Thématique : Dans la tête de Vladimir Poutine, avec Michel Eltchaninoff / n°238 / 27 mars 2022

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DANS LA TÊTE DE VLADIMIR POUTINE

Introduction

Philippe Meyer :
En 2015, le philosophe Michel Eltchaninoff que nous recevons aujourd’hui a écrit « Dans la tête de Vladimir Poutine » en s'appuyant, pour détailler les inspirateurs de l'idéologie du chef du Kremlin, sur les lectures du président russe. L’ouvrage paraît aujourd'hui dans une version augmentée et mise à jour. Michel Eltchaninoff, vous êtes spécialiste de Dostoïevski, rédacteur en chef de Philosophie Magazine et vous avez vécu en Russie au début des années 1990. Vous avez eu l’idée féconde de vous pencher sur les ouvrages que l’administration présidentielle distribua en 2014 en guise de cadeau de nouvel an aux hauts fonctionnaires, gouverneurs de régions, cadres du parti Russie uni, etc… Il s’agissait d’ouvrages de philosophie de penseurs russes du XIXe et XXe siècle dans lesquels figurent notamment des formules sur le rôle du guide de la nation dans une démocratie authentique, l’importance d’être conservateur, le souci d’ancrer la morale dans la religion, la mission historique du peuple russe face à l’hostilité millénaire de l’Occident… Si Poutine n’est pas un intellectuel, il cite volontiers Lao Tseu, et considère que le judo, qu’il pratique, est la vraie philosophie.
Se présentant comme un libéral lors de son premier mandat de 2000 à 2004, il aborde son deuxième (2004-2008) dans une attitude plus crispée. Son troisième mandat, commencé en 2012, a débuté sous le signe de la revanche : contre les manifestations opposées à son retour au pouvoir et contre l’Occident. Puis, le président russe a pris un tournant conservateur et impérialiste avec l’annexion de la Crimée et la déstabilisation de l’Ukraine dans le Donbass. De plus en plus nettement, Poutine incarne la revanche de ceux qui n’ont pas supporté la chute de l’URSS et sa métamorphose en démocratie. Le président russe veut également laisser sa marque dans l’histoire. Poutine ne lit pas les journaux et ne consulte pas internet. Il s’informe à partir des fiches qu’on lui transmet ou des dossiers rouges que ses collaborateurs déposent sur son bureau. Ceux qui lui fournissent les informations dont il a besoin pour agir sont d’abord ses amis et alliés proches du clan des silovikis, issus pour la plupart de l’armée, de la police ou des services de renseignement et souvent originaires comme lui de Saint-Pétersbourg.
De ces rencontres, récits, lectures, visions partagées, se dégage une doctrine complexe qui s’étage en plusieurs plans : à partir d’un héritage soviétique assumé et d’un libéralisme feint, le premier plan est une vision conservatrice. Le deuxième est une théorie de la Voie russe qui réactive notamment le mythe du peuple uni contre l’agresseur étranger. Le troisième consiste en un rêve impérial inspiré des penseurs eurasistes, une doctrine née dans les années 1920, postulant que le destin de la Russie est de se développer vers l'est. Le tout sous le signe d’une doctrine d’une philosophie à prétention scientifique. Parmi les obsessions de Poutine figure celle de ne pas tolérer, à côté de la Russie, un Etat qui a proclamé son indépendance et regarde vers l’Europe. Nous voyons ce qu’il en est.
Michel Eltchaninoff, pour amorcer cette conversation, pouvons-nous faire un portrait des différentes personnes dont les analyses, les conseils ou les expertises ont l’oreille de Vladimir Poutine ?

Kontildondit ?

Michel Eltchaninoff :
Depuis le milieu des années 2000, Vladimir Poutine cite des philosophes et des penseurs qui l’inspirent, pas forcément très célèbres dans l’histoire de la philosophie russe. Un exemple d’un vivant, qui a parlé à Poutine d’un mort : le cinéaste Nikita Mikhalkov, qui est devenu après la chute du communisme une sorte de propagandiste de la Russie pré-révolutionnaire, et a sans doute passé à Poutine un ouvrage qui est très probablement devenu son livre de chevet. Cela s’appelle Nos missions, ce n’est pas à ma connaissance traduit en français (ce n’est pas très connu). L’auteur est Ivan Iline, un philosophe né en Russie, chassé dans années 1920 par le pouvoir bolchevik, et devenu un porte-voix des antisoviétiques les plus fervents. Poutine le cite régulièrement, et très souvent.
Nos missions est un recueil d’articles sur ce que pourrait être une Russie enfin débarrassée du communisme, et dresse un portrait en creux du rôle que devrait jouer Poutine. En le lisant, il est évident que Poutine s’y est reconnu. Il y a d’abord une certaine conception de la démocratie, qui n’est pas formelle et fondée sur le droit, mais plutôt une démocratie d’acclamation, dirigée par un guide qui sait, qui dispose d’un temps long, propice à écrire une nouvelle page de l’Histoire du pays. Il s’agit de conduire le pays vers un avenir glorieux, qui chez Iline se dessine contre l’Occident. Le philosophe imagine la chute de l’Union soviétique de la façon suivante : la Russie va se trouver débarrassée de son empire, vouée à une démocratie fragile, et les pays occidentaux vont tenter de démembrer le pays. Ils vont allumer des guerres civiles dans le Caucase, et tenter de « s’emparer » (c’est le vocabulaire d’Iline) de l’Ukraine. Il y a ainsi plusieurs pages dans le livre, où il est dit que l’importance de l’Ukraine est vitale pour que la Russie retrouve sa grandeur passée, et qu’elle ne doit absolument pas tomber sour la coupe de l’Occident.
Vladimir Poutine est clairement inspiré d’Iline. Il suit à la fois sa conception de la démocratie (bien peu démocratique à nos yeux), mais aussi une vision géostratégique dans laquelle la Russie est toujours isolée, toujours « repoussée dans un coin », comme l’a déclaré le président russe durant l’annexion de la Crimée. La Russie, plus grand pays du monde, est jalousée des autres, et par conséquent sa prétention légitime à l’expansion et au développement est niée par l’Occident.
C’est pourquoi Vladimir Poutine qualifie le combat en Ukraine « d’existentiel ». Il l’a dit lors de son discours pour lancer la guerre : « ils nous en veulent parce que nous existons ». C’est au nom de cette menace existentielle que Vladimir Poutine lance la Russie dans une politique de « défense de ses intérêts vitaux ».

Michaela Wiegel :
La question que beaucoup se posent, en tous cas en France et en Allemagne, est celle de l’aveuglement des élites. Pourquoi et comment n’avons-nous pas vu cette fascination pour un récit anti-occidental ? Dans votre livre, vous citez l’utilisation par Poutine du philosophe allemand Immanuel Kant, ce qui est assez ironique étant donné que l’un des ouvrages (certes mineur) du penseur s’intitule Vers la paix perpétuelle. Apparemment, Poutine a flatté l’élite allemande, mais aussi française en louant l’universalité de Kant. Le philosophe est en outre originaire de Königsberg, qui était en Prusse au XVIIIème siècle mais s’appelle désormais Kaliningrad, ville de l’enclave russe située entre la Lituanie et la Pologne. Cette étrange utilisation de Kant est-elle un signe d’une évolution de la pensée de Vladimir Poutine, qui serait passé d’une utilisation des marqueurs de la philosophie occidentale (Kant étant l’un des plus grands philosophes des Lumières) à un rejet de cette pensée ? Le Poutine d’aujourd’hui est-il différent de celui d’il y a dix ans, ou bien n’est-ce qu’une excuse que nous nous sommes trouvés pour expliquer cette guerre d’agression qui nous a surpris ?

Michel Eltchaninoff :
Il est vrai qu’au cours de son premier mandat, Poutine aime évoquer Kant aux Occidentaux, notamment aux Allemands. Il cite notamment le traité de paix perpétuelle dont vous parliez ; il dit que la guerre n’est pas le moyen de régler les conflits, et que nous sommes la génération qui tournera cette page de l’Histoire. Il feint donc de s’inscrire dans le nouveau monde né de l’effondrement du communisme soviétique.
Pourquoi est-ce feint ? Parce qu’il ne faut pas oublier que Poutine est arrivé au pouvoir en 2000 à la faveur de la guerre en Tchétchénie, qu’il a lui-même lancée. Je rappelle qu’il s’agit d’une guerre au sein de la fédération de Russie, au cours de laquelle Grozny a été rasée. Ce conflit a été instrumentalisé pour présenter Poutine en chef guerrier, et exalter le sentiment nationaliste des Russes. Dès le début, Poutine peut donc d’un côté citer Kant aux Occidentaux, tout en menant de l’autre une atroce guerre de répression. C’est pourquoi son libéralisme politique est feint. N’oublions pas que Poutine fut adjoint du maire de Saint-Petersbourg Anatoli Sobtchak dans les années 1990, une période où il organisa des détournements massifs d’aides occidentales.
Mais je dois reconnaître que je me pose moi aussi la question de fond que vous avez soulevée : celle de l’aveuglement des élites. Comment n’avons-nous pas vu la dangerosité de cet homme ? Il me semble qu’il y a deux explications. D’abord, nous avons oublié que parfois, les idées mènent encore le monde. Au-delà des infrastructures matérielles, il arrive que les discours idéologiques soient efficaces. Il nous fallait écouter ce désir de revanche, cette humiliation ressentie au moment des bombardements de Belgrade de 1999. Non pas pour lui accorder quoi que ce soit, mais pour comprendre sa façon de penser. Nous avons négligé l’écoute du discours de revanche poutinien, pourtant détectable dès 2003-2004. Ensuite, si nous nous sommes encore trompés à propos de l’Ukraine, n’imaginant pas qu’il oserait lancer une guerre aussi massive, c’est parce que nous l’avons considéré comme un dirigeant utilitariste, c’est à dire comme n’importe quel autre dirigeant occidental. Nous n’imaginions pas qu’il pourrait refuser Nord Stream 2, ou faire le malheur de son propre peuple. Encore une fois, nous avons sous-estimé à quel point la fiction idéologique peut être plus grisante que l’examen de ses propres intérêts, même pour un dirigeant.

Jean-Louis Bourlanges :
On ne saurait imaginer une démarche plus opposée aux agissements de Poutine que la philosophie kantienne. J’ai lu qu’Hitler avait fait en 1935 ou 1936 un discours au Reichstag, exactement sur le thème que vous avez évoqué : la guerre n’a jamais servi à rien, les nations européennes sont exactement les mêmes après cinq siècles de conflit. Il demande donc à quoi sert cet océan de violence et de misère. Ici aussi il s’agit d’une utilisation purement tactique, je n’ai pas l’impression que cela aille au-delà. Entre Kant et Ies autres références idéologiques que vous décrivez dans votre livre, dont Ivan Iline, il y a un véritable abîme.
Il y a quelques jours, Patrick Cohen a fait une démonstration assez brillante. Dans une période où les invectives fusent très vite, on a tendance à traiter les gens de fascistes pour un rien. Et il disait : « cette fois-ci, nous y sommes ». Il a repris toutes les définitions du fascisme, et constaté que chacune collait à Vladimir Poutine. Quand on analyse Poutine, on est en présence de deux systèmes. Le système classique, qui reconnaît un néo-fascisme dans les agissements du président russe, ou bien l’interprétation qui est la vôtre, enracinée dans l’Histoire russe, et dont les conclusions ne sont pas forcément contradictoires.
On a l’impression que depuis toujours, la pensée russe pouvait se résumer à un affrontement entre les occidentalistes et les slavophiles, et que le léninisme était l’arrivée d’une troisième voie (qui empruntait aux deux traditions). Il s’agissait d’un jeu à trois. J’aimerais comprendre comment s’articule chez Poutine sa référence. A Soljenitsyne, par exemple. Celui-ci fut à un moment, peut-être pour des raisons tactiques, l’incarnation de la défense des slavophiles et des libéraux contre le système soviétique. On voit bien que ce qu’organise Poutine est une alliance entre la slavophilie et un néo-soviétisme réduit à sa dimension sécuritaire et policière. Comment le situez-vous par rapport à Sojenitsyne et comment arrive-t-il à reconvertir son héritage à des fins de propagande ?

Michel Eltchaninoff :
Par rapport au fascisme, il me semble que là encore, la réponse se trouve chez Ivan Iline, parce que ce philosophe a vécu en Allemagne, que le parti national-socialiste a tenté de l’enrôler pour créer une sorte de section russe du nazisme. Et Iline a refusé, car il trouvait le nazisme trop anti-religieux. Lui voulait se fonder sur un christianisme orthodoxe qui ne soit pas mélangé à des éléments néo-païens du type nazi. Il a alors déménagé en Suisse, et il s’est davantage reconnu dans Salazar et Franco que dans Hitler et Mussolini. Il voulait créer une forme de démocratie d’enthousiasme fondée sur un guide, évidemment hostile à l’Occident, mais aussi sur des références fortes au christianisme. C’est dans cette lignée que s’inscrit Poutine, celle d’un « fascisme chrétien ».
En ce qui concerne Soljenitsyne, Poutine a beaucoup profité de l’autorité morale de l’auteur après son retour en Russie. Il est allé le voir plusieurs fois et a essayé de l’embarquer dans son idéologie de défense d’un Etat fort, dans ses références à Stolypine, à une Russie pré-révolutionnaire forte, sachant résister aux tentations de faire exploser le pays. Mais il y a tout de même un hiatus entre les deux hommes, car Soljenitsyne est pour une démocratie locale. Dans sa slavophilie et sa fidélité à une image (un peu fantasmée) de la Russie paysanne, il a toujours insisté sur le fait que le pouvoir politique devait partir d’en bas. Il ne s’est jamais écarté de cette idée. Il y a donc une opposition entre l’impérialisme poutinien (le président russe admire Pierre le Grand, en tant qu’incarnation impériale de l‘Etat), et la méfiance de Soljenitsyne à l’égard de l’empire. Il y a indéniablement une volonté poutinienne de récupération de l’écrivain, mais il y a tout de même des points de tension qui persistent.

Béatrice Giblin :
Je suis frappée par la force des représentations, en particulier territoriales. Comment la Russie se voit constamment encerclée, alors que ce n’est vraiment pas le cas. C’est une représentation très ancienne, constamment alimentée. C’est assez contradictoire, car la dénonciation de cet encerclement imaginaire est au fond l’aveu d’une peur, et par conséquent un certain signe de faiblesse. Or compte tenu de la taille du pays, de ses richesses, de sa culture et de son Histoire, cette représentation de menace est contradictoire avec le discours d’auto-valorisation. Je suis d’accord avec vous : nous avons effectivement sous-estimé le pouvoir mobilisateur de certaines idéologies. Le commerce et les échanges ne nous mettent pas à l’abri des guerres.
A propos des représentations, n’y a-t-il pas un mépris ancien pour l’Ukraine et les Ukrainiens ? L’histoire russe a capté à son profit l’origine même du grand duché russe, alors que l’Ukraine pourrait tout à fait prétendre à ce titre de berceau historique. On nie à l’Ukraine toute possibilité de nation, sans penser au phénomène dynamique que cette idée de nation peut engendrer. Poutine est en train de subir une humiliation terrible : voilà que la deuxième armée du monde s’enlise dans ce qui avait sans doute été pensé comme une opération rapide et facile, au vu de ce qui s’était passé en Crimée. Il est vrai que depuis les Ukrainiens se sont formés, notamment aux côtés des Américains, justifiant par là « la menace » dont parlait Poutine. Ce que nous vivons aujourd’hui me semble être un moment critique et particulièrement dangereux : on sait qu’une bête blessée peut avoir une réaction particulièrement violente. Aujourd’hui, le refus que manifeste l’armée russe sur certains fronts montre que cette armée n’est peut-être pas aussi performante qu’on le croyait. Poutine y a mis beaucoup d’argent, mais les soldats russes savent-ils réellement se servir de leurs équipements ? Le discours poutinien sur l’union d’un peuple face à un agresseur est aujourd’hui brillamment justifié … par les Ukrainiens.

Michel Eltchaninoff :
Il est vrai qu’il y a une forme de psychologisation des rapports historiques, que reprend à plein Vladimir Poutine. Dans l’autobiographie autorisée qu’il a fait paraître en 2000, il raconte un épisode qui l’a beaucoup marqué enfant : dans son immeuble vétuste de Saint-Pétersbourg, il s’amusait à poursuivre des rats. Un jour, il en poursuit un vraiment énorme, et l’accule dans un coin. C’est là que les choses se sont inversées, et que le rat s’est mis à poursuivre l’enfant. Poutine raconte par cette anecdote la force que peut procurer l’humiliation.
Cette idée de l’humiliation par l’Occident et du désir de revanche est au cœur de son argumentation.

Béatrice Giblin :
C’est précisément cela qui me frappe : comment peut-on parler de revanche sur l’Occident alors que c’est la Russie elle-même qui a fait éclater l’empire ?

Michel Eltchaninoff :
Vous avez raison, c’est un déni manifeste de la réalité de l’Histoire. C’est aujourd’hui utilisé pour une reconstruction mythologique, qui va jusqu’aux années 1990. Mais cette représentation fausse est malheureusement très populaire dans le monde, y compris en Europe. On parle ainsi d’extension de l’OTAN, au lieu de constater que certains pays, après avoir été sous la coup de Moscou pendant longtemps, préféraient aller voir ailleurs.

Jean-Louis Bourlanges :
Il y a eu dans Le Figaro daté du 25 mars un excellent article d’Isabelle Lasserre, sur le mythe de l’humiliation, montrant très précisément en quoi tout cela est une fable complète. Dans cette affaire, le Kosovo a joué un rôle important, ainsi que l’Irak. Mais par exemple sur l’Irak, on ne peut pas dire que la France ou l’Allemagne aient joué la partition américaine. Alors il y eut aussi la Libye. Je me suis récemment longuement entretenu avec le président sénégalais Macky Sall, et j’étais très frappé par le fait que pour lui, l’OTAN, c’était l’opération de Libye, qui s’est traduit par une véritable catastrophe pour toute l‘Afrique de l’Ouest. C’est l’une des raisons qui a motivé l’abstention du Sénégal dans le vote de la résolution de l’ONU du 2 mars.
Mais pour la Russie, il ne s’agissait pas de cela, ils ont cautionné l’opération libyenne qui a été transformée et défigurée. Cela n’a rien à voir avec de l’humiliation. En revanche, du coté de l’OTAN, il n’y a jamais eu la moindre provocation, on a toujours cherché à établir de bonnes relations avec la Russie.

Michel Eltchaninoff :
Sur l’Ukraine, Poutine reprend totalement l’historiographie russe du XIXème siècle. Il y a l’idée que Kyiv est « la mère des villes russes », que la principauté de Kyiv est à l’origine de l’Etat russe, alors que c’est désormais contesté par les historiens. Il y a cette idée que l’Ukraine est la « petite Russie ». Il y a effectivement un sentiment de condescendance, voire de franche supériorité, qui est une négation de la dynamique de l‘Histoire, puisque cela revient à ignorer toutes les velléités ukrainiennes d’indépendance du XXème siècle, ainsi que son indépendance réelle, mais aussi le joug soviétique avec les famines organisées, la répression des dissidents et du nationalisme ukrainien.
Une fois de plus, Poutine plonge dans le fantasme. Ces temps-ci, il en a deux. L’un est impérialiste, c’est celui selon lequel l’Ukraine fait partie de la Russie depuis toujours. L’autre est la réactivationde la seconde guerre mondiale. Dans le premier discours où Poutine a admis qu’il y avait des pertes russes, il a rejoué ces récits de guerre soviétique, on croyait vraiment entendre des choses des années 1950 et 1960, glorifiant l’héroïsme d’un jeune soldat originaire du Daghestan, se sacrifiant pour protéger ses camarades … En disant que c’est ainsi que les soviétiques combattaient les nazis, qui utilisaient des boucliers humains, Poutine inverse l’Histoire : selon lui, les pertes civiles en Ukraine sont les otages des nazis ukrainiens. Le renversement est aussi total que le mépris, et l’Histoire est mythifiée.

Michaela Wiegel :
Dans l’un de ses derniers discours, Poutine parle de « purification », parlant de ceux qui « ne peuvent se passer du foie gras, des huîtres et de leur villa sur la Côte d’Azur ». Cette idée de nettoyage existe-t-elle déjà chez ses penseurs de chevet ? Peut-elle aussi aider à comprendre ce qui se trame avec l’Ukraine ? J’ai l’impression qu’on s’est trop vite arrêté au constat que l’armée russe avait des difficultés, mais la guerre n’est pas finie. Poutine l’a montré en Tchétchénie : il est prêt à tenir des mois, même au prix de pertes massives. Le fait qu’énormément d’Ukrainiens ont fui le pays vers d’autres pays d’Europe ne participe-t-il pas à cette idée de « purification » ? Il s’agirait au fond de chasser ceux qui sont le plus contaminés par les valeurs occidentales, une espèce de purge. C’est la même chose pour les prisonniers embarqués en Russie contre leur volonté.

Philippe Meyer :
A propos de la Tchétchénie, on peut dire que nous autres Occidentaux ne savions à l’époque pas où c’était (et je crains que nous ne l’ayons guère appris depuis) ; il était donc plus facile pour Poutine d’y mener ses opérations militaires avec une brutalité pareille.

Michel Eltchaninoff :
Les philosophes dont s’inspire Poutine sont des spécialistes de Hegel. Iline en est un, par exemple. Pour un hégélien, un Etat est un organisme avant d’être un système de droit formel. Il est vivant et obéit à une certaine rationalité historique. Poutine s’inscrit dans une forme de néo-hégélianisme dans le sens où pour lui, l’Etat russe est un corps vivant. Il en a toutes les propriétés, c’est à dire qu’il peut s’étendre (d’où sa fameuse phrase « les frontières respirent »), qu’il a des ennemis à l’extérieur, etc.
Ce que Poutine appelle « le monde russe », cette idée qu’il y a de nombreux russophones hors de Russie, dans les pays baltes par exemple, lui permet de considérer que l’Etat russe doit aller partout où il y a des Russes. Il affirmait encore il y a une dizaine de jours que la société est un corps, qu’elle doit être unie contre l’adversité. Pour se faire, elle doit chasser les indésirables, « recracher les moucherons qu’elle aurait avalée par mégarde ». Je suis allé voir chez Soljenitsyne, et dans L’archipel du goulag l’auteur cite des articles de Lénine de 1918, où celui-ci traite « d’insectes » les ennemis du peuple. Ennemis qu’il faut fusiller, ou envoyer dans des camps de travail. Il y a un retour à cette idée léniniste d’une cinquième colonne. Après la guerre face à l’Occident à l’extérieur, la guerre contre l’Occident interne. C’est une période de répression encore plus forte qui s’ouvre aujourd’hui pour la Russie. Tout cela est inscrit dans l’idée hégélienne de l‘Etat en tant que corps, qui pour réaliser son destin historique a besoin de se purifier.
Et vous avez raison : il s’agit sans doute de « dévitaliser » l’Ukraine. Je suis beaucoup allé en Ukraine ces dernières années, et j’y ai vu un pays de jeunes gens construisant une nouvelle économie. Il y avait énormément d’initiatives privées, d’entreprises qui se créaient, on sentait un vrai bouillonnement constructif. C’est aussi cela que la guerre a stoppé. Il s’est agi de chasser une partie de la population, voire de ramener ceux qu’il considère comme Russes en Russie. Ces fameux « convois » (bien que l’information ne soit pas encore vérifiée) de personnes évacuées vers la Russie sont une idée très effrayante. Quel sort vont connaître ces personnes en Russie ? Cela rappelle évidemment les grands mouvements de population du stalinisme. La Russie veut « ingérer » ce petit frère trop indiscipliné qu’est l’Ukraine.

Jean-Louis Bourlanges :
Je voudrais revenir au sentiment obsidional de Poutine, cette impression d’être assiégé. Il est paradoxal parce que la Russie est un ensemble immense aux frontières très lointaines et très lâches. On comprend très bien ce type de raisonnement chez les Allemands, enserrés entre deux voisins malcommodes, la France et la Russie. C’est ce qui a expliqué l’armement massif de la Prusse. Le dilemme allemand avait été brillamment synthétisé par Kissinger : « il faut que l’armée allemande soit suffisamment forte pour battre à la fois l’armée française et l’armée russe, mais pas suffisamment pour dominer l‘Europe ». Pour la Russie, ce sentiment est tout à fait injustifié.
Pour les théoriciens, la vraie caractéristique des empires est l’absence de frontières. Pas les empires comme l’empire napoléonien ou austro-hongrois, qui ne sont que des nations « gonflées », mais les véritables empires comme l’empire romain, l’empire chinois, l’empire américain … Ceux-là sont habitués à ne pas avoir de voisins. N’est-ce pas là le vrai problème de Poutine ? Ne rêve-t-il pas d’un monde sans voisins, où le dynamisme est permanent ? Seulement voilà, il y a des voisins. La Chine ça va, il y a de grandes zones désertiques qui font tampon. Mais à l’ouest, c’est plus problématique. N’est-ce pas au fond la limite qui est insupportable, qui est une atteinte profonde à l’identité de cet empire, et qui est le carburant de la paranoïa ?

Michel Eltchaninoff :
L’idée que la frontière évolue sans cesse fait partie intégrante de l’Histoire russe. Elle devient problématique quand l’immense Sibérie est juste à côté d’un pays ultra-peuplé et ultra-dynamique comme la Chine, et cela crée une autre crainte. Qui n’est pas tant celle des voisins que de l’influence. Vladimir Poutine, qui n’a rien à craindre de l’Occident, met en scène une pollution de l’esprit russe, original et singulier, par le nihilisme occidental. Cela s’est manifesté beaucoup plus fortement depuis son tournant conservateur de 2013. Il a besoin de montrer que la Russie est « enfumée » par l’influence occidentale, à savoir la théorie du genre, le wokisme, le mariage homosexuel, le libéralisme politique et plus généralement l’ouverture à tous vents. Ce sont ses chevaux de bataille. Puisqu’il n’y a pas de menace réelle et concrète sur le territoire russe, c’est l’esprit russe qu’il s’agit de dire attaqué. Cela fait des années qu’il situe le péril aux frontières spirituelles du pays, davantage qu’aux frontières matérielles.
C’est ainsi qu’il martèle que l’Europe est profondément décadente parce qu’elle a oublié ses racines chrétiennes. Il répète qu’elle sait très mal se défendre, que contrairement à la Russie elle s’y prend mal pour intégrer l’islam, tout cela parce qu’elle a oublié ses racines religieuses. Ce sont des discours qui portent. Il est intéressant de constater que Vladimir Poutine s’est aussi façonné sur une idéologie « à l’export » depuis les années 2010. Son but est de créer des personnes qui pensent comme lui un peu partout dans le monde, et notamment en Europe. Et il faut reconnaître qu’il a longtemps réussi à fédérer beaucoup de mécontents.

Béatrice Giblin :
Il a effectivement déclaré à la société russe de géographie en novembre 2016 « que les frontières de la Russie ne s’arrêtent nulle part ».
L’alliance avec la Chine m’interroge beaucoup. Vous venez de l’évoquer, les zones où les pays se touchent sont très peu peuplées (la population russe est concentrée à l’ouest, la population chinoise à l’est). Même si l’installation d’un certain nombre de chinois en Sibérie, du côté du fleuve Amour, peut peut-être soulever un certain nombre de questions. Dans la préoccupation de sauvegarder une « âme russe » que vous venez de décrire, n’y a-t-il pas une inquiétude que le pays ne devienne un jour vassal de la Chine ? Côté démographique, il y a de quoi s’en faire : 144 millions d’habitants d’un côté, 1402 millions de l’autre. Économiquement, la Chine va sans doute devenir la première puissance mondiale dans un futur pas si lointain. Certes, Poutine et Xi poursuivent pour le moment le même projet : montrer qu’il existe une alternative politique à la démocratie occidentale. Mais si Poutine est si persuadé que le danger le guette aux frontières, n’y a-t-il pas un aveuglement complet face à la Chine ?

Michel Eltchaninoff :
Il est vrai que c’est paradoxal, car l’idée d’un tournant vers l’Asie est un mot d’ordre en Russie depuis les années 2000, posé dès l’arrivée au pouvoir de Poutine. « Nous sommes un pays eurasiatique, et d’un point de vue économique, nous sommes amenés à nous tourner vers l’endroit le plus dynamique du monde ». L’alliance avec Xi Jinping, qui s’est encore affichée lors des Jeux Olympiques existe donc bel et bien, parallèlement à une terrible peur de l’influence chinoise chez les élites russes. Effectivement, il y a énormément de Chinois qui s’installent en Sibérie, se marient avec des Russes, construisent des entreprises très dynamiques. Mais dans la population russe et parmi les élites, l’idée de se tourner vers la Chine pour construire le monde post-occidental est lourde de menaces. Il y indéniablement un risque de vassalisation.
Un dernier mot sur l’idée que la Russie n’a pas de frontières. Depuis des années, Poutine construit la possibilité d’étendre ses frontières en s’appuyant sur l’idée d’une défense des populations faisant naturellement partie de son empire. A commencer par les russophones. C’est au nom d’un soi-disant génocide dans le Donbass qu’il a lancé la guerre ukrainienne, il pourrait tout aussi bien en évoquer un autre dans les pays baltes. Cela concerne aussi le monde orthodoxe, cela concerne la partie serbe de la Bosnie par exemple. Son idéologie eurasiatique insiste sur la « russité » mais aussi sur la symphonie des peuples que construit la Russie. Il insiste sur le fait qu’en Russie, il n’y a pas que des Russes ethniques, mais aussi des Tartares, des Mongols, des Juifs, des Daghestanais (qui eux-mêmes comprennent une quarantaine de peuples), etc. Cette idée de symphonie lui permet d’affirmer qu’il n’est pas un nationaliste ethnique, mais un vrai impérialiste, au sens où il intègre d’autres peuples. Il s’est finalement donné les moyens de jouer la carte de l’empire où et quand il veut. On ne sait pas quelles seront les prochaines étapes, ni même s’il y en aura, mais il pourrait par exemple jouer la carte de la défense des russophones au Kazakhstan.

Béatrice Giblin :
L’argument n’a rien de nouveau. La « Grande Serbie » visait à réunir tous les Serbes, par exemple.

Philippe Meyer :
Nous parlons depuis tout à l’heure de Poutine comme de quelqu’un dont nous découvrons tout à coup qu’il maîtrise tout ce qu’il fait. Mais maîtrise-t-il tant que cela, ou s’agit-il aussi d’une espèce de fuite en avant ? On sait que l’économie du pays ne fonctionnait pas (déjà avant les sanctions), la population vieillit, les jeunes qualifiés quittent le pays à la première occasion … Sa politique n’est-elle pas aussi une réaction face à tout cela ?

Michel Eltchaninoff :
C’est très difficile à dire, mais observons son agenda présidentiel. Je rappelle qu’il a changé la Constitution pour pouvoir rester au pouvoir jusqu’en 2036. Il considère que la Russie a recouvré sa fierté : elle a annexé la Crimée, et montré au monde ses capacités d’intervention en Syrie. Donc au moment de sa réélection de 2018, il promet dans sa campagne électorale une Russie « pour le peuple ». Il a fait deux annonces . La première, regardée avec un certain scepticisme, consistait à dire que le pays est désormais doté d’armes invincibles. La seconde, la plus importante, était de promettre aux Russes qu’il allait désormais s’occuper d’eux. Il reconnaissait qu’ils s’étaient beaucoup serré la ceinture pour retrouver cette fierté bafouée par l’Occident, et qu’il était désormais temps de construire des routes, des hôpitaux et de soigner l’éducation.
Il est évidemment réélu très facilement. A la suite de quoi il ne se passe pas grand chose. La corruption continue ses ravages, l’éducation, la médecine et les infrastructures sont toujours sous-financées, bref la Russie reste un pays pauvre (à part quelques grandes villes très dynamiques), souffrant d’un manque de soutien de l’Etat, tout simplement parce que l’argent est détourné, ou utilisé à des fins militaires.
En écoutant Poutine, j’ai personnellement ressenti chez lui une forme de désarroi. Au point que je me demande pourquoi il ne se relance pas, comme il a l’habitude de le faire. Sa position repose largement sur l’exaltation populaire, voire mondiale, à son égard. Or depuis 2018, on sent un certain flottement. Il modifié la Constitution et fait arrêter Navalny, mais il n’a rien fait de glorieux.
Pendant la Covid, il a cependant soigneusement préparé le plan de tout ce qui se passe aujourd’hui. Dès le printemps 2021, il commence à amasser des troupes à la frontière ukrainienne. Une rencontre avec Biden est organisée, parce que tout le monde s’inquiète. En juin-juillet 2021, il publie un article qui proclame l’unité des peuples russe et ukrainien, sous-entendant que les pauvres Ukrainiens sont kidnappés par des néo-nazis, et qu’ils serait souhaitable qu’ils reviennent dans le giron de la Mère Russie. A l’automne, il masse davantage de troupes. Puis c’est la longue montée de l’angoisse, pendant laquelle les services de renseignements américains mettent en garde contre une invasion très probable, et des dirigeants européens qui tergiversent, veulent négocier, etc.
La situation actuelle est le fruit d’au moins un an de préparation. Je puis me tromper, mais je crois que Poutine ne peut pas vivre sans donner l’impression à son peuple, au monde et à lui-même, qu’il est en train d’écrire une page de l’Histoire de la Russie post-soviétique. Il a besoin de cette grande confrontation avec l’Occident, il la prépare depuis des années, en militarisant l’éducation, par exemple. On habitue les enfants à l’idée de ce conflit, les médias déversent tous les jours cette idée d’une troisième guerre mondiale, etc. Même s’il aurait pu choisir d’autres options, je crois que Poutine a préparé cette montée vers la guerre.

Les brèves

La France contre elle-même

Philippe Meyer

"Je recommande également le livre de notre ami Richard Werly, « La France contre elle-même », aux éditions Grasset. On connaît le sens et le goût du reportage de celui que la ministre de la Culture désignait récemment comme « le plus suisse des journalistes français et le plus français des journalistes suisses ». Son fil conducteur est un parcours de la France d’aujourd’hui en suivant l’ancienne ligne de démarcation, celle qui créa une frontière intérieure entre juin 40 et novembre 42. Son livre, cette traversée d’une douzaine de départements, est une découverte des permanences d’un pays qu’il retrouve d’une époque à l’autre bureaucratique, courageux, inventif, et apeuré, profondément adepte du système D, pour les conduites les plus égoïstes comme pour les comportements les plus solidaires, dans un mélange éternel de crainte révérencielle de l’administration et de débrouillardise pour en contourner les règlements. Des ressemblances entre les deux périodes historiques que Richard Werly explore, il tire une conclusion sévère et amicale, celle que, malgré notre goût immarcescible pour la phraséologie de rupture, la centralisation maudite par tous mais pratiquée comme un recours ultime par chacun et l’incapacité à bâtir des compromis, « ce qui lie les Français entre eux est plus important que ce qui les sépare »."

50 cartes à voir avant d’aller voter

Béatrice Giblin

"Pour aller dans le même sens que la citation de Richard Werly, je vous recommande cet ouvrage d’Aurélien Delpiriou et Frédéric Gilli. Ce petit atlas, très bien fait, est bâti sur une excellente idée : une question, une carte, une réponse. De façon assez percutante, ce livre va à l’encontre d’un certain nombre de discours et de représentations prégnantes sur les fractures, sur l’archipellisation, les divisions … Ce n’est absolument pas un livre « bisounours », mais un travail précis et éclairant, qui permet de sortir du discours décliniste un peu complaisant qu’on entend si souvent. Pour s’approprier les faits, comprendre les enjeux et se faire sa propre idée, il sera très précieux. "

Macron le disrupteur

Michaela Wiegel

"Isabelle Lasserre n’est pas seulement une excellente journaliste au Figaro, elle a également écrit ce très bon livre sur la politique étrangère d’Emmanuel Macron. Elle y décortique la méthode Macron, jusqu’à cet épisode où le président français lors de l’Assemblée générale des Nations-Unies, va jusqu’à retrouver un interlocuteur iranien, en pyjama dans sa chambre d’hôtel. Évidemment, l’auteur n’a pas encore eu le temps d’intégrer le récent voyage du président français à Moscou, mais on voit que le président français est persuadé qu’il peut vraiment changer le monde à travers l’action personnelle. "

Blagues du moment

Jean-Louis Bourlanges

"Habituellement, nous ne faisons pas de brève quand il y a une émission thématique, je n’en ai donc pas préparé. Mais rassurez-vous, je ne passe pas mon tour pour autant ! J’ai pour nos auditeurs deux blagues entendues récemment. D’abord, c’est Poutine qui, saisi d’angoisse, demande au patriarche : « mais … tu es vraiment sûr que Dieu existe ? » Réponse : « j’espère bien que non ! ». Ensuite, c’est encore Poutine, qui meurt d’une crise cardiaque. Il se retrouve évidemment en enfer. Mais l’enfer a bien changé, il y a de temps en temps des permissions. Si bien qu’après vingt ans, il a droit de retourner à Moscou pour une journée. Évidemment, en enfer, aucune communication avec le monde des vivants n’était possible, il ne sait donc pas du tout ce qui s’est passé pendant toutes ces années. Il se précipite dans un bistrot et demande : « alors ? Le Donbass ? On l’a ? » On lui répond que oui. « Ah tant mieux ! Et la Crimée ? - Oui, la Crimée aussi. - Très bien ! Odessa ? - Mais oui. - Formidable ! Et … Kiev ? - Oui, Kiev aussi. - Je suis si heureux ! Allez, une coupe de champagne ! - Bien, monsieur. Ça fera dix euros. »"

Le régiment immortel

Michel Eltchaninoff

"Je vous recommande ce livre, paru il y a quelques années, signé de l’historienne Galia Ackerman. C’est une analyse de la militarisation de la société russe, avec notamment les grands défilés depuis 2015, qui se tiennent le 9 mai, jour de la victoire contre le nazisme. Lors de ces manifestations, les Russes sont appelés à marcher massivement, en brandissant le portrait de l’un de leurs ancêtres mort à la guerre. Et Vladimir Poutine était toujours au premier rang. Le livre raconte comment il a essayé de faire de la seconde guerre mondiale le grand lieu de mémoire nationale, mais aussi d’en profiter pour préparer le pays à la prochaine guerre. Il faut reconnaître à Galia Ackerman d’avoir annoncé ce qui allait se passer il y a des années. Elle a tenté de nous prévenir de l’imminence de la confrontation avec l’Occident. "