il est évidemment indispensable d’accroître la production d’énergie renouvelable, et d’améliorer les mix énergétiques. C’est ce à quoi on réfléchit dans cette COP28, et tant mieux. N’oublions pas que le sultan al-Jaber, président de la COP28, est certes à la tête de l’entreprise pétrolière nationale d’Abou Dabi, mais il est aussi le fondateur d’une entreprise de renouvelable. Comme le disait Matthias, tous ces grands acteurs du pétrole ont déjà les yeux tournés vers la suite.
La prise de conscience écologique peut aussi avoir lieu par le simple accroissement des catastrophes naturelles découlant du réchauffement climatique : cyclones, sécheresses, inondations, incendies … Les opinions publiques sont de plus en plus conscientes de la gravité de la situation, et sont touchées immédiatement : ce n’est pas un problème à venir, c’est déjà là. C’est beaucoup plus concret que les discussions sur « +1,5°C ou + 2°C », qui peuvent paraître byzantines.
Ceci étant dit, compte tenu des tensions géopolitiques extrêmes d’aujourd’hui, je vois mal comment arriver à une position commune lors d’une COP, comme cela avait été le cas à Paris. Nous sommes dans un monde très fracturé, avec d’un côté un Occident développé et en situation de décarboner son modèle, et de l’autre des pays qui ne sont pas en mesure de le faire, regroupés sous l’appellation (impropre) de « Sud global ».
Enfin, je ne comprends pas pourquoi on n’aide pas les grands consommateurs de charbon à sortir au plus vite de ce modèle énergétique désastreux. Car nos efforts sont louables, mais le problème est global, et on gagnerait beaucoup à ce que des pays comme l’Inde puissent réduire leur consommation de charbon.

Isabelle de Gaulmyn :
Cette COP donne effectivement l’occasion de voir de nouvelles forces émerger dans le monde. Il est intéressant de constater qu’au moment des combats entre Israël et le Hamas, on se tourne vers les pays du Golfe (le Qatar, notamment) qui semblent le mieux à même de parvenir à un cessez-le-feu, et ce sont aussi ces grands pays pétroliers qui organisent la COP ; il y a là un passage de relais dans la conduite des affaires mondiales qui est significative.
La grande nouveauté de cette COP est que les énergies fossiles sont au centre de la discussion, alors que dans les précédentes, on avait toujours pris grand soin d’éviter d’en parler. Si accord final il y a, le plus intéressant sera de voir ce qui est formulé, quels seront les mots employés. Pour le moment, les protagonistes sont en train de s’écharper sur certaines formulations : savoir si l’on peut évoquer une sortie « juste et ordonnée », ou « accélérer les efforts en vue de réduire notre dépendance ».
A propos de l’implication des sociétés, enfin, il y a une autre nouveauté dans cette COP : les lobbyistes y sont nombreux. Certains observateurs le déplorent, mais là encore il me semble que c’est plutôt bon signe : cela signifie que désormais les acteurs économiques qui comptent vraiment participent aux discussions, ils ne peuvent plus se permettre d’ignorer le sujet. Les sociétés civiles sont les grandes absentes. Comment arriver à formaliser leur présence lors des prochaines COP ? Il y a les Etats, les entreprises, les ONG, quelle place peut-on donner aux sociétés civiles, dont Matthias a rappelé que le rôle serait déterminant ? Y parvenir permettrait aussi d’être moins vulnérable à telle ou telle nouvelle présidence (celle de Donald Trump pour ne pas le nommer).
Enfin, on sait bien que sur des enjeux aussi énormes et dans un monde aussi conflictuel, on n’aura pas de consensus. Il faudra donc veiller à ce que des règles de majorité plus fines l’emportent, pour parvenir à des accords plus facilement.
Finalement, cette « horrible COP de Dubaï » tant décriée produit des choses plutôt intéressantes. Je pense qu’elle est en mesure de marquer l’Histoire, notamment parce qu’elle se produit dans un ailleurs qui a pour nous quelque chose de surprenant.

Lucile Schmid :
On sait que dans n’importe quel accord de nature diplomatique, la question de la formulation est cruciale : les mots, les notes de bas de pages, la moindre virgule font l’objet de négociations féroces. Et on sait très bien que sur la question des énergies fossiles, le point déterminant est la captation du carbone : sera-t-elle « abated » ou « unabated » (atténuée ou non ) ? La question de la technologie est donc absolument primordiale. On sait bien que du côté des écologistes, le débat entre technophiles et technophobe est un vieux sujet. On sait également que vendre l’idée que nous arriverons à capter tout le carbone émis à un horizon de vingt ans est sans doute un miroir aux alouettes, car pour le moment ces technologies sont encore balbutiantes.
Il faut donc prendre garde à ce que cet éventuel accord final ne soit pas un accord de dupes dans lequel, au nom d’une technologie miraculeuse, d’une pensée magique, on s’aveugle une fois encore sur la réalité.
A propos des pertes et dommages, il ne s’agit pas seulement d’avenir. Certains Etats sont d’ores et déjà en train de disparaître. Les îles Tuvalu et l’Australie viennent de signer un accord dans lequel les Australiens offrent refuge aux Tuvaluans, dont la surface habitable est en train de disparaître, engloutie par la montée des océans. Cela a immédiatement suscité des débats sur la souveraineté, le néo-colonialisme : « que vont devenir ces réfugiés, etc. ? » Certaines des parties prenantes de cette COP pourraient cesser d’exister à court terme.
Enfin, à propos des sociétés civiles, rappelons que lors de la première COP de 1995 à Bonn, il y avait très peu de gens. Petit à petit, la société civile s’est invitée dans les COP sous la forme des ONG. Je ne sais pas s’il faut formaliser les choses, mais en tous cas il faut reconnaître que l’idée de contre-pouvoir de la société civile s’est installée. Reste à ce qu’elle soit en mesure de faire des contre-propositions opérationnelles et réalistes. Au niveau international, comment faire exister les sociétés civiles autrement que dans l’interpellation et la réaction ? Aujourd’hui, ce sont souvent les entreprises qui sont sollicitées, comment les faire mieux travailler avec les ONG ? Quant à l’utilisation des énergies fossiles par les pays africains émergents, n’oublions pas de distinguer ceux qui le font pour assurer leur développement, de ceux qui concluent des pactes faustiens avec des multinationales, pour qu’elles puissent exporter vers l’Occident ces énergies que nous prétendons ne plus vouloir utiliser, alors que nous y sommes toujours aussi drogués.

Les brèves

Clemenceau

Philippe Meyer

"Ma Brève sera consacrée à une bonne nouvelle : à partir de janvier, Michel Winock rejoindra notre équipe. Tous ceux qui se désolent et s’inquiètent de la raréfaction de l’Histoire dans l’enseignement et de sa méconnaissance dans les analyses comme dans les proclamations politiques ne pourront que se réjouir qu’un historien de ce calibre ait une nouvelle occasion de faire entendre sa voix. Je profite de cette bonne nouvelle pour signaler l’existence en poche, dans la collection Tempus, de la biographie que Michel Winock a consacré à Clemenceau, « homme de gauche maudit par la gauche du moment que celle-ci s'est affirmée révolutionnaire ». « Son histoire nous rappelle écrit Winock qu'il a existé une autre gauche : la gauche républicaine. L'homme, ses convictions, ses combats sont sans doute d'une époque révolue mais ils s'inscrivent dans une tradition, dans une famille politique issue de la révolution de 1789 et ils illustrent un certain nombre de valeurs qui ne sont pas hors de saison : l'esprit démocratique, l'impératif laïque, l'amour de la patrie, l'individualisme philosophique doublé du réformisme social. » A propos de la célèbre formule de Clemenceau, « la révolution est un bloc », Winock rappelle dans quelles conditions elle fut prononcée. Celles d’un débat à la Chambre autour de l’interdiction d’une pièce, Thermidor,  de Victorien Sardou auteur qui prenait avec l’histoire autant de libertés que Ridley Scott, et qui prétendait réduire la Révolution à la Terreur. « Depuis 3 jours écrit Clemenceau tous nos monarchistes revendiquent à l'envi la succession de Danton ; quelles que soient vicissitudes, péripéties, injustices qui ont émaillé la décennie révolutionnaire il faut considérer son héritage comme un tout : la révolution est un bloc. » On voit par-là que l’on a raison de se méfier des petites phrases et de ceux qui les sortent de leur contexte."

Humus

Lucile Schmid

"Je voudrais vous recommander ce roman de Gaspard Koenig, qui a reçu le prix Interallié et le prix Jean Giono. On pourrait penser à l’auteur en tant que candidat malheureux à la présidentielle de 2022, mais je trouve intéressant qu’il se soit passionné pour les lombrics, au point de nous expliquer que le salut viendra sans doute des vers de terre, tout en mettant en scène deux jeunes étudiants en agronomie, Kevin et Arthur, qui auront tous deux un destin tragique. Le roman est bien ficelé, bien documenté. Kevin est le transfuge de classe, qui se fera avoir par le capitalisme vert, et Arthur, venu d’un milieu bourgeois et qui essaiera (sans y parvenir) de restaurer des terres. Le tout se termine dans une apothéose du type « extinction rébellion » à la sauce romanesque. Je vous conseille cette lecture assez exotique."

La ville introuvable

Isabelle de Gaulmyn

"Exotisme aussi de mon côté, puisque le livre que je vous propose vous emmène en Chine, à la fin de la dynastie des Xi. Il est signé de Hua Yu, écrivain formidable à qui l’on doit déjà Brothers. L’histoire se passe entre la fin du XIXème siècle et le début du XXème, c’est toute une fresque amoureuse, prenant place dans une Chine aux mains des seigneurs de la guerre, dans une très grande instabilité politique, et qui commence à s’ouvrir à l’influence occidentale. Amour, trahison, pardon, c’est un roman très beau et très picaresque. Dépaysement assuré pour les fêtes. "

Monument national

Matthias Fekl

"Je vous conseille ce roman de Julia Deck, l’une des écrivaines de la petite « bande » des éditions de minuit, qui ont chacun leur style bien à eux, mais ont un trait commun : on sent qu’on met les pieds dans une situation assez affreuse dès les premières pages. Ici, il est clair que quelque chose de fondamental ne va pas, mais on ne sait ni quoi ni pourquoi. Parce que l’écriture est limpide, mais on sent que derrière la façade tout est en train de craquer. Et puis on est attiré progressivement dans la tourmente. Le roman se lit formidablement bien, et réussit à être très drôle malgré des moments véritablement épouvantables. Extrêmement réussi."

Femme, rêve, liberté : 12 histoires inédites

Béatrice Giblin

"Ce recueil a été publié à l’initiative de Sorour Kasmaï, qui a demandé à douze autrices iraniennes, soit de la diaspora, soit vivant dans le pays, d’écrire chacune sur la condition de la femme en Iran. Le livre est assez court, ces douze textes sont extrêmement émouvants. Ils donnent à voir ce que cela représente que de s’opposer à la théocratie iranienne, autrement dit la dictature. N’oublions pas le combat que mènent ces femmes, et les risques qu’elles prennent. "