Regards divergents du monde sur la crise ukrainienne / n°239 / 3 avril 2022

Téléchargez le pdf du podcast.

REGARDS DIVERGENTS DU MONDE SUR LA CRISE UKRAINIENNE

Introduction

Philippe Meyer :
A Bruxelles, le 24 mars, le triple sommet (OTAN, G7 et UE) en présence de Joe Biden a rassuré sur l'engagement étatsunien de défendre l'Europe face aux appétits russes. Le nombre de soldats américains déployés sur le continent est passé de 80 000 à 100 000 en deux mois, se rapprochant du niveau de 1997, quand les États-Unis et leurs alliés entamaient le processus d'élargissement de l'Alliance à l'est. Cette guerre « a provoqué un réveil de l'Union européenne » et « réveillé l’Otan », a constaté vendredi le ministre français de l’Europe et des affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian. Un réveil qui n’est pas pour plaire à la Chine et la Russie qui se retrouvent dans la même aversion pour l'Otan et l'Occident en général, tout comme de nombreux dirigeants latino-américains qui blâment l'Occident pour la guerre en Ukraine, ou l'Inde et l'Afrique, dont la Russie est le plus important fournisseur d'armement.
Pour Pékin qui ne cesse de rappeler que « les préoccupations légitimes de sécurité de tous les pays doivent être prises en compte », l'origine de la « crise ukrainienne » se trouve dans les avancées effectuées ces dernières années par l'Otan jusqu'au seuil de la Russie. Mercredi, le chef de la diplomatie chinoise, Wang Yi, après un entretien avec son homologue russe Sergueï Lavrov a déclaré que la Chine et la Russie sont « plus résolues » à développer des relations bilatérales et renforcer leur coopération. Selon Moscou, les deux hommes ont condamné les sanctions « illégales et contre-productives » imposées à Moscou par « les États-Unis et leurs satellites » depuis le 24 février. La relation politique et économique avec Pékin s'est considérablement renforcée depuis l'invasion russe de la Crimée en 2014 et de précédentes sanctions contre le régime poutinien.
L’Inde, prise en étau entre son principal fournisseur de matériel militaire, la Russie, et ses partenaires occidentaux, défend sa position diplomatique et l'achat de pétrole russe. Malgré les pressions de l'Occident, New Delhi n'a jusque-là jamais condamné explicitement l'agression russe. Pour désamorcer le conflit, le gouvernement de Narendra Modi, qui s'est déjà entretenu avec les présidents Poutine et Zelensky, préconise « la voie du dialogue et de la diplomatie ».
Dans les pays pauvres, en raison du blocage de productions agricoles en Ukraine et Russie, la guerre pourrait provoquer « un ouragan de famines et un effondrement du système alimentaire mondial » a mis en garde le 14 mars le Secrétaire général de l'ONU, Antonio Guterres. Les régions les plus concernées seraient l'Asie-Pacifique, l'Afrique subsaharienne, le Proche-Orient et l'Afrique du Nord, selon la Fao, l'Organisation des Nations unies pour l'alimentation et l'agriculture. Les pays les plus touchés seront à l'évidence les plus fragiles, historiquement importateurs nets de céréales pour des raisons climatiques, et souvent très endettés. « Des pays comme le Burkina Faso, l'Egypte, la République démocratique du Congo, le Liban, la Libye, la Somalie, le Soudan et le Yémen », a précisé le Secrétaire général de l'ONU.

Kontildondit ?

Lionel Zinsou :
On a beaucoup regardé les chiffres du vote aux Nations-Unies de la résolution condamnant la Russie, et on s’est demandés pourquoi un certain nombre de pays s’étaient abstenus. La propagande russe a d’ailleurs diffusé une carte avec les pays ayant condamné la Russie et le reste du monde. Cette carte a beaucoup circulé, notamment en Afrique, mais elle est complètement fausse. Les Nations-Unies ont donc publié la véritable carte, et effectivement, il y a eu des abstentions. Il y a malgré tout eu 141 votes condamnant la Russie, contre une centaine seulement au moment de l’annexion de la Crimée. On note donc un progrès sensible. Quant aux pays qui ont voté pour la Russie, ce sont des cas assez particuliers : la Biélorussie, la Corée du Nord, l’Érythrée, la Syrie. L’Érythrée n’est pas représentative de l‘Afrique, il s’agit d’un petit pays qui est à couteaux tirés avec à peu près tous les autres, dont le PIB représente 0, 01% du PIB du continent, et guère plus en termes de population.
Mais il est vrai que le regard porté sur l’Afrique pouvait se résumer à « beaucoup d’abstentions ». Celle du Sénégal fut par exemple très remarquée. Mais ce vote s’explique par une tradition selon laquelle le président de l’Union Africaine (c’est en ce moment le cas du Sénégal) ne prend pas parti dans un conflit qui opposerait plusieurs pays africains. Certains pays se sont tout simplement abstenus de voter, comme le Maroc, ce qui a là aussi étonné. L’Afrique est-elle complaisante vis-à-vis de la Russie ? Non, la majorité des pays a condamné l’agression russe. Mais il faut considérer qu’il y a l’Histoire longue d’un côté, et la conjoncture immédiate de l’autre.
L’Histoire longue, c’est que la Russie reste perçue comme une puissance anti-impérialiste et anti-colonialiste, même s’il s’agit d’un des derniers empires, et en fait d’une puissance coloniale en Asie Centrale. Mais ce n’est pas du tout la perception commune en Amérique latine, en Asie du Sud ou en Afrique. Dans certains pays, des dirigeants qui ont été soutenus par la Russie sont encore au pouvoir. C’est par exemple le cas de l’Afrique du Sud, de l‘Algérie, de l‘Angola, de l’Ethiopie, et il y a un effet de retour au Mali. La Russie a été une aide lors de l’accès à l’indépendance de nombreux pays, notamment quand celle-ci a été conquise par la guerre. N’oublions pas que les indépendances sont récentes. Nous avons l’habitude de raisonner en termes de pays francophones, et pensons aux années 1950 et 1960. La Namibie n’est indépendante que depuis 1990. Les colonies portugaises, après une guerre épouvantable, n’acquièrent leur indépendance que dans les années 1970. La Russie a toujours été du côté des émancipations. Voilà pour l’Histoire longue.
Du côté de la conjoncture immédiate, certains pays sont dépendants de la Russie. On insiste beaucoup sur l’Egypte et le Maroc, dont la situation alimentaire va être très inquiétante, et encore aggravée par une sécheresse historique. Les ressources alimentaires locales y sont toujours insuffisantes, ce sera cette année encore pire.
L’Afrique est plutôt modérée et pondérée dans cette affaire. Du temps de la guerre froide, les deux superpuissances se faisaient la guerre en Afrique, et cela n’intéressait pas grand monde. Les millions de morts en Afrique Centrale (près de la RDC) sur 30 ou 40 ans étaient très clairement issus d’affrontements « déportés » de la guerre froide. Quand vous dites à des Africains ou des Latino-américains que la guerre froide reprend, il ressentent donc une espèce de soulagement : cette fois au moins, ce n’est pas chez eux.

François Bujon de l’Estang :
Ces 141 votes (sur 189 participants) sont tout à fait considérables, et vous avez raison de souligner que c’est considérablement plus sévère qu’au moment de l’annexion de la Crimée. Cela va évidemment à l’encontre de la présentation que fait Moscou, consistant à dire que l’Occident est isolé dans sa réprobation. C’est faux, il est au contraire très uni, et la plupart des pays membres des Nations-Unies se sont exprimés pour condamner l’invasion russe.
A cause d’un tropisme qui m’est naturel, je me focaliserai sur les Etats-Unis. La guerre en Ukraine a remis l’Europe au centre des préoccupations stratégiques étasuniennes, alors qu’elle semblait en être sortie depuis le « pivot vers l’Asie » annoncé par l’administration Obama. Les chiffres relatifs aux nombre de troupes américaines présentes sur notre continent sont effet très significatifs. Au moment de l’effondrement de l’Union soviétique en 1991, il y avait 305 000 soldats américains sur en Europe, dont 224 000 en Allemagne. Ces chiffres étaient tombés à 64 000 en 2020, et remontent depuis par tranche de 20 000 hommes. C’est un thermomètre très révélateur.
Tout le monde a encore en mémoire la visite du prédisent Obama vers la fin de son second mandat, au cours de laquelle il avait quasiment remis l’Europe à Angela Merkel, pour lui demander d’en assurer le leadership. L’administration Trump avait franchi un cran de plus : elle voyait l’Europe comme une ennemie, avec une approche commerciale de la relation. Le président américain trouvait qu’il y avait trop de Mercedes aux Etats-Unis, et pas assez de crédits alloués à la défense de la part des Européens. On frémit en imaginant ce qui se serait passé si la guerre d’Ukraine s’était produite avec Trump au pouvoir. Il avait jeté un complet discrédit sur la fiabilité de la protection censément fournie par l’OTAN, par la remise en question de l’article 5 de l’organisation atlantique, qui détaille la solidarité en cas d’agression.
Avec l’Ukraine, on retrouve un ton beaucoup plus traditionnel de la part de l’administration Biden : « America is back ». C’est la réaffirmation des valeurs de l’alliance, sa présence à Varsovie et à Bruxelles, le renvoi de troupes en Europe … Le réengagement américain est fort, et il est étayé par trois éléments. D’abord, par la volonté des pays d’Europe de faire un effort de réarmement. Ensuite, par les offres américaines de ventes d’armes (n’oublions pas que l’augmentation du budget allemand de défense va se traduire par l’achat d’armes américaines), enfin par les offres de fournitures de gaz. Tout ceci est-il durable, solide et sérieux ? Rappelons d’abord que crise ukrainienne ou non, la Chine reste en tête des priorités stratégiques américaines. L’Europe sera au mieux, un second front. Ensuite, il faut bien évaluer le facteur personnel de Joe Biden. C’est le président le plus âgé de l’Histoire américaine, il projette souvent une impression de faiblesse, dit parfois des sottises (voire des horreurs). Par exemple juste avant l’invasion de l’Ukraine, il avait déclaré que personne n’était prêt à mourir pour l’Ukraine et qu’il n’enverrait pas un seul homme. Il a aussi insulté le président Poutine, ce qui est une façon d’insulter l’avenir, car il faudra tôt ou tard discuter avec lui. Biden est un personnage à présent bien connu, je l’ai personnellement beaucoup pratiqué à l’époque où il était membre de la Commission des Affaires étrangères du Sénat, et j’avoue ne l’avoir jamais considéré comme un prix Nobel en puissance. Il a un réel talent pour dire ce qu’il ne faut pas au moment où il ne faut pas. Et surtout, c’est un président de transition : il l’a dit lui-même, et a annoncé qu’il ne ferait qu’un seul mandat. Les élections de mid-term vont avoir lieu en novembre prochain, tout porte à croire que les Démocrates vont perdre la majorité au Congrès, et M. Trump cache mal son impatience à se représenter en 2024. Le réengagement américain est donc circonstanciel, on peut craindre qu’il faiblisse dans la durée. Il n’en reste pas moins que l’OTAN a retrouvé sa raison d’être, à savoir une alliance défensive contre l’impérialisme (ou le révisionnisme) russe. Le retour des Etats-Unis en Europe se fera largement par le biais de la vente d’armes et d’énergie.

Lucile Schmid :
J’aimerais revenir sur le vote de la résolution à l’ONU. En Afrique, les abstentions se comprennent, notamment par rapport aux risques de famine (la directrice générale du FMI a d’ailleurs déclaré que « la guerre en Ukraine, c’est la faim en Afrique »). Mais j’aimerais insister sur le fait que l’Inde et la Chine se sont toutes deux abstenues, et que cela représente tout de même 2,5 milliards d’habitants. De manière assez déterminée, surtout depuis l’arrivée de Xi Jinping en 2013, les deux puissances se sont rapprochées, ainsi que leurs deux dirigeants. Je rappelle cette scène assez incroyable de 2019, où Vladimir Poutine et Xi Jinping fêtent ensemble l’anniversaire du président chinois, et où Poutine lui offre des bâtonnets glacés … Poutine rappelle régulièrement que Xi est le seul homme d’Etat dont il souhaite l’anniversaire.
Le 4 février dernier, ces deux grandes puissances ont signé un accord, qui stipule très clairement qu’aucun domaine de coopération n’est écarté. Certains évoquaient déjà une sorte de pacte Molotov-Ribbentrop. C’est sans doute exagéré, mais le rapprochement de ces deux dictatures aurait dû nous alerter avant même le lancement des hostilités.
A long terme, les choses sont évidemment plus compliquées. A l’évidence, Xi Jinping pensait que la guerre serait rapide, et il a sans doute sous-estimé la résistance ukrainienne. Comment l’accord de février avec la Russie peut-il aller dans le sens des intérêts chinois ? La question mérite d’être posée. La Russie n’a évidemment pas l’envergure économique de la Chine, et aujourd’hui le PIB de la Russie représente environ 10% de celui de la Chine. On sait aussi que les Etats-Unis sont prêts à utiliser un certain nombre d’outils, comme la loi de rétorsion « trading with the enemy act », et cela pose un problème considérable à Xi à moyen terme. La Chine a jusqu’à présent obstinément refusé de servir de médiatrice entre la Russie et les Occidentaux, et c’est un point qui mérite d’être souligné.
Quant à l’Inde, Sergueï Lavrov a été reçu ce week-end par Narendra Modi, or c’est une faveur que le Premier ministre indien n’accorde à aucun autre dirigeant étranger depuis des mois. L’Inde dénonce l’hypocrisie occidentale, arguant que si elle achète des hydrocarbures à la Russie c’est parce qu’elle en a besoin, et que de toutes façons nous en faisons autant ; elle ne voit pas pourquoi elle devrait s’aligner sur nos positions.
D’autre part, la Russie est de longue date le principal fournisseur de matériel militaire à l’Inde, qui en a également grand besoin, à cause de conflits frontaliers avec la Chine et le Pakistan. Quand la Chine a massé des centaines de milliers d’hommes à sa frontière himalayenne, l’Europe s’est bien gardé de dire quoi que ce soit.
La réactivation de la doctrine du non-alignement (créée à Bandung en 1955) est intéressante. En 2022, elle retrouve une force qu’on pensait disparue. C’est aussi cela que révèlent les abstentions au vote de l’ONU. Du côté des pays africains, rappelons que leur dépendance à la Russie existe aussi d’une manière actuelle. Côté sécuritaire, par la présence de la milice Wagner, utilisée par plusieurs régimes autoritaires (Centrafrique, Libye, Mozambique, Mali). Mais aussi alimentaire, puisque l’Egypte, pour empêcher l’explosion du prix du pain (principal aliment du pays) a besoin de ménager la Russie.
Les pays qui se sont abstenus avaient-ils le choix ? Espérer un alignement sur nos positions était-il illusoire ? C’est est une question qui mérite d’être discutée.

Jean-Louis Bourlanges :
Les soutiens à la Russie sont absolument dérisoires. Franchement, peut-on faire pire en termes d’image que d’avoir le soutien de la Corée du Nord, de l’Érythrée, de la Syrie et de la Biélorussie ? Rien que cela devrait nous conforter dans la certitude que nous sommes du bon côté. En revanche, quand on regarde les abstentions ou le fait de ne pas prendre part au vote (comme dans le cas du Maroc), on est saisi d’une certaine inquiétude. Il y a trois phénomènes de nature différente.
Le premier est un déclin certain, et important, de l’Occident dans la marche du monde. Qu’il s’agisse de la contribution au PNB, du contrôle politique d’un certain nombre d’Etats, de la décolonisation ou du recul du néocolonialisme, l’emprise des pays européens et des Etats-Unis sur le reste du monde s’amenuise. Lionel Zinsou avait d’ailleurs brillamment expliqué à ce micro, lors de précédentes émissions, à quel point les échanges économiques de l’Afrique étaient de moins en moins centrés sur l’Europe. Il est donc normal que ce sentiment d’émancipation se soit également reflété lors du vote à l’ONU. Je me suis entretenu récemment avec Macky Sall, le président du Sénégal, et c’est ce qu’il m’expliquait (sans aucune trace d’agressivité) : au sein de la population sénégalaise, il y a l’idée très présente « qu’on n’est pas là pour être les seconds couteaux de l‘Europe ou de l‘Occident », ce qui n’empêche pas le président Sall de partager les analyses sur les valeurs, sur le recul de la démocratie, sur les menaces qu’implique ce conflit et la nécessité d’y faire face. Il n’y avait pas de désaccord de fond, seulement l’affirmation claire et ferme que le Sénégal est une chose et que l’Europe en est une autre.
Deuxième phénomène : le problème des implications. Nous avons évoqué la famine, parlons aussi des pénuries de matières premières, des risques de déséquilibres massifs qu’encourent les systèmes de production et d’échange. Des famines se profilent, notamment en Égypte. On pourrait considérer que la responsabilité principale incombe aux Russes, puisqu’après tout ils ont agressé sans aucune justification un Etat souverain et indépendant. On ne va tout de même pas reprocher aux Ukrainiens de résister, même si les affrontements ont des conséquences sur d’autres Etats. Et pourtant, ce n’est pas ainsi que la situation est perçue. Pour beaucoup d’observateurs, il y a l’idée que c’est une « guerre européenne », ou une guerre entre européens. Cela explique l’abstention ou la non participation au vote : on n’arbitre pas pour la Russie, on dit simplement : « c’est votre guerre, et c’est nous qui allons en supporter les conséquences ». C’est un peu comparable à ce qui s’est passé en Espagne au moment de la guerre en Irak. José Maria Aznar avait été battu car quelques jours avant le scrutin, des manifestations avaient éclaté sur le thème « votre guerre, nos morts ». C’est un peu cela qui explique les réticences des pays en développement sur cette affaire.
Troisième phénomène : le choc des valeurs. C’est la grande leçon des 20 dernières années. Mon ami Jean-Marie Guéhenno dit « nous avons cru avoir gagné la guerre froide, et que nos valeurs l’emportaient, alors qu’en réalité, c’était simplement le système soviétique qui avait perdu ». Nous avons par exemple deux Etats qui s’abstiennent : le Pakistan et l’Inde. Tous deux sont mus par des valeurs religieuses, assez semblables mais opposées (l’islam est au cœur de leur conflit). J’étais cette semaine dans le nord de l’Europe (Suède, Finlande et Lituanie). J’étais frappé par la conscience aiguë de la nécessité de faire face. Jamais je n’avais vu les Finlandais, les Suédois et les Lituaniens aussi proches de nous, à cause du sentiment très puissant de cette menace sur nos valeurs les plus fondamentales.

Lionel Zinsou :
J’admire la sentimentalité de Lucile, et suis très ému par le fait que le président Poutine ne célèbre que l’anniversaire du président Xi. Cette dimension d’affection dans les relations internationales est tout de même un soulagement. Je rappelle cependant que Gerhard Schröder est également proche de Poutine (qui est les parrain de sa plus jeune fille), et que Vladimir Poutine était venu célébrer, après la fin du mandat du président Chirac, son anniversaire dans son bureau du boulevard Saint-Germain. Il y a donc dans l’agenda international russe une espèce d’alternance des anniversaires … Cette analyse festive des relations internationales ne me paraît pas si déterminante.
Par ailleurs, je crois qu’il ne faut pas trop insister sur l’idée que la Russie est un « petit pays ». On la compare souvent à l’Espagne, mais si on retirait l’Espagne du monde, on verrait des conséquences assez troublantes … Quand on a par exemple mis la Grèce entre parenthèses (2% du PIB de l’UE), cela s’est tout de même traduit par 18 mois de récession en Europe. Pour les économistes, un « petit pays » est un pays qui n’a pas d’implication dans la formation des prix mondiaux. Et il se trouve que l’économie russe est si concentrée sur certaines matières premières absolument fondamentales (palladium, titane …) que c’est elle qui en forme le prix. En ce sens, elle n’est pas un petit pays.
La Russie fournit de l’armement à l’Inde. Certes, mais rappelons que l’Inde fabrique des Rafale, après avoir fabriqué des Mirage. Elle a un autre fournisseur, la France, tout aussi essentiel en termes d’armement, et qui n’est pas tout à fait dans la même posture que la Russie.
Un mot sur la légion Wagner, enfin. Reconnaissons que le nom est très bien trouvé et qu’il impressionne beaucoup. Mais n’oublions pas qu’on ne parle que de quelques centaines de mercenaires. En Centrafrique, ils n’ont sanctuarisé que Bangui, et ont perdu le contrôle de tout le reste du territoire. Ils ont par ailleurs développé la présence minière. Au Mozambique, c’est le Rwanda, allié à d’autres pays, qui a rétabli la situation contre les terroristes, et pas du tout la légion Wagner. Leur présence est dérisoire au Soudan, et que vont-ils faire au Mali ? Il y avait des dizaines de milliers de soldats : de la force Barkhane, des contributions tchadiennes mais aussi des forces de la Minusma, et on va les remplacer par quelques centaines de légionnaires. Ils vont sanctuariser une partie de Bamako et perdront le reste des 1 200 000 kilomètres carrés. L’Afrique n’est absolument pas dépendante de la Russie, et a fortiori en matière sécuritaire.
Le déclin relatif de l’Occident est très sensible, et pas seulement en Afrique. A-t-il des chances d’influencer la politique en Asie ? Très clairement, non. C’est aussi le cas en Amérique latine. Mais ce qu’il y a d’intéressant dans le regard des pays non occidentaux, c’est qu’ils sont aujourd’hui des facteurs de paix importants. Il est par exemple absolument capital pour la Chine qu’il n’y ait pas de récession internationale. Le pays joue un rôle en faveur de la paix, car il ne peut pas se permettre de « rater » le décisif congrès du Parti communiste de novembre prochain, car le président Xi est contesté par une génération jeune et plus sensible aux idées occidentales. Il est tout aussi impossible pour l’Inde d’avoir une hyper-inflation, parce que son revenu par tête est égal à celui de l‘Afrique. Donc la montée des prix de l’énergie ou des denrées alimentaires lui est insupportable. C’est tout simplement impossible en termes de politique intérieure. Personnellement, ce sont les pays du Golfe qui m’ont le plus frappé. Ils savent très bien ce qui se passe quand le baril de brut est à 126$, car c’était déjà arrivé en 2008. Cela avait créé des émeutes de la faim un peu partout dans le monde, mais dès décembre, il était tombé à 32$, parce qu’entre temps, une crise économique mondiale s’était installée. Même quand on est très riche, on ne peut pas supporter des pénuries physiques en matière alimentaire. Or les pays du Golfe sont extrêmement vulnérables de ce côté. On ne peut pas davantage supporter les troubles logistiques. Il n’y a pas de prix d’équilibre quand on retire 30% des céréales du marché. Le prix du blé est passé de 120$ à 400$, mais monterait-il à 1 000$ qu’il ne serait toujours pas disponible. Si la situation actuelle persiste, l’économie mondiale s’effondre ; il est d’un intérêt vital, pour des raisons de politique intérieure, que cette guerre cesse. C’est une force de paix très importante.

Lucile Schmid :
Je ne pense pas donner dans la sentimentalité, même si je reconnais être persuadée que les sentiments personnels jouent un rôle non négligeable en politique. En tous cas l’accord du 4 février entre la Russie et la Chine ne donne pas dans la sentimentalité, et il prévoit la coopération dans tous les domaines entre les deux pays.
Depuis 2014, Vladimir Poutine a résolument construit un partenariat avec la Chine qui lui permet de sortir d’une dépendance vis-à-vis de l’Europe. C’est ainsi qu’a été construit le gazoduc qui permet à la Russie de ravitailler la Chine (elle en est aujourd’hui le deuxième fournisseur de pétrole après l’Arabie Saoudite). Et je veux rassurer Lionel : je suis consciente que les bâtonnets glacés sont une mise en scène. Comme beaucoup de femmes, je peux être sentimentale sans ignorer la Realpolitik …
Par rapport à la question africaine, la multipolarité est importante. Rappelons que l’UE commerce avec l’Afrique pour environ 220 milliards de dollars, tandis que pour la Russie, c’est de l’ordre de 20 milliards. Comme l’a expliqué Lionel, c’est pour des raisons stratégiques, et cela ne signifie pas que la Russie est un petit pays. Mais cela veut dire que l’UE ne sait pas construire sa stratégie d’influence, et qu’elle est renvoyée à ses propres limites. Comment prendre en compte la temporalité et les facteurs multiples ? Notre ministre de l’agriculture a déclaré qu’une guerre du blé va se jouer. La France va devoir produire plus de céréales pour pallier au manque et cela pose d’autres problèmes, car la menace n’est pas seulement militaire, elle est aussi écologique. Relancer la production intensive signifie renoncer à ce à quoi nous nous étions engagés. La conférence de Glasgow s’est tenue en décembre dernier. Nous faisons face à des menaces qui s’excluent l’une l’autre en termes de modèles de développement.
La question du non-alignement, et la façon dont il pourrait devenir une nouvelle dynamique politique est très intéressante pour les pays en développement de l’Afrique, de l’Asie ou de l’Amérique du Sud. Ce ne sera pas la même chose que dans les années 1950 évidemment. Cela suppose de trouver des leaders ; il y en avait à Bandung en 1955. En 1970 le discours de Houari Boumédiène à la tribune de l’ONU avait marqué des générations de jeunes dans les pays en développement. Aujourd’hui, qui sont les leaders de ce non-alignement ? On n’en voit pas, sinon des dictateurs.

François Bujon de l’Estang :
Trois remarques. D’abord, il suffit de regarder une carte de géographie pour voir que qualifier la Russie de « petit pays » est une absurdité. Ce fut d’ailleurs l’une des plus sinistres erreurs de l’administration Obama : après avoir expulsé la Russie du G8, le président américain avait qualifié le pays de « puissance régionale ». C’était ajouter l’insulte à la blessure, et nous voyons aujourd’hui à quel point c’était une erreur d’analyse fondamentale.
Sur le non-alignement, ensuite. Il est vrai qu’il n’y a pas de leader, mais c’est parce que ce non-alignement, contrairement à celui des années 1950, est négatif au lieu d’être positif. Les gens se sont abstenus (et c’était loin d’être un raz-de-marée : 35 voix sur 189), mais c’était surtout le signe d’une multi-dépendance. Ces pays ont besoin de tout le monde, et par conséquent ils ménagent la chèvre et le chou. Cela prend des formes très différentes selon les pays, évidemment. Ainsi l’Inde s’est-elle beaucoup rapproché des Etats-Unis pendant l’administration Bush, entretient un dialogue stratégique avec la France (à qui elle achète des Rafale), craint le Pakistan, la Chine, traîne le problème du Cachemire, bref elle ne peut pas se permettre de s’aliéner qui que ce soit. Mais ce n’est pas exactement un non-alignement idéologique, c’est davantage une position par défaut.
A propos des ambiguïtés de la Chine, enfin. Outre la délicate attention des bâtonnets glacés, il est vrai que l’accord conclu le 4 février dernier va très loin, et stipule qu’aucun domaine de coopération n’est exclu. Pour autant, la Chine aurait pu imposer son véto au conseil de sécurité de l’ONU et elle n’en a rien fait. Par la suite, M. Wang Yi, le ministre des Affaires étrangères chinois, a fait de longues déclarations d’amour à destination de Moscou, mais elles finissent immanquablement par une phrase : la Chine est pour le respect de la souveraineté internationale et l’intangibilité des frontières. Evidemment, elle ne peut faire autrement, sans quoi on lui parlerait du Tibet, ou des Ouïghours … La Chine embrasse la Russie, mais prend bien soin de la garder à une distance raisonnable. La Chine a donc une position très ambiguë : seule une petite partie de son commerce international se fait avec la Russie (2,5%), elle commerce par ailleurs aussi avec l’Ukraine (blé et céréales). Elle serait en position d’effectuer une médiation si elle le souhaitait. Peut-être y viendra-t-elle, mais ce n’est pas dans les traditions diplomatiques chinoises. Du côté de la Realpolitik, la Russie ne peut pas ne pas s’être aperçue qu’elle n’est qu’un junior partner dans l’alliance avec la Chine. Tôt ou tard, il lui faudra diversifier ses amitiés.

Jean-Louis Bourlanges :
Sur les rapports sino-russes, il me semble que l’affaire ukrainienne consacre la contradiction profonde de Poutine : ces 20 dernières années, il a constamment fait le choix des intérêts de sa cleptocratie autoritaire, contre les intérêts géopolitiques de son pays. L’intérêt de la Russie était de se rapprocher de l’Europe. Cette dernière y était prête. Dire que l’Europe est une menace pour la Russie est une mauvaise plaisanterie, car soit dit en passant, c’est tout le problème de l’Europe : elle est absolument incapable de faire peur à qui que ce soit. Les choix idéologiques de Poutine ont été faits en dépit de la tradition géopolitique russe : il s’est ainsi rapproché des Hongrois, des Turcs … Quant à la Chine, elle devrait évidemment l’inquiéter : voilà un voisin très puissant, très moderne, très dynamique, à la population bien plus jeune … Et bien non. Pour des raisons qui tiennent sans doute à la survie de son régime et à la protection des oligarques qui pillent le pays, il a toujours privilégié des intérêts privés. Mais il en subira les conséquences, et il est certain qu’à plus ou moins longue échéance, la Russie sortira très amoindrie.
Sur les problèmes écologiques, il est très impressionnant de constater à quel point tous les mots d’ordre de lutte contre le réchauffement climatiques sont atteints par la crise ukrainienne. D’abord parce que les volumes d’investissements disponibles vont être très largement absorbés par la mobilisation de moyens militaires plutôt que par l’adaptation climatique. Ensuite à cause de la crise de l’énergie. Là, le cas de l’Allemagne est tout à fait symptomatique : elle se trouve dans un mix énergétique insoutenable, écartelée entre un charbon dont elle dispose mais qui nie ses objectifs climatiques, et un gaz qui lui interdit son indépendance géopolitique. Ajoutez à tout cela la peur du nucléaire, et vous obtenez une situation à peu près inextricable. Il faut d’ailleurs saluer le talent d’un petit pays comme la Lituanie, qui s’est construit une réserve de gaz naturel liquéfié (en provenance des USA et du Qatar), et qui est capable de tenir plusieurs mois face à une interruption des livraisons russes.
Du côté agricole, on retourne vers un modèle de culture intensive dont nous voulions sortir, et c’est évidemment regrettable. Mais paradoxalement, il n’y a que les Européens qui s’en soucient. Tous ceux qui nous critiquent s’en fichent comme d’une guigne …
Quatre problèmes nous sont posés. Celui du périmètre, d’abord. L’OTAN a-t-il pour but de défendre uniquement l’espace euro-atlantique, ou doit-il s’étendre à la Chine ? Ce n’était pas du tout évident il y a quelques mois, la France a bataillé pour s’en tenir à une conception stricte du périmètre, et je crois qu’elle a bien fait. Deuxièmement, la querelle à propos de l’article 5. Nous avons tout de même eu des doutes : M. Trump a clairement laissé entendre que cet article relatif à la solidarité en cas d’agression lui paraissait assez facultatif. Et Joe Biden n’a clarifié cette situation que très récemment. Troisièmement, la querelle des moyens. Là, il faut reconnaître que Trump avait raison : il était inacceptable que l’Europe, très riche et très peuplée, ne consente pas aux dépenses nécessaires à sa défense, et s’en remette entièrement aux USA. Les Allemands ont parfaitement réagi, le discours de M. Scholz était impeccable. Enfin, quatrièmement, le problème insurmontable : que signifie une autonomie stratégique des Européens par rapport à l’OTAN ? Cela suppose un pilier européen et un pilier américain, or l’OTAN n’a pas été conçue comme cela, il s’est toujours agi, selon la doctrine de Holbrooke, de « America as an european power ». Les Etats-Unis sont au cœur de la protection européenne. Quand on parle de partage, cela signifie « allez faire vos opérations en Afrique », mais quand on fait face à la Russie, c’est bien ce que dit M. Biden qui compte. C’est une terrible difficulté pour l’OTAN, nous verrons ce qu’il en sortira au conseil de Madrid fin juin.

Les brèves

Mémo sur la nouvelle classe écologique

Lucile Schmid

"Je voulais vous recommander ce petit livre qu’ont publié Bruno Latour et Nikolaj Schultz. Le livre se demande « comment faire émerger une classe écologique consciente et fière d’elle-même ». Il s’agit d’assembler des éléments apparemment contradictoires. Les auteurs nous disent par exemple que « l’écologie doit être une gauche au carré mais aussi assumer d’être réactionnaire ». Je ne vous dévoile pas le mystère de ce rapprochement, mais cette fondation d’une nouvelle forme de pouvoir, ou de conquête du pouvoir est particulièrement intéressante. La guerre en Ukraine nous force aussi à nous réinterroger sur les problèmes écologiques, et à ne pas comme d’habitude les mettre au placard le temps de régler d’autres problèmes. L’urgence est toujours là."

Les années retrouvées de Marcel Proust

Lionel Zinsou

"Je vous invite à un voyage chez Marcel Proust avec ce livre de Jérôme Bastianelli. C’est un enchantement. D’abord, c’est très original puisqu’il s’agit d’un roman décrivant la vie que Proust n’a pas vécue, entre 1922 (année de sa mort) et 1940. C’est donc une vie qu’il aurait pu vivre qui nous est racontée ici, c’est en cela un roman, mais également une biographie extraordinaire, qui permet de visiter les sentiments, les émotions, les lieux, les amitiés … C’est une façon très profonde d’analyser Marcel Proust. Il se trouve qu’en plus, l’auteur, par ailleurs président de la société des amis de Marcel Proust, écrit dans le style de Proust. Cent ans plus tard, c’est très amusant. Je ne sais pas si c’est son style naturel ou un pastiche extrêmement travaillé, mais dans tous les cas c’est un régal stylistique. "

Le chaos de la démocratie américaine

François Bujon de L’Estang

"J’espère que vous éprouverez autant de plaisir que j’en ai ressenti moi-même à la lecture de ce petit essai de Ran Halévi. Il s’agit d’une analyse remarquablement claire et intelligente de la crise profonde de la démocratie américaine, et des menaces qui pèsent sur son existence même. Il commence par une autopsie très clairvoyante de la journée du 6 janvier 2021, qui vit une foule, encouragée par M. Trump, assaillir le Capitole. L’auteur analyse la façon dont le populisme à la Trump d’une part, et le progressisme woke de l’autre se conjuguent pour saper les bases du libéralisme, socle de la démocratie à l’américaine. Concis, brillamment écrit et très éclairant. "

Les fractures de l’Espagne de 1808 à nos jours

Jean-Louis Bourlanges

"Notre ami Benoît Pellistrandi, qui a déjà participé à cette émission, a réédité une version largement enrichie de son livre sur l’Espagne contemporaine. Pellistrandi est certainement le meilleur spécialiste français de la civilisation et de la société espagnole. Les Français ont une vraie incapacité à considérer l’Histoire de l‘Espagne, hormis quelques épisodes importants, comme la guerre napoléonienne, la guerre civile et plus récemment les mésaventures de la monarchie. Tout cela est fait sur un fond d’ignorance générale, et d’un refus de prendre en compte ce qu’est l’Espagne, et sa contribution à l’Europe moderne. Nous savons qu’historiquement nous avons un rapport difficile avec ce voisin, à cause de Napoléon. Nous sommes par exemple tout à fait tournés vers l’Italie, mais l’Espagne reste essentielle. Pellistrandi nous montre les efforts qu’accomplissent les Espagnols pour intégrer l’anomalie de leur Histoire dans un contexte européen et mondial de solidarité. Ne vous contentez pas d’aller en vacances en Espagne, lisez aussi ce livre !"

Tartuffe ou l’hypocrite

Philippe Meyer

" Depuis le 15 janvier dernier, la Comédie-Française présente une version en 3 actes de Tartuffe, version qui selon les travaux du professeur Forestier serait celle qui a été interdite par Louis XIV. La mise en scène d’Ivo van Hove m'a paru pesante, tape à l’œil, outrée et souvent idiote et je n’en ai que plus admiré que les comédiens parviennent à forcer notre intérêt. Dans la version présentée sur la scène de la Comédie-Française, la pièce s'arrête sur la réponse de Tartuffe à Orgon qui, enfin désabusé, entend le chasser de sa maison : « C'est à vous d'en sortir vous qui parlez en maître. » Il y a quelques jours nous avons enregistré une émission thématique avec Georges Forestier sur son Molière. En présentant la version en trois actes qu'il a élaborée, j'ai précisé qu'elle se terminait sur le triomphe de Tartuffe. À ma grande surprise j'ai vu Georges Forestier me faire derrière son micro de vigoureux signes de dénégation. Nous nous sommes donc expliqué sur ce point et le professeur Forestier m'a indiqué que la version en 3 actes se terminait par la fameuse scène où Madame Pernelle refuse de croire ce que son fils Orgon lui dit avoir vu et lui oppose une dénégation obstinée. Et c'est sur une réplique de Dorine à Orgon que la pièce s’achève : « Juste retour, Monsieur, des choses d'ici-bas : Vous ne vouliez point croire et on ne vous croit pas. » Les vers de la version Comédie française, Ivo van Hove est allé les chercher dans l’acte IV, l’un des deux que Molière rajoutera après l’interdiction. ​Ce tripatouillage du texte de Molière est une lâcheté. Cette fin falsifiée est une escroquerie. Les psychiatres nous apprennent que les hommes impuissants sont nombreux à battre leur compagne. L’impuissance des metteurs en scène à être des auteurs, leur incapacité à se passer des auteurs a conduit et conduira beaucoup d’entre eux à malmener les œuvres auxquelles ils s’attaquent en les tirant le plus loin possible de ce que disent les textes. Je me désole que ce soit dans sa maison et pour célébrer son 400ème anniversaire que cette déloyauté reçoive son billet de logement et que Molière reçoive ce baiser de Judas."