Les déserts médicaux / Le sommet du triangle de Weimar / n°302 / 18 juin 2023.

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LES DÉSERTS MÉDICAUX

Introduction

Philippe Meyer :
Un Français sur dix, plus de six millions de personnes n'a pas de généraliste à proximité de chez lui, alors que la population vieillit. En 10 ans, le nombre de généralistes a baissé de 3%. Ils sont 53.000 en exercice, un sur quatre est en âge de partir à la retraite. Pour deux médecins sur le départ, un seul peut prendre le relais. Selon une étude de la Direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques (Drees) publiée le 25 mai, les deux tiers des médecins généralistes déclarent désormais refuser des patients comme médecin traitant, contre 53 % en 2019. Huit médecins sur dix jugent que les médecins ne sont pas assez nombreux sur leurs zones géographiques respectives, soit 11 points de plus qu'en 2019.
Durant les « trente glorieuses », le nombre de médecins explosait. Avec le choc pétrolier et le ralentissement de l’activité économique, les dépenses de santé sont alors jugées dispendieuses et les pouvoirs publics mettent en place la contrainte du numerus clausus. Mécaniquement, au début des années 2000, le nombre de médecins n’augmente qu’à la marge, diminuant même dans les rangs des généralistes, tandis qu’en parallèle les besoins ne cessent d’augmenter, avec une population qui vieillit et une demande de soins en hausse. Depuis les années 2000, chaque ministre a fait son plan : des aides, des bourses, des incitations, des soutiens… la panoplie des outils incitatifs n'a pas marché. Aucun n’a mis en place de régulation ou de coercition.
Face à ce problème, l'Assemblée nationale a lancé lundi l'examen d'un texte de la majorité sur l'accès aux soins. Dans son préambule, il est indiqué que « 87 % du territoire est un désert médical, résultat d'une longue fragilisation du système de santé et d'aspirations professionnelles des nouvelles générations jusqu'à présent mal anticipées ». La loi devrait notamment permettre de simplifier l'exercice des « praticiens diplômés hors de l'UE » et de s'opposer à l'intérim médical dans certains établissements en début de carrière, ou encore élargir le nombre d'étudiants pouvant signer des « Contrats d'engagement de service public » avec une allocation mensuelle versée en contrepartie d'un engagement dans un désert médical. Sous la pression de l'exécutif, une mesure a été supprimée : la régulation de l'installation des médecins censée lutter contre les déserts médicaux. Le ministre de la Santé, François Braun « reste opposé à la coercition à l’installation ».Considérant la mesure comme un « levier » indispensable, le député socialiste Guillaume Garot a décidé de déposer un amendement pour la réintégrer, soulignant qu’« il y a aujourd'hui trois fois plus de généralistes par habitant dans les Hautes-Alpes que dans l'Eure, 18 fois plus d'ophtalmos par habitant à Paris que dans la Creuse, et 23 fois plus de dermatos dans la capitale que dans la Nièvre ».
Après l’Assemblée nationale, le texte partira ensuite au Sénat, où la majorité Les Républicains, opposée à cet amendement comme d'ailleurs à l'ensemble du texte, pourra apporter des modifications. Déjà, trois syndicats de médecins hospitaliers appellent à une « journée de grève et d'action le 4 juillet ».

Kontildondit ?

Isabelle de Gaulmyn :
Ce sujet est passionnant, car il est au croisement de nombreuses contradictions de notre pays. Cela fait tout de suite penser au titre d’un livre : « Paris et le désert français », qui avait beaucoup compté. Nous avons à la fois la demande d’un meilleur aménagement du territoire, et une difficulté à habiter ce territoire, qui nous paraît de plus en plus déséquilibré. Deuxième contradiction : la santé. Nous sommes de plus en plus exigeants, la demande de meilleurs soins et de nouveaux médicaments ne cesse de croître, et on n’a absolument pas le droit de remettre en question ce droit à être soigné de la meilleure façon possible, quel que soit le problème. Troisième contradiction : notre rapport à l’Etat, ou aux structures publiques. Le secteur médical est presque entièrement financé par des fonds publics, et les bénéficiaires, les médecins libéraux, se font les héros de la liberté d’entreprendre. Le seul terme de « médecins libéraux » est déjà frappant. Et puis ces dernières années, la pandémie a mis un coup de projecteur sur les déficiences de notre système de santé. Enfin, le vieillissement de la population entraîne une demande de soins supplémentaire.
Personnellement, je ne serais pas particulièrement choquée qu’on fixe aux jeunes médecins des contraintes plus rigides, ou qu’on les envoie là où sont les besoins. Ils arguent tous qu’après dix ans d’études, ils peuvent bien faire leur vie où ils l’entendent, mais c’est la même chose pour les magistrats ou les professeurs, il y a beaucoup d’autre professions où l’on ne va pas où l’on veut, parce qu’on est financé par l’Etat. Or c’est le cas des médecins. On voit bien que derrière cette querelle à propos de la contrainte, il y a le poids d’un secteur politique qui a une forte capacité de lobbying. Il est sur-représenté au Parlement, et puis c’est une profession très valorisée, le médecin reste un notable en France.
Je ne serais donc pas choquée par la contrainte, mais reste à savoir si elle serait efficace. On n’a en tous cas pas d’exemple de l’efficacité d’un système très centralisé. Il ne fat d’ailleurs pas oublier que si nous en sommes là, c’est à cause d’une planification de l’accès des étudiants à la médecine, et d’un numérus clausus draconien. Tout le monde connaît des étudiants qui ont échoué à leurs études de médecine alors qu’ils étaient très bons. Aujourd’hui le mouvement s’inverse et on rouvre les vannes, mais on voit bien que le système trop bureaucratique n’est pas efficace. Alors que faire ? Peut-être placer la contrainte au niveau des régions. Mais même si Paris regorge d’ophtalmologues, le contexte général reste malgré tout celui d’une pénurie. Au mieux, on répartit équitablement la misère, mais le manque demeure. Il y a d’abord un problème d’offre à résoudre, et il prendra au moins dix ans, puisque c’est la durée des études.
Il y a tout de même quelques éléments qui ne fonctionnent pas si mal, comme les maisons de santé, même si ce n’est pas le cas partout. Regrouper plusieurs professionnels dans un même endroit, afin qu’ils s’appuient les uns les autres, au lieu du médecin solitaire qui court les routes de campagne. Il faut faire des obligations de permanence, et il semble que c’est le sens de la loi qui est débattue en ce moment. Il faut sans doute permettre à plus de personnel soignant d’effectuer certains soins : infirmiers, kinésithérapeutes, pharmaciens, etc. Certes, les médecins sont contre, mais ce n’est pas très grave en soi.
Enfin, je ferai volontiers la comparaison avec l’écologie, où l’on parle de « décroissance ». Le système de soins repose sur une croissance, ne devrait-on pas réfléchir à son bien fondé ? D’autant qu’elle n’a rien de naturel dans la mesure où elle dépend presque entièrement de l‘Etat.

Lucile Schmid :
Il y a quelques définitions sur lesquelles il faut revenir. Ainsi, dire que 87% du territoire français est un désert médical me paraît extraordinaire. Selon les analyses, on est en fait entre 40% et 87%. En Grèce par exemple, on considère qu’un désert médical est un territoire dont les habitants font moins de deux consultations et demie par an. C’est un indicateur comme un autre, mais on voit bien qu’il est assez absurde : cela dépend de l’Etat de santé, si l’on cherche un généraliste ou un spécialiste, etc. Mais déjà, définir précisément la notion de désert médical reste à faire.
Et puis, qu’est-ce qu’un médecin ? La question peut paraître saugrenue, mais c’est une activité très hétérogène : il y a à la fois des spécialistes, des généralistes (qui sont de plus en plus des médecins traitants désormais) et puis une grande hétérogénéité de revenus entre les uns et les autres. On sait qu’un oncologue ou un chirurgien gagnent très bien leur vie, tandis qu’il y a une longue plainte des médecins traitants, qui disent qu’ils sont mal payés, et qu’en plus ils sont au contact de la souffrance sociale : étrangers sans papiers, CMU, etc. Les médecins sont présentés comme une catégorie socio-professionnelle homogène alors que c’est loin d’être le cas. Un médecin de campagne, un ophtalmo de grande ville ou un remplaçant généraliste qui fait des télé-consultations ont un quotidien très différent.
La réalité, c’est qu’il y a aujourd’hui une médecine à plusieurs vitesses. Par exemple, les dépassements d’honoraires sont devenus la règle quand il s’agit des spécialistes, le fait même de trouver un médecin peut dépendre de vos relations (pour trouver un nouveau médecin traitant par exemple).
La discussion qu’il y a eu à l’Assemblée nationale, lancée par Guillaume Garot sur le slogan « l’accès au soin ne doit pas dépendre du code postal », est très douloureuse, car en France, l’accès au soin fait partie du contrat social de manière structurante. Mais cette discussion de principe s’est heurtée à la réalité. Il y a le numerus clausus, et par ailleurs, les jeunes médecins veulent au fond être salariés : faire 35 heures, avoir leurs week-ends, etc. Cela signifie que les jeunes médecins d’aujourd’hui veulent bien remplacer, mais pas ouvrir leurs propres cabinets. En termes de finances publiques, un médecin libéral coûte moins cher qu’un médecin salarié aux 35 heures, auquel on paie les frais de cabinet. Les médecins libéraux sont certes remboursés par la Sécurité sociale, mais si on les salariait, cela nous coûterait encore plus cher.
Enfin, il y a un vrai ras-le-bol chez de nombreux généralistes. Ils sont souvent déconsidérés, depuis la pandémie ils sont au contact d’un population angoissée ; aujourd’hui ils sont de plus en plus souvent agressés, et ont fréquemment affaire à des patients consuméristes. Le médecin était respecté, un peu comme comme le curé, mais comme le curé, ils sont en train de perdre ce respect. Dès lors, rien d’étonnant à ce que la relation entre l’Etat et les médecins soit devenue conflictuelle. La convention médicale qui doit régir la relation entre l’Etat et les médecins n’a pas été signée en mars dernier. On est donc aujourd’hui dans un régime provisoire, où une inspectrice générale des affaires sociale à la retraite a décidé que dans les six mois, il fallait augmenter d’1,5 euros la consultation des généralistes et des spécialistes. Mais même quand on est tenté de voir certains médecins comme des patriciens, on peut se dire qu’il mériteraient une augmentation d’au moins 3 euros …

Béatrice Giblin :
La notion de désert médical interroge, et ce chiffre de 87% ne veut pas dire grand chose, même s’il est effectivement très choquant. Il faut aussi raison garder, quand on compare avec certains pays du Sud, on est sur des situations radicalement différentes.
A bien des égards, nous sommes un peu des « enfants gâtés » de la médecine. Lucile disait que nous avons l’égalité d’accès au soin chevillée au corps, mais quand on examine les faits, elle n’a en réalité jamais existé. Pendant très longtemps, les gens qui « avaient la sécu » étaient bien peu nombreux. Les commerçants ne l’avaient pas, les agriculteurs non plus, il y a avait des régimes particuliers selon les corps de métier. Quand à la pénurie de médecins, on n’a en réalité jamais eu d’abondance. On avait des médecins de campagne, une figure qui a pris culturellement un caractère presque mythique aujourd’hui, et ils étaient corvéables à merci. D’autre part, on parle d’une époque où les femmes ne travaillaient pas. Aujourd’hui, plus rien de semblable. La moitié des médecins sont des femmes et c’est un changement énorme. C’est en partie ce qui explique l’envie du salariat, des 35 heures, des congés, etc. Ce qui est étonnant, c’est qu’on ait supprimé en 2003 les gardes pendant le week-end et pendant la nuit, car elles existaient. C’est bien le résultat d’un lobby politique des médecins. Et cela explique l’encombrement permanent des services d’urgence dans les hôpitaux : ce sont les seuls qui sont ouverts sept jours sur sept.
A la fin du XIXème siècle, au moment de la vaccination, dans le pays de Pasteur, la France a été le dernier pays à accepter les vaccins, malgré la pression des médecins qui n’en voulaient pas. On voit bien qu’il va falloir un certain courage politique pour à un moment dire : « ça suffit ». Mais un grève des médecins fait très peur. Il y en avait eu une en 2002, et dès 2003, le pouvoir avait reculé, et le système des gardes a disparu. Le problème des déserts médicaux est lié à un rapport de forces politique. On joue sur l’opinion publique. Pour la patientèle, l’image du médecin, même si elle commence à se dégrader, reste encore très positive. Quand on voit que seulement 14% des jeunes médecins s’installent en libéral, on se demande si ce système de médecine libérale est à conserver. Il faut penser plus loin que la simple obligation de s’installer quelque part. Enfin, il faut admettre que quand un territoire n’a que 10 habitants par kilomètre carré, on ne peut pas sérieusement exiger qu’il ait les mêmes services de médecine que là où il y a 2000 habitants.

Michaela Wiegel :
Ce qui me fascine avec ce sujet, c’est qu’on en discute comme si la France était une île, alors qu’elle est déjà dans un marché de la Santé de plus en plus compétitif. La France recrute des médecins, mais aussi des infirmiers ou des aide-soignants dans d’autres pays, de l’autre côté de la Méditerranée ou dans les Balkans. Nous sommes dans une économie ouverte, et pourtant ce sont les mêmes idées qui reviennent dès qu’il y a un problème en France : réglementer, restreindre, et attaquer le libéralisme. Mais cela ne me semble pas très opérant.
Quand on regarde les maux français actuels, ils sont déjà le résultat d’un système très réglementé. En France, la sélection des futurs médecins est très difficile et très compétitive, sur des critères qui sont par ailleurs assez discutables. Et puis, pour les spécialités, c’est le fameux système français des concours : ce n’est pas celui qui a une volonté ou une vocation qui obtient une spécialité, c’est une pure question de notation. A la fin d’un tel circuit, on a beaucoup de gens qui ont l’impression de ne pas faire ce qu’ils voulaient au départ. C’est notamment le cas des généralistes, dont la plupart sont des médecins qui n’ont pas pu faire de spécialisation. Même si en tant qu’internistes ils ont fait de longues études comparables à celles des spécialistes, ils n’ont pas les mêmes choix, ni les mêmes perspectives de rémunération.
Pour ma part, j’ai l’impression que la pénurie de médecins est en grande partie liée à l’attractivité du métier, il y a un problème de vocations. En France, le grand nombre de femmes médecins qui s’arrêtent d’exercer est par exemple très frappant. Comme souvent dans ce pays, il me semble que ce sont les conditions du travail qui sont à changer, pour résoudre le manque de professionnels.

Isabelle de Gaulmyn :
C’est l’une des caractéristiques de notre époque : tous les anciens métiers « à vocation » sont en crise : Qu’il s’agisse des enseignants, des médecins, des infirmières, etc. La vocation ne suffit plus aujourd’hui.
D’autre part, la loi qui est en train d’être votée prévoit des passages beaucoup plus simples pour que des médecins venus d’Afrique du Nord ou d’Europe de l’Est puissent s’installer en France. Cela se fait d’ailleurs déjà, et il est un peu paradoxal de constater que la droite française qui défend ce texte ne défend pas vraiment une immigration facilitée …
Lucile évoquait la télé-médecine, il est vrai que c’est contre-intuitif : c’est tellement loin de cette idée qu’on se fait du contact presque physique avec un médecin, mais peut-être l’avenir est-il là ? C’est en tous cas une voie à explorer.

Béatrice Giblin :
Je partage assez largement l’avis de Michaela, mas je crois qu’il ne s’agit pas seulement d’un problème d’attractivité. N’oublions pas que le numerus clausus était une demande des médecins. Certes, la Sécurité sociale était d’accord, pensant que cela ferait baisser le nombre d’actes et de prescriptions à rembourser. Mais on présente toujours cela comme une erreur venue de l‘Etat, or ce n’est pas exactement le cas : ce sont les médecins qui ne voulaient pas partager le gâteau. La responsabilité de la confédération syndicale des médecins français est grande dans la situation actuelle de déserts médicaux.
Encore aujourd’hui, on a toutes les peines du monde à confier certains actes à des infirmiers spécifiquement formés (le suivi de maladies chroniques par exemple), car le syndicat des médecins est vent debout. Alors que géographiquement, la carte des déserts médicaux est très intéressante, puisqu’elle regorge d’infirmiers. C’est par exemple le cas dans le Massif Central. On pourrait très bien assurer un meilleur suivi, pour que le patient n’ait affaire au médecin que lorsque c’est nécessaire. Il y a une mentalité très ancrée, et on la retrouve même chez des jeunes médecins. Les pharmaciens ne s’installent pas où ils veulent, par exemple. Je me souviens que quand elle était ministre de la Santé, Mme Bachelot avait essayé d’imposer une répartition géographique plus équilibrée. Elle avait eu l’audace de lancer ce pavé politique dans la mare. Et on lui a demandé de faire machine arrière.

Lucile Schmid :
Michaela nous a rappelé qu’il y a une loi du marché, et que la question économique joue à plein. La question de la télé-médecine ou la multiplication des « points vision » pour l’ophtalmologie est intéressante. Sur les spécialités qui manquent, des démarches à la fois médicales et commerciales apparaissent, et on se pose forcément la question : « vais-je être correctement soigné si je n’ai pas une vraie consultation avec un vrai médecin ? » Il faut évidemment utiliser toutes les ressources disponibles, mais aussi veiller à ce que la logique commerciale ne prenne pas le pas sur le soin médical. Aujourd’hui, la pénurie suscite de vraies convoitises, et c’est tout de même assez préoccupant.
La question des médecins généralistes est un vieux sujet. Il y a une espèce de hiérarchie implicite entre généralistes et spécialistes, et elle est en train d’être remise en cause. Les généralistes étaient le « bas du classement ». C’est moins vrai aujourd’hui, où la médecine générale est devenue une spécialité. Ajouter une année d’internat pour les généralistes (afin de les mettre au même niveau de formation que les spécialistes) est un sujet qui peut sembler corporatiste, mais qui est important, parce que la question financière s’y adosse. Les médecins généralistes, souvent débordés, sont mal représentés au sein de la profession (en tous cas, ils le sont souvent par des médecins plus corporatistes que les médecins auxquels nous avons affaire en tant que patients). Cette difficulté de représentation accentue un corporatisme qui n’est souvent pas défendu par le médecin avec lequel vous discutez.
La profession a un effort de représentation à faire. Si elle comprend qu’elle est essentielle au contrat social, elle ne doit pas seulement se représenter en disant « on veut plus d’argent, on est maltraités, etc. »
Aujourd’hui, quand le gouvernement déclare qu’il veut donner plus d’importance aux pharmaciens et aux infirmiers, il leur propose un supplément de rémunération qui tourne autour de 50 euros, alors qu’il propose 1,50 euros aux généralistes. C’est ainsi que la question du respect s’adosse immédiatement à la question financière, alors qu’elle est à mon avis bien plus complexe.

Michaela Wiegel :
L’aspect financier joue évidemment beaucoup, d’autant plus à cause de la formation des médecins, qui est vécue comme sacrificielle. On l’a vu notamment pendant les années Covid. Les médecins ont l’impression d’avoir tellement donné pendant leur internat, qu’ils méritent un juste retour. Quand on veut les obliger à s’installer dans un endroit qu’ils n’ont pas choisi, sans famille ni attaches, il est vrai que cela peut sembler très brutal. Peut-être est-ce mon éducation allemande très libérale qui parle, mais personnellement, cela me paraît ahurissant. Je me dis qu’il doit y avoir d’autres moyens, et notamment sur la formation. On devrait déjà faire en sorte que ces jeunes ne commencent pas leur pratique professionnelle en ayant l’impression d’être usés et d’avoir tout donné. Quand on lit sur les bizutages, sur la façon dont les hôpitaux restent extrêmement hiérarchisés, avec une répartition sociale très cloisonnée (un interne ne déjeune pas avec un stagiaire, par exemple), tout cela me paraît d’un autre âge. Une difficulté de plus, qui renforce le corporatisme.

LE SOMMET DU TRIANGLE DE WEIMAR

Introduction

Philippe Meyer :
Dans une intervention le 31 mai devant le think tank Globsec à Bratislava, en Slovaquie, le président français a assuré que la France apportait clairement son soutien à l'option d'une Ukraine ayant à terme sa place dans l'Alliance atlantique et devant bénéficier « de garanties de sécurité crédibles et tangibles ». Il a également plaidé pour élargir « le plus vite possible » l’édifice bâti par les Vingt-Sept. Une façon d’envoyer un signal fort aux Etats d’Europe centrale les plus pressés d’accueillir Kyiv et Chișinău. Après quelques hésitations, Paris propose désormais d’ouvrir les négociations avec les deux pays candidats, dès la fin de l’année. En rejetant toute idée de cessez-le-feu ou de conflit gelé, le président contribue à clarifier le débat, rejoignant la position des Européens de l'Est. « Nous avons perdu une occasion de vous écouter », leur a-t-il dit à Bratislava.
Le lendemain, les représentants des 47 pays composant la Communauté politique européenne (CPE) se sont réunis à Chișinău, en Moldavie. Née de la guerre en Ukraine pour donner une perspective à Kyiv, la CPE rassemble des États souverains qui, parce qu’ils habitent le même continent, font face à des problématiques communes, en matière sécuritaire ou énergétique, notamment. Emmanuel Macron, avait, le 9 mai 2022, lancé l’idée de cette Communauté politique européenne, arguant que « l’UE ne peut pas être le seul moyen de structurer le continent ». Au sein de ce nouveau club, tous les Etats sont sur un pied d’égalité. Sur la question européenne, Emmanuel Macron a réitéré sa position d’ouverture à l’élargissement, appelant l'UE à repenser sa gouvernance et à « inventer plusieurs formats » pour répondre aux aspirations d'adhésion de pays d'Europe de l'Est et des Balkans.
L'élargissement de l'UE a été de nouveau au menu d'un dîner de travail entre le président et Olaf Scholz, le 6 juin, à Potsdam, destiné à préparer la visite d'État d’Emmanuel Macron en Allemagne, début juillet. Le chancelier se montre très prudent. « Les conditions pour l'adhésion sont les mêmes pour tous » répond Olaf Scholz, qui refuse d'évoquer le moindre passe-droit susceptible de favoriser l'Ukraine par rapport aux autres pays candidats.
Lors d'un dîner de travail lundi à l'Elysée dans le cadre du Triangle de Weimar, les présidents français et polonais et le chancelier allemand ont discuté de l'aide militaire et des garanties de sécurité à apporter à l'Ukraine. Le format dit de Weimar est une plateforme d'échanges réguliers entre Paris, Berlin et Varsovie, fondée en 1991, deux ans après la chute du mur de Berlin. Emmanuel Macron a confirmé que la contre-offensive de l'armée ukrainienne contre les forces russes avait commencé, estimant qu'elle allait durer « plusieurs semaines, voire mois », il a ajouté « nous avons intensifié les livraisons d'armes et de munitions, de véhicules blindés, de soutien aussi logistique ». La réunion visait à coordonner les positions des trois pays en amont du sommet de l'Otan à Vilnius, les 11 et 12 juillet, et du Conseil européen des 29 et 30 juin.

Kontildondit ?

Michaela Wiegel :
Seize mois après l’attaque russe de l’Ukraine, on peut dire que la France vit un double tournant dans sa politique étrangère. Emmanuel macron, qui a pendant des années mis son véto à des pourparlers d’adhésion des pays de l‘Ouest des Balkans, vient de plaider à Bratislava pour un élargissement le plus rapide possible, évoquant même l’année 2023 pour entamer les pourparlers. Et cela ne concerne pas que l’Ukraine et la Moldavie, mais aussi les Balkans occidentaux. Le discours a donc diamétralement changé, il a dit que l’UE devait désormais ancrer ces pays dans l’espace européen, sans quoi ils risquent d’être instrumentalisés par la Russie.
Le deuxième tournant concerne la relation à l’OTAN. On se souvient tous de l’entretien accordé à The Economist, où il avait déclaré que l’alliance atlantique était « en état de mort cérébrale ». À Bratislava, il a dit que la Russie l’avait réveillée par un brutal électrochoc. Mais ce qui est encore plus notable, c’est que le président de la République, qui en décembre dernier parlait encore des garanties de sécurité au bénéfice de la Russie, veut désormais en accorder à l’Ukraine, avant même une possible adhésion à l’OTAN. M. Macron n’a d’ailleurs pas fermé la porte à une adhésion de l’Ukraine à l’alliance atlantique, ce qui est aussi une évolution notable, puisque pendant les premiers mois du conflit, il insistait sur le fait de « ne pas humilier la Russie », on avait l’impression qu’il pensait pouvoir revenir à l’ordre international précédent. Aujourd’hui, on voit bien que l’objectif est d’éviter un conflit gelé. Lors de ce sommet du triangle de Weimar, il a clairement exprimé qu’il souhaitait la victoire de l’Ukraine.
La réaction à ses propos est très intéressante, aussi bien en Allemagne qu’en Pologne. Pendant longtemps, l’Allemagne d’Olaf Scholz a été sur la même ligne, laissant la porte ouverte à d’éventuelles négociations avec Vladimir Poutine. On se souvient aussi qu’en mai dernier, quand il a lancé la CPE, M. Macron avait parlé de l’élargissement comme d’un processus pouvant prendre « des décennies », et voici qu’il parle de la fin 2023. Le chancelier a donc été pris de vitesse par le tournant d’Emmanuel Macron. Quant aux Polonais, on a vu que le président Duda était agréablement surpris, voire qu’il n’osait y croire. Il teste donc la fiabilité de ces propos en demandant à la France de préciser quelles garanties de sécurité elle était prête à donner. Nous verrons au sommet de Vilnius.

Béatrice Giblin :
Il est incontestable que les seize mois de guerre, ainsi que le comportement de la population ukrainienne, obligent à reconsidérer la situation. En février 2022, personne n’imaginait que l’Ukraine résisterait de cette façon, même si les Etats-Unis et le Royaume-Uni aidaient l’Ukraine depuis 2014, en formant ses troupes. On pensait aussi l’armée russe bien plus puissante. Tout cela a joué dans l’évolution de la position d’Emmanuel Macron. Avec l’appui (modéré) de la Chine, il y a désormais un ensemble de dictatures face à un ensemble de démocraties. Cette reconfiguration du rapport de forces est mondiale, et pas seulement européenne.
« L’OTAN est de retour ». C’est vrai, mais c’est aussi parce que pour le moment, il n’y a rien d’autre. Cela n’interdit pas qu’à l’avenir, les Etats-Unis se détournent du conflit ukrainien (après les prochaines élections présidentielles par exemple). Car la préoccupation n°1 des USA reste la Chine. Dès qu’on pourra relâcher la pression en Europe, on le fera. Par conséquent l’idée d’une Défense européenne, portée par Emmanuel Macron depuis sa prise de fonction, finira par revenir dans le débat tôt ou tard, même si les Etats d’Europe de l’Est et l’Allemagne restent persuadés que l’OTAN suffira. C’est pourquoi fournir des garanties de sécurité à l’Ukraine est un point si important : parce qu’à terme, la Défense de l’Europe va changer de visage. Rappelons-nous que pendant la guerre froide, il y avait 300.000 soldats américains en Europe, aujourd’hui seulement 100.000.
Et puis l’Allemagne elle-même a changé. L’attitude pacifique du pays depuis la seconde guerre mondiale a beaucoup évolué. Emmanuel Macron n’est plus le seul chef d’Etat à penser la nécessité d’une Défense. Tous ces éléments obligent la France à revoir sa position.
Quant à l’entrée des pays des Balkans occidentaux dans l’UE, je reste dubitative, surtout parce qu’un certain nombre d’entre eux n’en a plus envie.

Isabelle de Gaulmyn :
Pour tous ces pays, il y a un parallèle entre les discussions autour de l‘OTAN, et celles qui concernent l’UE. Il y a peut-être donc un rapprochement militaire européen à l’œuvre, mais par le biais de l‘OTAN, ce qui peut sembler un peu paradoxal, mais n’a au fond rien d’étonnant.
Le changement par rapport à l’UE est très surprenant. Après le Brexit, qui aurait imaginé qu’on allait augmenter ainsi le nombre de pays membres ? Dans ce genre de situation, faire un peu d’Histoire éclaire les perspectives d’avenir. Dans les années 1970, la communauté européenne, c’était les pays industriels du Nord et de l’Ouest. Dans les années 1980, on a inclus les pays méditerranéens plutôt agricoles, dont certains sortaient de dictatures. Dans les années 1990, ce furent d’autres pays d’Europe du Nord, prospères. Dans les années 2000, des pays de l’ancien bloc soviétique. Et dans les années 2020, on se retrouve avec quelque chose de très différent. On entend désormais intégrer des Etats très faillibles, qui vont plutôt mal, sont très corrompus, où la conception de l’Etat de droit peut laisser perplexe, et qui de surcroît sont très nationalistes, davantage encore que la Pologne ou la Hongrie. La Serbie, cela pose tout de même question … Peut-être devrait-on se demander comment on compte les intégrer, et à quoi nous voulons que ressemble la future UE. Il ne s’agit pas seulement d’espérer un changement de gouvernance, il y a de vraies interrogations sur les principes, notamment l’Etat de droit.
Peut-être faudrait-il dès 2024 mettre en place des co-parlementaires venus de ces pays, afin d’acclimater les uns et les autres, car une intégration brusque n’a rien d’évident, et il y a un vrai fossé civilisationnel à franchir. Mais je pense que nous n’avons pas vraiment le choix, parce qu’effectivement, le problème n°1 des Etats-Unis reste la Chine. Il y a une formidable interview d’Henry Kissinger qui vient d’être publiée dans The Economist, où il raconte qu’on en revient au fond à la situation de 1914, où les Etats-Unis ne se soucient que de la Chine. Il est peut-être réellement temps que nous nous prenions en main nous-mêmes.

Lucile Schmid :
Emmanuel Macron a toujours été « Emmanuel Macron l’Européen ». Il y avait eu le discours de la Sorbonne, celui de Grèce, et voici désormais le discours de Bratislava. Et s’il reste européen, tout a pourtant changé. Ce n’est plus le Macron de l’Union Européenne, mais celui de la Communauté Politique Européenne, de l’OTAN, celui qui dit qu’on peut à la fois élargir et approfondir, ce qui rappelle les propos d’Annalena Baerbock, qui dit « on va faire les amis de la majorité qualifiée ». C’est à dire que s’il faut élargir, il faudra absolument approfondir en même temps, pour éviter que l’UE ne devienne le club de la paralysie. En ce sens, les enjeux de politique étrangère ou de fiscalité, qui ont toujours été nationaux, seraient transposés à l’échelle européenne. Et puis le président français a aussi la capacité de poser les questions économiques. Si l’on intégrait les pays des Balkans, l’Ukraine et la Moldavie, alors le Portugal deviendrait contributeur net de l’UE. Cela modifierait complètement les équilibres économiques, et c’est une question à laquelle il faut réfléchir avant tout élargissement.
Rappelons aussi qu’un élargissement peut se gérer dans le temps, souvenons-nous qu’on avait promis à la Turquie dès les années 1960 qu’elle pourrait un jour intégrer l’Europe …
Ce sommet nous montre qu’il n’est plus possible aujourd’hui de penser l’Europe seulement en termes d’Union Européenne. Pour le contexte géopolitique actuel, l’UE est trop structurée autour de la norme et du droit, et pas assez de la politique. En ce sens, l’idée qu’il y a un pilier européen à l’OTAN est au fond un principe de Realpolitik. Car Joe Biden ne parle pas uniquement de la Chine, il est aussi très occupé ailleurs, par l’élection présidentielle de l’année prochaine, par l’immigration clandestine venue du Sud. Il soutient l’Ukraine mais nous signifie qu’il a d’autres chats à fouetter. Je suis donc frappée par la plasticité d’Emmanuel Macron, par sa capacité à faire mouvement sur le front européen (et son incapacité à le faire au plan national). J’ai toujours ressenti chez lui ce décalage : visionnaire sur le front européen, et seulement politique sur le front national. Tout cela suppose de réactiver des alliances, car le mouvement du président français est très subi, et il faut y croire. S’agit-il seulement d’un mouvement de moyen terme, et comment compte-t-on construire les choses ? Avec lui, il y a toujours un vrai sujet, de magnifiques discours, une vraie mise en mouvement, mais le passage aux actes est plus problématique.

Michaela Wiegel :
En tous cas, cette plasticité rapproche de facto la France de l’Allemagne. Quand on relit aujourd’hui le discours de Prague du chancelier Scholz, on constate qu’il y parle de la majorité qualifiée, or cela avait été très mal perçu à l’époque en France, car on considérait que ce n’était pas assez franco-allemand.
En Allemagne, le narratif est un peu faussé, je voudrais rappeler qu’il y a toujours un certain écart entre le gouvernement et l’opinion publique. Cette dernière reste pacifiste, mais jusqu’à la chute du mur de Berlin, l’Allemagne était l’un des pays qui dépensait le plus pour sa Défense, jusqu’à 3% de son PIB. L’Allemagne était très armée. Ce n’est qu’à partir de la réunification qu’on a pensé possible d’encaisser les dividendes de la paix.

Les brèves

A propos de l’affaire d’Annecy

Philippe Meyer

"A Annecy, le 8 juin, un Syrien demandeur en France d’un asile qui lui a été refusé car il l’avait déjà obtenu en Suède a poignardé quatre enfants et deux adultes. Il a été mis en fuite par un jeune homme. L’acte courageux de ce jeune homme a d’abord été commenté avec admiration, puis, quand il été connu qu’il s’agissait d’un jeune catholique effectuant un pèlerinage d’une cathédrale à l’autre, les réseaux sociaux et certains journaux se sont employés à présenter de ce garçon une image toute différent de celle d’abord partagée. De ce qu’il appartient aux scouts d’Europe, créés en opposition à la modernisation du scoutisme et marqués par le conservatisme, de ce qu’il portait un tee-shirt arborant le drapeau français, de ce que le flocage de son tee-shirt avait été réalisé par une entreprise travaillant avec la police et plus précisément avec le RAID, de ce que son père travaille pour une entreprise internationale de la transformation digitale – autrement dit du big data, de ce que l’un de ses cousins occupe un poste au Service national universel, de ce que, lors des interviews qu’il a données après le 8 juin, le jeune homme a affirmé sa foi catholique et son admiration pour le lieutenant-colonel Beltram, de ce qu’une partie de la droite et de l’extrême droite s’est livrée à une entreprise de récupération de son geste, des commentateurs ont conclu qu’il y avait du louche dans l’acte d’Henri d’Anselme. Il se trouve que, ces derniers temps, la question de la fin de vie fait l’objet d’un débat de société et que l’on propose différentes mesures. Je propose que l’on en ajoute une, à l’intention de ceux qui se sont employés à réduire les faits à leur idéologie ou à leurs fantasmes : que chaque citoyen puisse signer et faire connaître un document qui dirait : « au cas où mes enfants seraient agressés par une personne armée d’un poignard, je refuse qu’ils soient sauvés par un catholique traditionnaliste »."

Maison Pan-Wogenscky

Michaela Wiegel

"Je vous recommande une excursion que j’ai trouvée tout à fait enchanteresse dans la vallée de Chevreuse. Il y a à Saint-Remy-lès-Chevreuse, une maison qu’ont construite ensemble la sculptrice d’origine hongroise Marta Pan et l’architecte d’origine polonaise André Wogenscky, l’un des élèves de Le Corbusier. C’est dans son parc, et encore dans son jus, et il est nécessaire de s’inscrire, mais c’est vraiment une découverte que la visite de cette maison où tout a été soigneusement préservé. Beaucoup de sculptures aussi, dans ce magnifique jardin. Hautement recommandé à tous ceux qui ont besoin de fuir Paris momentanément."

Un autre monde : l’ère des dictateurs

Béatrice Giblin

"C’est l’ouvrage d’Alain Frachon que je vous recommande. Alain Frachon est l’un des éditorialistes du Monde, dans les pages internationales. C’est un recueil de ses chroniques sur presque ans, de 2014 à fin 2022. Les gens qui apprécient la plume d’Alain Frachon sont nombreux, il a l’art de réussir à décortiquer et mettre en perspective des situations très complexes en peu de mots. C’est très intéressant de s’y plonger, et on peut très bien le faire par thème, avec toutes les chroniques sur la Chine, Vladimir Poutine ou Donald Trump par exemple. Un régal de journalisme."

Les livres de Jakob

Isabelle de Gaulmyn

"C’est de judaïsme dont il sera question dans ma brève. Ce livre est déjà paru il y a quelques temps, mais je viens seulement de le découvrir. L’auteure est Olga Tokarczuk, Polonaise qui a reçu le prix Nobel. L’intrigue commence en 1752, et finit dans la Pologne de la Shoah. J’ai trouvé très intéressant que pour une fois (et l’auteure le dit elle-même), des Polonais ne parlent pas des Juifs seulement en rapport avec la Shoah. On y découvre une civilisation juive extrêmement riche, ainsi qu’une Histoire et la forme qu’y ont pris les Lumières, puisqu’il est question d’un homme qui entendait réformer la religion selon des préceptes tirés de la Kabbale, et tous les soubresauts que cela a provoqués. Il faut s’accrocher un peu, l’abord est un peu ardu, et le livre est un pavé, mais il en vaut vraiment la peine. "

Deux innocents

Lucile Schmid

"Pour ma part, je vous recommande le dernier roman d’Alice Ferney, qui est absolument bouleversant. Une espèce de tragédie grecque, qui met en scène trois femmes. L’une est professeure dans un établissement pour jeunes handicapés (avec surtout des trisomiques, en fait). Elle a une relation très forte avec la mère d’un des élèves. Et puis il y a la directrice de l’établissement. C’est le roman de l’anti-politiquement correct, et de la manière dont on met des étiquettes. La professeure va nouer une relation forte avec un étudiant, ce qui déclenchera un engrenage tragique, jusqu’à un procès. Le livre dénonce très finement la façon dont on nous colle des étiquettes, par les réseaux sociaux, la façon dont on est forcément vu comme coupable si l’on a eu un élan d’affection envers un jeune handicapé. Quand on est une mère et qu’on perd le lien avec son fils, on va au procès, etc. Le livre traite de la difficulté de vivre ses émotions et de vivre la nuance dans l’époque qui est la nôtre. J’ai trouvé ce roman merveilleux."